Table ronde modérée par Daniel Garcia, journaliste (Livres Hebdo)
avec : Philippe Boisnard (écrivain, philosophe), Dominique Lahary (directeur de la Bibliothèque départementale du Val d'Oise), Jean-Pierre Siméon (poète, dramaturge, directeur artistique du Printemps des poètes), Christian Thorel (directeur de la librairie Ombres Blanches à Toulouse), Isabelle Wekstein (avocat, spécialiste de la Propriété intellectuelle).
Daniel Garcia
La révolution numérique, avec cette émergence d'une civilisation de l'écran, met en question la pérennité du livre en tant que support de diffusion de l'oeuvre de création par l'écrit. Mais les mutations technologiques influencent aussi le travail des créateurs. Nous aborderons donc cette évolution de la création, qui rejoint celle des métiers et aussi du droit d'auteur. Il conviendra de ne pas perdre de vue le fait qu'une oeuvre de création doit être considérée certes pour sa valeur économique et juridique, mais aussi artistique, intellectuelle ou politique.
Je voudrais commencer cette table ronde en abordant les événements de l'été dans l'Aude, où la librairie éphémère dirigée par Christian Thorel a été victime du saccage d'environ dix mille livres. Cet autodafé m'incite à penser que le livre, tenu pour quantité négligeable dans un contexte où l'écrit se trouve de moins en moins valorisé par les médias, représente malgré tout encore quelque chose...
Christian Thorel
Pour ce 11ème Banquet du livre, nous avions mis en place 5000 titres, soit 12000 volumes dont près de la moitié ont été perdus à cause de cet attentat au mazout et à l'huile de vidange. L'opération a mis la librairie sous les feux des médias, mais j'aurais préféré que l'aspect pacifique de ce travail de librairie éphémère fasse l'objet de la même attention. Certes le monde du livre n'est pas pacifique en permanence, il y a parfois la violence des mots ou du droit, peut-être parce que tous les acteurs de la chaîne de Livre sont en relation d'interdépendance. La violence physique qui s'est déployée ici souligne une réalité incontournable : la force de l'édition, la force du livre résident dans leur existence physique, qui se confronte au réel et au social. N'oublions pas que notre profession comprend aussi une vocation sociale voire politique.
Philippe Boisnard
Je crois que la difficulté provient d'abord d'une confusion. Confusion d'être, plutôt que de genre. Une oeuvre littéraire numérique se donne selon un médium très différent du livre. La différence est ontologique. Le livre est d'abord un être matériel, alors que le code numérique n'est pas ce à quoi on accède, on accède à sa traduction qui est constituée par une médiation technologique. Cette médiation peut transformer le code aussi bien en image animée, en son, qu'en texte. Lorsque je lis, la feuille me renvoie directement ce que je dois lire. Il faut se mettre d'accord sur ce dont on parle : par exemple mon premier roman, Pan Cake, publié l'année dernière, aura un autre parcours et un autre rapport de lecture qu'une oeuvre créée pour le Net comme [petites-annonces] (http://www.petites-annonces.com). L'un et l'autre ressortent d'approches sensitives différentes. Sensitive et, de là, sensuelle, car il est faux de penser que les poésies numériques ou interactivs n'ont pas de sensualité. La littérature informatique, parce qu'elle est issue d'une programmation, est différente de la littérature qui se constitue dans le cadre de la page. (Ce qui impliquerait de réfléchir sur la question des droits, au sens où ces deux types de médium n'impliquent pas les mêmes rapports à l'oeuvre). Lorsqu'on lit un livre, il y a un réel rapport tactile, avec une approche rétinienne différente de celle de l'écran. Il y a aussi un rapport scriptural, avec les éventuelles annotations sur les pages. Face à une vidéopoésie nous sommes dans une relation différente au texte.
Pour éviter toute confusion, il est donc essentiel de distinguer ces deux formes d'êtres.
Mais on peut aussi déplacer la question : en quel sens des textes traditionnellement liés au livre, trouveront une place plus pertinente sur le web. Et ainsi, en quel sens le web par la modalité technique qui est la sienne, peut-il ouvrir certaines possibilités à ces textes qui n'étaient pas réalisables avec seulement le livre. Par exemple, si nous considérons, les textes de chercheurs, parfois assez rébarbatifs, avec une bibliographie très importante, on peut remarquer qu'ils trouvent de plus en plus leur place sur le Net, où il est facile d'y travailler. Cela implique consécutivement aussi une transformation de l'écriture de recherche, fondée sur le lien, et des registres de référence multimodaux (vidéos, sons, textes). Mais la pertinence du vecteur informatique pour la recherche n'efface pas pour autant celle du support papier.
En bref, Il faut se poser la question du rapport que nous avons à la matière et ce qui doit être exprimé et la manière dont on veut l'exprimer. Certaines oeuvres sur papier, si elles sont bien évidemment numérisables, acquièrent cependant leur spécificité dans le cadre du livre relié. Inversement, il est certain qu'une oeuvre littéraire numérique n'est pas transposable sur papier. Je crois que lutter pour le livre papier, c'est corrélativement lutter pour la reconnaissance de la littérature numérique et de ses formes. Il y a eu confusion, du fait du transfert pour une part des revues ou des écrits sur le web, entre ce qui correspond précisément au format numérique, et ce qui ressort d'une simple volonté économique, aussi bien financière (économie des coûts de production e de diffusion), qu'égotique (plus grande facilité de se montrer).
