NOUS SUIVRE

Simonetta Greggio, Pedro Kadivar, Fouad Laroui

Modération: Emmanuel Khérad, journaliste, La Librairie Francophone

1ere table ronde ForumSGDL 2016 1ere table ronde2 ForumSGDL 2016
 Pedro Kadivar, Simonetta Greggio, Fouad Laroui - © SGDL 2016
Simonetta Greggio Pedro Kadivar

                  La langue française par Simonetta Greggio

                          La langue française par Pedro Kavidar

pdfÉcrire dans une autre langue

Emmanuel Khérad

Simonetta Greggio, vous êtes une romancière italienne francophone, vous écrivez en français et vivez en France où vous êtes installée depuis le début des années 1980, vous avez fait vos études à la faculté de lettres de Venise et publié une dizaine de romans en français.

Fouad Laroui, vous êtes un écrivain marocain et néerlandais car vous vivez au Pays-Bas à Amsterdam, vous écrivez principalement en français mais parfois aussi en néerlandais, comme par exemple deux recueils de poèmes en 2002. Votre recueil de nouvelles L'étrange affaire du pantalon de Dassoukine a reçu le prix Goncourt de la nouvelle en 2013.

Pedro Kadivar, vous êtes né en Iran, vous êtes arrivé en France en 1983 à l'âge de 16 ans, homme de théâtre, vous avez reçu le Prix de la SACD de la dramaturgie francophone en 2014 pour votre pièce Pays, vous avez publié un récit, Petit livre des migrations en 2015, récit de voyage avec pour fil rouge le destin de l'écrivain iranien Sadegh Hedayat qui se suicide à Paris. Vous évoquez ainsi l'histoire de l'immigration en France, croisée avec l'émigration iranienne en Europe. Hedayat écrivait en persan, vous, vous écrivez en français. Pedro Kadivar, est-ce une forme d'émancipation ou l'aboutissement d'une intégration culturelle comme on aime le dire aujourd'hui ?

 

Pedro Kadivar

Je n'y ai jamais réfléchi. En fait, je n'ai pas essayé de m'intégrer, j'ai été intégré d'une certaine manière. Hier, en faisant mon sac avant de prendre l'avion, et en relisant le programme et les questions qu'on allait aborder ici, j'ai spontanément écrit quelques fragments sur ce sujet. Si vous permettez je vais vous les lire :

Je ne décide jamais de la langue dans laquelle j'écris, je ne me demande jamais dans quelle langue je vais écrire, la question ne se pose jamais. La langue s'impose à moi, elle est d'emblée dans le désir et l'injonction mêmes d'écrire, dans son origine même.

Quand j'écris, il n'y a pour moi que cette langue-là dans laquelle j'écris et nulle autre. Et il n'y au monde que cette langue-là. L'humanité entière parlerait une seule et même langue, celle dans laquelle j'écris. Et en même temps elle est la langue de personne, même pas la mienne. Elle s'invente sur le coup, au fur et à mesure qu'avance le texte. Elle s'invente et s'impose au monde entier, presque indépendamment de moi, elle est l'événement qui concerne tout un chacun à cet instant. Elle n'est pas plus la mienne que celle de tout autre humain en qui elle a cours pour la première fois au moment où j'écris. C'est la langue unique de l'humain. À cet instant, la langue est par définition unique.

Aucun écrivain n'a jamais écrit dans sa langue maternelle. Quand il écrit, sa langue dite maternelle ne l'est plus. Elle se sépare de sa source même en lui, de ses racines, et tend vers l'ailleurs, vers l'inconnu et l'étranger. Il écrit dans l'épreuve d'une rupture avec sa langue de toujours, par l'ouverture d'une déhiscence avec le familier de sa langue, dans la fêlure qui l'empêche désormais d'être maternelle, dans le temps.

L'écrivain qui écrit n'a plus de langue maternelle. Il n'écrit pas dans une langue, il écrit une langue.

Je pense que j'ai ainsi un peu abordé les questions que vous avez posées. C'est curieux, mais depuis que je suis arrivé en Europe, ou peu après, je n'ai jamais écrit en persan, je ne sais pas pourquoi. Il y a eu un moment où j'ai refoulé complètement cette langue et toute mon histoire iranienne. Et il se trouve que dans cette pièce, Pays, que vous avez mentionnée, qui était à l'origine prévue comme une pièce franco-persane où la langue persane aurait la même place que le français et qui est devenue finalement une pièce en français, il y a un poème en persan. Je me suis rendu compte dans son processus d'écriture qu'il était extrêmement difficile d'écrire une pièce où deux langues se côtoient de manière égale, et que dramaturgiquement c'était quasiment impossible. Mais c'était le premier poème, le premier texte que j'ai écrit en persan depuis des années, alors que j'écrivais des poèmes quand j'étais enfant en Iran.

 

Emmanuel Khérad

Simonetta Greggio, je suppose que le texte que Pedro Kadivar vient de lire résonne en vous puisque vous avez vous-même écrit un texte pour cette journée dans lequel j'ai pioché quelques extraits, et vous dites par exemple : Je suis Italienne mais c'est la France qui m'a donné la parole. 

 

Simonetta Greggio

Le livre de Pedro m'a bouleversée parce qu'il dit toutes ces choses que je n'ai jamais réussi à dire, et que je n'arrive toujours pas à dire. Car je crois que quand on écrit dans une langue qui n'est pas la sienne à l'origine, c'est qu'on essaye de s'éloigner de plus en plus, et vraiment de manière presque définitive, du noyau noir de la source, de la puissance de la création qu'est la souffrance. Cette souffrance mise à distance, vous donne la possibilité de vous exprimer. C'est vrai, la France a été le pays de ma liberté et pendant dix ans, quand je suis arrivée je n'ai pas parlé italien, je retournais en Italie mais je n'avais pas d'amis Italiens, je ne pouvais pas parler italien. Je pense que c'était ce besoin de me détacher, de prendre de la distance, de me plonger dans une autre manière d'exister, et pour tous les mots comme des grenades prêtes à exploser qu'étaient les mots de ma langue maternelle, ça a déminé un peu le terrain. J'ai été journaliste aussi, il n'y a pas que la France qui m'a accueillie, il y a aussi la possibilité de publier et la possibilité de gagner ma vie avec ce métier, parce qu'en Italie à part quelques… C'est aussi tout ce respect pour une littérature, pour le texte, pour l'écriture, que j'ai trouvé en France, tout cela qui m'a poussée comme un vent dans le dos.

 

Emmanuel Khérad

Mais qu'est-ce qui vous procure autant d'émotions ? Je vous connais bien, on connaît bien vos livres aussi, on a tous lu Simonetta Greggio, je suis très étonné de cette émotion et de cette incapacité que vous avez finalement à parler de ce sujet-là, celui de la langue italienne que vous avez laissée de côté au profit de la langue française.

 

Simonetta Greggio

Dans mon texte que vous avez sous les yeux, je parle de trahison. C'est comme si l'Italie avait estimé qu'écrivant en français j'ai trahi ma propre langue. Par conséquent, mes livres ont été traduits lorsque je parlais de choses un peu générales mais dès que je parle d'Italie, on ne me traduit plus, c'est comme si je n'avais plus le droit de parler de ce pays que j'ai laissé derrière moi pour m'y replonger dans une autre langue.

