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Table ronde modérée par Jean Claude Bologne, président de la SGDL
Avec Thierry Desurmont, vice-président du directoire, SACEM, Philippe Masseron, directeur général adjoint, CFC, Christiane Ramonbordes, directrice générale, ADAGP, Sandra Travers de Faultrier, auteur, administratrice de la SGDL

 Jean Claude Bologne

Après ce brillant exposé, non seulement sur l'histoire, mais sur les défis et les enjeux qui se posent à la gestion collective, les représentants des sociétés de gestion collective évoqueront plus avant les grandes missions.
Nous avons avec nous les représentants de trois des grandes sociétés collectives dans les domaines de la musique, des arts graphiques, du livre.
J'accueille Thierry Desurmont, vice-président du directoire de la SACEM, fondée en 1851. Docteur en droit, il est également président de la Société pour la rémunération de la copie privée sonore ainsi que du Bureau international des sociétés gérant les droits d'enregistrement et de reproduction mécanique. Avec lui, nous porterons donc un regard sur d'autres types de sociétés.
Christiane Ramonbordes est directrice générale de l'ADAGP, Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques, laquelle remonte à 1953.
Philippe Masseron, directeur général adjoint, représente le CFC, le Centre français pour l'exploitation du droit de copie, qui a pris, en 1991, la succession du CFC, le Centre français du copyrigth, qui était plus ancien et qui a introduit le terme de « photocopillage », l'un des néologismes les plus adaptés que nous connaissions !
Trois sociétés de gestion collective, dont l'une pour les arts plastiques et graphiques, l'une pour les éditeurs et les auteurs, compositeurs, éditeurs de musique, l'une pour le droit de copie.
Nous avons également parmi nous un auteur, Sandra Travers de Faultrier, vice-présidente de la Société des Gens de Lettres et présidente de la Commission des affaires juridiques de la Société des Gens de Lettres. Elle interviendra en qualité d'auteur, auteur de livres de droit – elle est avocate au barreau de Paris – et auteur de livres sur le droit et la littérature ; elle est spécialiste de Gide. Nous avons donc avec nous, non pas un candide, mais une personne qui portera un regard d'auteur et qui interrogera les représentants des sociétés collectives sur leurs enjeux et leurs missions.
Nous commençons par Christiane Ramonbordes. Parce que l'ADAGP a l'un des systèmes les plus complexes et les plus complets, nous demanderons à Christiane Ramonbordes comment fonctionne l'ADAGP, comment un auteur, graphique ou plastique, se retrouve à l'ADAGP. Quel est son parcours à l'intérieur de cette société ? Si j'ai bien compris, l'ADAGP propose de prendre en charge la gestion des droits individuels volontaires, mais aussi des droits collectifs volontaires ou collectifs obligatoires, toutes choses sur lesquelles vous allez nous apporter des précisions.


Christiane Ramonbordes

L'ADAGP a été créée en 1953. Elle est l'une des dernières sociétés arrivées sur le devant de la scène de la gestion collective, même si une grande partie de son activité repose sur la gestion individuelle. En effet, les plasticiens sont très intéressés à exposer leurs œuvres et à les vendre avant de penser aux droits d'auteur. Au cours des premières années, nous avons eu du mal à constituer un répertoire, la raison d'être de la société parce que les auteurs ne comprenaient pas en quoi les reproductions de leurs œuvres devaient donner lieu à des droits d'auteur, dans la mesure où les utilisateurs leur disaient que les reproductions étaient une forme de publicité et qu'ils pouvaient ainsi mieux vendre leurs tableaux ou leurs sculptures.
Le droit de suite a été créé en 1920 en France, pour la première fois au monde. C'est le droit que l'auteur touche lorsque son œuvre est revendue dans les ventes aux enchères et dans les galeries. Ce droit ne peut être abandonné, car il s'agit d'un droit inaliénable. Cela dit, les choses ont changé depuis une trentaine d'années, la gestion collective y a sans doute participé, car les artistes ont compris qu'ils ne pouvaient percevoir leurs droits seuls et qu'ils étaient plus forts en adhérant à une société d'auteurs, surtout lorsqu'ils étaient confrontés à des utilisateurs qui pillaient joyeusement leurs créations.
La protection du droit moral est très forte dans le domaine des arts graphiques et plastiques : le plasticien tient énormément à ce que son droit moral soit respecté, ce qui complique l'activité de la société d'auteurs. C'est ainsi qu'une partie de notre activité est consacrée à demander des autorisations aux auteurs eux-mêmes avant d'autoriser les exploitants à utiliser les œuvres. À la différence de la SACEM ou de la SACD sauf pour le théâtre, nous devons interroger nos auteurs lorsqu'il s'agit d'utiliser leurs œuvres, que ce soit pour du merchandising, de la publicité, voire des couvertures de livres ou des affiches.
Nous avons également une banque d'images qui aide à la diffusion des œuvres  et qui nous permet de délivrer le support en même temps que les droits d'auteur. Tout cela relève de la gestion individuelle ce qui représente une large part de notre activité, mais de plus en plus nous assurons une gestion collective volontaire. Les auteurs ont compris qu'ils étaient dans l'incapacité de percevoir leurs droits seuls, par exemple auprès des organismes de télévision.  Les chaînes avaient l'habitude d'utiliser  les œuvres sans compensation. .
En signant aux côtés des  autres sociétés d'auteurs des contrats généraux  avec les principales chaînes de télévision, l'ADAGP a ainsi pu rassurer ses auteurs. Ils deviennent souvent membres de l'ADAGP pour bénéficier de ces  redevances qui leur permettent d'être rémunérés au titre de l'exploitation de leurs œuvres, comme les autres membres des autres sociétés d'auteurs.
Avec Internet, l'auteur isolé a bien du mal à faire valoir ses droits, non pas que l'ADAGP puisse faire des miracles – malheureusement, les directives européennes et la législation française qui en découle ne nous permettent pas d'intervenir auprès de sites, notamment Web 2.0, qui nous compliquent grandement l'existence, mais j'espère que nous disposerons un jour prochain d'armes plus efficaces pour nous opposer au pillage des œuvres protégées par le droit d'auteur par des internautes qui, très souvent, ignorent le droit, utilisent et placent sur des sites des œuvres de nos membres sans rien demander. Nous avons toutefois signé un contrat avec Dailymotion et avec de nombreux sites culturels.

Toujours dans le cadre de cette gestion collective volontaire, nous avons signé des conventions avec l'Éducation nationale,  en partie avec le CFC, avec les ayants droit du livre et de la presse, permettant l'utilisation des œuvres de nos membres, que ce soit dans la classe, dans le cadre de colloques, de conférences, lorsque les œuvres sont incorporées dans des sujets d'examen, également à l'occasion de l'archivage de travaux pédagogiques et de recherches ou pour la mise en ligne sur l'Intranet des établissements et sur les thèses diffusées sur Internet dans la limite de trente oeuvres.
Quant aux droits en gestion collective obligatoire, les auteurs sont obligés de les percevoir auprès des sociétés de gestion, qu'il s'agisse des droits de reprographie, de copie privée, de câble ou du droit de prêt plus récemment. Les auteurs de notre domaine choisissent d'adhérer aux sociétés d'auteurs pour bénéficier de ces rémunérations qui, comme vous le savez, ne peuvent être gérées individuellement par les auteurs.

