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Table ronde modérée par Pierre Assouline, écrivain, journaliste
avec : Jean-Marie Sevestre (vice-président du Cercle de la Librairie), François Bon (auteur), Bruno Caillet (directeur commercial et des partenariats, Gallimard).

Pierre Assouline
Avant de lancer cette table ronde, je souhaite vous lire un communiqué du ministère de la culture, paru il y a quelques jours et qui nous concerne tous. Je lis. « Christine Albanel, Ministre de la culture et de la communication, souhaite une plus forte présence du patrimoine culturel français sur l'Internet. » Jusque là, tout va bien... (Sourires) Je poursuis : « La Ministre s'est entretenue hier avec Mats Cardurner, président de Google France. » Ça se corse... (Rires) « La Ministre a manifesté son intention d'accélérer le calendrier de la constitution du « patrimoine numérique français » et a demandé à Google, leader mondial des technologies de moteurs de recherche, de formuler prochainement ses suggestions, voire ses recommandations à l'attention du Ministère de la culture et de la communication pour augmenter la visibilité du patrimoine culturel français sur l'Internet. (Exclamations) Le Ministre de la culture et de la communication poursuit depuis trente ans une action de fond pour numériser » etc. Je m'arrête là, car l'essentiel dans cette affaire est de demander à Google des suggestions, voire des recommandations.

Alain Absire
Nous avons appris la nouvelle comme tout le monde, par la presse, vendredi dernier. Nous ignorions tout de cette prise de contact, faite à l'initiative du ministère. La Société des Gens de Lettres est, je le rappelle, en procès contre Google à propos du respect du droit moral des auteurs. Le Syndicat national de l'édition l'est également à propos du droit patrimonial. Certes, les plus hautes sphères de l'Etat ne manquent jamais de rappeler que l'on doit s'opposer à l'accès gratuit aux oeuvres sur Internet. C'est en effet vital. Comme est vital le respect de notre droit moral incessible, et de l'intégrité du contenu immatériel de nos livres qui y est attaché. Mais Google pratique un système d'option négative, c'est-à-dire : « qui ne dit mot pour s'opposer à la numérisation et à la diffusion de son oeuvre sur Internet y consent », a choisi de l'ignorer.

Cela dit, on ne peut vouloir une chose et son contraire. Que je sache, le beau projet de numérisation - Europeana - que développe actuellement la Bnf, n'emprunte pas les mêmes chemins que Google, société à but commercial, qui utilise notamment la publicité sur écran comme système de rémunération de sa propre « bibliothèque numérique ». Soutenir Européana et faire appel en même temps à un tel concurrent serait incohérent. Faut-il rappeler que les responsables de Google, que nous avons reçus ici même, pensaient que toutes les oeuvres publiées avant 1900 étaient dans le domaine public ?

Pour notre part, nous voulons simplement que nos droits soient respectés, en particulier s'agissant de la propriété inaliénable du contenu de nos oeuvres. Tout le monde n'a pas le droit de faire tout et n'importe quoi avec ce que nous écrivons. Voilà pour la réaction à chaud. Étant entendu qu'il existe bien d'autres voies pour apporter un large écho à notre patrimoine culturel et littéraire, et notamment notre excellente chaîne de librairie indépendante.

Pierre Assouline
Votre intervention pose deux problèmes. Car si vos rapports avec Google ne sont pas au beau fixe, on constate que ceux que vous entretenez avec le ministère de la Culture ne le sont pas non plus. Manifestement, la Société des Gens de Lettres ou les sociétés d'auteurs n'ont aucune importance pour la Ministre de la culture, qui a déjà pris sa décision. Demander des recommandations à Google, qu'est-ce, sinon charger cette société d'une expertise sur le patrimoine culturel français ?

Alain Absire
J'ajoute que la démarche de Mme Albanel est aux antipodes de celle qu'avait mise en oeuvre son prédécesseur. Mais il est vrai que l'on questionne rarement les auteurs sur les sujets qui les concernent. Cela nous oblige à prendre constamment le micro pour nous exprimer. Que faire lorsque la porte est fermée ? Entrer pas la fenêtre !

J'en viens à nos rapports avec Google. Sur ce point, il faut souligner que nous sommes conscients de l'immense chance qu'offre Internet pour nos oeuvres. Nous avons longuement discuté avec Google, qui nous a présenté son programme Book Search. Mais dès qu'on évoque le droit français, les oreilles de ces gens-là se ferment. Google se réfère au droit américain, or que je sache ce n'est pas encore celui qui prévaut en France... Quant à nos rapports avec le ministère de la Culture, ils ne sont ni bons ni mauvais. Lorsque nous sommes mis devant le fait accompli, nous devons faire savoir notre désaccord. Cela dit, j'espère que nous pourrons discuter, et que la raison l'emportera. Le plus bizarre dans cette affaire n'est pas tant la consultation - il est normal qu'un ministre consulte -, mais de le faire savoir publiquement. C'est pour le moins étrange.

Pierre Assouline
C'est la preuve que le projet est déjà très avancé, et qu'il s'agit presque d'un programme. Le rendre public est une vraie décision politique.

Alain Absire
Il sera très intéressant d'en discuter demain avec Bruno Racine, le président de la BNF, qui sera présent parmi nous. Il pourra nous éclairer et nous dire s'il existe un projet concurrent, ce dont je doute. Quoi qu'il en soit, nous resterons extrêmement vigilants, et je suis sûr que les éditeurs seront cette fois à nos côtés.

Pierre Assouline
Des réactions sur ce sujet précis ?

Sylvestre Clancier, poète
Atterrant ! La consultation d'un organisme à but lucratif est un scandale. Voilà la réaction d'un poète indigné.

Pierre Assouline
Vous n'êtes pas le seul à l'être...

François Bon
Et pourtant, lorsqu'on a vu apparaître le sigle Google en 1999, grâce à trois types qui l'avaient mis au point dans un garage, nous avons tous été heureux de disposer d'un outil qui nous permettait de travailler sur le pagerank et apportait de la visibilité à notre travail. Ce qui m'étonne aujourd'hui, c'est de constater, huit ans après, l'espèce d'effondrement permanent d'Internet et l'effet de cumul sur des mêmes points nodaux. Du moins le constate-t-on avec le mouvement de concentration des librairies en ligne autour de Google et de ces trois gros monstres froids qu'on connaît tous. Nous sommes tous d'accord : tout cela n'est pas rassurant. Pour autant, nous sommes tous des pratiquants de Google. Et en matière de pratiques concernant l'écriture, le livre et l'Internet, il y a plusieurs paramètres sur lesquels je me détache d'Alain Absire. Pour moi, une oeuvre n'est pas la somme des livres, mais mon travail au jour le jour. Qui est Pierre Assouline ? Non pas un modérateur, mais celui qui le premier, le 13 août, a signalé l'affaire de Lagrasse. C'est là une pratique qui renvoie à un très ancien rôle de l'écriture ou de la littérature dans un corps social.