Emmanuel Khérad

En même temps vous attaquez un peu le pays. La politique italienne, dans Dolce vita et Les nouveaux monstres, c'est costaud.

 

Simonetta Greggio

Oui, c'est vrai mais je ne l'attaque pas, je fais une constatation, c'est costaud mais c'est ce que font aussi Giancarlo De Cataldo ou d'autres. Quand ça vient de l'Italie même vous avez le droit d'en parler, si ça vient de France, vous n'êtes plus contrôlable, vous n'êtes plus gérable et surtout vous n'êtes pas attaquable. Erri De Luca l'a bien montré ou Saviano, quand vous êtes en Italie et que vous écrivez des choses sur l'Italie, vous avez des procès, c'est très facile d'avoir des procès, Berlusconi a assez d'argent pour faire des procès à tous les écrivains italiens pendant des siècles et des siècles.

 

Emmanuel Khérad

De ce que vous avez dit avant, on a bien compris qu'il y avait un choix de langue et que c'était une histoire intime. On pourrait croire aussi, quand on lit vos romans, que vous écrivez en français pour vous protéger d'une certaine façon, parce que c'est plus commode, plus facile décrire Dolce vita et Les nouveaux monstres en français plutôt qu'en italien, pour les raisons que vous venez d'évoquer.

 

Simonetta Greggio

C'est venu tout seul. Quand un éditeur vous demande d'écrire, vous écrivez dans la langue du contrat, si j'ose dire. Et c'est très curieux parce que dernièrement on m'a demandé d'écrire un texte sur la langue, sur l'écriture et sur la traduction, on me l'avait demandé en italien et au moment de remettre ce texte on m'a dit : mais je te l'avais demandé en italien et tu l'as écrit en français ! Je ne m'en étais pas rendu compte. Donc pour moi cette liberté n'existe qu'en français, pour réintégrer la  liberté de ma langue, le chemin est encore long. Et donc, comme dans le livre de Pedro, je pense que ce bouleversement intime, tant que vous ne l'avez pas, d'une manière ou d'une autre, absorbé vous ne pouvez pas vous remettre à votre langue. En revanche les quelques poèmes que j'ai écrits, je les ai écrits en italien. Comme les prières que je ne peux pas dire en français ou comme compter. Donc l'argent, le sacré et les poèmes, c'est en italien ; le reste c'est en français.

 

Emmanuel Khérad

Vous écrivez dans ce texte un petit passage que je vais citer qui rejoint ce que disait Pedro Kadivar, et aussi Dany Laferrière : Je n'ai d'identité  que celle d'habiter le monde, si j'avais vécu trente-cinq ans en Afrique de l'Est, je m'exprimerais en swahili, la vie étant trop courte pour habiter le monde et en parler toutes ses langues, je fais ce que je peux, j'écris en français. 

 

Simonetta Greggio

Je voulais dire une autre chose qui m'énerve. C'est le mot « francophone ». C'est un peu comme la black fiction, on a une autre couleur de peau donc on écrit une autre langue ? Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est quoi cette identité qui n'en est pas une ? Comme le dit Pedro, et sans doute  Fouad, quand vous écrivez une langue est unique, c'est la vôtre et aux autres de s'identifier, de s'y plonger.

 

Emmanuel Khérad

Il y a deux interprétations du mot « francophone ». La première, on la trouve dans certaines librairies, qui ne sont pas indépendantes mais qui sont de grands espaces commerciaux, qui mettent « francophone » parce que il y a des émissions notamment qui porte la francophonie et qu'ils veulent vendre des livres puisqu'ils incluent dans ce terme toutes les personnalités d'origine étrangère, comme on dit, qui écrivent en français. Et puis il y a « l'espace francophone » avec tous les auteurs francophones sans distinction, qu'ils soient français ou d'origine italienne, haïtienne.... peu importe.

Le problème dans « francophone », c'est qu'il y a « franc » qui fait penser à France et qui pose problème. On l’évoquait avec Jean-Marie Gustave Le Clézio, et avec Dany Laferrière aussi, il faudrait peut-être trouver un autre mot qui voudrait dire la même chose que « francophone ».

 

Simonetta Greggio

J'aimerais bien, parce que pour moi c'est comme les écrivains parisiens par rapport aux écrivains provinciaux, régionaux. Rien n'est plus méprisant mais, ce n'est pas moi qui le dit, c'est quelque chose que je ressens. Quand je suis arrivée dans la littérature française, « francophone » ou pas, je m'en fichais totalement. Et tout à coup, j'ai ressenti ce côté, méprisant est peut-être un mot un peu trop fort, mais un peu condescendant.

 

Emmanuel Khérad

Et pourtant la littérature francophone concerne des auteurs français bien évidemment.

 

Emmanuel Khérad

Fouad Laroui, c'est très étonnant parce que vos livres, on les connaît, vos nouvelles, vos romans,  sont écrits en français de façon très naturelle, et lorsque vous écrivez de la poésie, vous écrivez en néerlandais. Pourquoi la poésie en néerlandais et le reste en français ?

 

Fouad Laroui

Pour que personne ne puisse la lire !

Parce que la poésie c'est quelque chose de tellement intime, et très souvent d'ailleurs, j'ai un problème avec les gens qui me disent : je suis poète. Je n'arrive pas à y croire. Poète, je ne sais pas ce que c'est. C'est tellement intime que, finalement, personne n'a jamais lu mes poèmes. Je reçois chaque année de mon éditeur, sur un très beau papier, mon relevé de comptes avec plein de pourcentages et de chiffres, celui en bas à droite, c'est 0,0.

Mais je voudrais dire autre chose sur cette question de la langue maternelle. On a, pour l'instant, toujours eu un traitement poétique de la question  « Pourquoi écrivez-vous en français ? ». La langue maternelle..., on a dit de très belles phrases, Dany a dit de très belles choses. Cette fameuse phrase de Derrida, Je n'ai qu'une langue et ce n'est pas la mienne, ou encore Barrès parlant de Proust comme d'un poète persan dans une loge de concierge, ce qui était très élogieux pour la poésie persane, évidemment. Mais en réalité pour ce qui est du Maghreb ou des auteurs maghrébins, il n'y a pas de traitement poétique ou personnel de la chose, il y a un traitement technique, et c'est beaucoup plus important, qu'il faut absolument faire comprendre. Vous avez parlé tout à l'heure de Ben Jelloun, de Laâbi, des gens qui sont mes amis. Très souvent on leur demande : pourquoi avez-vous « choisi » la langue française ? Ce qui est un contresens absolu. Ils n'ont jamais rien choisi. Andreï Makine a « choisi » d'écrire en français, il a une très belle langue qui est le russe et il a choisi d'écrire en français. Simonetta même chose, très belle langue, l'italien, Pedro même chose. Il y a eu dans les années 1920, tous ces roumains un peu oubliés, Panaït Istrati par exemple et Cioran après, il y a une liste énorme de gens qui ont « choisi » parce qu'ils partaient d'une langue maternelle codifiée dans laquelle ils pouvaient très bien écrire. Cioran a d'abord commencé à écrire en roumain, si je me souviens bien. Mais ça n'a rien à voir avec la question du Maghreb et des écrivains maghrébins.