Il existe d'ores et déjà une nouvelle catégorie d'oeuvres spécifiquement numériques, aux contours encore difficiles à cerner tant leurs théoriciens sont peu médiatisés. On trouve depuis longtemps sur le réseau des îlots de réflexion en matière de poésie et de littérature, tandis que les premières oeuvres génératives datent déjà des années quatre-vingt. Je remercie d'ailleurs une fois encore la SGDL pour la création il y a quelques années d'un prix numérique, qui met en lumière des oeuvres qui ne peuvent s'apprécier que sur le Web. L'usage de l'outil technologique participe de leur qualité spécifique. Ainsi, grâce aux progrès des gros calculateurs, nous en sommes aujourd'hui à la génération d'oeuvres en temps réel, où le lecteur peut jouer un rôle participatif. Ces oeuvres d'ailleurs ne sont pas liées seulement au web, mais peuvent être développées en installations ou en performances.
Mais cet univers n'est pas appelé à s'éloigner radicalement de l'univers de l'écrit. La revue Doc(K)s publie des textes de poésie classique, mais promeut aussi des oeuvres multimédia, notamment de la poésie cinétique, de la vidéopoésie ou de la poésie générée. Il faut le souligner : les médiums ne s'excluent pas, ils se complètent comme l'exprime parfaitement depuis 1996 Philippe Castellin.
De la même façon, il me semble erroné de prôner la rupture générationnelle en matière de création. Nous devons défendre la variété de nos sensibilités et de nos moyens d'expression, ce qui suppose que chacun puisse user de formes de langage spécifiques.
Daniel Garcia
Sachant l'impact, en matière de création, des logiciels de traitement de texte apparus il y a vingt ans, on peut se demander quel sera l'effet de la révolution numérique sur le contenu des oeuvres.
Jean-Pierre Siméon
Il faut aussi se demander en quoi un type de réception nouveau peut avoir une influence sur l'acte de création... Quoi qu'il en soit, cette révolution numérique n'est qu'un épisode de l'invention technologique en tant que support de la parole, phénomène en vérité très ancien. En poésie, l'octosyllabe en rimes suivies est lié avec l'oralité. Mais lorsque l'imprimerie survient, cela conduit à l'explosion de la forme poétique. On voit apparaître nombre de variantes formelles, puis des inventions impensables avant Gutenberg, comme le calligramme, utilisé par Rabelais au 16ème siècle. L'invention technologique a donc indéniablement un effet immédiat sur l'acte de création.
En poésie, beaucoup d'intrusions technologiques ont été mises à profit. Il y a longtemps déjà que les enregistreurs sonores sont utilisés, et cette poésie sonore est accessible aujourd'hui le plus souvent sous forme de performance, où l'oeuvre de création passe par un traitement acoustique. Dans le même ordre d'idées, on créera des poèmes vidéo, etc. En matière de génération informatique, les grands précurseurs ont montré que la technologie touchait tant au fond qu'à la forme du texte. Les innovations touchent directement des partis pris de création, dans un domaine où s'exerce un certain formalisme. Mais je ne crois pas que les vecteurs technologiques aient une grande influence sur une autre forme de poésie, plus ontologique, qui traite de la relation au monde. A mon sens, le livre « Tumultes » de François Bon, lié à l'informatique et créé au jour le jour, est aussi du domaine de la poésie dans la mesure où il joue de la contemporanéité de la production et de la réception. Mais cette spécificité perdra peut-être de sa pertinence tant se raccourcissent les délais dans le monde de l'édition, où un Eric Besson peut fait paraître un livre trois semaines après son aventure...
Je m'interroge davantage sur l'effet de ce médium informatique au niveau de la réception. A mon sens, entre le livre et l'écran, il existe une variation importante dans le rapport que l'on a avec l'écrit. Je crains, concernant la poésie, que le médium numérique ne soit pas approprié, sauf si la réception est de type informative. Bientôt les étudiants pourront accéder à toute l'oeuvre poétique sur leur écran portable, ce qui sera très utile pour rechercher et traiter l'information, mais pour l'appropriation du texte rien ne remplace le rapport intime avec l'objet livre, disponible à tout moment et à tout état. Cela concerne la poésie mais aussi toute la littérature de création.
Le livre est au numérique ce que la marche à pied est au TGV : ce dernier, qui a son utilité, n'a pas rendu la marche caduque ; tout comme l'ordinateur il est très commode et je souhaiterais qu'ils aillent tous deux plus vite, mais dès lors qu'il s'agit de reprendre pied sur terre, rien ne vaut la marche à pied...