L'ADAGP est membre fondateur et membre du conseil d'administration du CFC. Je précise que nous gérons les droits des écrits de nos membres ; c'est pourquoi nous sommes également partie à toutes ces catégories de droits pour les écrits des auteurs que nous représentons.
Dans le cadre du CFC, nous avons connu quelques difficultés pour faire valoir la part de l'image, en premier lieu, parce que la loi en France n'a pas prévu un partage auteur-éditeur et que les parts se décident au sein des collèges. L'image est ainsi peu considérée. Par ailleurs, la presse a suscité des difficultés : pendant quinze ans, les droits d'auteurs de l'image fixe ont été bloqués. Fort heureusement, une solution vient enfin d'être trouvée récemment.
Quant à la copie privée, l'ADAGP perçoit deux types de rémunérations : d'une part, celle qui est prévue sous l'empire de la loi de 1985 et qui concerne les œuvres fixées sur des vidéogrammes - dont les œuvres des arts graphiques et plastiques figurant dans des films, téléfilms ... lesquels sont copiés généralement à partir de la télévision -,d'autre part, celle relevant de la loi de 2001, qui concerne la copie des oeuvres fixées sur tous autres supports et dont la rémunération est reversée à SORIMAGE, dont l'ADAGP est membre . La présidence en est actuellement exercée par SOFIA.
La répartition s'opère sur la base des données fournies par des études Médiamétrie, qui déterminent les catégories d'œuvres copiées. Les plus copiées sont les mangas et les photographies d'illustration générale. L'ADAGP a dû ainsi s'adapter en terme de répertoire. Si elle fut créée à l'origine par les peintres et les sculpteurs, elle compte aujourd'hui une population de photographes, d'illustrateurs, de créateurs de bandes dessinées, qui est venue grossir ses rangs pour bénéficier de ces rémunérations. On assiste ainsi à un glissement progressif d'exploitation des répertoires.
S'agissant du droit de prêt en bibliothèque, SOFIA a été agréée pour recevoir les sommes  et reverse ensuite à l'ADAGP la part « auteur » qui revient à ses membres, aussi bien pour l'image que pour le texte.
Nous gérons aussi un droit collectif qui concerne le câble et que nous reversons à nos membres lorsque les émissions par câble sont retransmises de façon intégrale, simultanée et sans changement de programme. Nous avons été agréés à cette fin par le Ministère.

Les défis communs que nous avons avec les éditeurs sont les grands défis du numérique et les problèmes que poseront les œuvres indisponibles, c'est-à-dire celles dont les éditeurs n'ont pas les droits pour le numérique et les œuvres orphelines au sujet desquelles Bruxelles va, dans les prochains jours, promulguer une directive. Pour l'heure, la France n'a pas donné suite au rapport de Maître Martin dans le cadre du CSPLA, destiné à régler le problème que pose l'utilisation de ces œuvres et qui concerne en tout premier lieu les écrivains et les auteurs de l'image. L'image, bien souvent, peut ne pas être orpheline et se trouver dans un ouvrage qui sera décrété orphelin. Nous avons des enjeux très particuliers et des droits singuliers à faire valoir, qui ne seront pas faciles à défendre.

Nous cherchons des modalités d'entente avec les éditeurs pour la gestion du livre électronique, qu'il s'agisse de la durée de l'autorisation ou de l'obligation de rendre compte. Nous avons, pour l'heure, quelques difficultés à nous faire entendre.
Les auteurs ont tout intérêt à être membres d'une société de gestion. De plus en plus, nous vivons dans un monde où la gestion individuelle disparaît. La France, qui défendait très fortement le droit exclusif, glisse, de plus en plus, vers une gestion collective obligatoire sans l'avoir vraiment souhaité, avec toutefois des possibilités d'opt out. On l'a vu avec Google aux États-Unis : il n'est pas facile de faire valoir ses droits. Le droit exclusif, malheureusement, est en train de s'émousser.

Jean Claude Bologne
Je vous remercie pour cet exposé très clair.
Nous avons entendu l'anecdote fondatrice de la SACEM et nous avons compris qu'il existait une grande différence entre cette dernière et d'autres sociétés de gestion, les éditeurs de musique faisant partie de la SACEM depuis 1851.

Thierry Desurmont

Effectivement, la SACEM est née en 1851 du constat des auteurs, des compositeurs et des éditeurs de musique - vous avez raison de mentionner que les éditeurs de musique ont fait partie des fondateurs de la SACEM - de l'incapacité dans laquelle ils se trouvaient d'exercer individuellement les droits qui leur étaient reconnus par la loi et d'assurer la protection de leurs créations. Incapacité d'ordre technique, parce qu'ils ne pouvaient intervenir seuls auprès des multiples utilisateurs. Incapacité d'ordre économique encore parce qu'ils n'avaient pas un pouvoir de négociation suffisant pour obtenir de ceux qui exploitaient leurs œuvres qu'ils leur versent une rémunération satisfaisante. De ce point de vue, les choses n'ont pas changé. Il en est exactement de même en 2010 qu'en 1851 et la révolution numérique, pour reprendre les propos du professeur Lucas, loin de changer la situation, au contraire, a accentué l'impossibilité, dans la plupart des cas, pour les ayants droit de gérer leurs œuvres à titre individuel, les obligeant à recourir à la gestion collective.

La SACEM a pour objet de percevoir et de répartir aux auteurs, aux compositeurs et aux éditeurs les sommes qui leur reviennent à raison de l'exploitation de leurs œuvres. Je reviens à cet égard sur un propos du professeur Lucas, qui a fait observer que le terme donné par le code de la propriété intellectuelle pour désigner les sociétés d'auteurs et de droits voisins, sociétés de perception et de répartition des droits, était extrêmement réducteur. Il a raison. Mais tout de même, en pratique, il ne faut pas oublier que l'objectif fondamental d'une société de gestion collective d'auteurs, d'artistes ou de producteurs est d'assurer à leurs membres la rémunération qui leur revient au titre de l'utilisation de leurs créations, de leurs prestations et de leur permettre de vivre de leur métier, ce qui est bien souvent très difficile pour eux.
Je revendique cette fonction principale qui consiste à assurer aux auteurs la rémunération qui leur est due à raison de l'exploitation de leurs œuvres. Mais ce n'est pas la seule mission de la SACEM, comme ce n'est pas la seule mission des autres sociétés d'auteurs.

La SACEM a une mission générale de défense des intérêts des créateurs. D'ailleurs, tout cela se tient, on le sait bien. Si on veut assurer la rémunération des créateurs, il faut aussi défendre et protéger leurs intérêts de manière générale.