Cela étant dit, je suis particulièrement surpris par la masse dans Internet des réflexions sur le fonctionnement de Google dans ses procédés de référencement ou ses procès d'attribution de pagerank. Je lis au moins une fois par semaine les blogs des principaux cadres de Google. Le plus surprenant dans cette affaire, c'est le désert d'écrivains. Le monde informatique réfléchit sur ces questions ; le monde de la littérature, non, et quel dommage. Songez à cet événement génial de la semaine dernière, cette invention de Google appelée Googlehealth qui nous renvoyait à un vieux rêve du 16ème siècle : mettre toutes nos ordonnances en ligne pour pratiquer l'automédication ; fabriquer une base qui, par accumulation, trouvera ses processus d'autovalidation.

Pierre Assouline
Une catastrophe sanitaire en perpective... (Rires)

François Bon
Voilà la vie Internet : un imprédictible, un mouvement énorme des concentrations et les procédés de pensée. La réponse a été apportée par le numéro 4 de Google, chargé du programme Googlehealth, et qui a été licencié en fin de semaine. Qui, dans le monde littéraire, s'est préoccupé de cette question, qui nous concerne d'une façon vitale ?

Pierre Assouline
Il faut le reconnaître : les écrivains sont éloignés de ces problématiques. Rares sont ceux qui s'y intéressent. Je crois même pouvoir dire, mais peut-être Bruno Caillet me démentira-t-il, que c'est le cas des éditeurs. La plupart des éditeurs avec qui je parle d'Internet ne savent même pas envoyer un courriel. Ils ont un site parce qu'il faut bien en avoir un. Lorsqu'on leur dit que leur site n'est pas très bon, notamment sur le plan de l'ergonomie, ils en conviennent mais s'en fichent. Est-ce le cas chez Gallimard ? Je n'en sais rien, mais est-ce un phénomène qui vous frappe, Bruno Caillet, étant entendu qu'il faudra aujourd'hui parler de librairie en ligne ?

Bruno Caillet
Les choses sont en train d'évoluer très vite. De fait, Gallimard s'en est soucié assez tôt. En matière d'animation, nous développons le plus d'outils possibles - interviews d'auteurs filmés à l'occasion de la rentrée littéraire, clips internets. Les éditeurs développent ces démarches, aussi bien pour accompagner les ventes en ligne, que pour préparer l'avenir en matière d'ouvrages numérisés.

Pierre Assouline
Flammarion, vous le savez, s'apprête à publier le recueil des chroniques que François Taillandier a publiées dans l'Humanité, alors que le lecteur y a accès gratuitement sur le site du journal.

Bruno Caillet
Même observation pour certaines chroniques d'Hervé Guibert, qui sont en ligne. Dans le cas d'espèce, le travail de l'éditeur consiste à effectuer une sélection, à apporter des éclairages. Un tel travail n'est pas remis en cause. Mais si les éditeurs tardent, c'est parce que de nombreux problèmes juridiques se posent. Pour ce qui nous concerne, l'exploitation numérique est prévue dans les contrats d'auteur depuis dix ans. C'est beaucoup plus compliqué pour le fonds Gallimard - 25 000 titres - du fait des protocoles à créer avec les auteurs ou leurs ayants droit.

Pierre Assouline
D'autant que ce fonds représente une bonne part du chiffre d'affaires de Gallimard.

Bruno Caillet
Les deux-tiers... Quoi qu'il en soit, la numération est lancée. Elle est loin d'être achevée, étant entendu qu'elle pose maints problèmes juridiques et techniques.

Pierre Assouline
La question de fond reste celle du contenu.

Bruno Caillet
Et de sa diffusion. J'interviens plus aujourd'hui en tant que diffuseur qu'éditeur. Mais les deux aspects sont très liés.

Pierre Assouline
Avant de parler de la numérisation des livres, je vous propose d'évoquer la librairie en ligne. Jean-Marie Sevestre, Sauramps est aussi libraire en ligne, comme Decitre à Lyon et d'autres librairies dans toute la France. Est-ce une activité que vous voulez développer ? Imaginez-vous dans un avenir proche que votre métier soit celui d'un libraire en ligne et accessoirement celui d'un libraire traditionnel exerçant à Montpellier ?

Jean-Marie Sevestre
Je ne l'espère pas. Mais je voudrais d'abord revenir à Google, car je ne vais pas dans le sens que vous avez mis en avant. Il est important de parler de l'approche de cette société face aux libraires, car dans les jours qui viennent, on va voir apparaître plusieurs libraires sur le site de Google, au même titre qu'Amazon, la Fnac, Chapitre et Alapage. Il y quelque temps déjà, nous étions plusieurs à nous demander s'il fallait regarder passer le train ou y monter. Nous sommes donc allés rencontrer Google, pour lui dire que nous existions. Pourquoi faudrait-il refuser de participer à ce mouvement ? Les discussions ont été longues et difficiles, il faut le reconnaître. Nous avons tous organisé des débats dans nos villes, avec le public, les bibliothécaires et les chercheurs, tant et si bien que dans les jours qui viennent, cinq ou six librairies seront référencées sur Google. Certes, je signerais une éventuelle pétition contre le communiqué dont vous avez fait état, ou le non respect des droits d'auteur.Cela dit, comme distributeur, nous sommes contraints de reconnaître qu'une partie de notre clientèle qui utilise Google est orienté vers Amazon et d'autres. Au final, à partir d'une recherche sur un titre, on devra être capable de dire où le livre se trouve, dans quelle librairie et à quel endroit. Autrement dit, nous acceptons de communiquer quotidiennement notre stock à Google. Les Américains n'ont cependant pas encore donné leur feu vert sur ce point - toujours en discussion -, de même que nous ne savons pas aujourd'hui si Amazon, la Fnac ou Alapage disposent bel et bien du livre recherché.

Cela étant dit, une telle démarche ne va pas à l'encontre de notre travail. Et pour répondre directement à votre question, il n'est pas du tout important pour notre chiffre d'affaires que nous devenions des libraires en ligne. L'essentiel est d'accompagner le mouvement. Sur ce point, je ne suis pas pessimiste, car personne ne pourra tuer le livre du jour au lendemain. Nous aurons toujours notre utilité physique. Par contre, des clients qui ne peuvent pas se déplacer, et qui ont un souci de rapidité - des chercheurs ou des enseignants, bien souvent les premiers acheteurs en ligne -, ont besoin aussi de pouvoir trouver des livres en ligne. Notre avantage, à Sauramps, c'est de connaître les livres dont nous disposons en librairie. Un client disposera toujours du livre plus rapidement chez nous que s'il fait appel à Amazon (Nous avons 140000 références en permanence).

Pierre Assouline
Que représente la vente en ligne pour Sauramps ?

Jean-Marie Sevestre
Moins d'1 % du chiffre d'affaires. Mais ce taux grimpe. Encore faut-il savoir qu'un arrêt de la Cour d'Appel de Paris a rendu dans le procès Alapage-SLF le port gratuit illégal. Nous sommes obligés de facturer les frais de port, ce qui ralentit considérablement notre activité sur Internet depuis juin-juillet.

Pierre Assouline
Les frais de port ne concernent pas tout le monde.

Jean-Marie Sevestre
Les principaux vendeurs de livre pratiquent le port gratuit pour les livres alors que ce n'est pas le cas pour d'autres produits. Le port peut aller jusqu'à 12 ou 14 % du prix du livre.