Prenons l'exemple de la révolution du livre de poche, qui a permis la multiplication des anthologies de poésie et donc de toucher un plus large public. Mais ce nouveau mode de diffusion du poème a modélisé une certaine pratique de lecture, au risque d'un émiettement, d'une dispersion de l'oeuvre. Or, il est important d'aller au livre, au recueil de poèmes. Ce risque existe aussi avec l'outil informatique, qui permet une diffusion large de poèmes mais le plus souvent à partir de fragments ou de citations. Or, la poésie demande de prendre le temps d'investir en profondeur un parcours, un ensemble de textes. Toutefois, sous réserve d'un important travail de médiation, il est envisageable que la consultation d'un fragment puisse donner lieu à un acte d'achat de livre. Après tout, les affiches présentes au Printemps des poètes jouent du même ressort. Mais il faut un travail actif pour que depuis une partie on puisse aller vers le tout.
Plus que le livre en tant que tel, peut-être faut-il défendre un comportement de lecteur, qui impliquera obligatoirement la défense du livre. Se confronter à la lenteur, à l'attention soutenue que nécessite le livre constitue une expérience qui doit être valorisée aux yeux des nouvelles générations, si habiles devant un écran. Il y a dans le livre quelque chose de symbolique de notre rapport au monde, tandis que le monde est métonymiquement présent dans le livre. Et le livre peut s'inscrire à tout moment dans notre quotidien. Qu'il s'agisse de sa production ou de sa réception, il y a quelque chose à voir avec la corporalité, ou tout simplement avec l'humanité.
Daniel Garcia
Une des conséquences de la révolution numérique est de permettre le rapprochement entre les créateurs et leur public. Le rôle de médiateur joué par les bibliothèques en devient-t-il moins pertinent ?
Dominique Lahary
Le bibliothécaire est un modeste intermédiaire, un médiateur quand il le peut. Mais il n'est pas épargné par la brutale évolution en cours, qui malgré ses ferments positifs a pour effet de brouiller les frontières entre les métiers. Nous avons collectivement une responsabilité de conservation, qui demeure, ainsi qu'un rôle de diffusion, qui suppose une sélection d'ouvrages.
La prétendue désintermédiation permise par les nouvelles technologies donne à chacun l'impression de pouvoir désormais accéder directement à tout. En tant qu'internaute, je constate que j'ai accès à un champ d'appropriation culturelle plus vaste qu'autrefois, mais je constate aussi que les moteurs de recherche sont devenus un secteur économique prépondérant. Le référencement, devenu une activité privée, dégage en effet des revenus énormes sur le Net (1) . Et peut-on vraiment parler de désintermédiation alors que ces moteurs de recherche mobilisent des centaines de personnes et de serveurs de par le monde ? Nous assistons plutôt à la mise en place d'un nouveau modèle économique, avec de nouveaux acteurs. Ce modèle favorise davantage la rémunération de l'accès plutôt que celle des oeuvres. Mais il existe également un Internet communautaire, non marchand, qui joue lui aussi un rôle de prescription.
Les bibliothèques ne disparaîtront pas de ce nouveau paysage, comme le montre une enquête du Credoc selon laquelle leur fréquentation a doublé depuis 1989 (2) . Cependant, nous voyons certains pans de notre activité s'effriter, dans le domaine de la musique mais aussi de la documentation : on peut prévoir la disparition des rayonnages d'encyclopédies. Les usages se déplacent. Pour l'accès rapide à des sources d'information ponctuelles, l'Internet a fait la preuve de son efficacité, mais pour l'accès au livre qu'on doit lire de bout en bout, l'emprunt demeure utile. Nous nous efforçons de rendre un service d'intérêt public dans le cadre d'usages constatés, ce qui passe aujourd'hui par un amoindrissement de notre rôle de fournisseur et de prescripteur. Il nous faut donc nous restructurer pour répondre à la demande et pour retrouver les formes de la médiation, y compris sur écran : on commence à trouver sur le Net des blogs de bibliothèques, avec des recommandations, mais aussi un espace ouvert au lecteur, à l'image des cahiers de suggestions d'autrefois. Mais la présence humaine demeure fondamentale. La bibliothèque reste en effet un lieu de vie et de lien social intergénérationnel, dont la fonction n'est pas remise en question. Concernant le texte numérique, je constate que la publication scientifique et technique se fait de plus en plus en ligne, où elle se vend très cher. Les bibliothèques universitaires sont donc redevenues des interlocuteurs obligés pour accéder à ces ressources. C'est un autre modèle qui est à l'oeuvre : on n'achète plus du papier mais de l'accès.
Pour les bibliothèques publiques la situation est plus difficile à cause de cette illusion de l'accessibilité immédiate par le Net, mais on observe malgré tout une certaine diffusion du livre électronique, voire du prêt numérique, qui donne sous conditions accès à un fichier dont l'auto-effacement est prévu après un délai donné. Il s'agit pour le moment d'un marché de niche, dont l'avenir dépendra de la qualité des prochains supports mobiles. Mais l'on imagine mal la disparition à brève échéance du papier au profit de l'encre électronique.
Daniel Garcia
La complète disparition des encyclopédies est-elle inéluctable dans les bibliothèques ? On en viendrait à une diffusion des connaissances par Wikipedia...
