Né en 1954, Jean-Luc Porquet participe à plusieurs aventures journalistiques : à 20 ans, en 1974, il crée à Lille avec des amis Le clampin libéré, journal dit de « contre-information » ; à 30 ans, il rejoint la bande de Bizot du magazine Actuel ; à 40 ans, il entre au Canard enchaîné. Il y poursuit toujours un travail critique sur la technologie, l’écologie et la mondialisation marchande tout en signant les critiques théâtrales. Entretemps, il a écrit une demi-douzaine de livres dont La débine, Flammarion, 1988, récit d’un hiver passé dans la peau d’un SDF, Le Faux parler, Balland, 1992, essai politique sur la démagogie à travers l’histoire et chez Le Pen, ou Jacques Ellul, l’homme qui avait (presque) tout prévu, Cherche-Midi, 2003, biographie intellectuelle du penseur français de la technique.
Lettre au dernier Grand Pingouin a paru aux Éditions Verticales en octobre 2016.
SGDL/22/05/2017
Photo © Francesca Mantovani
S’il y a au moins une chose que nous devons savoir du dernier grand pingouin, c’est que nous l’avons tué. Jean-Luc Porquet connaît le nom du meurtrier (qui ne s’en est d’ailleurs jamais caché). C’est un islandais. Un chasseur. Il a commis son crime en 1844, avec toute la simplicité du prédateur, sans se cacher, en tout cas sans aucune mauvaise conscience. Il honorait seulement une commande. Il n’imaginait certes pas que son geste entraînerait la disparition d’une espèce animale. L’aurait-il su, ça n’aurait probablement rien changé. Aussi personne ne lui a jamais de reproche.
Il n’en reste pas moins que nous sommes, nous les descendants de cet islandais, les héritiers de son geste.
Jean-Luc Porquet décide donc, en notre nom, d’écrire à celui que nous avons éliminé sans le savoir, ce cher fameux grand pingouin, une lettre amicale. Pas un mot d’excuse, non, ce serait ridicule. Lui dire que nous nous souvenons de lui est bien suffisant.
La lettre est parfaite, sensible et documentée. Il n’y a rien à ajouter. Les arguments sont imparables. C’est la vie. Les hommes naissent et meurent. Entre temps, ils détruisent autant qu’ils construisent, abîment autant qu’ils réparent. Ce qu’ils ont fait au grand pingouin, ils l’ont fait à d’autres et finiront peut-être par se le faire à eux-mêmes, s’ils n’y prennent garde. A eux de voir.
Jean-Luc Porquet sait poser simplement les questions difficiles, nous émouvoir ou nous faire sourire au détour d’un paradoxe et bousculer nos certitudes avec élégance. Il possède au plus haut point l’érudition des « honnêtes hommes », l’humour des gens bien et la gravité des lanceurs d’alerte
Et surtout, peut-être, par la grâce de son écriture, il réinvente la force romanesque des idées.
Gérald Aubert