Pierre Assouline
Et l'on connaît l'ampleur de la bagarre sur le tarif postal des livres.

Jean-Marie Sevestre
Amazon a négocié avec La Poste des tarifs hyper préférentiels, qu'aucun libraire ne pourra jamais obtenir. Voilà qui pose question... Même si on impose les frais de port, il sera toujours plus cher pour Sauramps qu'Amazon, a fortiori pour un petit libraire.

Pierre Assouline
Délocaliser Sauramps du côté d'Atlanta ?

Jean-Marie Sevestre
Ou installer notre siège au Luxembourg, comme Amazon... (Sourires)

Pierre Assouline
Nous plaisantons à peine... Mais je vous propose d'en venir au coeur du sujet. Depuis l'expérience Cytale, vieille de sept ou huit ans, et qui a été un flop parce que le procédé technique n'était pas au point, depuis cette expérience, donc, on n'a plus parlé ou plus beaucoup de livre électronique. A chaque fois que j'avais l'occasion d'en parler, on me rétorquait que ce n'était pas au point. Mais depuis quelques mois, des libraires, comme la librairie Kleber à Strasbourg, m'assurent que le livre électronique arrivera très prochainement sur le marché, grâce aux grandes avancées du papier électronique. Y croyez-vous, du moins pour la littérature générale ? Car les choses sont largement avancées pour les encyclopédies ou les sciences humaines. La technologie est au point, on s'en sert, et vu le marasme des éditions de sciences humaines, personne n'y trouve à y redire. Dans les années à venir, les romans de Gallimard seront-ils davantage diffusés de manière virtuelle que réelle ?

Bruno Caillet
Difficile à dire... Pour ma part, je ne le pense pas. Même si je suis convaincu que certains secteurs éditoriaux, comme les sciences humaines, sont plus directement concernés. Pour ce qui est de la littérature, mon sentiment, comme beaucoup chez Gallimard, est que la valeur d'usage du livre ne sera pas remise en cause. Car le livre, il ne faut pas l'oublier, est un objet quasi parfait, qu'il s'agisse d'un poche ou d'une Pléiade. Cela ne sera pas remis en cause. Cela dit, il est certain qu'avec les progrès de la numérisation, la diffusion du livre numérique représentera une partie des ventes, la question étant de savoir combien - ce à quoi je suis incapable de répondre aujourd'hui.

Pierre Assouline
Vous parlez comme si la génération à venir avait les mêmes références que les nôtres. N'a-t-on pas tendance, nous, à sanctuariser le livre, ce qui n'est pas du tout le cas des gens qui sont nés avec un ordinateur dans les mains ?

Bruno Caillet
Je n'ai pas le sentiment que le livre soit sanctuarisé. Ce qui me préoccupe le plus, c'est de savoir comment l'évolution se fera. Vendra-t-on demain des abonnements ou des ouvrages titre à titre ? Quel en sera le prix ? Voilà des questions sur lesquelles nous n'avons pas de réponse, sans compter qu'il n'existe pas encore de modèle économique en la matière. Nous avons un diffuseur numérique, Numilog, qui propose une cinquantaine d'ouvrages, dont les ventes sont très limitées.

Pierre Assouline
En matière de presse, tout va très vite depuis deux ou trois ans. N'est-ce pas un signe ? N'y a-t-il pas de connexion entre la presse et l'édition ?

Bruno Caillet
La presse est soumise à l'urgence de l'information alors que le monde du livre n'a pas la même attente...

Pierre Assouline
Actuellement, l'urgence dans la presse n'est pas de disposer de l'information, mais de sauver l'entreprise de presse de la faillite.

Bruno Caillet
La presse doit communiquer des informations jour par jour, heure par heure. Cela, Internet le permet. Mais la presse est en train de trouver un modèle économique permettant de faire coexister les deux pratiques.

Pierre Assouline
On trouvera dans dernier numéro de Livre Hebdo une interview de Didier Borg. J'applique ce qu'il imagine à la biographie de Bob Dylan de François Bon. Pour Didier Borg, il faudrait que cette biographie soit interactive, qu'on puisse lire le texte, mais aussi avoir accès à des liens hypertextes dedans, et notamment aux chansons qui sont cités. Ce serait le même livre publié chez Fayard et vendu chez Sauramps, mais il serait bien plus dense.

Bruno Caillet
C'est déjà le cas en jeunesse. Nous publions des encyclopédies qui renvoient à des sites venant compléter le livre. C'est la preuve qu'il existe un travail éditorial et un travail d'auteur prolongé par Internet,... mais qui ne le remplace pas.

François Bon
C'est sur ce point que le thème de la journée d'aujourd'hui est paradoxalement très angoissant, surtout lorsqu'on a en tête la chaîne du livre et le couple auteur-éditeur, dont parlait ce matin Christian Thorel. Je suis très content d'avoir été reçu chez Sauramps la semaine dernière. Mais je sais que dans deux ans, jusqu'à mon prochain livre, Sauramps tournera et que mon livre n'occupera plus qu'une page discrète dans leur site. La chaîne de vie de l'auteur n'est pas celle du livre ; celle-ci n'est d'ailleurs pas notre seul terrain. Benoît Yvert disait ce matin combien d'auteurs vivaient de leur écriture. Pour moi, qui écris depuis vingt ans, les droits d'auteur représentent un tiers de ce dont j'ai besoin pour nourrir et loger mes enfants. Je ne le vis pas comme une souffrance. Le reste consiste à me mettre en situation d'auteur, à travailler avec des professeurs et participer à des lectures publiques. Quant à ce déplacement global de notre travail introduit par Internet, je ne le ressens pas du tout comme une perte.

Mais j'en reviens à cette histoire de papier numérique. On assiste aujourd'hui, c'est certain, à une révolution. Les discussions de ce matin s'orientaient sur la musique. L'onde de choc qu'a connu la musique est en train de toucher le livre, grâce à du papier souple, des diodes luminescentes. Peu à peu, le papier électronique va devenir une réalité concrète. Comme auteur, une telle évolution ne me fait pas peur. Pourquoi avoir peur, d'ailleurs, puisqu'il y aura plus de lecture et de sensualité. Aujourd'hui, on en est encore à la préhistoire, sans oublier que littérature contient déjà l'idée d'une telle évolution, contient déjà tous ces modèles, et je vous renvoie à Borgès. Que va-t-on faire de ces nouveaux outils ? Chacun essaie de trouver ses réponses, alors qu'on y est déjà. Voyez l'ouvrage de Philippe Vasset, avec ses surfaces images. Ce matin, Benoît Yvert estimait qu'il fallait trouver une rémunération légitime pour le travail Internet des auteurs. La formule est certes très belle, mais est inutile pour avancer. De quoi s'agit-il ? D'aller de l'avant. Or de fait, la logique de droit d'auteur ne peut pas totaliser la globalité de nos pratiques. Pierre Assouline s'insurge que Borges ne soit pas réédité en Pléiade et propose de l'éditer clandestinement. Pas besoin, donc, de rémunération légitime, alors qu'il s'agit encore de littérature.