Dominique Lahary
Nous ne sommes pas responsables de l'évolution des usages ! Nous avons pris en compte le fait que la consultation des encyclopédies se fait de plus en plus en ligne. Mais nous payons de plus en plus des abonnements à des ressources en ligne, notamment des encyclopédies, mais aussi des bases de données d'articles de presse ou des tutoriels, services pour lesquels nous retrouvons un rôle traditionnel d'intermédiaires. Les bibliothèques demeurent également des lieux d'animation et de mise en valeur de la création, diversifiant les formes de médiation.
Christian Thorel
Le métier de libraire subit lui aussi une mutation du fait de l'irruption de cet univers numérique, dont l'argument essentiel réside dans la possibilité de naviguer entre des modes différents. Le multimédia porte en lui la possibilité d'accéder à tout l'univers d'un créateur, qui reste aujourd'hui éclaté entre publications, texte, image, son. On pourrait ainsi rendre accessible l'oeuvre globale d'un artiste Dada, ce qui n'était jusque là possible que dans le cadre d'un musée. Toutefois, traverser une exposition à Beaubourg ou dans un univers dématérialisé ne doit pas nous exonérer d'aller au coeur du texte. Si je peux concevoir une complémentarité entre les deux univers numérique et papier, encore faut-il qu'elle soit économiquement viable, et que l'oeuvre puisse exister indépendamment dans chacun de ces composants. Chacun estime que la littérature et la poésie continueront d'exister sur papier, tandis que la littérature grise, le livre de recherche, devraient se trouver dématérialisés. On a dit ici que l'on pourrait difficilement se passer du papier pour une approche sensitive telle que le requiert la littérature, mais pourquoi l'histoire ou la philosophie n'auraient-elles pas besoin elles aussi d'une telle approche sensitive ? Il me semble que c'est justement la présence d'un assortiment, d'une offre réelle, qui importe dans la participation des libraires à cette « chaîne du Livre » dont l'appellation fait craindre un certain manque de liberté. Lieu matériel, quelle que soit sa superficie, la librairie crée un environnement qui représente le monde du livre, proposant d'emblée une communication non verbale au visiteur. Ce point est à mon sens fondamental : je suis viscéralement attaché à cette matérialité, qui participe de la substance du texte et en facilite la médiation.
Daniel Garcia
Il faut aussi tenir compte de l'aspect économique. Je pense par exemple au Code civil, bientôt téléchargeable avec ses mises à jour. Le départ sur écran d'une partie de la connaissance n'implique-t-il pas forcément une baisse du chiffre d'affaires et donc un assèchement de l'offre en librairie ? Au risque de les fragiliser là où elles sont indispensables, c'est-à-dire dans le domaine de la défense et de la diffusion des oeuvres de création les plus exigeantes.
Christian Thorel
Notre librairie croît régulièrement depuis 32 ans, sans jamais avoir quitté une économie de crise... La mutation qui s'annonce semble importante, surtout si les sciences humaines suivaient le parascolaire qu'on dit menacé de dématérialisation et devaient passer en ligne. Mais notre faculté d'adaptation au marché, permise par le prix unique, a déjà été mise à l'épreuve à plusieurs reprises et je garde confiance en l'avenir. Il faut se demander comment peser dans la négociation vers une production dématérialisée, mais je vois mal quel rôle nous pouvons jouer dans les échanges de livres dits «liquides» ou «gazeux». La chaîne du Livre, dont beaucoup des acteurs se penchent aujourd'hui au chevet de la librairie, trouve son équilibre de par l'interdépendance de ses éléments.
Le couple auteur-éditeur est une dyade centrale, vécue dans le conflit mais aussi dans un besoin réciproque. Le numérique rend possible une sorte d'affranchissement de l'auteur, mais je ne crois pas à cette évolution même si l'éditeur peut s'inquiéter de se voir remplacé par un agent.
Le couple auteur-libraire est de formation plus récente, remontant à la loi sur le prix unique qui a redonné de l'intérêt à l'économie du livre et qui a donné toute sa place à la librairie. Les relations entre eux sont surtout de l'ordre de l'échange d'idées, mais peut-être l'arrivée du numérique va-t-elle conduire à des rapports directs entre des auteurs producteurs et des libraires diffuseurs.
Le couple éditeur-libraire est plus complexe, le libraire devenant de plus en plus dépendant de l'éditeur. Toutes les enquêtes montrent que cette dépendance nous enferre dans une économie trop précaire, tandis que la numérisation des textes peut conduire à un abandon de notre rôle de diffusion. A ce jour, aucun éditeur n'a manifesté d'intérêt quant à une possible diffusion de textes numériques dans ma librairie.
Le couple libraire-lecteur est d'abord une relation de médiation, fondée sur les réalités sociales et politiques de la ville. A cet égard, la diminution du nombre de librairies n'est pas sans conséquences. Il y a enfin le couple lecteur-auteur, qui reste singulier. Dans ce tout-Internet où chacun pense s'affranchir de tout le monde, l'auteur aimerait se passer de médiateur tandis que le lecteur cherche surtout la gratuité. Les cabinets de droit, quant à eux, multiplient les spécialisations en propriété intellectuelle et artistique...
