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Table ronde modérée par Fabrice Siiriainen, professeur à l'université de Nice-Sophie Antipolis, avocat à la Cour

Avec Véronqiue Desbrosses, secrétaire générale, GESAC ; Pirjo Hiidenmaa, présidente, EWC-FAEE ; Ferdinand Mélichar, président d'honneur VGWORT (Allemagne) ; Ingrid de Ribaucourt, consieller principal juriidque, IFRRO

Fabrice Siiriainen

La gestion collective en Europe est une question essentielle, car à l'heure d'Internet, de la numérisation des œuvres et de la constitution de bibliothèques numériques, le cadre national d'exploitation des œuvres de l'esprit, notamment de l'écrit, se trouve dépassé. Cependant, la gestion collective n'a pas attendu Internet pour s'inscrire dans une dimension européenne et internationale. Les sociétés de gestion collective, dans bien des domaines, sont ainsi organisées en réseaux, notamment européens, depuis de nombreuses années. Cette table ronde abordera donc, après quelques exemples nationaux de gestion collective en Europe, les projets à dimension européenne ainsi que le cadre communautaire, essentiel pour l'avenir.

L'harmonisation communautaire du droit d'auteur, qui fait l'objet de plusieurs directives, laisse en effet subsister certaines disparités entre législations nationales. L'harmonisation a été incomplète ou est inexistante pour certaines questions comme celle des exceptions, celle de la titularité des droits ou encore celle du droit contractuel d'auteur. Le sujet de la gestion collective reste également en attente d'harmonisation, puisqu'il n'a fait pour l'heure l'objet d'aucune directive communautaire. Dès lors, les règles concernant la gestion collective, son organisation et ses pratiques, profondément ancrées dans la culture juridique de chaque nation, diffèrent selon les Etats-membres. Outre les législations sur le droit d'auteur, se différencient ainsi les systèmes de contrôle de la gestion collective ainsi que les règles de fonctionnement, le statut et la nature juridique des sociétés de gestion collective.

On peut donc parler d'empreintes nationales en la matière, mais, parallèlement à cette diversité des pratiques de la gestion collective au niveau européen, il existe aussi une véritable organisation internationale, fonctionnant à la manière d'un réseau, sur la base de contrats de représentation réciproques. Ces contrats permettent à chaque société de gestion collective, en général en situation de monopole légal ou de fait pour un répertoire donné, de représenter sur son territoire un répertoire quasiment mondial. Cette organisation internationale, dont tout le monde profite, est l'une des idées phares du système de gestion collective. Cette gestion collective se caractérise donc historiquement par une assise territoriale nationale, mais elle se ramifie en un maillage de conventions entre sociétés sœurs, permettant à chacune de représenter toutes les autres. Et ainsi de délivrer aux exploitants nationaux des autorisations pour un répertoire quasiment mondial.

Ces dernières années ont vu poindre pour certains secteurs, comme la musique ou l'audiovisuel, la nécessité de licences multi-territoriales, qui couvrent non pas un territoire national mais un ensemble de territoires, parfois appelées licences paneuropéennes. Ce à quoi les sociétés de gestion collective n'étaient pas forcément habituées. Elles ont réagi relativement rapidement, notamment dans le domaine de la musique, pour répondre à cette demande. Mais le cadre européen dans lequel elles évoluent est avant tout celui du droit communautaire, qui promeut certaines libertés et en particulier la liberté d'établissement et de prestation de service, dans un environnement de libre concurrence. Sans être par essence contraire à ces libertés, l'organisation de la gestion collective en Europe ne poursuit pas seulement des finalités mercantiles ou de marché. Apparaissent dès lors certaines zones de friction entre droit communautaire et gestion collective.

Pour l'essentiel, cela concerne la volonté affichée par la Commission de mettre en concurrence les sociétés nationales de gestion collective entre elles, au bénéfice supposé du consommateur. Le droit communautaire de la concurrence, très prégnant sur l'activité des sociétés de gestion collective, a de fait contribué à façonner le visage actuel de la gestion collective en Europe et peut-être contribuera à son évolution. Parmi les sources de friction, on peut encore citer la directive 2006 sur les services dans le marché intérieur, qui peut interférer avec l'organisation de la gestion collective en Europe, sans oublier la prochaine initiative d'harmonisation européenne des règles relatives à la gestion collective.

