Nous souhaitions porter à votre connaissance la lettre ouverte au Président de la République que les deux co-présidents du Conseil permanent des écrivains ont fait paraître ce week-end dans le Journal Le Monde.
Le début de mandat de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, avait ouvert des perspectives prometteuses. Cela faisait plus de dix ans que les auteurs alertaient les pouvoirs publics sur leur paupérisation. Une étude, réalisée en 2015 par le ministère de la Culture, avait documenté la dégradation constante depuis vingt ans de leurs rémunérations. Face à ce constat alarmant et face à la mobilisation des auteurs (rappelons les États généraux du livre organisés en 2018 et 2019 par le Conseil permanent des écrivains*), le ministère appela M. Bruno Racine à la rescousse pour qu'il fasse, à partir d’un constat large et précis, des préconisations qui remédient à la situation dramatique des auteurs. Dans la dynamique du rapport Racine et de tout ce qui l’avait précédé, la ministre de la Culture, fraîchement nommée, présentait quelques mois plus tard un « plan Auteurs » en quinze points qui devait guider l'action de son ministère durant la seconde partie du quinquennat d'Emmanuel Macron.
La mesure n°9 de ce plan engageait le ministère à « accompagner les négociations sui generis sur l'équilibre de la relation contractuelle entre auteurs et éditeurs dans le secteur du livre ». Et comme les services du ministère ne souhaitaient pas s’impliquer directement dans un dossier plus qu’épineux, on fit appel au Professeur Pierre Sirinelli pour tenir le rôle de médiateur.
Après neuf mois de discussions, un accord était trouvé il y quelques semaines entre les organisations d'auteurs et le Syndicat national de l'édition (SNE). Accord comportant cinq mesures de nature à améliorer la transparence (dans un secteur où persistent des zones d’obscurité) et à améliorer l'information des auteurs sur la vie et la fin de vie de leurs ouvrages. Le temps avait manqué, hélas, pour que les discussions, denses et animées, traitent le sujet essentiel, celui qui, rappelons-le, avait présidé au lancement de cette mission : la rémunération des auteurs. Mais les parties s'engageaient, une fois acté ce premier accord, à poursuivre prioritairement et sans tarder leurs échanges sur ce sujet qui fédère toute la communauté des auteurs et l’ensemble des organisations qui les représentent.
L'accord devait être signé en présence de la ministre de la Culture le 16 mars dernier. Mais à quelques heures de l'événement, le SNE jouait l’esquive. Pour autant, il se veut rassurant : ce n’est qu'une question d'heures, de jours ou de semaines. Il signera cet accord, bien sûr, à la rédaction duquel il a pleinement participé. Et loin de lui l’idée de se défiler sur le sujet « rémunération ». N’a-t-il pas, ces derniers mois, annoncé publiquement à plusieurs reprises que la question de la juste rémunération des auteurs était une priorité ?
Pourtant, le temps presse, nous dit-on. Dans moins de trois semaines la France sera appelée aux urnes, et l'usage républicain impose que les ministres fassent silence pour ne pas perturber le débat démocratique. C'est la "période de réserve" avant le scrutin. Mais cette « réserve » républicaine n'interdit pas à un ministre en exercice et « au travail jusqu'à la dernière heure de son mandat » selon la formule consacrée, de faire aboutir un dossier quasiment bouclé.
Face à un SNE retranché dans le silence comme s’il attendait que passe l'orage, face à un ministère de la Culture entrée dans sa « réserve », nous en appelons au Président de la République afin que les engagements pris vis-à-vis des auteurs soient honorés avant la fin de son mandat.
Nous demandons à ce que l'accord négocié entre auteurs et éditeurs soit signé sous l'égide de l’État avant le 8 avril 2022 et que la lettre de mission, promise aux organisations d'auteurs par la directrice de cabinet de la ministre de la Culture le 12 mars dernier, portant sur les conditions de rémunération des auteurs, soit également signée et publiée avant cette échéance.
À défaut, tous les efforts déployés pour « mieux protéger, accompagner dans leurs droits, dans leur quotidien les femmes et les hommes qui ont décidé de créer », selon la promesse faite aux auteurs par Emmanuel Macron en janvier 2020 lors du festival d’Angoulême, auront été vains. Et nous aurons, à quelques jours de l’élection présidentielle, le sentiment très amer sinon d’une trahison, du moins d'avoir été lâchés en cours de route par un Président parti faire campagne bien loin de nous.
* (CPE) réunit 16 organisations d'auteurs : ADAGP, ATLF, COSE-CALCRE, EAT, LA MAISON DE POÉSIE, PEN CLUB, SACEM, SAIF, SAJ, SCAM, SELF, SGDL, SNAC, UNPI, UPP, UNION DES POÈTES.
Séverine WEISS
Co-Présidente du Conseil Permanent des Écrivains (CPE)
et Vice-Présidente de l'Association des traducteurs littéraires de France (ATLF)
Christophe HARDY
Co-Président du Conseil Permanent des Écrivains (CPE)
et Président de la Société des Gens de Lettres (SGDL)