La SACEM exerce aussi une action culturelle, financée pour l'essentiel par les 25 % que la loi impose d'affecter à des actions d'intérêt général d'ordre culturel sur les perceptions en provenance de la rémunération pour copie priée. À cet égard, en 2009, la SACEM a consacré 14,5 millions d'euros à ces actions.

La SACEM met aussi en place des mécanismes destinés à assurer à ses membres des secours, des aides, soit parce qu'ils ont des difficultés, soit parce que, l'âge étant venu, ils ont besoin de recevoir une allocation d'entraide au titre de leur vieillesse. Cette action est financée pour l'essentiel par un prélèvement qui est effectué par la SACEM sur les sommes qu'elle perçoit pour ses membres.
Ces activités, la SACEM les exerce dans le respect de trois caractéristiques fondamentales.

Tout d'abord la SACEM est gérée par les ayants droit. C'est le cas, me semble-t-il, de toutes les sociétés de perception et de répartition de droits.
En outre, la SACEM accomplit sa mission pour les ayants droit, elle n'agit pas pour elle, ni pour réaliser des bénéfices. Elle redistribue tout ce qu'elle perçoit. Une fois qu'elle a assuré le financement de ses frais de gestion, financé son action sociale et son action culturelle, tout le reste est réparti.
Enfin, la gestion collective suppose une discipline de la part des auteurs, des compositeurs, des éditeurs qui veulent avoir recours à elle, en particulier respecter les statuts, éventuellement le règlement général, de la société à laquelle ils adhèrent.

Aujourd'hui, la SACEM perçoit 762,5 millions d'euros. Elle compte 132 000 membres, 40 millions d'œuvres gérées au titre des deux droits fondamentaux qui sont reconnus aux auteurs par le code de la propriété intellectuelle : le droit d'exécution publique, c'est-à-dire le droit d'autoriser toute diffusion publique d'une œuvre en quelque lieu que ce soit, et le droit de reproduction, c'est-à-dire le droit d'autoriser la reproduction de son œuvre sur un support quelconque comme  les supports phonographiques, les supports vidéographiques et les supports des organismes de télévision ou de radio. C'est ainsi que la SACEM s'adresse à une population d'environ 620 000 utilisateurs. On en revient à cette idée qu'il est totalement exclu pour des ayants droit d'intervenir à titre individuel auprès d'une population aussi nombreuse, souvent extrêmement puissante, et dont la puissance ne cesse de se renforcer au fur et à mesure de l'évolution économique.
Cette société est gérée par les ayants droit qui se réunissent une fois par an en assemblée générale. Ils approuvent les comptes après avoir pris connaissance du rapport du gérant sur l'activité de la société au cours de l'année écoulée. Le gérant leur expose tout ce que la société a fait, son bilan, l'ensemble de ses activités. Et puis, cette assemblée générale, à laquelle tous les membres de la société ont la possibilité d'accéder, élit un conseil d'administration.

Le conseil d'administration est composé de dix-neuf membres : six auteurs, six compositeurs, six éditeurs, un auteur-réalisateur et un auteur-réalisateur suppléant. Il faut savoir que la SACEM perçoit les droits de la musique ainsi que ceux liés à des créations audiovisuelles liées à la musique. Par exemple, sont membres de la SACEM des réalisateurs de vidéoclips et de documentaires musicaux. De même sont membres de la SACEM des auteurs de sketchs, des poètes.

Le conseil d'administration a tous les pouvoirs. Rien d'important ne peut se faire dans cette maison sans qu'il ait donné son assentiment. Ne croyez pas que la SACEM est dirigée par des technocrates qui font tout ce qu'ils veulent dans le dos des auteurs, des compositeurs et des éditeurs. Non, le conseil est parfaitement informé de ce qui se passe. Il se réunit en moyenne trois fois par mois. Ce n'est pas une société anonyme où l'on se réunit quatre fois par an. L'administration expose aux membres du conseil les grands dossiers, fait ses propositions, répond aux questions qui sont posées et finalement le conseil décide telle ou telle mesure. Rien ne se fait sans que les ayants droit, élus par leurs pairs en assemblée générale, n'en aient le contrôle et n'en assument le pouvoir de décision.
L'administration comprend, à sa tête, un directoire composé de cinq personnes avec un président, Bernard Miyet, et un vice-président, qui est votre serviteur. Nous faisons fonctionner cette maison au jour le jour. Nous réfléchissons à une politique, à des initiatives à prendre, mais, encore une fois, rien ne peut se faire sans que les propositions et les idées qui sont les nôtres comme les actions que nous envisageons ne soient portées à la connaissance du conseil d'administration et que celui-ci ne les ait approuvées.

Je terminerai avec les problèmes auxquels est confrontée la SACEM, comme d'ailleurs toutes les sociétés de gestion collective même si la SACEM y est confrontée avec une acuité toute particulière, compte tenu de son importance. (Il y a quelques années, une ministre de la Culture disait que la SACEM était le vaisseau amiral de la gestion collective !)
Un phénomène est né de la révolution numérique : l'utilisation massive, illégale et sans autorisation des œuvres, l'idée que l'on peut avoir accès gratuitement à la création. C'est une question fondamentale qui tient au fait que dans l'esprit de bien des gens, l'accès à la création doit être gratuit. Cela conduit finalement à un phénomène massif de dévalorisation des oeuvres. C'est un problème fondamental auquel il convient de trouver des solutions. Par ailleurs la rémunération pour copie privée est attaquée de toutes parts par les industriels, par certains consommateurs aussi, dans tous les pays européens. Enfin, s'ajoutent les problèmes du droit de la concurrence.
Voilà quelques mots sur la SACEM et sur les problèmes auxquels elle est confrontée.

Jean Claude Bologne

Merci pour cette présentation.
Philippe Masseron, nous passons d'une gestion collective et volontaire à la SACEM à la gestion individuelle et volontaire à l'ADGP, à la gestion obligatoire au CFC. Il y a là une nouvelle notion sur laquelle vous nous direz un mot en présentant le Centre français d'exploitation du droit de copie.