Ingrid de Ribaucourt

L'IFRRO est la Fédération internationale des organismes de droits de reproduction, pour le texte et l'image. Elle compte 127 membres à travers le monde parmi lesquels 72 organismes de gestion de droits, dont 58 fonctionnent avec une participation conjointe des auteurs et éditeurs. Les autres membres de l'IFRRO sont des fédérations nationales, européennes ou internationales, d'auteurs ou d'éditeurs, comme en France le SNE. La mission de l'IFRRO est triple. Tout d'abord, augmenter l'utilisation légale des œuvres protégées et éliminer les copies non autorisées, en faisant la promotion d'une gestion collective efficace. Ensuite, encourager le développement de nouveaux organismes de droits de reproduction à travers le monde dans les pays où ils n'existent pas encore, pour s'assurer qu'auteurs et éditeurs perçoivent une rémunération pour les copies qui sont faites. Enfin, fournir un soutien législatif et opérationnel aux membres.

Au niveau européen, l'IFRRO s'est engagé avec d'autres partenaires à faciliter l'accès aux œuvres dans un format adapté pour les personnes souffrant d'un handicap visuel. Une plate-forme a été mise en place il y a un an, pour essayer de faciliter les échanges entre pays. En effet, même si dans de nombreux pays existent des exceptions permettant d'adapter les livres en braille par exemple, ces exceptions ne permettent pas que ces œuvres traduites voyagent partout en Europe. Avec l'Association européenne des aveugles (EBU), l'Association européenne des dyslexiques (EDA), la Fédération européenne des éditeurs de livres (FEP) et les Editeurs de matériels scientifiques (STM), l'IFRRO a développé un système basé sur les intermédiaires de confiance. En France, il s'agirait par exemple de la ligue braille, organisme en charge de l'adaptation des livres. Ces intermédiaires de confiance, à travers tout un réseau européen, pourraient échanger les livres sous réserve de l'autorisation des ayants droit. C'est là où les organismes de droits de reproduction peuvent intervenir, en obtenant des mandats de leurs membres autorisant ces intermédiaires de confiance à échanger au niveau européen. Un accord a été signé le 14 septembre, permettant la mise en place progressive de ce système. Nous espérons qu'au niveau national, les organismes de droits de reproduction et les associations représentant les auteurs et les éditeurs faciliteront ce travail.

Autre engagement important de l'IFRRO au niveau européen : le soutien au développement des bibliothèques numériques. La Commission européenne a institué il y a quelques années un groupe de haut niveau, où siégeait un représentant de l'IFRRO, dont l'une des missions était d'évaluer dans quelle mesure la propriété intellectuelle était un obstacle à la numérisation des œuvres et à leur mise à disposition par les bibliothèques. Il fallait en particulier statuer sur les œuvres orphelines, pour lesquelles nulle licence ne pouvait être attribuée. Un accord sur les critères nécessaires pour permettre la numérisation des œuvres orphelines avait été trouvé avec les bibliothèques, avec notamment une recherche diligente pour s'assurer que l'œuvre est bien orpheline, et une garantie juridique en cas de numérisation.

Force est de constater aujourd'hui la faible mise en œuvre de cet accord au niveau national, hormis les pays nordiques qui autorisent la numérisation des œuvres orphelines selon un système de licences collectives étendues. Dans ce cas, une société de gestion collective disposant du mandat de ses membres, est en capacité légale de représenter aussi les personnes de même catégorie qui n'auraient pas donné mandat. Ces sociétés peuvent donc accorder une licence pour la numérisation des œuvres orphelines. En Allemagne, l'organisme de droits de reproduction VG WORT vient de conclure un accord avec les auteurs et les éditeurs pour permettre cette numérisation. Il s'agira en particulier, une fois le mandat obtenu, de permettre aux bibliothèques de numériser et de mettre en ligne toutes les œuvres qui ont été publiées avant 1966.

Au niveau européen, une directive sur les œuvres orphelines est en cours de développement, actuellement discutée en consultation interservices. Chaque service de la Commission est ainsi en droit d'exprimer son opinion. L'axe retenu est que chaque pays développe au niveau national une solution qui permettrait de garantir une certaine sécurité juridique lorsqu'on numérise une œuvre orpheline, et qu'ensuite chaque pays reconnaisse mutuellement les systèmes adoptés par les autres états membres. Concrètement, si, en France, on reconnaît officiellement qu'une œuvre est orpheline, alors celle-ci serait considérée comme orpheline partout en Europe. La Bibliothèque nationale de France, qui la mettrait en ligne, devrait dès lors en permettre l'accès à tous ses partenaires européens.