 

Emmanuel Khérad

C'est ce que vous expliquez dans un livre qui s'appelle Le drame linguistique marocain où vous racontez la confrontation des jeunes marocains à plusieurs langues : l'arabe littéraire, le dialecte et le français.

 

Fouad Laroui

Ce livre s'intitulait au départ « La question linguistique au Maghreb » mais j'ai enlevé Maghreb pour ne pas avoir de problèmes. Je rencontre des amis algériens, Anouar Benmalelk ou Boualem Sansal, qui me disent : pourquoi tu as appelé ton livre Le drame linguistique marocain puisqu'en réalité ça concerne tout le Maghreb ? J'ai bien assez de problèmes avec les Marocains, je n'ai pas envie de me coltiner les Algériens et les Tunisiens en plus ! Je vais donc être un peu technique car c'est très important. Lorsque vous prenez un écrivain marocain, par exemple Mohamed Nedali, dont je parle, qui est né à Tahannaout  dans l'Atlas à 30 km de Marrakech, dans une famille berbère. Jusqu'à quatre ans, il n'entend donc que le berbère. La distance linguistique entre le berbère et l'arabe est à peu près la même qu'entre le danois et le grec : ce ne sont pas des langues voisines. Ensuite, il va à l'école où il est confronté avec deux nouvelles langues et, là, ça devient intéressant car dans la cour de récréation il apprend le marocain dialectal qui est réellement la langue maternelle de la plupart des marocains, des maghrébins (sauf les berbérophones). Leur langue maternelle, celle des premiers affects, celle où se lie le monde avec les mots, où les couleurs prennent un sens, tout cela, c'est l’arabe dialectal. Vient ensuite l'école où tout se fait en arabe classique, et ce n'est pas la même chose : ce sont deux langues totalement différentes. Bien sûr, il y des échanges de l'une à l'autre. Mais dans la pratique, la langue arabe classique de l'enseignement conduit à l'échec scolaire : sur 100 petits marocains 7 arrivent au bac.  En France l'objectif est de 80% et au Maroc c'est 7%. Si vous regardez l'intelligence moyenne des peuples sur une courbe gaussienne, tous les peuples sont à peu près aussi intelligents les uns que les autres. Donc, la différence entre 80% et 7%, ça veut bien dire quelque chose : ça traduit un problème de langue.

Mais plus profondément, cela signifie que, lorsqu’on veut écrire, si on ne veut pas se compliquer la vie comme Simonetta Greggio, Andreï Makine, Cioran ou Pedro Kadivar, généralement on écrit dans sa langue maternelle, ce qui est le cas de 99% des auteurs. Mais les Maghrébins ne peuvent pas écrire dans leur langue maternelle car c'est une langue qui ne s'écrit pas. Personne n'écrit en dialecte. Alors vient le choix : est-ce qu'ils vont écrire en arable classique ? Très belle langue, certes, mais impossible à manier.

Voici une anecdote : Vincent Monteil qui était l'un des grands spécialistes du monde arabe et de l'islam, va dans les années 1960 voir son ami ministre syrien de la Culture. J'insiste : ministre, syrien et culture. Ils parlent de choses et d'autres, puis de la question linguistique. Le ministre prend alors une revue de poésie sur la table et dit à Vincent Monteil : tu comprends notre problème, voici une revue que l'on m'envoie parce que je suis ministre, et voici le premier poème dont j'ai souligné les mots que je ne comprenais pas. Tous les mots étaient soulignés, tous ! C'est un poème écrit en arabe classique dont le ministre syrien de la culture qui est un homme d'une grande érudition, qui est sensé connaître cette langue, ne connaissait aucun mot ! Ben Jelloun l'a dit, si vous êtes n'importe qui, comment voulez-vous écrire dans cette langue ? Si je demandais à Dany d'écrire pas seulement en latin mais très spécifiquement dans le latin de Virgile tous ses livres à partir d'aujourd'hui, vous comprendrez la nature du problème.

Quelle est la solution ? C'est le français, pour ceux qui sont allés à l'école française, ceux pour qui le français est quasiment une langue maternelle, ce qui est mon cas. J'y suis allé dès l'école primaire et j'ai ânonné tout ce que les petits français ont ânonné. On arrive ainsi à avoir une certaine adéquation entre ce que l'on veut dire et la langue qu'on manie, ça devient une pseudo langue maternelle. Mais je ne l'ai pas « choisie » : je suis obligé de le faire. Pour ceux qui n'ont pas eu cette chance… Certes on peut être absolument génial, comme Pedro Kadivar par exemple, et acquérir cette langue, mais seulement 0,01% des gens peuvent faire ça, c’est-à-dire acquérir une langue d'une façon tellement intime que cela devient vraiment une langue maternelle dans laquelle on peut faire passer tout ce que l'on a envie de faire passer. La plupart n'y arrivent pas, cela restera pour eux une seconde langue dans laquelle ils sont peut-être à 40 ou 50% de leurs possibilités.

Cette analyse concerne la diglossie arabe. Techniquement la diglossie existe aussi en Haïti. Curieusement, elle a existé en Grèce avec la katharevousa (1) et la demotiki (2) mais elle n'existe plus, en fait, que dans les pays arabes. Cette question de la diglossie, n'est pas seulement une question de langue, c'est une question qui a des implications énormes, psychologiques. Je pourrais presque dire qu'une certaine violence qui s'exprime dans ces pays a un rapport avec la langue - quand on n’arrive pas à s'exprimer, on passe à la violence. Le drame c'est que cette analyse que je viens de faire n'est jamais faite et quand j'ai demandé à mon ami Abdellatif Laâbi de faire la préface de mon livre, il a refusé en disant : dans ton livre tu prétends que l'arabe classique n'a jamais été parlé. J'ai dit : ce n'est pas moi qui le prétends, ce sont les spécialistes sérieux de la langue qui disent que c'est une koinè (3) des poètes de l'Arabie en terre islamique donc en réalité une langue qui n'a jamais été parlée mais dont on voudrait maintenant qu'elle soit la langue maternelle. Ce n'est la langue maternelle de personne. Cette analyse n'ayant jamais été faite, quand vous brandissez un micro sous le nez d'un écrivain maghrébin et que vous lui posez une question erronée concernant la langue française : pourquoi avez-vous « choisie » ? Lui-même n'ayant pas fait l'analyse, il répond un peu n'importe quoi. Oui, j'ai « choisi »  d'écrire en français pour ne pas choquer ma mère, pour avoir un public plus large - et c'est un peu idiot. Pour l'amour de dieu, si j'ose dire, n'utilisons plus jamais le mot « choisir » en ce qui concerne les écrivains du Maghreb qui s'expriment en français. Le français, je ne dirais pas que c'est un pis-aller, c'est une chance pour eux parce qu'ils peuvent s'exprimer avec le français mais ça n'a jamais été un choix et ce n'est pas un choix.

1) La katharévousa fut conçue à partir du XVIIIe siècle pour « purger » la langue grecque moderne des influences étrangères, sans pour autant revenir au grec ancien. Le mot « katharévousa » signifie d'ailleurs à peu près « purifiée », en ce sens qu'il s'agit d'une langue moderne, telle qu'elle aurait pu évoluer à partir du grec ancien, s'il n'y avait pas eu d'influences étrangères.