Philippe Masseron

Il convient de souligner un mot important dans la dénomination du CFC, celui « d'exploitation » bien qu'il n'apparaisse pas dans le sigle. Nous sommes bien là pour gérer des droits, même si, parmi les particularités du CFC, toutes les exploitations qui sont gérées sont des exploitations secondaires. Il ne s'agit pas d'exploitations premières des œuvres, elles sont déjà publiées, mais d'encadrer des copies qui arrivent après la première fixation, voire après plusieurs fixations, par les ayants droit eux-mêmes. Néanmoins, ce terme « d'exploitation » est très important et très fort dans la dénomination du CFC.
Le CFC diffère d'un certain nombre de sociétés de gestion collective, même si nous y retrouvons toutes les caractéristiques déjà évoquées, notamment la façon dont la société est gérée. Les ayants droit sont aux commandes et prennent toutes les grandes décisions de l'évolution du CFC et des gestions de droit qui sont mises en œuvre.
Un mot au passage sur l'historique pour souligner une première particularité : le CFC est à l'origine une société de gestion collective d'éditeurs. Il a été fondé en 1983 sous la forme d'une association, le Centre français du copyright, avec une vision d'avenir, qui fut ensuite corrigée : il s'agissait à l'époque de gérer une expérience de numérisation, à un moment où l'on pensait que le disque optique numérique était la panacée. L'Internet n'existait pas, du moins n'était pas arrivé jusqu'aux oreilles du grand public. Dans le cadre d'un programme européen, des fonds avaient été alloués au CNRS et à plusieurs grands instituts de recherches pour procéder à la numérisation de revues du secteur médical. Une condition présidait à l'attribution des fonds par la Commission : les droits devaient être gérés. Rien n'existait à l'époque dans le domaine de l'écrit. Certes, la Société des Gens de Lettres existait, mais ce n'était pas une société de gestion collective. Cette création, destinée à gérer des droits numériques, est une expérience qui a duré quelques mois et qui s'est arrêtée. Par la suite, le CFC s'est transformé en société de gestion collective avant même le vote de la loi de 1985, qui a instauré le statut des SPRD, sociétés de perception et de répartition des droits. Plusieurs pistes sur la forme juridique qui allait être donnée à ces sociétés étaient ouvertes. Le CFC est donc devenu une société civile à capital variable comme le sont toutes les sociétés de gestion collective.
Quand le CFC s'est transformé en société, les éditeurs de livres l'ont rejoint et la présence d'auteurs fut recherchée, ce qui ne fut pas simple. À l'époque, les sociétés d'auteurs, la SCAM en particulier, souhaitaient mettre en place un système de rémunération semblable à celle de la copie privée pour la photocopie. On estimait qu'une taxe permettrait de régler l'affaire. On a assisté à une confrontation de visions très antagonistes entre éditeurs et certains auteurs, pour, finalement, aboutir à une synthèse. Le CFC a changé de nom en 1991 et les sociétés d'auteurs sont entrées dans le CFC à parité.

Aujourd'hui, le CFC pratique deux grandes gestions.

Tout d'abord, une gestion collective obligatoire. Tel est l'objectif premier du CFC, même si des évolutions fortes sont en cours. Le cadre est original, puisque nous nous situons sur fond de gestion collective obligatoire très fortement cadrée par la loi. En effet, le code de la Propriété intellectuelle prévoit une cession légale du droit de reproduction par reprographie à une ou plusieurs sociétés de gestion, agréée par le ministre de la Culture. La loi transfère ce droit, dépossède les auteurs et les éditeurs de ce droit de reprographie au bénéfice d'une société de gestion collective, faisant de ceux-ci, en quelque sorte, des bénéficiaires d'un droit à rémunération. Toutefois, on ne se situe pas dans le cadre d'une exception au monopole d'exploitation, mais bien dans le droit exclusif. Tout en dépossédant les auteurs et les éditeurs de leurs droits, le dispositif légal leur donne un moyen fort de les exercer, d'en garder la maîtrise. Ainsi, les tarifs sont exclusivement déterminés par les instances collectives où siègent les ayants droit. Ce sont encore eux qui déterminent les conditions qui figurent dans les contrats sur la reprographie. Malgré le moyen de gestion collectif rendu obligatoire, il y a néanmoins un exercice plein et entier du droit exclusif, puisque les ayants droit n'ont pas, face à eux, les utilisateurs pour déterminer leurs tarifs. Bien sûr, il existe un marché et ils en tiennent compte.

La gestion principale du CFC porte aujourd'hui sur la reprographie. Nous venons de procéder à la répartition des droits perçus en 2009. Ce sont près de 30 millions d'euros qui ont été mis en distribution dans le courant du mois de septembre. Les grandes sphères d'utilisation sont connues : en premier lieu, le secteur éducatif, énorme consommateur de photocopies de pages de livres, d'articles de presse et d'images malgré les évolutions numériques. En second lieu, les entreprises et les administrations, qui procèdent à la réalisation de « revues de presse », compilations d'articles que nous dénommons « panoramas de presse », et qui constituent un secteur important de perception, qui est toutefois en décroissance forte au profit du numérique, les usages évoluant rapidement.

Le fonctionnement du CFC repose sur une organisation paritaire entre trois collèges d'ayants droit au sein du CFC : les auteurs et sociétés d'auteurs, les éditeurs de livres et les éditeurs de presse. Toutes nos instances reflètent ce tripartisme et à aucun moment l'un des collèges ne peut prendre le pas sur les autres. En effet, les règles de vote ne permettent pas à un collège d'avoir plus de poids qu'un autre, quel que soit le nombre de ses membres. Dans certains cas, c'est même le consensus total qui est recherché, puisque les statuts prévoient des majorités « hyperqualifiées » pour, par exemple, régir les questions de répartition.

le deuxième pan de l'activité du CFC, qui date d'une petite dizaine d'années est la gestion des droits pour des utilisations numériques. Dans le cadre du CFC, deux secteurs sont visés. Il s'agit tout d'abord des utilisations professionnelles des entreprises et des administrations. Le panorama de presse est aujourd'hui bien souvent numérique ; nos courbes de perception se sont croisées il y a plus de deux ans et ce sont désormais les droits numériques qui représentent la plus grosse partie des redevances perçues dans ce secteur. Ils vont totalement à l'édition de presse.
Le second volet de la gestion de l'exploitation numérique concerne le problème bien connu de l'exception pédagogique, puisque notre droit bénéficie de cette « chance » depuis quelques années, qui concerne les usages pédagogiques d'œuvres protégées qui ne relèvent pas de la reprographie – pour simplifier très fortement. Là, les évolutions sont beaucoup plus lentes, les usages ne sont pas encore entrés dans les mœurs, loin s'en faut ! Cela dit, nous ne percevons que de très faibles sommes. Le ministère de l'Éducation nationale sait que les évolutions sont lentes, et il en profite. Il ne met pas de moyens à disposition des enseignants pour que les évolutions s'opèrent.
Au total, en 2009, le CFC a perçu un peu plus de 40 millions d'euros, 30 millions pour la copie papier, le reste pour la copie numérique, sachant que la copie professionnelle numérique représentait 80 % des sommes du numérique.
Petite originalité : nous sommes confrontés en permanence à des utilisateurs professionnels, ce qui signifie que les ayants droit qui sont bénéficiaires des rémunérations que nous percevons ne sont pas en premier lieu ceux de la littérature générale. En revanche, l'édition scolaire – éditeurs et auteurs – perçoit, bon an, mal an, 60 % des redevances « papier » qui sont perçus par le CFC. Suivent des ouvrages universitaires, la presse technique professionnelle, la presse grand public, etc.

Jean Claude Bologne
Nous avons vu que les paysages présentent quelques points communs et quelques différences.
Chacune des sociétés de gestion collective a insisté sur le fait que ce sont les ayants droit qui administrent les sociétés de gestion, parfois directement, parfois par l'entremise de sociétés d'auteurs. Dès lors que l'on entre dans une société, une discipline est à respecter. Le cas de figure n'est pas tout à fait le même selon que l'on y entre de façon volontaire ou de façon obligatoire.