Au niveau de l'IFRRO, nous avons toujours défendu la nécessité, en cas de développement d'un mécanisme de licences, qu'il soit géré par les sociétés de gestion collective plutôt que par un nouvel organisme étatique.

Pour ce qui est du projet de directive sur la gestion collective, prévu pour avril prochain, deux sujets sont à l'étude : d'une part les licences multi-territoriales, qui ne devraient concerner que les œuvres musicales, d'autre part la gouvernance des sociétés de gestion collective, pour laquelle il reste à espérer que soit prise en compte la spécificité de l'écrit par rapport aux autres secteurs.

Ce projet de directive provoque aussi quelques craintes compte tenu de la pression exercée au niveau européen concernant la rémunération pour copie privée et pour reprographie. D'où l'enjeu de bien expliquer que cette rémunération ne couvre pas les mêmes aspects d'un pays à l'autre, et qu'il est important que chaque Etat-membre puisse maintenir le système qu'il estime être le meilleur pour ses auteurs et ses éditeurs.

Parallèlement à la directive sur les œuvres orphelines, qui organise la reconnaissance du statut d'œuvre orpheline et autorise sa circulation au niveau européen, le projet Arrow vise à identifier les ayants droit pour chaque œuvre, ainsi que les sociétés de gestion collective qui en gèrent les droits, mais aussi à repérer les œuvres orphelines. Lancé il y a trois ans et actuellement en phase de développement, Arrow a ainsi permis que plusieurs pays européens adaptent d'ores et déjà leurs bases de données de façon à ce qu'elles puissent communiquer entre elles, pour que tous ceux qui collectent des informations sur le statut d'une œuvre puissent les mettre en commun. Reste maintenant à étendre ce système à toute l'Europe.

Fabrice Siiriainen

Concernant les œuvres orphelines, on s'orienterait donc, au niveau européen, vers un système fondé sur une base de données européenne mais décentralisée entre les différentes sociétés de gestion collective, qui communiqueraient entre elles ?. Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a d'ailleurs rendu un avis en 2008 sur les œuvres orphelines, dans lequel il préconise le recours à la gestion collective obligatoire. Il ne précise pas quel type de gestion collective pourrait être mis en œuvre, par exemple un système de type nordique de licence collective étendue ou bien le système de cessio legis/présomption de gestion par une société qui serait habilitée à cet effet, comme dans le domaine de la reprographie.

Véronique Desbrosses

Le GESAC est le Groupement Européen des Sociétés d'Auteurs et Compositeurs. Son objectif est de défendre les intérêts des auteurs et de la gestion collective auprès des institutions européennes à Bruxelles. J'axerai mon propos sur le secteur de la musique, actuellement sous les projecteurs au niveau communautaire.

Il n'y a pas de vide juridique en matière de législation sur la gestion collective : au niveau des Etats-membres de l'Union européenne, les activités des sociétés de gestion collective sont d'ores et déjà réglementées et contrôlées et, dans le cadre de la CISAC, ces sociétés ont volontairement accepté de se soumettre à des règles professionnelles définissant les meilleures pratiques à suivre. Il y a aussi un certain acquis communautaire en matière de gestion collective, puisque cette activité a été reconnue dès 1992 avec la directive location-prêt. On retrouve mention de la gestion collective dans toute une série de directives sur le droit d'auteur, et notamment dans la directive satellite-câble, qui prévoit la gestion collective obligatoire en matière de cablo-diffusion. Des documents non législatifs importants, comme la Recommandation de 2005 sur la gestion collective dans le secteur de l'exploitation transfrontière des droits dans le domaine de la musique sont également à mentionner. Notamment en réaction à cette Recommendation de 2005, le Parlement européen s'est également intéressé à la question et a adopté un certain nombre de textes importants.