Pierre Assouline
Imaginez que vos livres puissent être téléchargés au moment où ils paraissent en librairie. Considérez-vous qu'il s'agit d'un plus, d'un gadget ou d'une pratique qui mettrait directement votre travail en danger ?

François Bon
On évolue dans des zones de paradoxe. Vous avez évoqué le cas Taillandier, et l'on pourrait en dire autant de Camille Laurens, dont les chroniques étaient déjà disponibles dans L'Humanité. La mise en ligne n'a pas empêcher le livre graphique, bien au contraire. Il ne faut donc pas totaliser.

Pierre Assouline
Et pour vous ?

François Bon
Ce qui m'intéresse désormais, c'est Internet. Certes, je suis toujours content de trouver un éditeur qui rémunère mes livres graphiques. Entre temps, je peux faire de l'Internet gratuitement. Benoît Yvert en parlait très bien ce matin. Nous sommes dans une étape de mutation : gardons-nous de généraliser à partir de problèmes ultra-concrets.

Par contre, je suis beaucoup plus interpellé par le fait suivant. De mon temps, on devenait écrivain aussitôt la publication d'un premier livre. On lâchait son job, et on était sûr de trouver à travailler à France Culture, sans compter l'appui du CNL. Aujourd'hui, je ne connais pas d'auteurs de 30 et 40 ans qui lâchent leur boulot pour devenir auteurs à temps complet, comme le faisaient tous les auteurs de ma génération. Voilà qui a tué la poésie en France. Combien les poètes en ont souffert !

Pierre Assouline
Nous sommes dans une société en pleine mutation, où personne n'y voit très clair. Tout ce qu'on sait, c'est que ça bouge et que tout va être bouleversé. En attendant, nous sommes dans l'oeil du cyclone. Pour autant, n'êtes-vous pas tous frappé par le bouleversement provoqué dans la presse par Internet et la gratuité, ou celui qui a touché la musique ? En France, tout se passe comme s'il y avait une exception culturelle : le livre. Au nom de quoi ? Encore une fois, n'a-t-on pas tendance à sanctuariser le livre ? Il y a quinze ans, à la une du New York Times, Robert Dawton, l'historien des Lumières, affirmait que le seul moyen de sauver l'édition de sciences humaines consistait à cesser d'éditer sur papier la majorité des livres de cette discipline, et de les publier directement sur Internet. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit de livres qui s'adressent aux chercheur, à la recherche de mots-clés et d'hypertexte. Ne trouvez-vous pas le monde de l'édition légèrement sclérosé ? Ne s'agit-il pas d'un monde qui vit sur des modèles anciens ? Je suis professeur à Science Po. J'ai des élèves de dix-huit ans. Il y a encore trois ans, je parlais à des jeunes qui me regardaient en prenant des notes manuscrites. Désormais, je parle à des rabats d'ordinateurs... (Rires) Ils prennent des notes - et pourquoi pas - des notes sur leur clavier. Mais à chaque fois que je pose une question, tous googleïse le mot que je viens de prononcer. Ainsi, lorsque je pose une question précise, en demandant par exemple de quel pays Pétain était-il ambassadeur avant la guerre, il y a toujours un étudiant qui lève le doigt, après avoir été sur Wikipédia. Or cette génération arrive en librairie. Croyez-vous vraiment que ces jeunes, à qui, à l'entrée de Sciences Po, on distribue gratuitement Le Figaro, le Wall Street Journal et, le Financial Times, et qui ne le prennent pas parce qu'ils ont déjà lu dans 20 Minutes dans le métro et plusieurs journaux en ligne chez eux, croyez-vous donc, disais-je, que ces jeunes liront encore des livres sous forme papier ?

Bruno Caillet
L'évolution est certaine. Par contre, on ne sait pas le temps qu'elle prendra pour se concrétiser. Mais il est certain que les générations qui sont nées avec Internet auront un comportement différent. Peut-on dire que l'édition est tétanisée ? D'après moi, l'édition et la librairie cherchent des modèles. Une des principales difficultés pour investir dans ce domaine est que les modèles n'existent toujours pas.

Pierre Assouline
Encore faudrait-il les inventer...

Bruno Caillet
C'est ce qu'on s'efforce de faire. Mais les problèmes juridiques sont considérables. Il est très important de bâtir des fondations numériques. Mais on ne saurait numériser un fonds sans être certain que, du point de vue contractuel, on est en phase avec les auteurs. C'est un point essentiel qui doit être réglé. Quant au travail qui concernera les éditeurs et les libraires en termes de diffusion, il n'est pas réglé. Va-t-on vers des modèles proches de la musique, de la video avec une partie gratuite importante ou des abonnements pas très chers ? La littérature va-t-elle être financée par la publicité ? Voilà qui pose question... Est-on d'accord pour la gratuité et la publicité ? Et en termes de diffusion, quel prix fixer ? Accepte-t-on un écart par rapport au prix « papier » ? Met-on en avant le prix unique ? Quand le livre passe en poche, le prix du livre doit-il baisser ? Les réflexions ont débuté, mais force est de reconnaître que tout n'est pas encore très clair.

Jean-Marie Sevestre
Plusieurs remarques. Vous venez de parler des étudiants de Sciences Po. Je préside le jury de la bourse Lagardère depuis deux ans. Cette année, pour la première fois, tous les jeunes libraires ont présenté leur projet de librairie sur ordinateur. On a donc affaire à une nouvelle génération de libraires, qui devrait faire évoluer les choses.

Cela étant dit, nous sommes plusieurs libraires à nous communiquer nos ventes via internet. Que constate-t-on ? J'ai en tête les ventes de la semaine dernière : 74 500 titres vendus dans la semaine, sur cent libraires, de très bonne qualité pour la plupart. C'est la preuve qu'on trouve chez nous une profusion de choses intéressantes. Ce n'est pas simplement des piles, mais aussi des livres à l'unité qu'on va chercher dans nos rayons. J'ai beaucoup plus d'interrogations que de réponses, et je sais que ce n'est pas ma génération qui résoudra les problèmes. Mais je suis serein, car un libraire n'est pas un simple tuyau. Christian Thorel le rappelait justement ce matin : nous sommes là pour accompagner un certain nombre de livres et d'auteurs. Notre métier ne consiste pas à distribuer un fichier numérique, comme on tiendrait une pompe à essence. Nous sommes en train de réfléchir à un portail de la librairie avec le syndicat depuis un an et demi, de manière à mettre en forme la librairie de demain, étant entendu que 98 % des libraires sont persuadés qu'il ne s'agira que d'un accompagnement, qui ne remettra pas en cause notre métier de base.

Pierre Assouline
A propos de la prescription du libraire, une parenthèse. Ce matin, je cherchais un renseignement sur un anthropologue qui vient de publier un livre chez Fayard. En tapant son nom sur Google, j'ai été orienté vers le site de la Fnac, qui vend son livre avec un résumé, où l'on peut lire la réaction d'un internaute, que j'ai lue. Elle est bien sûr anonyme, et c'est une véritable diffamation, d'une violence inouïe. Si cette note était publiée dans un journal, son auteur aurait un procès le soir même et le perdrait. Autre parenthèse, à l'adresse de Bruno Caillet. Je ne suis pas pessimiste, mais j'ai l'impression qu'on ne voit pas à quel point le livre objet qui nous est si cher à tous est menacé en tant qu'objet - pas en tant que contenu. Chaque fois que je critique Google ou Wikipédia sur mon blog, je déclenche des foudres de commentaires. Près de 95 % des internautes sont hostiles à ma critique et défendent Google. En nous écoutant dire ce que nous avons dit sur cette société en débutant notre débat, la communauté de la blogosphère nous couvrirait d'injures, ne manquant pas de nous traiter de franchouillards et de rétrogrades. Nous sommes ici entre nous : il faut bien en prendre conscience.