Sandra Travers de Faultrier

Nous nous rassemblons aujourd'hui autour de la notion et de la pratique de la gestion collective dont la montée en puissance, sous l'effet de l'avancée technologique et de l'actualité européenne, pourrait laisser penser que nous vivons un moment singulier dans l'histoire du droit d'auteur. Or il n'en est rien. Il y a fondamentalement une permanence des missions, enjeux et défis avec lesquels les sociétés de gestion collective, de leur naissance à aujourd'hui ont à composer. Permanence qui traduit les tensions parfois aporétiques autour du droit de la propriété littéraire et artistique et de sa mise en œuvre .

À la fin du XVIIIe siècle, il s'agissait d'instituer un droit qui, bien qu'enraciné dans une histoire antérieure à la Révolution française, était régulièrement contesté en pratique par la résurgence d'usages de l'Ancien régime. La rupture entre l'Ancien Régime et le « nouveau » est avant tout qualitative puisque la notion de droit d'auteur se distingue du système de privilèges jusque là en vigueur, en attribuant la qualité et les prérogatives d'auteur à toute personne ayant fait une œuvre et non à un sujet distingué parmi d'autres. En effet, sous le régime ancien, ce privilège pouvait être accordé à certains auteurs à titre individuel et beaucoup plus globalement aux éditeurs, qui, organisés en corporation, jouissaient directement de ce droit. Deux siècles après, il ne s'agit certes plus d'affermir la jeune légalité du droit d'auteur contre les rechutes chroniques des us de l'Ancien Régime, mais il s'agit encore et toujours d'affermir la légitimité du droit d'auteur. Autrefois trop jeune pour être respecté, aujourd'hui trop vieux ou dépassé selon ses contempteurs, le droit d'auteur est perçu comme une anomalie et demeure à travers les âges un droit toujours « en crise » . Il y a donc une très grande permanence des difficultés rencontrées par le droit d'auteur et une permanence tout aussi importante de la situation de précarité de l'auteur entendu comme qualité juridique créancière de droits.

A la "perdurance" de la fragilité de la légitimité sociale du droit d'auteur s'ajoute celle du fondement du droit d'auteur. Créé à une époque où le droit de propriété est révolutionnaire - fin XVIIIe siècle, il s'agit d'un droit naturel proclamé pour annuler la société d'ordre qui prive certains du droit de pouvoir être propriétaire -, le droit d'auteur partage, avec le droit de propriété dont il empruntera la dénomination (propriété littéraire et artistique), son fondement, c'est-à-dire le travail, selon John Locke. Ce fondement, une source de légitimité, est bien souvent oublié, notamment aujourd'hui. Si Honoré de Balzac, Victor Hugo ont insisté sur le caractère totalement artisanal de la création lorsqu'ils évoquaient les auteurs, certains auteurs ainsi que certains manuels scolaires véhiculant une image romantique de l'auteur, nous ont habitués à penser que la création procédait d'une élection, relevait d'une magie, représentations qui ont fait leur chemin et se sont imposées au point d'occulter dans l'esprit du public toute la dimension laborieuse de la création. Or c'est précisément cette dimension qui peut constituer un premier fondement philosophique au droit à rémunération. Et ce, d'autant plus que si une très grande majorité des auteurs exercent une profession, en dehors de leur activité de création, pour vivre, cette majorité qui ne peut se passer d'une autre rémunération, doit pouvoir tirer du travail créateur une source de revenu de nature notamment à permettre soit une compensation (temps de création pris sur du temps rémunéré abandonné) soit une émancipation de ce travail. Là encore, il existe une constance du fondement philosophique du droit à la propriété littéraire. Il s'agit d'une propriété ou, disons, d'un monopole temporaire d'exploitation fondé sur un travail.

 Le régime institué en 1793 a affranchi les auteurs de la nécessité d'être bien né, c'est-à-dire d'avoir de la fortune pour utiliser ses loisirs à créer, ou de se satisfaire du système de clientélisme qui, auparavant, régulait la création. Si toute personne peut faire œuvre au sens juridique du terme (en France en tout cas, nous n'avons pas besoin d'un diplôme particulier, ni d'appartenir à une corporation particulière pour être auteur), pouvoir vivre (un peu) des fruits de son travail est pour l'auteur une garantie de liberté d'expression. L'argent des œuvres, s'il soumet à l'appréciation du public, émancipe de certaines allégeances qui pourraient entamer, aujourd'hui comme hier, l'exercice de la pensée. La contestation du droit à rémunération de l'auteur témoigne non seulement de l'ignorance des fondements du droit d'auteur mais aussi de la cécité dont la société fait preuve lorsqu'elle réduit la liberté d'expression à une question de censure légale ou de pratique de délit d'opinion. Les conditions économiques de la création (fiction et non fiction) sont déterminantes pour rendre effective une liberté d'expression formellement garantie par des textes de loi.

En collectant et répartissant les droits d'auteur, les sociétés de gestion collective permettent la liberté d'expression, parce que l'argent de l'auteur est aussi un opérateur d'indépendance de la parole.
Toutefois, alors que nous assistons à la confirmation du rôle des sociétés de gestion collective dans un contexte où l'œuvre est une « marchandise » qui doit « librement circuler » , n'y a-t-il pas un risque d'aboutir à ce que j'appellerai la « réification » de l'œuvre et du travail d'auteur ? Les sociétés de gestion collective étant appelées à intervenir chaque fois qu'il y a consommation d'œuvres, quelle que soit la modalité d'exploitation, le risque n'est-il pas finalement de considérer que l'auteur n'a plus son mot à dire (surtout lorsque le mandat n'a rien de volontaire) puisque l'exploitation de l'œuvre fera l'objet d'une « réparation » ? Car le champ lexical des textes qui réorganisent le droit d'auteur n'est pas neutre et il convient de s'y arrêter. « Droits à dédommagement », « droits à réparation » ou « compensation équitable » sont des expressions que nous retrouvons régulièrement dans les textes européens ou autres. Il ne s'agit plus du droit à rémunération d'un travail dont il est fait usage, mais d'une forme de charge, sociale ou fiscale comme on voudra, sans lien avec son fondement. Peu à peu le droit d'auteur devient un droit sur une chose. Alors que le droit sur une œuvre est un droit sur une exploitation, mais qui ne coupe pas le cordon ombilical qui lie l'œuvre à l'auteur, le droit sur une chose épuise le lien avec l'auteur. Les sociétés de gestion collective et les auteurs, aujourd'hui comme hier, ont à faire entendre le rapport à l'œuvre dans le droit d'auteur afin que celui-ci ne soit pas instrumentalisé. Cela fait l'objet d'un contrat social qu'il faut sans cesse renégocier, dont il faut, parce qu'il n'est pas acquis une fois pour toutes, rappeler l'énergie philosophique. Et il est ici important de distinguer la rémunération de la réparation. Il devient enfin urgent de réaffirmer le droit moral de l'auteur, seul rempart de nature à rappeler que la « réification » n'est pas le destin de l'œuvre, seule voix à faire résonner les exigences de sens et d'unité de l'œuvre, alors que le droit patrimonial, objet de toutes les attentions législatives, quitte les rives de ce qui le justifiait, jusqu'à peut-être en anéantir la légitimité déjà bien blessée.