Jusqu'à une date récente, le législateur européen n'avait pas souhaité légiférer en matière de gestion collective, d'une part en raison de l'absence de base juridique solide et compte tenu du principe de subsidiarité et de proportionnalité, d'autre part, en raison de la diversité des législations et des traditions culturelles des différents Etats membres. Le traité européen et le droit de la concurrence suffisaient à encadrer l'activité de gestion collective. Un tournant a été pris tout récemment puisque la Commission européenne a finalement décidé, en 2010, d'élaborer une proposition de directive sur la gestion collective. Cette proposition intervient dans un contexte bien spécifique : le développement de l'économie numérique, qui devient l'une des priorités de l'action communautaire.   L'élaboration d'une proposition de directive-cadre sur la gestion collective est la première action prévue au titre de l' « agenda numérique », adopté en mai 2010 par la Commission. La gestion collective qui, jusqu'à présent, n'intéressait qu'un cercle très limité d'experts devient un enjeu majeur de la politique européenne. La Commission européenne souhaite supprimer tous les obstacles, réels ou potentiels, à la libre circulation des biens culturels numériques, et donner toutes ses chances au développement des services de contenu numérique en Europe. L'un des obstacles identifiés est lié précisément à la question des licences transfrontières. Il faut simplifier l'octroi des licences de droit d'auteur pour que Nokia, Apple ou d'autres services de contenus numériques sur Internet puissent développer leurs activités. L'enjeu concerne surtout le secteur de la musique, domaine où les droits d'auteur sont gérés collectivement.

Les sociétés de gestion d'auteur du répertoire musical, en réponse aux changements technologiques ont, de tout temps, adapté leur mode de gestion. Elles avaient notamment dès 1990, grâce aux accords de Sydney, mis en place un système de guichet unique pour les exploitations transnationales satellitaires des radiodiffuseurs. Quelques années plus tard, les sociétés d'auteurs ont conçu une solution comparable pour l'exploitation numérique transfrontière des droits dans le domaine musical avec les accords dits de Santiago et de Barcelone. L'usager souhaitant obtenir une licence pour une exploitation transnationale paneuropéenne ou mondiale du répertoire mondial, s'adressait à un guichet unique : la société du pays où se trouvait sa principale résidence économique. Ce système permettait tout à la fois d'éviter un « forum shopping » conduisant à une dévalorisation des droits et de faciliter l'octroi de licences transfrontières pour le répertoire mondial. De nombreux usagers, considérant qu'il était très pratique d'avoir accès en un seul point au répertoire mondial, lui ont fait bon accueil.

Cependant, les accords de Santiago et de Barcelone ont été considérés par la Direction Générale de la Concurrence, incompatibles avec le droit de la concurrence. De son côté, la Recommandation de 2005, une initiative de la Direction Générale chargée du Marché Intérieur, a contribué au démantèlement du système actuel, en incitant les grands ayants droit - les multinationales de l'édition musicale - à retirer leurs droits des sociétés d'auteurs pour ce qui concerne les exploitations numériques. Cette initiative, ajoutée à la décision de la DG Concurrence dans l'affaire CISAC en 2008, n'a pas favorisé, loin s'en faut, le développement de solutions adaptées à l'environnement numérique.

A l'heure actuelle, et en conséquence de ces initiatives de l'exécutif communautaires, les répertoires sont fragmentés et il n'est plus possible d'obtenir les droits relatifs au répertoire mondial auprès d'une seule société pour une exploitation numérique, fut-elle uniquement nationale. Il est donc urgent de remédier à cette situation, en permettant la réagrégation des répertoires et la mise en place de « one stop shop(s) », ou de guichet(s) unique(s), au niveau européen. Bruxelles entend bien simplifier l'octroi des licences mais s'interroge sur la gestion collective : est-ce là un bon modèle, dans un environnement où tous les monopoles étatiques ont été démantelés ? En outre, certains considèrent le rattachement territorial des sociétés d'auteurs  peu compatible avec l'idée d'un marché européen unique. D'autres, notamment au Parlement européen, estiment au contraire que le système de gestion collective a fait ses preuves, qu'il peut fonctionner dans le cadre des exploitations transfrontières et qu'il y a des enjeux à ne pas négliger en termes de diversité culturelle, d'accès de tous les répertoires au marché, ou encore de rémunération des répertoires sur un pied d'égalité. Le débat est donc lancé. La DG Marché Intérieur travaille à l'élaboration d'une étude d'impact, préalable à toute proposition de directive. Au sein de la Commission, les discussions sont difficiles entre les tenants d'un système basé sur le droit d'auteur et les modes de gestion existants et les partisans d'un changement radical, qui risque de se faire aux dépens du droit d'auteur, de la territorialité de ce droit et de la gestion collective. Prévue pour la fin 2010, la directive ne sortira pas avant 2011.

