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Discours prononcé par  Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture et de la Communication
Forum de la Société des Gens de Lettres, Paris, jeudi 14 octobre 2010

Monsieur le Président de la Société des Gens de Lettres, cher Jean Claude Bologne,

Mesdames et messieurs, Chers amis,

Je suis très heureux d'être parmi vous pour la deuxième année consécutive, afin d'aborder un sujet essentiel pour l'avenir de la situation des écrivains. Je tiens d'ailleurs à féliciter la Société des Gens de Lettres pour ses choix de thèmes, et la grande qualité des débats proposés à son Forum annuel.

Le secteur de l'édition, comme l'ensemble des secteurs de la culture et de la création, est affecté par les mutations massives liées, on le sait, au développement du numérique. Ces mutations sont en train de modifier à la fois les conditions de la création artistique et culturelle et les modes de diffusion des oeuvres. Ce sont des évolutions profondes qui appellent bien sûr une réflexion de fond sur l'adaptation de la gestion des droits des auteurs, qui doivent être préservés tout en garantissant à la fois le dynamisme de la création française mais également l'accès le plus large possible aux contenus disponibles de plus en plus massivement sur le réseau. La préservation de cet équilibre est l'une de mes principales responsabilités.

Le secteur de l'écrit repose traditionnellement sur la relation singulière entre l'auteur et son éditeur. Contrairement à d'autres secteurs de la création, c'est ce mode de gestion individuelle qui est en effet à la base de la dynamique économique du secteur. Pour le bien de ce dernier, cette relation contractuelle qui lie l'auteur à son éditeur doit continuer à prévaloir, du moins pour ce qui concerne les droits primaires sur l'oeuvre. Encore faut-il que cette relation soit équilibrée.En effet, s'il est important de préserver la capacité des éditeurs à exploiter directement les droits exclusifs des auteurs, il est également essentiel que les auteurs soient équitablement associés aux fruits de cette exploitation. À ce titre, on ne peut que se réjouir de la reprise des discussions entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l'édition sur l'adaptation des contrats d'édition aux nouveaux modes d'exploitation numérique des oeuvres.

Dans le secteur du livre, la gestion collective ne s'est développée que tardivement, par l'effet d'une construction législative progressive qui est venue encadrer l'exercice du droit de reprographie, du droit de prêt en bibliothèque ou encore de la copie privée numérique. Devant l'émergence de nouveaux modes de diffusion des oeuvres, elle s'est néanmoins imposée comme la méthode capable de garantir le respect des intérêts légitimes de l'auteur face à la multiplicité des usagers et, pour ces derniers, une meilleure efficacité dans la diffusion publique des oeuvres. Les sociétés de gestion gèrent des intérêts essentiellement privés. Néanmoins, les sociétés de perception et de répartition des droits sont encadrées par le code de la propriété intellectuelle. Fondamentales par leur utilité sociale et culturelle, elles fonctionnent sous la surveillance du ministère de la Culture, sans relever pour autant d'un régime de droit public. Dans leurs champs d'action respectifs, elles bénéficient le plus souvent d'un monopole de fait, ce qui n'implique pas en soi des situations d'abus de position dominante. Cette situation particulière leur impose cependant une obligation de transparence vis-à-vis non seulement de leurs membres, mais également des utilisateurs. C'est dans ce contexte que les autorités publiques, qu'il s'agisse du ministère de la Culture ou de la Commission de contrôle qui siège auprès de la Cour des Comptes, ont un droit de regard sur l'exercice des droits par les sociétés de gestion collective.

Ce droit de regard joue évidemment encore plus lorsque les sociétés font l'objet d'un agrément ministériel dans le cadre d'une gestion collective rendue obligatoire par la loi. C'est là l'une des spécificités du secteur du livre : la SOFIA – Société Française des Intérêts des Auteurs de l'Ecrit -  et le CFC - Centre Français d'exploitation du droit de la Copie - bénéficient ainsi d'un agrément et s'inscrivent dans un processus d'échanges constants - et constructifs - avec les services du ministère de la Culture. Il convient à ce stade de souligner le très bon état d'esprit qui conduit nos relations.

Si l'on aborde ces questions au regard du contexte international et de ses évolutions, on constate que le contrôle externe de la gestion collective mis en place en France a d'ores et déjà fait ses preuves et s'avère approprié. Depuis quelques années, la Commission européenne s'est emparée du sujet : sur ce point, le gouvernement français restera particulièrement attentif aux travaux de la Commission sur la gouvernance de ces sociétés.