Isabelle Wekstein
Cela n'est plus tout à fait exact aujourd'hui, les étudiants se dirigeant maintenant en priorité vers le droit fiscal... Il est intéressant de considérer le Livre à l'aune de ce qui s'est passé pour le secteur de la production musicale suite à l'irruption du numérique et au développement de l'Internet, qui certes permettent la copie mais qui favorisent aussi une diffusion de la création. Il s'agira de ne pas reproduire les erreurs de ce secteur, qui ont conduit à l'effondrement du marché du disque. Par ailleurs, il importe de bien distinguer la pratique du peer-to-peer et l'usage de sites commerciaux qui ont une offre illégale. Le peer-to-peer consiste en un échange de fichiers au contenu protégé (musique, films ou textes) entre deux particuliers à des fins non commerciales, en utilisant un logiciel dédié. Cette pratique, énormément développée au niveau planétaire, reste considérée aujourd'hui, sans doute en raison de l'évolution jurisprudentielle induite, comme étant du piratage, alors même que les principaux acteurs ont reconnu que le peer-to-peer n'était pas la cause principale de la crise du secteur.
En termes législatifs, les décisions prises illustrent ce qu'il ne faut pas faire concernant l'univers du Livre, c'est-à-dire aller vers une politique du tout-répressif pour combattre les échanges entre particuliers, comme y invite la loi du 1er août 2006 qui est une transposition de la directive européenne de 2001 sur la société de l'information. On aboutit à un système préconisant la poursuite des internautes avec des mesures pénales très sévères allant jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende, système qui s'est révélé totalement inefficace. Une étude américaine récente sur le comportement des internautes a d'ailleurs confirmé que la crainte de poursuites ne suffit pas à endiguer le phénomène.
Lors des débats à l'Assemblée nationale en 2006, il y a eu des fortes pressions exercées afin de revenir sur les amendements qui soutenaient le principe d'une licence globale, ou qui préconisaient un encadrement des échanges entre particuliers. Des études ont évalué les prix que les internautes étaient prêts à payer pour bénéficier d'un large accès à des contenus protégés. En moyenne, on compte environ six euros par mois et par abonné, et le double pour un accès total. Si ce système avait été mis en place, on aurait pu prélever auprès des fournisseurs d'accès plus de 800 millions d'euros en 2006, voire le double en hypothèse haute, plutôt que zéro... Hélas, plutôt que d'encadrer le peer-to-peer, qui, faut-il le rappeler, ne se substitue pas à la vente, on a choisi d'aller chercher la responsabilité pénale des internautes. On le sait aujourd'hui, ceux qui échangent le plus de fichiers sont aussi ceux qui globalement vont le plus au cinéma ou au concert...
Si demain le Livre est confronté à ce problème de numérisation d'ouvrages ou d'extraits, ce qui pose un important problème de droit moral, il faudra donc chercher à encadrer ces pratiques plutôt que suivre les traces des majors du disque en direction d'un tout-répressif catastrophique pour le secteur, à la fois financièrement inefficace et éthiquement contestable tant le Net représente un puissant outil de surveillance susceptible d'attenter à la vie privée.
Si le Livre devait évoluer vers une mise à disposition sur des sites commerciaux, il est certain que l'on ne pourra rester sur un modèle de gratuité. On fustige souvent la licence globale en disant que les gens veulent un accès à tout pour rien, mais nous savons que les internautes sont prêts à accepter un coût pour un accès simple et rapide. Les dernières offres de 9 Telecom, pour un abonnement mensuel inférieur à 5 euros, donnent ainsi accès aux 125 000 titres du catalogue Universal, certes sur les bases d'une exclusivité contestable au regard du droit de la concurrence.
Pour que cela puisse fonctionner avec le livre, il faudra proposer une offre large, qui soit complètement encadrée du point de vue du droit moral. Car dans cet environnement de réseaux numériques, il ne sera plus possible d'interdire comme auparavant une diffusion au nom du Code de la propriété intellectuelle. Dans le domaine musical, l'offre légale continue de se développer, preuve de la viabilité du système.
Sur le plan juridique, il faut savoir que les sites comme U Tube, My Space ou Daily Motion offrent continuellement des contenus illicites, qui, mêmes s'ils sont retirés à la suite d'une demande par lettre recommandée, finissent toujours par réapparaître.
Il est intéressant de se pencher sur l'évolution récente de la jurisprudence, qui malgré la loi de 2004 tend à engager davantage la responsabilité des hébergeurs, dont chacun sait qu'ils ont connaissance du caractère illicite des contenus diffusés. Il faudrait permettre à cette jurisprudence de se confirmer dans le domaine du texte numérisé, car le danger réside d'abord dans une mise à disposition sans garanties sur des sites commerciaux prospérant grâce à la publicité, et non pas dans l'échange de fichiers entre particuliers. De ce point de vue, le droit est parfaitement capable d'intégrer l'arrivée des nouvelles technologies ; le problème est d'adapter les dispositions du Code de la propriété intellectuelle, qui date de 1957, aux nouvelles exploitations numériques.