Fabrice Siiriainen

En particulier, ce sont les autres fonctions des sociétés de gestion collective qui ont échappé aux autorités communautaires, c'est-à-dire les fonctions culturelles et sociales. On a évoqué par exemple le soutien à certains types de création, moins commerciaux que d'autres, et on ne peut que constater l'absence de modèle alternatif pour remplacer ces fonctions assumées aujourd'hui par les sociétés de gestion collective.

Par ailleurs, le modèle de fragmentation des répertoires, qui avait été préconisé par la recommandation en matière de licence transfrontalière dans le domaine de la musique, peut aboutir à des monopoles européens. Une seule société, parce qu'elle offrirait les meilleures conditions, aurait ainsi pu concentrer l'ensemble d'un répertoire. D'où le risque d'une reconstitution ailleurs de ces monopoles qu'on voulait voir disparaître.

La solution ne serait-elle pas d'instaurer un modèle dans lequel la gestion collective subsiste, mais avec un contrôle renforcé de ses pratiques notamment vis-à-vis des utilisateurs ?

Véronique Desbrosses

Je n'ai pas abordé, il est vrai, les questions de gouvernance et de transparence, sous-jacentes à la notion de monopole. Les a priori sont légion dans ce domaine. Le plus souvent, les critiques ne proviennent pas des principaux intéressés, c'est-à-dire des auteurs eux-mêmes, mais des usagers, surtout de la part de ceux qui préféreraient une gestion collective affaiblie et donc des tarifs plus intéressants pour eux. Bien au contraire, les auteurs reconnaissent la transparence du système de gestion collective. Ainsi, l'Alliance européenne des compositeurs et paroliers, l'ECSA, vient d'adopter, le 23 septembre dernier, un document qui plébiscite la gestion collective, considérée comme un mode de gestion transparent, « bien plus transparent que n'importe lequel des éditeurs de musique ». A la Commission comme au Parlement européen, tout le monde semble d'accord sur la nécessité de fixer des règles de transparence et de gouvernance au niveau communautaire. Les sociétés d'auteurs n'y sont pas opposées. Cela étant, la transparence a un coût et il convient de ne pas créer de contraintes administratives supplémentaires, qui seraient inutiles du point de vue des auteurs eux-mêmes et qui viendraient affaiblir la gestion collective.  

Ferdinand Melichar

J'étais, l'année dernière encore, PDG de VG WORT, qui est la société allemande de gestion collective en charge du domaine de l'écrit au sens large. Nous avons ainsi des contrats de réciprocité avec la SCAM, la SOFIA, le CFC et la SACD en France. Nous représentons plus de 300 000 auteurs et plus de 6 000 éditeurs, pour une redevance globale s'élevant à plus de 400 millions d'euros en 2009.

Avec la directive « services », il est à craindre que les règles juridiques encadrant le travail des sociétés de gestion collective soient bientôt fondamentalement altérées par la législation au niveau européen. Mais d'abord je veux traiter brièvement de la directive « infosoc ». En effet, cette directive a ouvert maintes possibilités d'exceptions des droits exclusifs, en faveur notamment de l'enseignement, de la science et de la recherche. Tout cela concerne au premier lieu les textes protégés par le droit d'auteur, principalement dans le domaine non fiction.

L'Allemagne, en transposant la directive «infosoc» dans la loi sur le droit d'auteur, a conduit le législateur à constituer nombre de nouvelles licences légales : utilisation au bénéfice de personnes affectées d'un handicap, concernant notamment les éditions pour des aveugles ; mise à la disposition du public à des fins d'enseignement et de recherche ; utilisation via des postes de travail dans les bibliothèques publiques, musées et archives (on the spot consultation) ; envoi de copies sur demande pour les bibliothèques publiques, soit par reprographie soit par Internet. Il s'agit là de licences légales, tous ces usages donnant lieu à une rémunération adéquate. Selon la loi, ces droits de rémunération ne peuvent être exercés que par une société de gestion collective, soit en Allemagne la VG WORT pour les textes et la VG Bild-Kunst pour les images.

Après plusieurs années de négociations assez dures, des contrats sont maintenant établis avec la Fédération allemande et les Bundesländer, couvrant toute utilisation des œuvres protégées dans les établissements publics non commerciaux. Bien évidemment, la rémunération payée n'est pas suffisante. Cela étant, les redevances pour toutes ces nouvelles licences, en 2009, s'élèvent quand même à 3,8 millions d'euros (bien entendu, c'est le montant pour plusieurs années). Cette exploitation d'œuvres non fiction concerne principalement des ouvrages écrits dans la langue de la communication scientifique, c'est-à-dire l'anglais, ce qui explique que les sommes collectées repartent largement vers l'étranger.