François Bon
La richesse du Web 2 ne se limite pas aux commentaires des blogeurs. Mais je souhaite revenir aux étudiants de Sciences Po. Car je ne supporte plus qu'on parle de ces sujets sans poser la question des contenus. Qui se retrousse les manches pour les réaliser ? Wikipédia n'est pas un ennemi. Consultez la page de Camille Laurens sur Wikipédia, et vous vous apercevrez que tout y est régulé. Le Web 2 au travail est fascinant : on est là face à des processus embryonnaires en cours, en création, où l'autovalidation et l'autorégulation interviennent. La grande masse des contributeurs de Wikipédia, ce sont des lecteurs très honnêtes. Personne n'a encore évoqué ce qui se fabrique du côté de l'Internet littéraire. Il y a pourtant là une communauté de blogs qui n'a rien de commun avec un million de singes à leur clavier, pour reprendre ce livre d'un Américain que Pierre Assouline nous a fait découvrir en juillet dernier. Il suffit de travailler sur Artaud dans la revue en ligne remue.net pour passer largement avant Wikipédia dans la référence. Par contre, si j'effectue un travail sur Michaud, je suis sûr d'avoir dans les 48 heures un mot de Gallimard qui me demandera de retirer ma citation si elle dépasse quinze lignes. Nous-mêmes, nous sommes complètement handicapés pour défendre nos propres contenus. Mais surtout, comment critiquer ces processus, si nous n'allons pas nous-mêmes au charbon ? Prenez l'exemple de l'université. Un travail formidable se réalise en science, sociologie, ou en psychanalyse. En matière littéraire, non. Pourquoi ? Parce qu'on tient à ses actes et à ses points dans la carrière. On comprend mieux pourquoi les littéraires sont en train de se tuer dans la communauté internationale. En matière de critique et de littérature contemporaine, tout se passe au Canada. La France a perdu la bataille en un rien de temps. Pourtant, qu'est-ce qu'on les aime nos copains ! Des journalistes n'arrêtent pas de taper sur Internet, qu'ils considèrent comme un bouc émissaire. La toile cirée, disent-ils ! Alors qu'il s'agit d'un processus. Autrefois, on attendait d'être publié dans Le Monde des Livres. Terminé ! De fait, le blog Assouline est sans doute beaucoup plus prescripteur pour les bibliothèques que la totalité du Monde des Livres. Et pourtant, Assouline n'est pas critique dans son blog. Témoigner au quotidien d'une pièce de théâtre, d'un problème de traduction, voilà qui nous plonge dans une autre galaxie, qui est en train de s'autoréguler, via des photos, du son. Quelque chose se structure pour lequel nous sommes en attente et en constitution de processus d'auto-régulation, bref, d'un travail éditorial.

Pierre Assouline
Personne ici je crois, ne prend Internet ou Google comme bouc émissaire. De fait, nous l'utilisons tous, et nous sommes tous des croyants et des pratiquants de Google. Une preuve ? A l'heure où je parle, France Culture diffuse une émission qui nous intéresse tous, relative aux ayants droit et à de grands procès célèbres, et que nous pourrons tous écouter ce soir en Podcast. Nous sommes donc tous des utilisateurs
d'Internet. Cela étant dit, je suis particulièrement frappé par ce mot d'Umberto Ecco ou d'Alberto Manguel qui, il y a quelques années, soulignait un phénomène, qui peut paraître commun, mais auquel on n'avait pas encore réfléchi. Depuis quelques siècles que le livre existe en tant que livre, disait-il, il faut toujours autant de temps pour lire un livre. L'homme moderne du 21ème siècle, comme celui du 19ème siècle, met autant de temps pour passer de la page 1 à la page 200 d'un livre. Le monde a changé, tout a changé, mais l'objet livre - l'objet le plus interactif qu'on puisse imaginer - n'a pas changé, dans la mesure où il nous sollicite de la même manière. Or aujourd'hui, il faut le reconnaître, tout est en train de changer. C'est sans doute pourquoi il faudra songer un jour à adapter la lecture et l'édition - et peut-être même l'écriture - à la mobilité du lecteur. Ce dernier est devenu un nomade. Il lit toujours, mais il bouge. Il lit dans le métro, mais pas seulement. Il lit n'importe où sur un écran petit ou grand. Au Japon, vous le savez, un roman diffusé sur des téléphones portables a été lu par 9 millions de personnes. Une fois le livre édité, il s'est vendu à trois millions d'exemplaires. Un tel phénomène ne vous fait-il pas réfléchir ?

Jean-Marie Sevestre
Pourquoi pas, dès lors qu'il y a publication d'un livre. A l'occasion de la préparation du rapport sur le Livre 2010, j'ai participé à une table ronde particulièrement intéressante avec des universitaires. Un président d'une université lyonnaise nous a indiqué que son établissement avait abandonné le livre depuis cinq ou six ans, puis l'avait à nouveau rendu obligatoire pour la dernière rentrée universitaire. Il avait pu se rendre compte à quel point les étudiants qui ne lisaient plus de livres ne réfléchissaient plus de la même manière. C'est bien la preuve de l'importance de l'objet livre.

Pierre Assouline
Rendre le livre obligatoire ?... J'ai du mal à l'entendre.

Jean-Marie Sevestre
A Montpellier, nous menons une expérience avec les universités scientifiques, qui rendent obligatoires la lecture de livres à caractère littéraire, pour donner une base culturelle solide aux étudiants. Il faut aller dans ce sens. Nous n'allons pas nous laisser faire comme ça ! Le livre a toujours sa place, de même qu'il est important de lire un livre en entier, et pas seulement des extraits. Du reste, cette pratique valait encore il y a dix ans. Et de fait, tous les étudiants lisent les livres ; les auteurs viennent les rencontrer, et personne ne le regrette. Les scientifiques ont besoin d'une solide culture. Il ne s'agit pas d'être contre Internet ou Google, loin de moi cette idée. Encore faut-il bien mettre en lumière leur utilité. Je n'ai rien contre Wikipédia, et je me félicite même d'y avoir découvert la semaine dernière une notice sur l'histoire de la librairie Sauramps. Encore contenait-elle de nombreuses erreurs, dues à de nombreux copié-collé. Il a fallu rectifier, preuve que l'interactivité joue à plein. Nous n'avons pas beaucoup parlé ce matin du rôle de l'éditeur par rapport à l'auteur, mais il existe bel et bien, sauf à penser qu'on est tous des écrivains.

Pierre Assouline
Pourquoi le rôle de l'éditeur se limiterait-il à l'édition papier ? Pourquoi n'aurait-il pas un rôle à jouer en matière d'Internet ?

