Thierry Guichard, directeur de la publication
Le Matricule des anges a moins de quarante ans. C'est un magazine d'informations littéraires qui est né en 1992 et dont le but est de parler de littérature - roman, poésie, théâtre, nouvelles. Il y a des échappées vers l'art ou les sciences humaines de temps en temps mais très rarement. Nous sommes tirés à 8000 exemplaires, vendus en France par les NMPP comme tous les magazines, et aussi dans un réseau de librairies françaises et belges. On a développé un site Internet il y a quelques années, qui reprend tous les articles de la revue, sauf ceux du dernier numéro durant sa vie en librairie. Le site propose également des vidéos, des chroniques. On a 2500 visiteurs par jour à peu près.
La francophonie n'est pas en but en soi pour Le Matricule des Anges, le lieu géographique de production littéraire ne m'intéresse pas du tout. On reçoit des livres de la part des éditeurs, en service de presse, on les regarde d'abord avant de les lire, on en élimine déjà pas mal puisqu'on en reçoit 400 par mois. On en élimine parce que d'évidence ça ne nous plaît pas, ce n'est pas pour nous, ou parce que ce ne sont pas des livres de littérature, tout simplement. Ensuite, on en lit le maximum, et on fait un choix. Peu importe que l'écrivain soit francophone de France ou francophone d'ailleurs, ce qui nous intéresse, c'est la qualité littéraire du livre.
Peu importe aussi que le livre soit facilement trouvable dans les librairies françaises. Évidemment, on sait ce qu'on peut trouver parce qu'on fréquente les librairies de notre pays, mais si on rencontre un éditeur inconnu qui viendrait du Québec ou d'ailleurs, qui nous propose un livre qu'on a aimé, on en parle et on donne son adresse simplement et son site Internet quand il en possède un.
L'unique question qui m'importe est : est-ce qu'il y a de la littérature dans ce livre ou pas ? Force est de constater que dans tous les livres de littérature qui paraissent, beaucoup n'ont pas grand-chose de littéraire, ce sont des produits commerciaux qui n'ont d'ailleurs pas toujours le succès attendu, ça en élimine déjà pas mal.
Je n'aime pas trouver dans la presse des numéros «spécial francophonie» sans aucun français cité, ça donne un côté «Journée de la femme» un aspect paternaliste des Français qui réservent un peu de place à la francophonie qui vient d'ailleurs. On oublie trop souvent que les Français sont francophones et par conséquent si l'on cite tel ou tel écrivain d'Afrique, des Antilles, de l'Europe de l'Est ou du Canada, il faut aussi citer des Français.
J'ai reconnu beaucoup de situations propres aussi à la littérature française dans ce qui a été évoqué dans ce forum. J'ai reconnu dans l'économie d'un éditeur du Burkina Fasso l'économie de pas mal d'éditeurs de poésie française qui tirent à 700 exemplaires, qui vendent cinq exemplaires par mois de leurs livres parce qu'ils n'ont pas de diffuseur et pas de distributeur, qui n'arrivent pas à se faire payer les cinq exemplaires qu'ils ont réussi à vendre, qui ont des problèmes de transport parce que la Poste a changé les tarifs et ne leur permet plus d'envoyer les livres à bon prix, des livres qui arrivent en plus parfois abîmés en librairie et renvoyés des librairies après un mois de mise en vente à peine. Cette paupérisation qui concerne l'Afrique va s'attacher de plus en plus à tout ce qui concerne la littérature. C'est une des raisons qui nous ont poussé à créer Le Matricule, pour défendre la littérature qui ne nous semble pas être un loisir....
On reçoit très rarement des ouvrages d'auteurs du continent africain ou d'autres espaces. Mais ils auront la même chance que les autres, on les lit, et si c'est intéressant, il y a des chances que ça passe. On reçoit aussi des livres parfois de L'Harmattan. Je dois dire que ma politique est de les écarter d'office parce que je trouve que c'est un éditeur d'une honnêteté douteuse (la plupart de leurs auteurs paient leurs livres), je n'ai pas envie d'encourager cela. C'est du compte d'auteur tout simplement. En plus, c'est pénible à lire avec des fautes de syntaxe, de grammaire, etc., et on n'est pas payé ni par l'État, ni par qui que ce soit, pour faire ce qu'on fait, donc on n'est pas là pour souffrir sur de mauvais livres, ce n'est pas notre but.
Mais ça m'est arrivé de recevoir des livres publiés uniquement au Québec dont on a parlé ; ça m'est arrivé de recevoir des livres publiés uniquement en Afrique, je ne suis pas sûr qu'on en ait parlé parce que, peut-être ça ne nous a pas plu, tout simplement. Mais si ça arrivait, je pense qu'il n'y aurait pas d'a priori. S'il nous en arrivait quatre cents d'un coup, peut-être qu'on commencerait à émettre des réserves, mais il n'y a pas d'a priori là-dessus.
L'a priori est anti-littéraire, par définition.