Jean Claude Bologne

Merci pour ce beau plaidoyer sur le véritable sens du droit d'auteur, très construit, puisqu'il aboutit à une question centrale de la gestion collective.
Il est trois domaines qui suscitent l'envie d'en savoir davantage. Le premier porte sur le droit moral. L'œuvre n'est pas seulement un objet qui se vend, c'est aussi l'homme. Christiane Ramonbordes a immédiatement posé le problème en disant que l'ADAGP faisait de la gestion personnalisée, individuelle et que donc nous pouvions demander aux artistes leur autorisation, par exemple, s'agissant d'utiliser leurs œuvres pour la publicité. En va-t-il de même lorsqu'il s'agit d'une gestion collective obligatoire, d'une gestion collective pure, un auteur, un parolier ou un musicien peut-il voir son œuvre associée à une publicité sans qu'il en ait été averti, sans que l'autorisation lui en soit demandée ? Lorsqu'il y a un droit à la photocopie, maîtrise-t-on totalement l'usage qui sera fait de ces photocopies ?
Thierry Desurmont, comment gérez-vous le droit moral qui est un droit incessible et qui ne peut pas être cédé à une société de gestion collective, pas plus qu'à un éditeur ?

Thierry Desurmont

Je reviens à la question de Sandra Travers de Faultrier sur le risque de réification de l'œuvre du fait de la gestion collective. Je ne pense pas qu'il y ait là un danger particulier, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, il est possible dans une société de gestion collective de mettre en place des mécanismes qui font intervenir l'auteur lui-même dans telle ou telle décision concernant l'exploitation de son œuvre. Les règles, les pratiques, certes, ne sont pas les mêmes dans les différents secteurs de la création. La gestion est plus collective dans le domaine de la musique que dans d'autres secteurs, mais y compris dans le domaine de la musique, nos accords comprennent des clauses avec les exploitants qui prévoient que certaines formes d'utilisation ne peuvent pas être mises en œuvre sans que l'ayant droit de l'œuvre ait été consulté et ait donné son autorisation. Vous faisiez allusion à la publicité. Dans tous les accords avec les services de musique en ligne, une clause prévoit que l'on ne peut pas utiliser une œuvre de notre répertoire pour assurer la publicité d'un produit ou d'un service sans l'autorisation des ayants droit de cette oeuvre.
Deuxièmement, les sociétés de gestion collective gèrent certains des droits d'auteurs, mais pas tous. C'est vrai des droits patrimoniaux. Je disais précédemment que la SACEM gérait le droit de reproduction et le droit d'exécution publique, mais elle ne gère pas le droit d'adaptation, le droit d'arrangement, le droit de traduction, tous droits qui restent dans le cadre de la gestion individuelle et qui donc donnent une maîtrise très forte aux créateurs sur l'exploitation des œuvres en question. Et le droit moral est toujours là ! Vous demandiez comment la SACEM en assurait la gestion. Ma réponse est très simple : la SACEM n'en assure pas la gestion. Le droit moral est inaliénable et ne fait donc pas partie des droits apportés à la SACEM. Dans tous nos accords, nous en réservons l'existence et l'exercice. L'auteur a par conséquent toujours la possibilité de faire obstacle à l'utilisation de son œuvre, dont il considérerait qu'elle porte atteinte au droit moral. Cela se fait sous le contrôle des tribunaux, qui sont juges en dernier recours. Nous sommes probablement dans un des pays au monde, sinon le pays au monde, où la jurisprudence donne le plus d'extension au droit moral.
Je voulais aussi réagir à un point de l'intervention de Sandra Travers de Faultrier. Je suis entièrement d'accord sur le fait que les choses n'ont pas fondamentalement changé. À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, il fallait imposer un droit d'auteur qui n'était pas connu sous cette forme et ce furent les sociétés de gestion collective qui en ont été l'instrument. Aujourd'hui il faut continuer à imposer le droit d'auteur, mais c'est de plus en plus difficile, pour deux raisons. La première c'est la puissance économique grandissante des exploitants. On dit que les sociétés d'auteurs sont en position dominante, on pense « monopole », « puissance économique considérable », « pouvoir économique discrétionnaire » dont il faut absolument se préserver des abus. Qu'est-ce que la puissance économique de la SACEM lorsqu'il s'agit de discuter avec un groupe comme Canal +, TF1, RTL, Google ? Au fur et à mesure que le temps passe, l'on assiste à un décalage de puissance économique au détriment des sociétés de gestion collective et au profit des utilisateurs. J'ai parfois tendance à dire que les sociétés d'auteurs sont en "position dominante/dominée". Juridiquement, elles sont en position dominante, mais économiquement, quand il s'agit de négocier, elles ne sont pas nécessairement la partie la plus forte.
Une chose est plus importante encore, c'est l'influence de l'Internet et, plus généralement, l'irruption des particuliers/consommateurs/électeurs dans les problèmes du droit d'auteur. Pendant très longtemps, ces problèmes de droits d'auteur ont été discutés, parfois durement, engendrant parfois des affrontements, entre les ayants droit, ceux qui les représentaient et les exploitants. Le grand public ne se mêlait pas de tout cela. Avec la copie privée et la rémunération qui va avec, avec l'Internet et tous les problèmes que l'on connaît de peer to peer, de lutte contre le téléchargement illégal, la loi Hadopi, on se rend compte que, dans un siècle consumériste, le consommateur est devenu partie prenante au débat sur le droit d'auteur. On ne peut négliger le fait car le consommateur est électeur. Le droit d'auteur, sa portée, sa définition, sa mise en œuvre, sa force, dépendent du politique. Il est important de réaliser que l'électeur, celui qui choisit le politique, est devenu partie prenante directe au débat sur le droit d'auteur.

Sandra Travers de Faultrier

Cela confirme qu'aujourd'hui s'il s'agit d'affirmer, réaffirmer la légitimité du droit d'auteur, c'est auprès du public, interlocuteur responsable et capable, qu'il convient d'agir et d'entrer en dialogue.

Thierry Desurmont

Peut-être était-il plus facile de défendre les droits d'auteur à la fin du XIXe siècle qu'aujourd'hui.
Nous avons créé la convention de Berne en 1886. On ne parvient plus à faire un traité international depuis vingt ans dans le cadre de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, dont c'est la vocation. Cela peut aussi conduire à réfléchir.

Jean Claude Bologne

Lorsque l'utilisateur devient lui aussi auteur, son rôle modifie la perception même du droit d'auteur. Celui-ci ne sert plus à élever un rempart contre des exploitants individualisés, mais contre un usage si diffus qu'il ne se laisse plus appréhender de la même manière. Il s'agit dès lors d'encadrer des pratiques professionnelles et des pratiques privées. Christiane Ramonbordes évoquait le Web 2.0 qui posait d'autres problèmes. La gestion collective obligatoire est-elle, pour le CFC, une réponse au problème de l'Internet ?