Bruno Caillet
Il est probable que les nouveaux supports s'accompagnent d'un changement dans le livre objet. L'aspect pratique de ce ces supports est de pouvoir y mélanger différents contenus - de la vidéo ou de la musique. L'évolution du livre vers d'autres formes est une évolution possible.

Pierre Assouline
Pour Harry Potter comme pour Modiano ?

Bruno Caillet
Pour tout auteur pour lequel il y a un enrichissement possible grâce au son et aux images - au multimédia. Le livre peut évoluer de cette manière, grâce au support. Sans doute une part de la vente de livres évoluera-t-elle. Mais que deviendra le livre avec ces nouveaux supports ? Force est de reconnaître qu'on n'y a pas encore beaucoup réfléchi. Sans doute les éditeurs auront un rôle à jouer dans un tel contexte. Qu'il s'agisse de la littérature ou des sciences humaines, un intermédiaire entre les auteurs et les libraires restera indispensable. Le libraire continuera à jouer son rôle de recommandation. Quant à l'éditeur, il conservera son rôle d'organisateur. Virtuellement, Internet est infini. Encore faudra-t-il organiser et rassembler les contenus, et permettre une communication. A défaut, qui pourra dire qu'il faut lire telle ou telle chose ? Comment la diffusion sera-t-elle organisée ?

Pierre Assouline
Savez-vous qu'Elfriede Jelinek, qui est un auteur tout à fait littéraire, est fan d'Internet ? Elle fait partie de la communauté pratiquante, a un site réalisé par des gens qui l'admire, où elle écrit tous les jours son prochain roman. Les internautes la lisent en direct. Je pensais pour ma part qu'elle en publierait un livre, mais elle n'en est même pas sûre. Au début, elle le pensait, mais maintenant elle ne juge plus la publication du livre indispensable. C'est un bel exemple d'évolution.

Bruno Caillet
J'ai pour ma part en tête Stephen King qui a commencé par s'éditer tout seul, et qui est revenu en arrière.

François Bon
Ce matin, j'ai été agacé par cette réflexion de Jean-Pierre Siméon, qui soulignait que la poésie se faisait en marchant. On sait tous que Baudelaire refusait d'avoir une table chez lui. Mais aujourd'hui, on dispose de la wi-fi. Quel bonheur de pouvoir emporter son portable dans une terrasse de bistrot et de pouvoir se connecter ! Longtemps, j'ai écrit sur un calepin. Mais aujourd'hui, mon bloc note, c'est mon ordinateur, les outils devenant de plus en plus souples. Certains estiment qu'un ordinateur nous prive de l'approche sensitive. Mais une page internet, c'est le temps réel. Elle nous permet d'intervenir en temps réel, et de devenir une espèce d'instance de médiation, nous évitant de passer par un discours sur. C'est une médiation qui me passionne. Si on prend au sérieux ce qu'on écrit sur Internet - et nous sommes plusieurs à considérer qu'il s'agit d'un travail comme un autre - on se rend l'écran est aussi sensitif que le livre. Quels poncifs peut-on entendre sur la lecture sur écrans ! Mais pour les seize et vingt ans qui lisent le Monde tous les jours sur un écran, l'interrogation sur ce mode de lecture se volatilise. On ne réinventerait pas la poudre, d'après certains. Mais prenez La Pléiade Kafka, que je trouve scandaleuses. Voilà une édition qui regroupe les romans, puis les nouvelles, puis les lettres, à contre-courant de l'édition de Claude David et des éditions allemandes et américaines, chronologiques. Kafka, on le sait, écrivait des lettres, son journal. Qu'est-ce qu'Internet ? C'est l'édition qui fabrique le livre et le sort de ce contexte. Grâce à cette facilité technique, l'atelier au jour au jour se concrétise. Kafka ? Pensez à ses carnets, ses petits dessins gribouillés. C'est par définition une oeuvre Internet. Autre exemple, Beckett. Je me suis opposé à un ami, Christian Paul, le responsable du PS sur les questions de licence globale. Si on veut que la culture soit démocratique, on doit pouvoir télécharger Beckett disait-il. Où va-t-on ? Mais j'en reviens à Beckett, qui a écrit plus de 3 000 lettres en cinq langues. Il n'y a donc pas d'un côté le livre, et de l'autre, le désert, mais une masse écrite, un matériau que ceux qui font de l'Internet et de la littérature mettent en ligne en continu. Nous savons tous que le problème se pose en termes d'articulation. Si on prend au sérieux Internet et que le livre ait une articulation obligatoire dans cette affaire, on peut arriver à vendre des livres. Pourquoi les outils que nous donnent Amazon sont-ils mille fois plus performants que les autres ?

Pierre Assouline
Pour Kafka, je ne vois pas où est le scandale...

Bruno Caillet
C'est la preuve qu'il y a eu un choix éditorial,... toujours critiquable certes ! Prenons les correspondances ? Comment faire le tri ? Personne n'a envie de lire 3 000 lettres, sauf un spécialiste de l'auteur. L'éditeur, lui, préfèrera par exemple, choisir une centaine de lettres et effectuer un vrai travail éditorial.

Pierre Assouline
Si l'on souhaite chercher une occurrence dans les lettres de Kafka, on la trouvera immédiatement si celles-ci sont en ligne.

Bruno Caillet
Auront-elles pour autant toutes le même intérêt ?

Alain Pierrot, consultant
Il me paraît indispensable d'évoquer les notions d'éditorial caché des moteurs de recherche et de ranking. Choisissez un mot qui revient fréquemment dans les lettres de Kafka. Si les moteurs de recherche les placent dans des stockwords, le mot est introuvable, sans parler des pratiques des Google et autres, lorsqu'ils se mettent à faire du multinlingue. La vision globale d'Internet devient terrorisante, à la Borgès, parce qu'elle s'effondre. On cumule des résultats, mais on oublie de les trier et de les présenter. Lire 3 000 lettres, que je sache, et identifier les n occurrences qu'on y cherche, prend du temps. Un chercheur peut y consacrer son temps. A défaut, on acceptera les paramètres par défaut d'un moteur de recherche. Or, le principal reproche que je ferai à Google, par ailleurs un extraordinaire outil, c'est de nous cacher les hiérarchies. Lorsque je vais chez Sauramps, les livres sont classés ; je peux trouver des conseils et comprendre comment c'est fait. Par contre, sur Amazon, on perd la notion d'édition ou d'éditeur, sans compter que c'est un moteur de recherche beaucoup moins bon qu'un libraire de ville pour un livre de loisir qu'on souhaite offrir à un ami.

Pierre Assouline
Vous plaidez - et vous avez raison - pour un usage critique d'Internet et des moteurs de recherche. Seul problème : une majorité des utilisateurs d'Internet et des moteurs de recherche ont un usage non critique de cette technologie. Ils acceptent tout en vrac et prennent ce qu'on leur donne.

Alain Pierrot
Nous sommes tous les deux enseignants et nous connaissons les blogs consacrés à la web litteracy. On sait qu'il est urgent d'apprendre aux gens que les moteurs de recherche qui paraissent universalistes sont en fait les futurs éditeurs de notre accès au savoir et à la culture.