 2) Le grec démotique ou la dimotikí (δημοτική [ðimotiˈki], littéralement « (langue) populaire », « démotique ») est la forme standard du Grec moderne. C’est une variante vulgaire (au sens linguistique, c’est-à-dire la langue du peuple, des usages courants et quotidiens) du grec, qui commence à être utilisée dans la langue littéraire à partir du XIXe siècle et à être enseignée à l’école au début du XXe siècle.

3) La koinè est devenue langue officielle de l’Empire romain d’Orient, avant de continuer d’évoluer pour donner naissance au grec moderne d’aujourd’hui.

 

Emmanuel Khérad

Alors justement à propos du choix. Pedro Kadivar, dans votre livre vous parlez de la langue maternelle qui occupe une grande place et vous dites, aucun parent ne demande à son enfant quelle langue il veut parler, en fait la langue maternelle est une langue imposée un peu comme notre naissance.

 

Pedro Kadivar

Oui c'est très curieux, on se pose rarement la question, c'est toujours une évidence. La langue maternelle, pour la grande majorité des gens, c'est la langue dans laquelle on parle, dans laquelle on écrit sauf si on est à l'étranger, c'est une langue qui s'impose et l'on ne se pose jamais la question : pourquoi cette langue-là et pas une autre ? Et c'est d'un poids extrême. Effectivement dans mon livre il y a ce fragment de fiction où l'enfant parle avant de pouvoir parler et la mère lui demande « dans quelle langue veux-tu parler ? », une question qui n'est jamais posée à un enfant. Notre but, quand je suis arrivé en France à seize ans avec ma famille, n'était pas du tout de rester en France, nous voulions partir aux Etats-Unis mais on nous a refusé le visa. On aurait très bien pu arriver dans un autre pays d'Europe où il y avait une ambassade américaine pour faire une demande de visa, ça aurait pu être la Hollande, le Danemark, la Suède, enfin aucun rapport particulier avec la France. On a été obligé de rester finalement en France parce qu'on ne pouvait pas partir aux Etats-Unis. C'est donc le hasard qui a fait que j'ai appris le français, que j'écris dans cette langue. Ça aurait pu être l'anglais ou le suédois ou une autre langue. L'Iran n'est pas un pays francophone, il n'y a pas un rapport plus particulier au français qu'à l'allemand, à l'espagnol, à l'anglais… Là encore, je me sens très étranger à cette notion de francophonie. Parce que l'Iran n'est pas un pays francophone tout simplement. La question que vous posez par rapport à la langue maternelle tout à coup se révèle dans ce rapport-là, c'est à dire que je me rends compte à un moment donné que, finalement, il y a beaucoup plus de souplesse et de mouvement dans le rapport à la langue maternelle qu'on ne le pense : cette langue-là est elle-même mouvante, vous pouvez aussi la refouler et refuser de la parler comme je l'ai fait avec une violence radicale pendant des années. Refuser de l'entendre, de la parler et de l'écrire, pendant cinq ou six ans, c'est énorme. Mais finalement cette langue reste là, vous ne l'oubliez jamais, elle revient bien sûr, et d'autres langues peuvent venir et prendre place. Je pense qu'on peut avoir plusieurs langues maternelles et d'ailleurs dans ce texte L'extrême réel où je parle de mes deux premiers retours en Iran, j'ai écrit : ma langue maternelle c'est le français et ma mère ne parle pas un seul mot de cette langue. Il y a plusieurs langues maternelles comme il y a plusieurs pays. On me demande toujours quel est votre pays : l'Allemagne, la France, l'Iran ? Mais ces trois pays sont les miens, pourquoi avoir une seule langue maternelle, un seul pays...

 

Emmanuel Khérad

Vous avez écrit dans ce livre que Paris a été le lieu de l'éclatement progressif de la langue maternelle.

Pedro Kadivar

Oui, c'est lié aussi aux circonstances. Pendant toutes ces premières années où j'étais au lycée et ensuite à l'université, il était impossible de retourner en Iran, et je ne le voulais pas non plus, donc par la force des choses cette langue-là petit à petit se brise. Il y a toute cette période où j'avais la volonté de n’avoir aucun rapport avec cette langue.

 

Emmanuel Khérad

Alors pourquoi cette rupture avec le persan, un peu comme la rupture de Simonetta Greggio ?

 

Pedro Kadivar

C'était une période où je ne voulais plus entendre parler de cette identité iranienne, pour plusieurs raisons que je ne peux formuler qu'a posteriori. À l'époque je ne pouvais pas comprendre moi-même. C'est d'abord que les deux ou trois dernières années passées en Iran étaient très violentes, la guerre avec l'Irak, la répression... Et puis je pense qu'à l'époque, et c'est une chose très française, j'avais le sentiment que soit il fallait être Français, soit il fallait être Iranien. On ne pouvait pas être les deux à la fois, il fallait choisir. C'est l'environnement qui me soufflait cela, sans me le dire. On ne le dit jamais évidemment, on est extrêmement poli et ouvert mais c'est cela que l'environnement me disait. Et il y a un troisième élément important : je pensais qu'il n'y avait pas suffisamment de place en moi pour garder le persan et le français, c'était trop, je devais faire un choix. Soit regarder vers l'avenir, et pour moi c'était la France et mon cheminement qui continue en France, soit le passé iranien. Il n'y avait alors pas de possibilité d'avoir les deux en moi. Je n'ai eu cette possibilité-là qu'en partant en Allemagne, bien plus tard.

 

Emmanuel Khérad

Simonetta Greggio, il y a de la place pour les deux, pour vous qui aimez additionner les cultures ? Quand on associe l'Italie et la France, qu'est-ce que cela donne chez vous ?

 

Simonetta Greggio

J'aimerais bien que les deux fassent partie de mon futur justement et j'aimerais bien pouvoir réintégrer cet italien que j'ai « renié », pendant si longtemps. Oui, « renié » car je n'écris plus en italien, et ça me manque terriblement. Hier j'étais encore à Venise avec ma mère et j'avais très envie d'écrire en italien mais pour qui ? Comment ? Pourquoi ? Pour habiter d'autres langues certes, c'est ce que je voudrais essayer de faire, mais il faudrait que je vive encore pendant cinquante ans, parce que beaucoup de petits poèmes me viennent en anglais et j'aimerais bien intégrer aussi cette langue aux deux autres. Et puis je voulais dire encore autre chose : Fouad parlait de la langue des premiers affects, chez nous la langue des premiers affects n'est pas l'italien, c'est le dialecte vénitien. Mes parents me parlaient en italien et il fallait que je leur réponde en italien, mais entre nous, les frères et sœurs, on parlait en dialecte et les parents se parlaient entre eux en dialecte. On n'avait pas le droit de leur parler en vénitien, qui est une vraie langue à part entière et qui n'a rien avoir avec l'italien, c'est une langue mélangée, faite de beaucoup de choses.

 

Emmanuel Khérad

Un peu comme l'arabe littéraire et dialectal …

 

Simonetta Greggio

C'est ça. Il n'y a que Goldoni qui a écrit en vénitien. Le dialecte était la langue du travail, de notre quotidien mais ce n'était pas la langue admise, la langue classique, celle dans laquelle il fallait s'exprimer, et à l'école les petits qui venaient des campagnes, on les entendait tout de suite car ils ne parlaient pas italien mais vénitien.

