© Claude Gassian - Flammarion |
Après une carrière professionnelle dans la surveillance de presse, Isabelle Marrier publie un premier roman La Onzième Heure (Belfond, 2011), puis La Rencontre (Belfond 2012). Elle a collaboré à trois livres sur les thèmes du voyage : Vagabond : une famille, la banquise et des rêves (Le Passeur, 2015), puis Inventer sa vie (Le Passeur, 2016) et Dans mes pas (Paulsen, 2018) avec l’explorateur Jean-Louis Etienne.
Depuis 2014, elle a publié chez Flammarion Le Reste de sa vie (2014), et En cas d'exposition des personnes (2017). Le Silence de Sandy Allen est son cinquième roman.
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Chronique d'Emmanuelle Heidsieck
Avec Le Silence de Sandy Allen, Isabelle Marrier nous conte le destin tragique de la plus grande femme du monde, Sandy Allen, cette fille ordinaire d’un patelin de l’Indiana qui mesure 1,87 m à 10 ans, 2,32 m à 20 ans. Une histoire vraie stupéfiante dont l’auteur s’empare au plus près de l’intimité, des tourments, du désespoir sans nom. On la suit, pas à pas, cette Sandy qui s’éveille au monde et qui, encore enfant, s’étonne de l’effet qu’elle produit, de la curiosité qu’elle suscite : « Est-ce que c’est grave d’être grande ? » Arrive l’adolescence et, pour elle, il n’y aura pas de jolie robe, de copines ou de flirts. On reste sans voix quand la soirée que toute la classe passe pour la première fois à la patinoire vire au désastre, au plus grand des chagrins : il n’y a pas de patins à sa taille. « Son cœur bat plus vite. Elle en est. Elle aussi. Sa première soirée. » Non, elle n’en sera pas et verra tous les garçons et les filles de son âge s’amuser et tournoyer ensemble. Une vie à laquelle elle est bien forcée de se résoudre, faite de moqueries et de rejet, de tristesse et de honte. Et puis, au cœur du drame, la romancière fait surgir un homme, Federico Fellini, qui va, le fait est rare, la respecter. Le maestro a entendu parler de la géante, entrée dans le Guinness Records Book, et la veut pour son Casanova. Voilà Sandy Allen à Cinecittà, pour un rôle de 15 secondes. La fascination et la délicatesse de Fellini pour cette femme colosse scandent le récit et éblouissent. Ce n’est pas d’une biographie dont il s’agit ici. C’est un récit sur nous, sur nous tous qui avons, comme Sandy, grandi dans la peur d’être différent, qui vivons dans l’effroi d’être hors cadre, qui subissons la violence de la norme, et qui n’en parlons pas. Il est là le Silence de Sandy, c’est le nôtre. Et, Isabelle Marrier se paye le luxe de nous faire croire que Sandy le sait, lui faisant dire : « Les gens étaient contents de n’être pas à ma place, tu imagines si ça les consolait ! ». On en reste le souffle coupé.
Emmanuelle Heidsieck