Il faut être conscient du fait que la directive sur les services va entraîner une modification importante du travail des sociétés de gestion collective. Or, le règlement de la compensation adéquate pour la copie privée, mécanisme présent dans la plupart des pays européens, est simplement impensable sans l'intermédiaire juridique et pratique des sociétés de gestion.

A ce titre, je ne résiste pas au plaisir de vous communiquer une information concernant un procès perdu naguère par VG WORT devant la cour fédérale : fait remarquable, la cour constitutionnelle allemande vient de casser l'arrêt qui déniait l'obligation d'une rémunération à payer pour les imprimeurs. C'est là une victoire importante pour nous, avec cette affirmation de la nécessité d'une compensation équitable pour la reprographie licite.

Quant à la retransmission par câble, la directive câble/satellite prévoit que la gestion des droits ne peut être exercée que par une société de gestion collective. (art.9 al.1 directive 93/83/CEE). J'en arrive à l'utilisation par les bibliothèques numériques des œuvres orphelines et des éditions épuisées : comme ma collègue de l'IFRRO, je considère qu'il n'est pas possible d'assurer le respect de la propriété intellectuelle en l'absence des sociétés de gestion collective. Comme l'a récemment reconnu M. Lueder, chef d'unité en charge du droit d'auteur, lors de la 5ème conférence européenne de l'EWC, à Bruxelles en avril 2010 : «There must be a system, certainly for out of print books, that the digital rights are collectively managed». Cela est d'importance, M. Lueder n'ayant pas pour habitude de défendre les sociétés de gestion collective.

On pourrait multiplier les exemples démontrant l'importance croissante des sociétés de gestion collective. Il est donc étonnant que la Commission ne se soit préoccupée de leurs activités que du point de vue du droit de la concurrence. Fort heureusement, la Commission semble évoluer sur ce point, sachant toutefois que la directive sur les services, censée être appliquée par les Etats-membres depuis le 2 décembre 2009, est porteuse de changements significatifs pour les sociétés de gestion collective. Actuellement, chacune d'entre elles travaille dans les frontières nationales, selon les règles de leur droit national. Ainsi, toute société désireuse de travailler dans un autre pays, par exemple en octroyant des licences sur place, doit observer les règles juridiques encadrant les sociétés de gestion collective de cet autre pays. Or, ce système fondamental autant qu'équitable risque de ne plus pouvoir fonctionner du fait de l'application de la directive Services !

Même si le fameux -pour ne pas dire mal famé- « principe du pays d'origine » n'a pas trouvé place dans la directive, le résultat est, cum grano salis, le même. Désormais, lorsqu'une société de gestion collective n'a pas l'intention de fonder un établissement dans un autre pays de la communauté mais seulement d'y proposer un service, elle peut le faire sans avoir l'obligation de respecter les règles juridiques de la gestion collective de ce pays. L'article 16 prévoit en effet la « libre prestation des services » dans les pays de la Communauté, précisant que les Etats-membres ne peuvent subordonner l'exercice de cette activité à des « exigences » telles qu'elles s'appliquent aux sociétés nationales.

De même, la directive prévoit que les sociétés étrangères ne peuvent se voir contraintes de solliciter une autorisation de l'Etat, ni de se soumettre à son contrôle, comme c'est prévu par exemple dans les lois françaises et allemandes pour les sociétés nationales. Il y a des exceptions à cette liberté totale, mais elles ne s'appliquent pas aux sociétés de gestion collective. En effet, si l'article 17 de la directive stipule que le principe de la libre prestation des services  ne s'applique pas  aux « droits d'auteur et droits voisins », la Commission elle-même a tenu à préciser, dans un manuel en ligne relatif à la mise en œuvre de la directive services, que « la dérogation visée à l'article 17, paragraphe 11, concernant les droits de propriété intellectuelle couvre les droits proprement dits (existence du droit, portée et exceptions, durée, etc. ). En revanche, elle ne concerne pas les services liés à la gestion de ces droits, tels que ceux fournis par des sociétés de gestion collective ».