 

Emmanuel Khérad

Effectivement, il vous faut une troisième langue

 

Simonetta Greggio

Je pense que ce serait une quatrième : le vénitien, l'italien, le français et l'anglais.

 

Emmanuel Khérad

Ecrivez en québécois, on vous donnera un lexique.

Fouad Laroui, vous pensez effectivement que ce sont les lieux de notre vie qui définissent nos langues d'expression ?

 

Fouad Laroui

D'une certaine façon oui, mais je pense qu'il y a un problème sous-jacent qu'on ne voit pas souvent. Par exemple Pedro [Kadivar], tu disais qu'on pouvait avoir deux, trois langues maternelles, je ne sais pas exactement comment tu l'entends mais il y a aussi un problème technique. Si vous ouvrez n'importe quel livre de linguistique, la première chose qui est mentionnée c'est que le monde n'existe pas. C'est une affirmation assez étrange de la part de tous ces grands livres de linguistique de commencer par cela. Qu'est-ce que ça veut dire ?  Cela veut dire qu'il n'y a pas, autour de nous, un monde sur lequel on arrive avec des post-it – jaune pour le français, vert pour l'iranien, bleu pour l'italien... - et puis  après on change de langue et il suffit simplement de changer de post-it. En réalité la langue crée le monde qu'il y a autour de nous. Je donne à mes élèves à l'université d'Amsterdam un exemple très simple pour comprendre cela : en français il y a le mot « rivière » et le mot « fleuve ». Le fleuve c'est le cours d'eau qui se jette dans la mer, la rivière c'est le cours d'eau qui se jette, soit dans une rivière, soit dans un fleuve. En néerlandais il n'y a qu'un seul mot pour désigner tous les cours d'eau le mot « rivir » qui vient d'ailleurs du mot français « rivière ».  Alors je leur pose la question : si vous êtes au bord du Rhin ou de l'Escaut, est-ce que vous êtes en train de regarder un fleuve ou une rivière ? En réalité, c'est la langue qui vous le dit, ce n'est pas le monde qui vous le dit, le fleuve ne dit pas : je suis une rivière. Si vous êtes Néerlandais vous ne voyez que des « rivir » partout, si vous êtes Français vous dites : le Rhin est un fleuve. Donc ce sont les mots, c'est la langue qui définit le monde ; le monde n'est pas donné. Or, quand on passe d'une langue à l'autre, on fait un changement total de monde, c'est le monde qu'on change. J'habite au centre d'Amsterdam et je passais rue Albert-Kemp où il y a un marché très célèbre dans le monde entier, avec Paul Scheffer, un intellectuel hollandais, et il me dit : regarde les cafés turcs, ils ne sont pas « gezellig » - ce qui veut dire douillet, agréable à vivre, dans lequel on a envie d'entrer. Il me dit : c'est quand même extraordinaire, pourquoi nos cafés bruns d'Amsterdam sont « gezellig » et pourquoi ces gens qui ont une grande et longue culture, les Turcs, leurs cafés ne sont pas « gezellig » avec leurs nappes en toile cirée ? Je lui dis : est-ce que  tu t'es déjà posé la question de savoir si le mot « gezellig » existait en turc ? Parce que le mot « gezellig » est l'un des premiers mots que l'on apprend en néerlandais, il faut que tout soit douillet, on arrive dans une maison, il faut qu'elle soit douillette, le café doit être douillet. La première notion qui vous obsède quand vous montez un café ou un restaurant, c’est qu'il soit « gezellig ». Mais si ça n'existe pas en turc.  Ce qui est probable, c’est que le gars quand il fait son café, il ne se pose pas la question de savoir s’il sera « gezellig », il se pose des questions pratiques : combien de tables, combien de chaises...

 

Emmanuel Khérad

Oui mais on invente des mots aussi, la langue française en rajoute : « cosy », « lounge », pour dire justement « gezellig », vous voyez et c'est un francophone partisan qui vous parle !

 

Fouad Laroui

Vous avez probablement raison, cette langue si elle change et si elle s'enrichit, elle crée un monde plus subtil, c'est certain.

Emmanuel Khérad

Vous posez clairement ce problème de la traduction. Par exemple Brice Matthieussent, le traducteur de Jim Harrison, me disait il n'y a pas très longtemps en Belgique qu'il avait beaucoup de difficultés à le retranscrire exactement et Jim Harrison lui répondait tout le temps : « mais vas-y, rajoute des choses, libère-toi ». Et Brice de répondre : « mais non, je suis traducteur ». Effectivement, c'est un peu la question qu'on peut se poser quand on est francophone et amateur de littérature francophone, on se dit que finalement quand on lit un livre étranger traduit, on ne lit pas exactement le même livre que celui qu'a voulu l'auteur

 

Fouad Laroui

Sur ce point, très rapidement, il y a un texte très célèbre de Borges dans L'Aleph où il  imagine Averroès en train d'écrire son commentaire d'Aristote sans connaître la définition du mot « comédie », du mot « tragédie » en grec, et comment on peut faire ça, c'est un texte fascinant de Borges sur la question.

 

Emmanuel Khérad

Oui, et puis les grands espaces aussi, canadiens ou américains, qu'on a du mal à retranscrire et c'est le problème de la traduction de Jim Harrison. Pedro Kadivar, pourquoi avez-vous écrit ce livre sur les migrations, c'est le seul récit que vous ayez publié, vous êtes un grand homme de théâtre, vous avez fait des pièces extraordinaires et quand vous vous êtes mis à l'écriture, c'était pour parler de la migration ?

 

Pedro Kadivar

C'est la partie visible de l'iceberg. En fait, il y a d'autres récits qui n'ont pas été publiés, ce n'est pas du tout la première fois que je m'y mets.

Je vais revenir à votre question mais je voudrais juste réagir à ce que Fouad a dit. Quand je dis qu'on pourrait avoir plusieurs langues maternelles, c'est qu'on pourrait avoir plusieurs mères, plusieurs naissances au cours d'une vie, et à chaque naissance une nouvelle langue. C'est très curieux pour moi, mais c'est peut-être une banalité pour beaucoup, ça me fascine de rencontrer des gens qui ont une langue dans laquelle ils ont vécu toute leur vie. Pour moi c'est extraordinaire, alors que c'est le cas pour la majorité, je n'arrive pas à assimiler ça, car dans ma propre vie, chaque langue est liée à une période de ma vie et elles sont toutes les trois présentes : l'allemand, le français et le persan. Quand tu as dit que j'avais « choisi » d'écrire en français alors que j'avais dit le contraire, j'ai compris après, parce que tu as expliqué, que « il lui aurait été possible » d'écrire en persan parce qu'il y a une langue persane littéraire qui n'est pas si éloignée de la langue parlée, ça c'est juste effectivement. « Il aurait été possible », mais pourquoi je ne l'ai pas fait, je ne sais pas et ça, ce n'était pas un choix.