Pierre Assouline
Raison de plus pour les critiquer en permanence. Une anecdote. Ce week-end, j'étais dans une toute petite ville, à Mouans-Sarthou, à coté de Mougins, qui organisait son festival du livre. Je peux vous assurer que des dizaines de milliers de gens ont acheté des dizaines de milliers de livres pendant trois jours. Les gens sont venus de toute la région, de Nice, de Cannes, de partout, alors qu'il y avait du rugby toute la journée à la télévision. Les gens étaient heureux d'être là et ne voulaient plus nous lâcher. La plupart des auteurs étaient tous ravis, et n'avaient pas vu depuis longtemps une telle frénésie de dialogue et de débat. On n'a pas vu un seul ordinateur.

Autre anecdote. J'ai fait l'expérience d'une lecture sur écran. Il y a sept ans, lors de la lancée de Cytale, Microsoft a voulu prendre le train avant qu'il démarre, en lançant le premier prix du roman en ligne. Ça se passait à la foire de Francfort, où je faisais partie du jury. On m'a offert cette machine pour deux mois - on me l'a reprise ensuite - avec une disquette contenant cinq romans, dont un de Beigbeder et les Particules élémentaires de Houellebecq. Il fallait lire les cinq romans sur écran. Pour moi, c'était pratique. Je m'ennuyais ferme dans les réunions auxquelles j'assistais à l'époque. Je sortais cette petite boite, et j'ai pu lire tout le livre de Beigbeder, puis celui de Houllebecq, qui a gagné le prix. Je les ai lus en faisant défiler les pages sur cette machine pas extraordinaire. Mais je ne suis pas devenu accro. C'était un gadget amusant, très utile pour y enregistrer l'Encyclopedia universalis et la Britannica. Lire un roman? Non, ce n'est pas agréable, ni intéressant. Ça ne vaut pas le coup.

Alain Pierrot
J'ai été pour ma part membre de ce jury l'année d'après, où il y avait uniquement un roman de François Taillandier. L'expérience du support était mauvaise. Mais on oublie trop souvent les premiers essais de lecture électronique faits par Voyager compagny avec l'expanded book. Bob Stein et son équipe avait mis au point un outil qui permettait une expérience d'écriture d'un nouveau genre.

Pierre Assouline
Une écriture va-t-elle naître de l'adaptation à la nomadisation et à la lecture sur écran ? Celle-ci a modifié l'écriture de certains romans,notamment ceux de Mary Higgins Clark. Je le tiens d'ellemême. Elle ne commence plus ses romans de la même manière depuis dix ans, mais installe l'action d'entrée de jeu. Elle ne peut plus se permettre, m'a-t-elle dit, de procéder comme dans un film d'Hitchcock, où il ne se passe rien pendant la première heure, pour valoriser l'intensité de la seconde. Elle a construit ses romans pendant vingt ans, et a cessé le jour où elle a découvert que la télécommande de la télévision avait généré dans l'ensemble de la population une nouvelle tendance : l'impatience. Les gens n'ont plus la patience d'attendre qu'il se passe quelque chose. Voilà pourquoi on trouvera un meurtre dès le début de ses romans, comme dans un film de Scorcese. L'écriture de ces livres a été modifiée par la télécommande de la télévision.

Jean-Marie Sevestre
On ne trouvera pas beaucoup d'action au début de l'actuel best-seller de Gallimard...

Pierre Assouline
L'Élégance du hérisson ? Il y en a un tous les deux ou trois ans. Ça fait partie du mystère.

François Bon
Je pensais à Daniil Harms en vous écoutant, cet écrivain qui en 1935 se voit privé de tous ses droits civiques, est interné par le stalinisme et qui meurt en 1942, en même temps Ossip Mendelstam. Comme Char dans la Résistance, tous les écrits de Harms tiennent en dix ou quinze lignes. Il a été traduit dans toutes les langues, mais n'a pas été édité en Russie avant les années 1970. Et pourtant, tous les Russes avaient mémorisé par coeur ses écrits. C'est la preuve que sans livres, la littérature peut accomplir sa fonction. Vous parlez du roman, dont on subit toujours le diktat. L'histoire de la télécommande ? Elle me fait penser à Julien Gracq - 95 ans - qui en a deux, pour regarder des DVD d'histoire et d'opéra, et qui n'est pas impatient pour autant. Les descriptions de Mary Higgins Clark ? Breton disait de Balzac qu'il nous envoyait ses cartes postales. Je suis pour ma part très content de pratiquer la description sur mon blog et d'y intercaler des photographies de mes déplacements en train. Le roman ? C'est un âge de la littérature. Voilà longtemps que le roman n'est plus au centre de nos recherches. Il y a longtemps que le travail de Simon, Gracq, Sarraute est plus intéressant et qu'il nous offre des espaces neufs. Lorsqu'on entre chez Sauramps, il y a les romans de rentrée en colonnes verticales. Ça ne m'intéresse pas ! Que le roman crève, je ne pleurerai pas dessus.

Pierre Assouline
Je ne vous suis pas sur la mort du roman. Mais ce n'est pas le sujet. D'après vous, l'édition numérique des livres, la lecture en ligne modifie-t-elle les pratiques d'écriture ?

François Bon
Oui, c'est une écriture neuve qui cherche son vocabulaire, et qui trouvera ses formes. Pour l'heure, c'est vrai qu'elle ne nous fait pas gagner une thune. Mais ça m'intéresse beaucoup plus, et je sais que je suis en prise avec ce que je conçois de l'intervention d'un auteur dans la société. Il y a vingt ans, le système était régulé. On voulait qu'un coup de gueule sorte, on l'envoyait à Maurice Nadeau, et il paraissait dans La Quinzaine Littéraire. Mes coups de gueule, je les mets désormais en ligne, sur mon site. Le symbole, c'est ce qui s'est passé le 13 août au matin, quand Assouline consacre son blog à l'affaire Lagrasse.

Bruno Caillet
S'agissant du roman, le support va-t-il modifier la manière d'écrire ?

Pierre Assouline
L'écriture journalistique sur papier n'est pas la même que celle en ligne. Car en ligne, le lecteur bénéficie de l'hypertexte, rendant l'article beaucoup plus dense que sur le papier. Peut-on imaginer qu'une personne qui écrirait un roman en le destinant au téléchargement se mettrait à écrire de manière différente ?

François Bon
Je renvoie la question à Pierre Assouline. Comment se fait-il que son blog présente toujours le même bandeau avec la même tasse de café qui doit être maintenant bien froide, sans parler la grosse pub qui clignote ? Comment écrire des choses si importantes en ne prenant pas en charge la maquette ? (Rires) Pour moi, l'écriture sur Internet est indissociable du travail sur la maquette du site.

Marie-François Cachin
Pourquoi ne pas prendre l'exemple du roman de Danielewski, La Maison des feuilles, d'abord écrit sur le net et qui modifie son roman grâce à son lectorat ?

Pierre Assouline
Bel exemple, en effet. Son livre est d'abord un laboratoire. C'est de l'écriture retravaillée. Lorsqu'on le lit sur papier, on comprend bien que son approche a été influencée par l'écriture numérique. Quant à maquette et au café, ce n'est vraiment pas le problème...