Force est de constater la faiblesse de ce raisonnement : à quoi d'autre cette exception pourrait-elle servir en pratique, sinon à l'administration de ces droits d'auteur? Il est à craindre que cette prise de position de la Commission entraîne de graves conséquences, la directive services  autorisant les sociétés de gestion collective à agir en dehors de leur pays d'origine sans plus se préoccuper des réglementations juridiques spécifiques de chaque pays de la Communauté.

J'en veux pour preuve l'installation, il y a quelques semaines en Europe, d'une société de gestion américaine, le Copyright Clearance Center, qui a fondé son « European subsidiary » aux Pays-Bas. Selon l'interprétation de la directive Services qui est faite par la Commission, cet établissement néerlandais nommé « Rights Direct » peut désormais agir dans tous les pays de la Communauté, par exemple en Allemagne, sans plus avoir à se plier à la nécessité d'une autorisation, ni au contrôle de l'office des brevets, ni à l'obligation d'octroyer une licence à tous ceux qui la réclament ou de contracter avec tous les ayants droit qui en font la demande, sans oublier d'autres devoirs touchant la publicité, la transparence ou encore la fixation des tarifs. Toutes ces restrictions qui  - raisonnablement !- s'appliquent aux sociétés de gestion allemandes peuvent donc être ignorées par cette société néerlandaise.

Il est évident que cette situation est insupportable, et qu'il est devenu nécessaire d'établir rapidement une réglementation communautaire sur la gestion collective. Il n'est pas acceptable que seules les sociétés de gestion nationales soient liées par les règles nationales, parfois très rigides. Or, ces règles m'apparaissent nécessaires pour faire contrepoids au droit de la concurrence, qui constitue aujourd'hui encore le critère principal concernant le travail des sociétés de gestion collective.

Une réglementation spéciale, tenant compte de la logique et de la finalité de la gestion collective, avec ses valeurs non marchandes comme la dimension culturelle ou la dimension sociale, est envisageable dans le cadre de la nécessaire harmonisation européenne. Les principes d'une telle réglementation européenne devaient être les suivants :

1 - Les sociétés de gestion collective doivent être soumises à la nécessité d'une autorisation et d'un contrôle d'une autorité de régulation sectorielle et nationale.

2 - Les sociétés de gestion collective doivent suivre des principes démocratiques, avec une transparence des règles de la perception et de la répartition.

3 - Le rôle culturel et social des sociétés de gestion collective doit être légitimé.

4 - Les sociétés de gestion collective ont obligation d'octroyer des licences aux utilisateurs qui les réclament.

5 - Les sociétés de gestion collective ont obligation de contracter avec les ayants droit qui en font la demande.

J'ai conscience du fait que, surtout en France, ces idées ne sont pas très populaires. Comme l'a relevé notre modérateur le professeur Siiriainen  en 2005, c'est-à-dire avant l'arrivée de la directive services : «  Il n'est pas du tout évident que la tradition française du droit d'auteur puisse s'accommoder d'une telle instance de régulation.» Quant aux contrats forcés, son jugement était sans concession : « On ne peut que s'insurger devant une proposition aussi abrupte.»

Aujourd'hui, il me paraît pourtant absolument nécessaire d'encourager les initiatives prises en vue d'une régulation spécifique des sociétés de gestion collective en Europe.

Fabrice Siiriainen

Effectivement, ce qui a été écrit en 2005 peut évoluer compte tenu notamment de cette directive « services dans le marché intérieur », qui met en évidence le fait qu'un certain type de contrôle des sociétés de gestion collective est sans doute nécessaire, notamment pour les faire échapper au droit de la concurrence « autant que faire se peut ». Il faudrait aussi avancer sur les modalités de ce contrôle, compte tenu de l'incertitude dans laquelle nous sommes par rapport à cette initiative d'une directive sur la gestion collective, plutôt que de s'orienter vers un démantèlement général.

Véronique Desbrosses

C'est en effet l'avenir de la gestion collective qui est en jeu, sachant que la directive en projet ne sera pas nécessairement bienveillante. Il y a un équilibre à trouver et il est évident que les sociétés d'auteurs ne s'opposeraient pas à une directive qui permettrait de créer un cadre favorable à leur activité y compris au niveau transnational.

