Kinésithérapeute de formation, Régine Detambel a publié son premier ouvrage aux éditions Julliard, en janvier 1990. Depuis, elle a publié des romans (Pandémonium, Gallimard, 2006 ; Sur l’aile, Mercure de France, 2010 ; Son corps extrême, Actes Sud, 2011), des nouvelles (50 histoires fraîches, Gallimard, 2010), des textes brefs (Graveurs d'enfance, Folio, 2001), de la poésie (aux éditions Fata Morgana et Champ Vallon), des essais (Petit éloge de la peau, Folio, 2007 ; ainsi que des ouvrages numériques, chez publie.net (Les corpulents...). Ses ouvrages, traduits dans une dizaine de langues, témoignent notamment de l’attention portée aux corps aimants, souffrants, vieillissants ou violentés. Le regard des philosophes et des plasticiens qu’elle interroge lui permet de déployer cette expérience dans son œuvre. Chevalier des Arts et Lettres, Régine Detambel est également lauréate de la bourse Cino del Duca et du prix Anna de Noailles de l’Académie française.
Après un accident dont on ne saura pas vraiment s’il ne s’agissait pas d’un suicide, Alice, la cinquantaine, se retrouve à l’hôpital. Deux ans durant, du coma à la rééducation, elle va vivre à l’écoute de son corps, comme une chenille dans son cocon attentive à la moindre métamorphose. Mais ce corps a un passé, convoqué au fil du récit, et dont la mémoire vient perturber la lente reconstruction de la personnalité au sein du corps meurtri. Très charnel, très imagé, le récit traque la douleur et l’angoisse au plus près de la sensation.
La narration fonctionne surtout par scènes déterminantes, presque symboliques, qui sont autant de prises de conscience. Dans la mémoire, d’abord. Alice a un passé d’épouse, de mère, et de divorcée. Un passé aussi douloureux que son corps. Mais ce sont des instants précis qui lui reviennent en mémoire. Les scènes, très dures, sont à la limite du supportable. Elles font partie de la douleur, donc de la métamorphose.
Derrière la douleur, il y a le néant, qui ne se confond pas tout à fait avec la mort. Le vide profond d’Alice, qui tient à un souvenir de petite enfance (sa mère s’est suicidée en se jetant dans le vide, son bébé dans les bras), à la réalité de l’accidentée devant lâcher ses béquilles pour réapprendre à marcher, à la sensation de se défaire d’elle-même pour devenir une autre. Car c’est dans ce vide que le corps se réveille. « Au quatrième pas, le corps est un dieu.» Le récit est celui d’une résurgence au creux de la douleur et de l’abandon. Un subtil mélange d’humour, de gravité, de poésie, de lucidité glaçante et d’images exubérantes, lui donne un ton très personnel, entre le détachement et l’implication extrêmes.
Jean Claude Bologne (décembre 2011)