Philippe Boisnard
Ce que dit François Bon est essentiel. De quoi s'agit-il ? De la spécificité de quelque chose qui se génère en relation avec le numérique. Pour ma part, je ne mettrai pas en avant Danielewki, mais McKenzie et sa théorie du Hackert. Je vous renvoie aussi à la Feuille, un site qui présente les innovations technologiques du web littéraire. La notion de wiget me paraît importante. Au lieu d'avoir des notes en bas de page, il permet de disposer des commentaires à côté du texte. C'est la preuve que la compétence technique est essentielle dans la production. François Bon a raison de poser la problème de la mise en page d'un blog complètement formaté, celui du Monde. Je vous renvoie aussi à des expériences très intéressantes reproduites dans Revue.net, où l'on réfléchit à des productions spécifiquement liées au web.

Pierre Assouline
Je ne m'occupe pas de la maquette de mon site, parce que je ne suis pas compétent et que je m'en remets à mon hébergeur, Lemonde.fr. Leur travail, c'est vrai, est assez académique, et parfois en décalage avec le contenu. Ça ne me dérange pas trop, parce que j'y attache moins d'importance que vous. Je vais sur d'autres sites, comme celui de Véronis, que je trouve beaucoup mieux fait. Mais j'espère que les choses vont évoluer dans le sens que vous indiquez. C'est vrai que Lemonde.fr est assez conservateur.

Alain Pierrot
Sur ces questions, on est victime d'un discours des technologies du numérique, qui essaie de nous faire croire que n'importe quel texte pourra être reformaté dans n'importe quel format sur le web. Or ça n'est pas vrai. Un choix de maquette informe ce qu'on peut créer dessus. C'est un point assez embêtant. Dans tous le discours web.2 actuel, on prétend que tous les textes peuvent être reformatés - redocumentarisés, dirait Jean-Michel Salin - de n'importe quelle manière. Ça n'est pas vrai pour tous les textes : le format induit des modes d'écriture de manière considérable. Effectivement, le roman classique peut être transposé en poche. D'autres textes exigent des situations de lecture.

Pierre Assouline
Dans Télérama de cette semaine, une enquête montre que les jeunes se passeraient volontiers de la télévision ou de la radio, pas d'Internet.

Alain Absire
Tout cela est passionnant, mais je voudrais revenir au coeur de notre débat. Bruno Caillet a bien expliqué le rôle d'assembleur, d'organisateur et de reformateur des éditeurs. Est-ce que des dispositions sont prises dans le monde de l'édition pour s'orienter vers ce nouvel exercice ? Voilà qui est important pour nous, les auteurs. A défaut, pourquoi faire appel à un éditeur ? C'est une vraie question. La référence à l'éditeur est indispensable, car tout n'est pas oeuvre. Bref, que va-t-il se passer ? d'un côté quelque chose de l'ordre la poupée gonflable, de l'autre quelque chose de l'ordre d'une vraie chair humaine.

François Bon
Le livre en chair humaine... (Rires)

L'intervenant
Dieu sait si j'aime le livre, mais comme beaucoup, je sais que je livre un combat d'arrière garde. Mais après tout, le livre est une invention récente dans l'histoire de l'humanité. La diffusion du livre à grande échelle l'est encore plus. Que le roman crève, avez-vous dit. D'autre le diront de nous dans quelques centaines d'années et peut-être avant. Peut-être voudront-ils aussi que le livre crève.

François Bon
Je retire la formule...

Un intervenant
Je suis professeur et universitaire. Pierre Assouline, vous faites cours à des rabats d'ordinateur à Sciences Po, rue saint Guillaume. A Paris 8, à Saint-Denis, rue de la liberté, j'en suis encore à faire cours à des papiers et des crayons. Il faut être très vigilant et éviter de développer une grosse fracture, de même qu'il est de notre responsabilité à tous d'alimenter le net en contenus valables pour que nos étudiants ne disent pas de bêtises et s'arrêtent aux trois premiers liens de Google. Autre réflexion, de professeur et de chercheur. Messieurs les éditeurs, grouillez-vous : j'en ai marre de partir l'été avec trois caisses de bouquins dans mon coffre, alors que j'ai déjà dans mon ordinateur suffisamment de place pour mettre ce que je veux comme musique. J'en ai marre de remplir mon coffre de livre ! Faites quelque chose !

Pierre Assouline
Vous leur demandez de mettre en ligne surtout les livres qui vous sont utiles...

François Bon
Pour ma part, je serai prêt à payer pour avoir Michaud dans mon ordinateur, ou pour un Gracq numérique.

Pierre Assouline
Je vous le laisse... Je préfère les avoir en livre... Si c'est pour le lire, sans un crayon à la main ou le désir d'en faire un compte rendu,j'aime autant le lire dans un livre.

François Bon
Il faut les deux. Je les ai déjà sous cette forme. Comment se sert-on d'une bibliothèque numérique ? Que cherche-t-on ? Cet été, j'étais très content d'avoir mon Proust, mon Montaigne, parce que j'ai eu à m'en servir. Qu'est-ce que je serai heureux de disposer d'un Michaud numérique pour lire par exemple le mot froid ou bras.

Pierre Assouline
C'est de la recherche.

François Bon
C'est mon rapport de lecteur.

Pierre Assouline
C'est votre métier. Lorsqu'on veut lire Michaud uniquement pour le lire, ce qui est le cas de la majorité des gens qui le lisent, on achète le livre, ou c'est la fin des haricots.

Bruno Caillet
Tout dépend si les ouvrages sont dans le domaine public ou pas. On doit trouver sans trop de difficulté un Baudelaire numérique. Mais on en revient à un problème de droit, et tout se complique pour les auteurs qui ne sont pas dans le domaine public.

Une intervenante
On a parlé de l'objet livre. Le livre survivra en tant qu'objet, c'est une évidence. Chaque livre objet est le reflet d'une époque, d'un public. Que va-t-il se passer lorsqu'on aura tout sur ordinateur ? Tous les livres seront en ligne, mais il n'y aura plus de Pléiade. Il y aura une perte par rapport à l'objet. Qu'en pensent les éditeurs et comment envisagent-ils l'avenir ? On va droit vers une normalisation terrifiante.

Bruno Caillet
On ne sait pas comment le marché du numérique se développera. Ma conviction - mais je ne lis pas dans le marc de café -, c'est que le livre en tant qu'objet restera.

Alain Pierrot
Lorsque Google s'est lancé dans Google Hearth, on a pu se rendre compte que leur démarche reposait sur une vision d'une naïveté effarante. Pour Google, un livre est un titre, et ils ont dû déchanter lorsqu'ils se sont aperçus que lorsqu'ils numérisaient les livres, ils disposaient parfois de la même édition du même ouvrage. Lequel garder, alors. De fait, Google n'a aucune culture de bibliothéconomie, et ne sait pas distinguer l'oeuvre abstraite d'une représentation de l'oeuvre. L'IFLA a effectué un travail merveilleux sur ce sujet.

Pierre Assouline
Mesdames, messieurs, merci à tous.

 

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