Il ne faut pas se voiler la face : le Livre n'a pas une spécificité qui lui éviterait de se retrouver sur la Toile au même titre que d'autres productions culturelles, mais on peut tirer enseignement de ce qui c'est passé pour les autres secteurs. En particulier, il s'agira de réglementer les pratiques pour permettre aux ayants droit d'être rémunérés, d'où l'attention particulière dont devrait bénéficier la copie privée. Il faudra encore encadrer la responsabilité des hébergeurs, et surtout ne pas oublier que l'Internet est aussi un outil de promotion des oeuvres. Cela est patent concernant la musique, de nombreux clips trouvant sur le Net un débouché alternatif à la radio et à la télévision. My Space constitue par exemple une véritable pépinière de talents, volontiers récupérés ensuite par les majors. L'Internet permet ainsi à beaucoup d'auteurs de toucher un public : il ne doit pas être considéré par les éditeurs comme une source de spoliation, mais bien comme une vitrine.
La révolution numérique est un fait incontournable, qu'il serait improductif de combattre. Les éditeurs doivent au contraire se saisir de cet outil pour en dégager les aspects positifs en encadrant les pratiques existantes, et pour le mettre au service de la promotion des oeuvres tout en permettant une juste rémunération des auteurs.
Daniel Garcia
Le Code de la propriété intellectuelle serait donc toujours d'actualité, et ce serait une erreur que de vouloir revenir sur le droit d'auteur.
Isabelle Wekstein
Le droit patrimonial et le droit moral qui fondent le droit d'auteur ont été assez bien conçus à l'origine. Le système tient la route avec l'extension du champ de la copie privée à l'écrit, et avec la mise en conformité récente de la loi avec la directive européenne sur la société de l'information, censée préparer l'arrivée des nouvelles technologies même si cette transposition n'a pas été bien faite avec la loi DADVSI critiquable à bien des égards. Mais il y a à fournir un véritable effort d'adaptation, sachant que l'on ne peut anticiper les usages. Je ne crois pas que l'on téléchargera demain un livre sur son téléphone mobile : je reste persuadée de la pérennité de l'importance du support papier, comme du rôle fondamental joué par les librairies.
Daniel Garcia
Quid alors du couple éditeur-auteur ? L'auteur va-t-il trouver raisonnable demain de confier « tout le paquet », jusqu'à 70 ans après sa mort, à un intermédiaire qu'est l'éditeur ?
Isabelle Wekstein
La question se pose en effet : il faut qu'il y ait une vraie contrepartie. Si l'éditeur défend l'oeuvre lorsqu'elle fait l'objet d'une exploitation illicite, s'il prend en compte cette dimension numérique pour exploiter l'oeuvre davantage ou mieux, pourquoi pas ? Dans l'industrie du disque, on ne voit pas très bien concrètement en quoi les artistes liés aux maisons de disques par des contrats profitent réellement des exploitations faites par leurs producteurs avec les tiers. Il reste à espérer que les éditeurs, dont la vision est à plus long terme, ne répèteront pas cette erreur. Je les invite donc à une réflexion globale sur l'Internet et ses usages, pour offrir une juste contrepartie à une cession des droits sur Internet quand cette cession a lieu.
Daniel Garcia
Dans le strict cadre du Livre, un auteur mécontent de l'exploitation de son oeuvre par l'éditeur peut demander à prouver que l'exploitation n'est plus faite. Une fois numérisée et lâchée sur le réseau, comment prouver que l'éditeur numérique n'exploite plus l'oeuvre ?
Isabelle Wekstein
La loi demande d'assurer une exploitation « permanente et suivie » de l'oeuvre. Il n'y a pas encore de jurisprudence sur la question que vous me posez mais je pense que le juge fera la distinction entre une mise en ligne en vrac quelque part sur le Net, et le fait d'assurer une véritable exploitation de l'oeuvre. Dans le domaine musical en tout cas, les tribunaux ne s'y trompent pas. On fera une appréciation in concreto, au cas par cas, sans permettre à l'éditeur de se dédouaner par le simple fait d'une mise en ligne.
Daniel Garcia
Je me tourne vers Dominique Lahary, porte-parole de l'IABD (3) , dont les prises de position ont été critiquées par certains éditeurs.
Dominique Lahary
Le numérique a une double nature : ce peut être la dissémination incontrôlée, mais aussi le verrouillage absolu et la traçabilité.
Tout l'Internet est basé sur la copie, c'est pourquoi il a été finalement admis dans la loi DADVSI des exceptions de reproduction pour les bibliothèques sous réserve de l'absence de toute exploitation commerciale, alors qu'elles ne figuraient pas dans la rédaction initiale du projet de loi. Le malentendu avec certains éditeurs vient de ce que l'on nous reprochait à tort de vouloir diffuser de façon incontrôlée des oeuvres protégées par le droit d'auteur, notamment sur Internet. Cela n'a jamais été dans nos intentions. Nous cherchons tout simplement à poursuivre, dans l'univers numérique, les missions qui sont les nôtres dans l'univers physique. J'observe que la mobilisation interprofessionnelle réalisée à l'occasion de l'examen de la loi DADVSI a eu, au passage, pour mérite d'améliorer chez les bibliothécaires la conscience des impératifs du droit d'auteur.
