Le déplacement de l'hôtel pierre à pierre
À la mort du duc de Massa, en 1913, le titre et l'hôtel passent à son neveu Jean-Louis-Napoléon-Eugène Regnier, quatrième du de Massa, comte de Gronau (né en 1875). Celui-ci n’habite que sporadiquement cet hôtel, qu’il met en vente en 1926. Les Champs-Élysées sont désormais une avenue commerçante et passante. Ce n'est pas le meilleur endroit pour un hôtel particulier, mais deux hommes d'affaires trouvent son emplacement idéal et décident d'acquérir le terrain.
Théophile Bader est le président des Galeries Lafayette ; André Lévy s'occupe d'opérations immobilières. Ils ne veulent pas occuper l'hôtel, mais construire un complexe magasin-banque-building à l'américaine. Que faire de l’hôtel de Massa ? Classé monument historique dans l'urgence, il n'est pas question de le démolir.
André Lévy, ami d'Édouard Herriot, ministre de l'Éducation Nationale, mais aussi écrivain et membre de la Société des Gens de Lettres, s'entend avec celui-ci pour offrir l'hôtel de Massa à notre Société, dans le dessein de le déplacer pierre à pierre et de libérer le terrain des Champs-Élysées. Édouard Estaunié*, alors président de la SGDL, accepte bien volontiers, mais l'hôtel est au-dessus des moyens de la Société.
Un concours de générosité est alors entrepris : Théophile Bader offre non seulement l'hôtel de Massa, mais aussi le déplacement pierre à pierre sur un terrain mis à disposition par l'État, dans les jardins de l'Observatoire. L'État paie aussi les transformations intérieures : aménagement des chambres et salles de bain en bureau, suppression de l'escalier d'honneur. En échange, cependant, il demanda que l'hôtel soit offert à l'État. La Société des Gens de Lettres l'occupe depuis pour un franc symbolique, pour un bail emphytéotique de quatre-vingt-dix-neuf ans, et assume son entretien. Le chantier a duré plus d'un an, en 1927-1928. Le comité peut tenir sa première séance en avril 1929.
C'est à cette occasion que l'hôtel de Massa a été meublé à la maîtrise des Galeries Lafayette d'un exceptionnel mobilier Art déco, commandé par le romancier Pierre Benoît, alors président de la SGDL, et réalisé sous la direction de Maurice Dufrène*. Ce mobilier a été classé Monument Historique en 1984.
Les travaux en quelques chiffres
La première pierre a été posée le 16 juillet 1927 par Edouard Herriot. Les travaux de dépose ont été menés par André-Ventre, architecte en chef des Monuments historiques, du 15 novembre au 31 décembre 1927. Les pierres sont numérotées et déposées assise par assise. Il faudra six camions de cinq tonnes pour le transport. Le chantier de démolition a mobilisé 65 ouvriers spécialisés et quatre chefs ; le chantier de reconstruction, 43 ouvriers et 5 chefs. On édifia l'hôtel sur dix-huit piliers et des coulées de béton. L'ensemble s'éleva à 6 millions de francs de l'époque (environ 2,8 millions d'euros). La réédification a duré jusqu'en octobre 1928.
Pierre Benoit en 1929 . Archives collection Albin Michel