Nous devons en effet oeuvrer pour que nos modèles de gestion collective ne soient pas compromis. Bien sûr, il est clair par ailleurs que ces modèles peuvent toujours être améliorés, notamment en ce qui concerne la transparence des politiques tarifaires, les modalités de répartition des droits ou encore les procédures de paiement des rémunérations. Je pense également à la juste représentation des auteurs au sein des instances dirigeantes des sociétés de perception et de répartition des droits qui sont dépositaires de leurs intérêts : il s'agit là d'un véritable enjeu de démocratie interne.

Quant à l'exploitation des droits numériques sur les réseaux, elle nécessite à l'évidence une adaptation des modes d'organisation de la gestion collective internationale. Cependant, cette problématique est moins prégnante dans le secteur de l'écrit, dont les périmètres dépendent encore largement des espaces linguistiques. Les accords de réciprocité entre sociétés d'auteurs étrangères doivent être préservés et développés. Selon moi, l'environnement numérique ne justifie pas par lui-même une mise en concurrence des sociétés de gestion collective, et la proximité géographique et culturelle des utilisateurs et des sociétés d'auteurs quiaccordent les licences reste pertinente dans ce nouvel environnement. L'actualité législative nous le montre, qu'il s'agisse de la proposition de loi Gaymard pour l'extension du taux réduit de TVA au livre numérique, de la proposition de loi Dumas et Legendre pour l'adaptation au livre numérique des grands principes qui fondent notre loi de 1981 sur le prix unique, ou encore de l'adaptation de notre droit d'auteur aux formes émergentes d'exploitation des oeuvres : l'arrivée du numérique nous amène à repenser l'ensemble de l'économie du livre. Plus que jamais, la réflexion prospective s'avère nécessaire pour se donner les moyens d'anticiper.

Dans cette nouvelle économie numérique, la défense du droit d'auteur est en effet une préoccupation majeure pour nous tous. Des équilibres sont à trouver, entre auteurs et éditeurs bien sûr, mais également entre titulaires de droits et usagers - en l'occurrence, les lecteurs. En cela, la gestion collective doit être entendue comme étant au bénéfice à la fois de la communauté des auteurs et de la collectivité des usagers : elle peut jouer un rôle clef pour parvenir à ces équilibres. L'accès aux oeuvres en toute sécurité juridique constitue aujourd'hui un défi primordial : là aussi, face à la multiplicité des usagers et des oeuvres, la gestion collective offre des solutions. La question de l'accessibilité des livres du XXème siècle aujourd'hui indisponibles a été longuement débattue pendant ce Forum : la gestion collective constitue le pivot de ce mécanisme que nous défendons. Elle constitue, au-delà, un point d'appui pour le développement d'une offre légale attractive que nous appelons tous de nos voeux.

A l'heure du numérique, d'autres prolongements de la gestion collective sont aujourd'hui envisageables pour le livre, sur la base d'une évolution de notre code de la propriété intellectuelle. On peut évoquer les utilisations numériques des oeuvres à des fins pédagogiques ou encore l'exploitation des oeuvres orphelines qui s'étendent au-delà du champ des livres indisponibles du XXème siècle. Pour tous ces cas de figure, une réflexion sur l'étendue de la gestion collective s'impose, afin de renforcer la sécurité juridique des usages, d'identifier le mieux possible les titulaires de droits grâce au développement d'une documentation exhaustive, et de leur garantir une juste rémunération.

D'aucuns ont pu penser qu'à l'ère digitale, la gestion collective serait dépassée : pour certains, les techniques de marquage et de protection des oeuvres seraient susceptibles de permettre à chaque titulaire de droits de maîtriser l'exploitation de ses propres oeuvres. Cependant, face à la multiplicité des usagers, à la diversification des modalités d'utilisation des livres avec, par exemple, les offres de bouquets numériques, les éditeurs sont amenés à rencontrer des difficultés croissantes. Je pense notamment au suivi de ces utilisations, mais aussi, évidemment, aux manières de dégager des bases de rémunération qui permettent d'associer le plus justement possible les auteurs aux fruits de l'exploitation de leurs oeuvres.

Face au déséquilibre accru entre titulaires de droits et grands opérateurs de l'Internet, nous devons nous doter d'une vision commune pour faire prévaloir les intérêts légitimes des titulaires de droits : c'est l'avenir de la création qui en dépend.

Je vous remercie.