Philippe Boisnard
Dans de nombreuses villes on ne trouve plus de librairies disposant d'un stock minimum d'ouvrages de recherche, tandis que le lectorat potentiel de ces textes universitaires est disséminé dans le monde entier. J'insiste donc sur cette spécificité de la recherche quant au support numérique, sans pour autant dénier le caractère irremplaçable du support papier en matière de plaisir de lecture.
Christian Thorel
Nous sommes quelques uns à continuer de diffuser la recherche sur papier, qui par rapport au Net a l'avantage de ne pas être uniquement accessible à ceux qui en ont besoin. Un ouvrage dans une librairie, c'est une chance donnée à un achat d'impulsion, c'est la possibilité de se retrouver à lire un colloque sur Derrida aux Presses universitaires d'Amiens sans en avoir eu l'intention au départ. Le hasard joue en effet un rôle fondamental en librairie, qui est ce lieu où l'on vient trouver des livres que l'on ne cherche pas.
Jean-Pierre Siméon
L'idée que le livre se maintiendrait en tout cas pour la littérature de création ou les essais soulève un problème politique : cela ne perdurerait-il que pour quelques uns, les autres s'en trouvant dessaisis pour des raisons économiques ?
Daniel Garcia
Le débat avec la salle est ouvert
Dominique Le Brun
On n'a pas évoqué le côté si pratique du Net, qui permet de recevoir un livre éventuellement introuvable en librairie dans sa boite aux lettres 48 heures après avoir passé commande...
Alain Absire
Cette question sera abordée demain.
Christian Thorel
Il m'est arrivé, deux fois, d'acheter sur le Net des livres épuisés, mais en vérité je préfère chiner !
Jean-Pierre Siméon
Un livre peut s'avérer difficile à trouver, mais quelle urgence y a-t-il à trouver un livre en 48 heures ? Le dernier Nothomb peut bien attendre un peu ! Ce côté consumériste, accentué par l'Internet, est regrettable.
Daniel Garcia
Comme le soulignait Isabelle Wekstein, les acteurs du peer-to-peer font partie des plus grands consommateurs de produits culturels.
A mon sens, ceux qui achètent des livres sur Amazon ou sur FNAC.com fréquentent aussi les librairies. Cela étant, l'Internet fournit un service appréciable pour tous ceux qui vivent éloignés de librairies de qualité.
Un intervenant dans la salle
J'ai été auteur pendant 18 ans au Cherche Midi, où j'ai réalisé des guides de musées. Je détiens 69 % des droits patrimoniaux, mais j'ai refusé de signer un nouveau contrat introduisant une clause de mise à jour aux frais de l'auteur. Ma question est d'ordre légal : un éditeur peut-il publier une oeuvre pour laquelle il détient une minorité des droits patrimoniaux ?
Isabelle Wekstein
Selon moi l'éditeur ne le peut pas mais pour donner une réponse éclairée il conviendrait vraiment que je puisse disposer de plus d'éléments.
Eric Hardin, président de l'ALIRE
En tant que président de l'Association des librairies utilisatrices de réseaux informatiques, je constate que les études s'accordent sur le faible pourcentage, estimé à 5 %, des téléchargements légaux sur les milliards de téléchargements annuels. Je m'étonne donc que l'on puisse considérer que le piratage n'est pas un problème. En librairie, de nombreux secteurs connaissent un effritement des ventes, qu'il s'agisse des ouvrages de référence, de livres documentaires ou de droit.
Aujourd'hui, plus aucun enfant ne vient dans une librairie pour trouver matière à la rédaction de ses devoirs, ni les voyageurs pour acheter leurs guides de voyage ou leurs cartes routières, ni les étudiants pour s'y procurer des oeuvres classiques : tous sont sur Internet. En attendant le passage en ligne du parascolaire... Comment maintenir un modèle économique quand on fait uniquement de la librairie, tandis que les grandes surfaces spécialisées font 17 % à 20 % de leur chiffre d'affaires avec le livre ? Pour être en mesure de compenser cet effritement dans différents secteurs, il faudrait cesser de promouvoir les modèles économiques pernicieux de semi gratuité. Je pense par exemple au magazine Les Echos, dont l'abonnement permet le téléchargement gratuit de mille livres ! La FNAC propose quant à elle un abonnement à Cyber livres pour 99 centimes seulement : on se demande où est la rémunération de l'auteur.
Isabelle Wekstein
Je n'ai pas dit que le piratage était un phénomène mineur.
J'ai simplement souligné que la crise du secteur de la musique avait une autre cause que ce qu'il est d'usage d'appeler « la piraterie ». Les phénomènes de concentration et la crise de l'offre sur ce marché expliquent avant tout son effondrement. Par ailleurs je pense qu'il faut bien faire une distinction entre les échanges dits peer-to-peer c'est-à-dire entre particuliers à des fins non commerciales, et les exploitations faites illégalement sur les sites commerciaux. Certaines études ont montré l'impact limité, statistiquement proche de zéro, des échanges entre particulier sur les ventes de disques. La chute des ventes trouve en réalité son origine dans le choix des majors de privilégier la rentabilité à court terme au lieu d'installer les artistes dans la durée, dans l'appel excessif aux grandes surfaces, dans la concurrence accrue d'autres produits technologiques de loisir . En outre, la gestion du prix unitaire s'est avérée des plus incohérente. Je ne suis donc pas favorable à la gratuité sur l'Internet, et j'insiste sur la nécessaire exploitation de la perception de rémunération que permettrait un encadrement des pratiques d'échange.