À propos de la migration, pourquoi consacrer ce récit-là à cette question ? En fait ce texte a été écrit pendant ma résidence à l'Odéon en 2011-2012 où j'avais fini ma Tétralogie de la migration qui sont quatre pièces de théâtre. Cette tétralogie et ce livre ont été une manière de sortir le mot migration de son carcan, tel qu'on le considère toujours en le liant à l'immigration comme si c'était quelque chose de réservé aux immigrés, alors que pour moi la migration c'est inhérent à la vie humaine, nous sommes tous des immigrés, ne serait-ce que parce que nous sommes tous en train de chercher un espace où vivre qui n'est pas donné à la naissance. C'est une question qui se pose à tout homme car nous sommes tous confrontés à cette question de trouver une espace de vie, ça peut être géographique pour des raisons circonstancielles, mais c'est une manière de dire que cette question des migrations nous concerne tous, et que c'est une question vitale.

 

Emmanuel Khérad

À propos, Fouad Laroui, de ce que répondait Pedro Kadivar, ce bilinguisme qu'il a complètement intégré, vous vous posez cette question dans votre livre : le bilinguisme est-il un handicap ou est-il une chance ? Maintenant que vous avez écrit ce livre, que vous écrivez dans deux langues, c'est une chance ?

 

Fouad Laroui

Bien entendu, parler le maximum de langues - il paraît que Claude Hagège connaissait quatre-vingt langues -  bien sûr c'est une chance extraordinaire. Ce que j'appelle la malédiction de l'écrivain maghrébin ou le drame linguistique maghrébin, c'est cette histoire de diglossie mal assimilée. Bien sûr, bilingue, trilingue, toutes les langues qu'il faut. J'ai passé le mois d'août à Berlin, au Goethe Institut à faire cinq heures d'allemand par jour parce que je voulais connaître aussi cette langue, ça c'est une chance. La diglossie est un drame mais le multilinguisme est une chance extraordinaire.

 

Emmanuel Khérad

Et le sentiment d'appartenance à un pays, à une terre, à ses origines que l'on a tous est-il fragilisé, est-il sacrifié lorsqu'on change de langue ?

 

Fouad Laroui

Je vais répondre par une anecdote qui m'a fait beaucoup rire. Ma mère est d'Essaouira, un petit port très mignon - où règne André Azoulai, c'est le « roi » d'Essaouira. Il y a un jeune garçon d'Essaouira qui est parti à l'aventure, en Europe, en Russie, il a passé vingt ou vingt-cinq ans à l'étranger, il est devenu peintre et un jour il revient dans la ville où il a grandi, il se promène sur les remparts avec ses amis, et tout à coup il s'arrête et leur dit : quelle petite ville pittoresque ! Je trouvais cette distance assez extraordinaire.

 

Simonetta Greggio

Quand je suis arrivée en France, en 1981, il y avait un livre qu'il fallait absolument lire, Les Schizophrènes et les langues. Un livre assez compliqué mais ce que j'en ai retenu, c'est que plus on parle de langues plus le cerveau, le cœur deviennent grands, c'est comme si il y avait des mondes inconnus qui s'ouvrent avec une langue, un sésame, et ce sésame c'est chaque fois un mot qui vous donne envie. Finalement la poésie c'est la cela, juste un mot qui est une porte sur un ailleurs, une autre langue qui vous fera autre mais qui se met en vous, qui s'intègre dans votre cœur et qui vous donne d'autres concepts. Comme le « gezellig » qui n'existe pas. J'ai même appris des choses en lisant des livres de mathématiques, je suis très nulle en mathématiques mais quand je ferme le livre, quelque chose se met en route dans mon cerveau, qui n'existait pas avant. Comme dans les rêves où tout à coup une porte de la maison dans laquelle vous vivez s'ouvre et qu'il y a un palais derrière. C'est la même chose quand vous apprenez une autre langue.

 

Emmanuel Khérad

Vous faites ce genre de rêve ?

 

Simonetta Greggio

Oui, tout le temps.

 

Emmanuel Khérad

Donc vous n'avez pas du tout fragilisé ni sacrifié votre sentiment d'appartenance à votre pays d'origine ?

 

Simonetta Greggio

Je ne l'ai pas sacrifié, ça s'est passé comme ça et je pense que le libre-arbitre est un concept finalement assez orgueilleux, et je crois qu'on est guidé et tenus par des fils qui nous dépassent et que l'on ne voit pas toujours. Cette « migration », cette errance pour finir ce sont des très grandes chances.

 

 

Fouad Laroui

Je me rends compte qu'il y avait un reproche dans votre réaction, j'ai raconté une anecdote mais je n'ai pas répondu. La chance qu'on a d'entrer dans la langue française, ce n'est pas simplement le plaisir d'apprendre des mots, c'est aussi le plaisir d'entrer dans une littérature. Quand vous posez la question sur la distance avec le pays natal, il faut savoir que la littérature marocaine est d'abord d'expression française. C'est ça qui est extraordinaire, être baigné dans la langue française, c'est pouvoir lire le roman, que personne n'a jamais lu, d'Abdelkader Chatt qui s'appelle Mosaïques ternies, tout premier roman marocain écrit en 1932, en français. Le plus grand roman marocain, Le Passé simple de Driss Chraïbi a été écrit en 1954, en français. La Boîte à merveilles d’Ahmed Sefrioui, un livre superbe, en français, toute l'œuvre de Ben Jelloun, de Laâbi, de Nissaboury, de Khaireddine et même les jeunes aujourd'hui qui se débrouillent, et puis la littérature féminine est d'expression française, c'est ce qui compte au Maroc. Donc être dans cette langue merveilleuse qu'est le français, avec l'accès à la littérature française, curieusement cela ne m'éloigne pas, cela me rapproche même.

 

Emmanuel Khérad

Pedro Kadivar, qaund on lit votre livre, on a l'impression que vous avez sacrifié votre passé.

 

Pedro Kadivar

Il y a une période où, très clairement, je voulais l'éradiquer. Mais cette période est terminée depuis très longtemps, heureusement, je pense que je n'aurais pas survécu à cela, parce que le pays de naissance, la naissance, la première langue maternelle - il peut y en avoir plusieurs - ont une importance qu'on ne peut pas renier, ça reste tout le temps. C'est absolument clair, je pense que je n'aurais pas survécu si j'avais continué comme ça parce c'est un espace qu'il faut revisiter, revivre… et c'est pour cela que - je ne sais pas si je suis bilingue -, chacune de ces langues-là, le persan, le français et l'allemand, correspond à un territoire imaginaire et géographique. Chaque langue est liée à des paysages réels et imaginaires, provient de ces paysages-là et appelle des paysages. Donc, il n'y a pas d'équivalence entre le français et le persan pour moi. D'ailleurs, quelquefois, quand je parle le persan avec mes amis Iraniens, dès que ça prend une tournure un peu plus profonde, précise, littéraire, philosophique, je passe tout de suite à l'allemand ou au français.  Et puis il y a des choses que je ne peux dire qu'en persan. Je n'ai pas la même sensation dans chacune, mais ces trois langues sont trois territoires aussi importants les uns que les autres.