Philippe Masseron

La reprographie est pour nous un peu le passé, même si ce secteur reste dominant dans nos perceptions aujourd'hui. Ici, nous avons un rempart, nous ne sommes pas l'utilisateur final, puisque c'est une institution. Nous sommes donc peu confrontés à cette problématique. Toutefois, je rejoins totalement le propos de Thierry Desurmont : le premier acteur du droit d'auteur, ce n'est plus l'auteur, ce n'est plus le texte de loi, c'est le droit public. Nous sommes partis d'un créateur qui avait apporté sa création, son travail avec un droit d'utilisateur. C'est un renforcement fort dans la façon de percevoir et de pouvoir gérer le droit d'auteur. J'avais pour habitude de décrire deux grands bouleversements : l'irruption de moyens de reproduction individualisée (ce n'était pas le cas tant que nous n'avions pas de magnétophone à cassettes et de magnétoscopes) et le numérique, qui a ensuite accéléré le processus.

Jean Claude Bologne

On parlait des rapports de force. L'ADAGP a-t-elle pu gérer certains rapports de force ?

Christiane Ramonbordes

Avec le Web 2.0 pas vraiment ! Nous gérons plutôt que de pouvoir gérer. Je pense qu'Olivier Brillanceau parlera de son procès contre Google Images ; c'est le grand public qui fixe les règles, puisque nous sommes obligés de nous retourner contre chaque internaute qui met en ligne des œuvres protégées sur les sites. Dans la mesure où 99 % sont aux États-Unis et que l'on connaît les procédures américaines, nous sommes sans recours.

Jean Claude Bologne

La seule réponse est judiciaire.

Christiane Ramonbordes

Même pas !

Sandra Travers de Faultrier

Tout cela confirme la nécessité de nous adresser au public, véritable juge et acteur de la scène de la légitimité.

Christiane Ramonbordes

On est allé si loin dans la possibilité de mettre les œuvres en ligne sans payer que l'on assistera peut-être à un effet secondaire. Au début, on a voulu favoriser l'éclosion du numérique et les techniques. Bruxelles nous a coupé l'herbe sous le pied en termes de droit d'auteur. Peut-être assistera-t-on à un revirement – du moins je l'espère.

Sandra Travers de Faultrier

Les droits à l'information et à la connaissance, consacrés par des déclarations internationales, ont donné naissance à un droit d'accès qui ne s'affirme pas contre des tentations étatiques de verrouillage de la liberté d'expression, mais contre des droits reconnus à des personnes individuelles. J'appelle ce droit d'accès le désir sadien. En effet, Sade réclame l'accès libre à toutes les femmes, consentantes ou non et, comme lui, que l'auteur le veuille ou non, un « on » collectif et anonyme réclame l'accès libre aux œuvres, l'adjectif libre étant associé à la gratuité ainsi qu'à l'impossibilité en pratique de dire « non ». C'est un fait social assez global, qui dépasse largement les œuvres, mais auquel il convient d'apporter des réponses capables de nous délivrer de la dictature du « c'est comme ça ».

Jean Claude Bologne

Nous étions partis de l'idée que les nouvelles technologies imposaient largement le retour à la gestion collective. Or, vous me dites que la gestion collective ne pourra pas gérer l'explosion de ces usages.

Thierry Desurmont

J'ai simplement indiqué que cela devenait de plus en plus compliqué mais, à mes yeux, la difficulté accrue ne fait que rendre plus nécessaires l'existence et le rôle des sociétés de gestion collective.
Il est une autre raison que je n'ai pas mentionnée. Je parlais de la puissance économique des exploitants, qui n'a cessé de croître ; à cela s'ajoute le fait que nous soyons désormais mis en présence de nouveaux entrants. Des entreprises, dont l'activité jusqu'alors n'était pas en contact avec le droit d'auteur, s'engouffrent chaque jour davantage dans des secteurs dont l'activité suppose l'exploitation des œuvres protégées. Ces personnes ne sont à l'origine pas familières des questions de droit d'auteur et sont en principe réticentes quand elles comprennent que l'application de ce droit pourrait les empêcher de commercialiser le plus largement et le plus facilement possible leurs produits issus de leur technique. Il faut donc les former, leur faire comprendre la réalité de la création et le besoin de protection de la création
Jean-Claude Bologne
Aujourd'hui, le droit d'auteur ne peut plus être géré en France à partir de la réglementation nationale, ni même en Europe, le problème devenant mondial alors même qu'il s'agit d'un droit qui appelle la communication de répertoire. Comment, en pratique, exercer ce droit pour des auteurs étrangers en France ? Ou pour des auteurs français à l'étranger ?

Thierry Desurmont

C'est un bien vaste sujet ! La SACEM a été la première société d'auteurs, de compositeurs et d'éditeurs de musique au monde. À sa création, en 1851, elle était la seule de son espèce. Puis des sociétés analogues ont été créées çà et là si bien qu'aujourd'hui la plupart des pays du monde connaissent une société d'auteurs du type de la Sacem pour ce qui concerne les œuvres musicales.
En théorie, une société allemande pourrait assurer directement en France la protection de son répertoire auprès des 620 000 utilisateurs de musique, mais cela sera coûteux, compliqué et peu efficace. Dans la pratique, les sociétés d'auteurs se sont donné mandat réciproque de gérer leurs répertoires sur leur territoire d'activité. Toutes les sociétés d'auteurs ont mandaté la SACEM pour gérer leur répertoire sur le territoire français et la SACEM a mandaté chacune des sociétés d'auteurs pour gérer son répertoire sur leur territoire d'exercice : la GEMA en Allemagne, la BUMA aux Pays-Bas, l'ASCAP aux États-Unis...
Un tel système présente bien des vertus dans la mesure où il est rationnel et efficace du point de vue économique : une seule société gère le répertoire musical mondial sur un territoire donné. Il est extrêmement utile en ce que la société d'un pays donné peut offrir le répertoire mondial par le biais d'une seule autorisation aux utilisateurs situés sur son territoire d'exercice. Si le patron d'une discothèque ignore les choix de son disc- jockey au cours de ses soirées, pour exercer licitement son activité il a besoin d'une autorisation permanente d'accès à l'ensemble du répertoire musical. Le système choisi permet de le lui offrir et le dispositif a parfaitement fonctionné des décennies durant.
La situation est devenue plus compliquée avec les exploitations multiterritoriales, internationales. Si un exploitant veut exercer son activité en France et en Allemagne, il faut qu'il demande à la SACEM le répertoire musical mondial au titre de son activité en France et, à la GEMA, au titre de son activité en Allemagne. Et s'il veut procéder ainsi dans les 27 pays de l'Union européenne, il faut qu'il obtienne les autorisations auprès des 27 sociétés, autorisations que l'on dit multirépertoires – répertoire mondial –, mais monoterritoires.