Christian Thorel
Les librairies dignes de ce nom doivent continuer de faire prévaloir une politique des auteurs. Or, l'Internet introduit une dilution de la notion d'auteur, qui m'apparaît très préjudiciable. Si nous avons une mission, c'est bien de faire prévaloir la notion d'auteur, la notion de durée et la notion d'oeuvre.
Bertrand Morisset
Aujourd'hui, le président d'Universal retrouve la marge perdue sur la vente de disques grâce à des opérations telles que la StarAc. La révolution numérique n'a pas tellement agité le monde du disque : il est simplement apparu un problème d'offre. Il s'est agi plutôt d'une révolution affective, puisque les artistes, avec cette possibilité de contact direct avec leur public, ont fait perdre la main aux majors. Grâce au peer-to-peer cela va de mieux en mieux ! Par rapport à il y a vingt ans, on compte certes moins de riches mais aussi moins de pauvres parmi les auteurs.
Alain Absire
Peut-être faut-il éviter de pousser trop loin l'analogie entre les deux secteurs. Les artistes musiciens peuvent trouver des opportunités pour compenser la baisse des ventes de disques, telles que, par exemple, les concerts publics. Tandis que la rémunération d'un auteur de livres provient essentiellement de l'acte d'achat des lecteurs. De plus, contrairement à la musique, l'écrit peut être détourné de son sens, utilisé à des fins illicites ou dérangeantes, voire contraires à la volonté de l'auteur qui ne souhaite pas forcément que son oeuvre se promène sur Internet par fragments, ni qu'elle coure le risque d'être triturée, avec toutes les conséquences que l'on imagine, tant au niveau culturel et intellectuel que social ou politique. D'autre part, si toute forme d'écrit numérique devient oeuvre, sans référence de qualité, être auteur n'a plus de sens ! Tout ne mérite pas le statut d'oeuvre de création. Ce statut, précieux pour les auteurs comme pour les lecteurs, suppose la caution des autres acteurs de la chaîne du livre, qu'ils soient éditeurs, libraires ou bibliothécaires. Il peut y avoir coexistence de deux systèmes, mais ne dépouillons pas l'un au profit de l'autre.
Françoise Gerbolet
Ce qui participe du corporel dans le livre me renvoie à la notion d'inconscient, trouble terreau de la création littéraire. Peut-on parler de création en matière de littérature numérique, dans le sens où le sujet qui écrit est remplacé par une machine générative dépourvue d'inconscient ? Cette forclusion du sujet qui est en oeuvre dans notre société n'est-elle pas par nature génératrice de violence ? Par ailleurs, je remarque un certain retour du goût pour la lecture à voix haute. Ne serait-ce pas le moment de valoriser la mise en ligne de livres audio, dont on oublie qu'ils ont toute leur place sur le Net ?
Philippe Boisnard
Concernant la forclusion du sujet, qui peut être représentée par une fiction, la plupart des textes peuvent en parler. Et l'aliénation induite par l'usage technologique n'empêche pas d'explorer ce concept de forclusion, y compris à l'aide de ces mêmes outils numériques.
Christian Thorel
Nous sommes encore peu nombreux à faire un effort particulier sur les livres audio, alors que la demande est réelle. Nous avons développé ce secteur sous forme de CD plutôt qu'à partir d'une plateforme de téléchargement, mais il est possible d'envisager, peut-être dans un avenir proche hélas, que les textes numérisés puissent être récités par des logiciels automatisés...
Jean-Pierre Siméon
La lecture publique de poésies connaît aussi un certain essor, traduisant un autre mode d'accès au texte que la seule diffusion du livre. Mais en matière de grands textes littéraires, qu'en est-il exactement d'un accès total par l'oreille ? Il y a le risque de constituer un modèle d'accès limité au sensitif, à l'immédiateté.
Daniel Garcia
D'un autre côté, les grands textes anciens sont restés figés sur papier, alors qu'ils sont du registre de l'oralité. Quelle serait la meilleure appréhension possible de l'oeuvre de Homère : celle qui passe par l'écrit ou bien celle qui restitue la tradition orale ?
Merci à tous.
(1) Voir Joël Ronez, "Nos hasard numériques et autres opportunités fragiles", in "Le livre à l'ère du numérique", Syndicat de la librairie française, les Cahiers de la Librairie N°5, novembre 2005.
(2) La fréquentation des bibliothèques publiques a doublé depuis 1998, http://www.credoc.fr/pdf/4p/193.pdf, et Bruno Maresca, Les Bibliothèques municipales en France après le tournant Internet, Editions de la Bibliothèque publique d'information, 2007.
(3) Interassociation Archives-Bibliothèques-Documentation (http://www.iabd.fr)