 

Dany Laferrière 

La notion de langue maternelle revient souvent et je me demande de quelle langue maternelle on parle. Parce que c'est une langue où il n'y a pas de mots, la première langue, les mères ne parlent pas, elles font des « bloubloublobu », des baisers mouillés, elles couvrent leurs enfants de salive et aucun mot ne sort, et ça dure longtemps cette langue, c'est la langue de l'amour, de la tendresse. C'est peut-être celle qui dure le plus longtemps, car c'est une langue qui touche le corps, et non l'oreille pour les voisins et non les yeux pour les livres qui vont venir. Cette langue-là, on ne peut pas y échapper mais seulement on n'apprend pas à s'exprimer.  Il a fallu que l'enfant soit l'être plus brillant du monde pour pouvoir parler en moins de quatre ans avec des professeurs pareils, une langue sans accents.  Et en plus il y a la baby-sitter, et l'enfant n'entend que la moitié puisqu'elle est toujours au téléphone, à parler avec un amoureux. Vous savez la langue impossible de l'amour : oui, oui je t'aime, mais non, non... et oui, oui. Le grand miracle c'est comment a-t-on fait pour parler ?

 

Fouad Laroui

Dany tu as parlé du corps, dans la plus canonique des études littéraires Le degré zéro de l'écriture, dans la partie où Barthes parle de l'écriture et définit le style, eh bien pour parler du style il commence par parler du corps. C'est très important.

 

Marie Sellier

Je voulais juste rajouter quelque chose : les mères parlent à leurs enfants avec des mots aussi, en tant que mère je ne peux pas laisser dire ça. On parle très tôt et de plus en plus tôt à nos bébés.

 

Un intervenant dans le public

Je voulais rappeler Mahmoud Darwich qui expliquait qu'il avait découvert la littérature française en hébreux parce que c'étaient les seules traductions accessibles pour lui, et qu'il avait eu un panorama de la littérature française qui ensuite l'avait amené à écrire aussi dans cette langue.

 

Pedro Kadivar

Je peux dire que j'ai découvert la littérature en général, en persan. Balzac, Gontcharov, Tourgueniev, Shakespeare, Sophocle, tout cela était traduit en persan, heureusement. Donc, bien sûr, on peut découvrir la littérature dans sa première langue et puis passer à d'autres langues.

Un intervenant dans le public

Une suggestion : tout à l'heure, à propos du débat sur l'expression « francophone », monsieur Laroui a employé plusieurs fois « d'expression française ». Quand j'étais jeune, on ne disait pas « francophone » on disait « d'expression française », alors est-ce qu'il y a quelque chose qui s'oppose aujourd'hui à l'usage de cette expression ? Est-elle trop lourde ? Car je pense que d'expression française, ça réunit tout le monde.

 

Fouad Laroui

Personnellement, ça ne me dérange pas du tout.

 

Emmanuel Khérad

Moi, je préfère francophone mais... D'expression française, ça francise encore plus si je peux me permettre, non ?

 

Fouad Laroui

Le problème avec l'adjectif francophone, c'est qu'à un français personne ne dira qu'il est francophone, parce que c'est très naturel pour lui de parler français. Quand on parle de francophone, on fait donc toujours allusion à quelqu'un d'autre, qui est venu d'ailleurs et cela crée une différence entre des gens qui s'expriment en français alors qu'ils sont tous d'expression française.

 

Emmanuel Khérad

Sauf qu'aujourd'hui, la francophonie à un champ d'action très large et l'OIF se bat pour l'équité des Belges, des Français, des Suisses, des Haïtiens, des Africains, de tout le monde. Elle a pris un autre sens que celui très régionaliste qu'on lui donnait il y a dix ou vingt ans. Des écrivains comme Alain Mabanckou, Dany je crois, et Jean-Marie Gustave Clézio avaient imaginés les « écrivains du monde » plutôt que les « écrivains francophones » mais je pense qu'aujourd'hui la notion de francophonie s'est élargie et s'est diversifiée au-delà de l'esprit colonial ou régionaliste

 

Pedro Kadivar

Cela serait très drôle si on adoptait cette formule-là « d'expression française ». Parce qu'il y a la « littérature française » et la « littérature francophone » - qui sont les catégories existantes même si elles se mélangent parfois -, mais alors cela deviendrait, une « littérature française » et une « littérature d'expression française ». Cela dit aussi la contradiction de la chose parce que, effectivement, toutes ces littératures sont françaises. Point.

Un intervenant dans le public

Le problème c'est qu'on ne met pas assez la littérature française dans la francophonie.

 

Emmanuel Khérad

Oui, on est bien d'accord. Mais on est en train d'inverser la tendance, certains médias s'y emploient.

 

Un intervenant dans le public

Je suis professeur des littératures francophones, l'axe que je dirige dans le laboratoire de recherche s'appelle « Francophonies », je ne veux pas rentrer plus avant dans le débat mais vous dire que les littératures francophones ce sont des espaces effectivement, et ce sont également ceux qui viennent d'ailleurs en France ou autre part, et donc c'est extrêmement vaste.

 

Emmanuel Khérad

Merci beaucoup. Y at-il des questions dans la salle?

 

Un intervenant dans le public

Qu'elle lien faites-vous entre « bilinguisme » et « biculturalisme » ? Est-ce qu'il suffit de maîtriser excellemment la langue d'un pays pour maîtriser la culture de ce pays ?

 

Fouad Laroui

J'ai lu récemment un livre de Edward Wilson qui est le grand spécialiste mondial des fourmis, le livre s'intitule Consilience, c'est l'un des plus intelligents que j'aie jamais lu. Mais il commence par faire une liste des définitions du mot « culture » qu'il a trouvées et en donne quarante-six, donc il y a tant de définitions du mot culture qu'il est presque impossible de répondre à votre question. On peut acquérir une langue par la grammaire, la syntaxe, le lexique mais est-ce qu'acquérir une langue signifie ipso facto qu'on acquiert aussi la culture ou les cultures qui sont derrière. À mon avis non, parce que la culture est beaucoup plus multidimensionnelle que les mots.

 

Un intervenant dans le public

Je prends juste l'exemple du mot « gezellig », que vous utilisiez tout à l'heure, ce n'est pas un mot dont on peut comprendre le sens artificiellement sans le vivre parce qu'on n’est pas soi-même du pays.

 

Fouad Laroui

Certes, mais ce n'est qu'un mot. Je vis depuis plus de vingt ans au Pays-Bas, quand les canaux gèlent, les universités ferment, tout le monde va faire du patin. Le soir les gens sont exténués, transis de froid et profondément heureux, ils rentrent chez eux et ils mangent une soupe, un truc vert. Ça définit très profondément l'âme néerlandaise et jamais, jamais je ne pourrai comprendre ça !

 

Une intervenante dans le public

Monsieur Laroui, j'ai été très touchée par ce que vous avez dit tout à l'heure sur la diglossie, je suis moi-même arabophone-arabisante et j'aime beaucoup m'exprimer en français, mais c'est autre chose. Je rejoins Pedro Kadivar dans ce qu'il a dit : on peut avoir plusieurs naissances, plusieurs langues maternelles. De mon côté, je ne saurais pas dire si le français est ma langue... je dis que c'est ma langue seconde mais elle devient « ma  langue ». Par rapport à l'arabe et à ce que vous avez dit sur la diglossie : peut-on imaginer une expression d'auteur maghrébin, par exemple, une écriture double, en dialecte - en berbère, parce que les maghrébins ne sont pas arabophones à l'origine, l'arabe a été la langue imposée et officielle avec la politique de l'arabisation -, et donc double expression français et dialecte ?