Lorsque les formes d'exploitation internationales sont apparues, les sociétés d'auteurs se sont adaptées. Cette adaptation a commencé à se faire pour la radiodiffusion directe par satellite ; c'est là une exploitation multiterritoriale avec la diffusion d'un programme à destination d'un ensemble d'Etats. Ce fut l'objet des accords de Sydney de 1987, bien avant la directive de 1993 sur le satellite, qui prévoient que la société d'auteurs sur le territoire de laquelle est située la station d'émission à destination du satellite peut délivrer une autorisation aux radiodiffuseurs d'utiliser le répertoire mondial pour l'ensemble des pays couverts par l'empreinte du satellite. Cela a très bien fonctionné plusieurs dizaines d'années.
À l'arrivée d'Internet, toutes les sociétés d'auteurs du monde ont voulu procéder à l'identique. Elles ont décidé d'étendre le champ territorial de leurs mandats réciproques au monde entier en prévoyant que la société d'auteurs sur le territoire de laquelle l'exploitant du service en ligne a sa résidence économique pourrait lui délivrer une autorisation d'utiliser le répertoire mondial dans le monde entier. Tout paraissait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais la Commission européenne a condamné le système pour des raisons tenant au droit de la concurrence et aujourd'hui? le désordre le plus total règne, dont on essaie de sortir vaille que vaille.

Jean Claude Bologne

Au CFC, en principe, la gestion est obligatoire, mais ce n'est pas un monopole.

Philippe Masseron

Sur le papier, nous sommes à l'abri de certaines questions, dans la mesure où la copie reste une activité très locale. La barrière de langue fait que la part des œuvres étrangères en France ou des œuvres françaises à l'étranger est extrêmement réduite. Le système des accords de réciprocité fonctionne parfaitement, il n'y a guère besoin d'aller au-delà.
En revanche, dans la gestion collective volontaire sur le numérique, les problèmes qui se posent à nous sont les mêmes que ceux qu'affronte la SACEM. L'anecdote du panorama de presse de la Commission européenne l'illustre bien. La Commission a commencé ce panorama voilà six ou sept ans sans autorisation. À l'époque, nous étions quelques sociétés à avoir engagé une gestion effective des droits pour ces exploitations numériques. Il n'existait pas d'accord de réciprocité entre les différentes sociétés, mais Bruxelles a exigé d'obtenir une autorisation groupée. Nous nous sommes alors concertés très rapidement et nous sommes parvenus à délivrer une seule autorisation. Ce faisant, nous avons signé un contrat de deux ans que la Commission, elle-même, a dénoncé au terme des deux ans? le jugeant trop compliqué et préférant un accord avec chacune des sociétés nationales effectivement concernées plutôt qu'un accord global !

Jean Claude Bologne

Vous dites que l'ADAGP gère, outre un répertoire plastique et graphique, la gestion de droits écrits de vos membres. Sommes-nous pieds et poings liés pour l'ensemble de notre œuvre en entrant dans une société de gestion collective ?

Christiane Ramonbordes

L'auteur décide. Il fait apport des seuls droits qu'il souhaite apporter à la société de gestion. S'il ne veut apporter que ses droits pour les arts plastiques, il est libre de le faire. S'il ne veut apporter que la gestion du droit de suite, il est libre de le faire. Il peut n'apporter que la gestion des droits en gestion collective obligatoire et se réserver ses droits exclusifs. La liberté prime et elle nous oblige !

Thierry Desurmont

Il en va de même de la SACEM. Les cas de gestion collective obligatoire sont prévus par la loi. Sous cette réserve, la SACEM est une société de gestion collective qui repose sur une base volontaire. Dans les années 70, les sociétés d'auteurs demandaient à leurs membres de leur confier la gestion de l'ensemble de leurs droits pour le monde entier. La Commission européenne est alors intervenue et les auteurs ont eu la possibilité de fractionner la gestion de leurs droits entre les différentes sociétés d'auteurs du monde selon diverses catégories de droits et selon les différents territoires. Ce fractionnement peut aussi s'opérer pour réserver les mêmes catégories de droits ou les mêmes territoires en gestion individuelle.

Sylvestre Clancier, poète, administrateur de la SGDL

Où en sommes-nous de la protection des droits d'auteurs en Chine ?
 
Thierry Desurmont

La Chine n'est pas le paradis des droits d'auteurs pour les Chinois et encore moins pour les étrangers. Des progrès ont été cependant réalisés récemment : un accord a notamment été conclu l'an dernier pour prévoir une rémunération qui sera versée par les organismes de radiodiffusion aux auteurs. Mais la situation est loin d'être satisfaisante et des progrès considérables restent à faire.

Philippe Rouillé, Sociétaire

Une question de terminologie. Qu'appelez-vous le Web 2.0 ?

Christiane Ramonbordes

Le Web 2.0 est composé des sites sur lesquels les internautes mettent en ligne des œuvres en direct. Par exemple Flickr, où vous pouvez mettre en ligne vos photos et les partager avec vos amis ; vous pouvez également les laisser en accès libre à tous les internautes du monde. Si vous vous rendez sur ce site et que vous y recherchez les œuvres de membres de l'ADAGP, vous vous apercevrez que bien des internautes ne connaissant pas les droits d'auteurs mettent en ligne des œuvres sans aucune autorisation de l'ADAGP.

Jean Claude Bologne

Ce que l'on appelait le Web 1.0 n'était qu'une base de données que l'on interrogeait. Au début des outils d'interaction, on a parlé de Web 1.1. Le Web 2.0 apparaît lorsque le contenu vient aussi de l'internaute. Cela pose de nouveaux problèmes de gestion.

Thierry Desurmont

Avec le Web 2.0, l'internaute met en ligne des contenus pouvant être protégés. Cependant, il y procède par l'intermédiaire de plates-formes. Nous voilà donc confrontés au problème de leur statut juridique. Selon elles, les plates-formes ne sont pas tenues juridiquement de demander l'autorisation aux sociétés d'auteurs pour exercer leur activité. La seule obligation qui leur incomberait serait, sauf à engager leur responsabilité, de retirer un contenu protégé dès lors qu'une demande en ce sens leur aurait été notifiée par les ayants droit. Tel n'est pas du tout mon point de vue, ni celui en général des sociétés d'auteurs. Selon moi, ces plates-formes sont de véritables services de communication au public en ligne. Elles mettent à disposition des internautes des outils pour assurer la diffusion de contenus en vue de réaliser un maximum d'audience et donc de recettes publicitaires. Juridiquement, elles devraient être considérées à l'instar de tout exploitant et devraient donc être tenues de demander une autorisation des ayants droit pour utiliser les œuvres.
Des progrès ont été réalisés en ce sens, notamment un accord a été conclu avec Dailymotion, d'une part par la SACEM, d'autre part par la SACD, la SCAM et l'ADAGP. Un autre accord a été passé par la SACEM avec Wat TV du groupe TF1. Enfin, nous avons conclu la semaine dernière, après quelques années de négociations, un accord concernant l'activité de Youtube en France.

Jean Claude Bologne

Grand merci à tous les participants pour l'intérêt de leurs propos.