 

Fouad Laroui

Cela a été essayé, mais pas dans ce sens-là. Tahar Hussein, qui est le seul prix Nobel du monde arabe, a été confronté au même problème parce qu'il écrit ses livres en arabe classique ; or la grande joie de sa vie c'est de passer des heures et des heures au café avec ses amis avec lesquels il parle un dialecte cairote extrêmement savoureux avec beaucoup de plaisanteries. Et puis, il rentre chez lui pour raconter tout cela et il écrit en arabe classique. C'est comme si Dany écrivait en latin ses rencontres avec ses copains du quartier. À partir d'un certain moment, il ne pouvait plus, cela devenait trop artificiel, donc Tahar Hussein a décidé d'écrire le corps du texte en arabe classique – parce que c'était la seule façon de le faire – et de mettre les dialogues en dialecte, mais à la fin de sa vie il est revenu là-dessus car réellement c'était bizarre. On n'a pas encore de solution. La solution, mais cela demandera peut-être des générations, c'est que tout le monde se mette à écrire tout simplement dans son dialecte et de créer une espèce de masse critique de littérature qui permettrait d'entrer dans ce dialecte sans le mépriser, en le considérant comme une langue. De la même façon que Dante, à un certain moment, s'est mis à écrire dans le dialecte italien ; que Rabelais a commencé à écrire en français. Mais ça prendra énormément de temps... D'ailleurs je me suis presque fait lyncher à Casablanca, à l'université d'AïnChock, parce qu'il y avait énormément d'étudiants islamistes, et quand j'ai dit que la solution serait de passer par le dialecte et d'en faire une langue après deux ou trois générations - ce qui rejoint tout ce que je viens de dire -, ça a été un cri unanime : « tu veux détruire l'islam ! ». Puisque le Coran est écrit en arabe classique, on est pris entre les islamistes et les pan-arabistes - qui maintenant n'ont plus le vent en poupe, parce que les pan-arabistes c'étaient les Hafez el-Assad, c'était Saddam Hussein. Et puis les Américains ont dégommés tous ces gens-là. Mais avant il y avait les islamistes et les pan-arabistes et tous les deux pour des raisons différentes tenaient mordicus à l'arabe classique. Que ce ne soit une langue que personne ne parle, la langue maternelle de personne, peu importe. Aujourd'hui, c'est un sujet qui est tellement sensible, je vous assure qu'à l'université d'AïnChock, j'ai failli devoir être raccompagné par les vigiles pour avoir osé ma suggestion. Voici un autre exemple qui s'est passé à Paris. C'est celui de Cherif Choubachy dont vous trouvez le livre un peu partout, Le Sabre et la Virgule aux éditions Archipel. C'est incroyable, ce monsieur a fini exilé politique à Paris alors qu'il était vice-ministre de la Culture au Caire parce qu'il a osé suggérer deux modifications grammaticales de l'arabe classique. La première, c'est la suppression du « duel ». En arabe classique il y a  le singulier, le duel et le pluriel, ce qui était le cas de toutes les langues avant, le sanscrit, le grec ancien.  Et la deuxième modification, c’est la suppression de la troisième forme plurielle du féminin, qui ressemble trop à la première forme. Il y a eu une campagne d'une telle violence contre lui avec menace de mort, qu'il a fini exilé politique à Paris. Pour deux modifications grammaticales de l'arabe classique !

 

Un intervenant dans le public 

Ma question s'adresse aux trois invités et concerne les traductions de vos œuvres écrites en français. Est-ce que vous traduisez vous-mêmes vos œuvres dans les langues que vous maîtrisez, en allemand, en persan, en italien, en néerlandais ?

 

Emmanuel Khérad

Simonetta, je crois que vos livres ne sont pas traduits en italien...

 

Simonetta Greggio

Si, certains de mes livres sont traduits en italien mais pas Dolce vita, et Les nouveaux monstres. Dolce vita est le seul livre que j'ai traduit moi-même avec ma documentaliste. C'est très compliqué finalement de redonner le sens des choses quand on parle d'un pays, que l'on s'en est éloigné puis que l'on revient dans ce pays. C'est comme si on faisait trois voyages en un : le résultat me laisse perplexe et donc ça doit aussi laisser perplexes les éventuel lecteurs.

Emmanuel Khérad

Et vous Pedro Kadivar, vous avez traduit votre récit ?

 

Pedro Kadivar

La question s'est posée au théâtre effectivement parce qu'il y a eu des pièces que j'ai écrites en français qui ont été ensuite traduites en allemand et je les ai mises en scène en allemand. C'était donc lié au projet de mise en scène. Je me suis refusé à les traduire moi-même, je pense que lorsqu’on traduit un texte, il faut l'embrasser de bout en bout dans une langue et le fait même d'être l'auteur de ce texte peut être un handicap. Par contre j'ai un regard très vigilent sur la traduction, je travaille avec le traducteur. Il fait une première version et je reviens dessus, on en parle. Petit livre des migrations est en train d'être traduit en allemand et ce n'est pas une affaire facile parce que je suis l’auteur et que je parle l'allemand. C'est une question compliquée en tous les cas mais je refuse, même si je parle l'allemand, de traduire moi-même un texte en entier, même si je veux avoir un regard sur la traduction.

 

Simonetta Greggio

Pour répondre d'une autre manière, un peu métaphorique, à votre question j'ai pris les choses carrément à l'envers puisque je traduis d'autres auteurs de l'italien au français, vous voyez comme  je suis contrariée quand même !

 

Fouad Laroui

Si on veut s'auto-traduire, se pose aussi la question du style. J'ai essayé pour des raisons purement pratiques de traduire certains de mes textes en anglais pour qu'éventuellement ils soient traduits. Et je me suis aperçu que le style disparaissait totalement, l'idée est toujours là, la description aussi, mais le style non. Je pense que le style - et là je parle de nouveau du corps, de Barthes...-, le style est vraiment lié à cette langue dans laquelle on écrit.

 

Pedro Kadivar

Il faut juste citer l'exemple de Beckett qui s'est traduit lui-même.

 

Fouad Laroui

Oui, oui, en effet ! Quand j'étais en train de réfléchir à ma réponse, j'ai pensé : mais il y a deux génies, Nabokov et Beckett.

 

Une intervenante dans la salle

Une dernière question pour Simonetta, mais les deux autres ne sont pas exclus. Est-ce qu'en tant que femme vous vous sentez mieux dans une langue ou dans une autre ? Ma question n’est pas innocente, quand j'ai découvert l'anglais, c'est une langue où l'on n'a pas besoin de dire si on est du féminin ou du masculin dans les adjectifs, j’ai découvert une grande liberté. Est-ce qu’il y a quelque chose de cette nature qui se passe pour vous ?

 

Simonetta Greggio

Eh bien, c'est juste que la langue italienne est pour moi une langue de petite fille et que la langue française est une langue de grande fille. Donc je me sens plus libre en français qu'en italien. Mais encore une fois, quand je serai une vieille fille, je reviendrai à l'italien.

 

Emmanuel Khérad

Merci beaucoup Simonetta Greggio, Fouad Laroui et Pedro Kadivar.

 

0
0
0
s2sdefault