Pirjo Hiidenmaa

L'EWC rassemble des sociétés d'auteurs provenant d'une trentaine de pays d'Europe, tous les genres littéraires étant représentés : poésie, roman, pièce de théâtre, non fiction, etc. Au bon vieux temps, il y a de cela quinze ou vingt ans, l'écrivain concluait un accord de publication avec l'éditeur, stipulant la publication par ce dernier d'un livre correspondant au manuscrit. Tous les autres droits, si tant est qu'il y en ait eu, restaient en possession de l'auteur. Après l'épuisement de l'édition du livre, les droits revenaient le plus fréquemment à l'auteur, par le contrat ou par la loi.

Aujourd'hui, avec l'essor de la numérisation, les auteurs ont commencé à avoir des droits de plusieurs natures différentes, susceptibles d'être vendus : distribution numérique sur Internet, livre électronique, etc. Les éditeurs se sont intéressés à tous ces droits - y compris ceux qui n'étaient pas encore connus -, et nombreux maintenant sont ceux chez qui il est pratique courante de s'accaparer tous ces droits, même lorsque ceux-ci ne sont pas immédiatement utilisés, voire jamais utilisés. Les auteurs ont donc cédé des droits qui restent croupir en stock.

Les contrats sont variables et compliqués. Un auteur peut avoir un contrat qui comprenne tous les droits, ou bien un contrat classique pour l'édition d'un livre, avec une option prévoyant une éventuelle distribution numérique, ou bien encore un contrat différent pour chaque droit. La technologie permet aux écrivains de multiplier les possibilités de diffusion des œuvres, mais, dans le méli-mélo des contrats actuels et des avancées numériques, la situation des écrivains est lamentable puisqu'ils ne savent pas quels droits ils possèdent ni quand ils vont les recouvrer. De fait, sous forme numérique, jamais l'édition d'un livre ne s'épuise.

Les contrats étant hétérogènes et les écrivains mal informés, il leur est donc difficile de savoir quels droits ils sont en mesure de céder. Les auteurs peuvent constituer des organisations gérant collectivement les droits d'auteur et n'incluant que des auteurs, mais ils peuvent également s'associer à des éditeurs et constituer des organisations de gestion conjointe, ce qui ne vient pas clarifier la situation.

Pour les consommateurs, il est plus pratique de pouvoir s'enquérir des droits liés aux œuvres à un seul et même endroit, c'est-à-dire un guichet unique. Le problème est que les lois et les pratiques liées à l'octroi des autorisations sont toujours en retard par rapport aux technologies et aux différents modes d'utilisation. Lorsqu'un auteur délègue la gestion de ses droits à une société, le mandat doit être très précis et ciblé. C'est pourquoi il n'a pas été possible de définir les nouveaux modes d'utilisation par anticipation, ce qui a débouché sur des situations dans lesquelles les utilisateurs considéraient que les auteurs et les organisations représentant ceux-ci se montraient trop peu flexibles.

Dans le développement des bibliothèques numériques, il est par exemple difficile de définir les licences nécessaires de même que les instances habilitées à les octroyer. Ces licences peuvent en effet concerner l'autorisation de lire l'œuvre sur Internet, de l'enregistrer sur son propre ordinateur, de l'imprimer sur papier ou de la propager, par exemple à des fins pédagogiques. Les consommateurs pâtissent de cette situation, de même que les auteurs et peut-être aussi les éditeurs.

Je voudrais aborder le cas des pays scandinaves, Finlande, Norvège et Suède, qui mettent en œuvre une licence collective étendue. Dans les pays nordiques, les redevances au titre des droits d'auteur sur les photocopies ainsi que sur les textes numériques, dans les écoles par exemple, sont versées à une organisation parapluie de gestion des droits d'auteur en lien avec les éditeurs. Celle-ci redistribue les redevances perçues à ses sociétés membres, ces dernières reversant ensuite ces sommes aux auteurs sous forme de subventions et de prix. Chaque société membre peut en outre embaucher des juristes et des personnes chargées de la communication, dans le but d'assister les auteurs dans les contrats d'édition et les autres questions liées au droit d'auteur. Les sommes perçues par les auteurs sous forme de subventions sont exonérées d'impôt. Ainsi, les auteurs sont forts et bénéficient du soutien de leur propre société, ce qui accroît la cohésion entre eux, sachant que les sociétés d'auteurs sont d'autant plus fortes qu'elles sont soutenues par leurs membres écrivains. Il est important de souligner que ces sociétés agissent souvent avec des objectifs relevant de la politique culturelle. Elles peuvent soutenir des groupes spécifiques ou distribuer des fonds non alloués, à des fins culturelles d'intérêt général.

Je considère que ce système adopté par les pays nordiques est bon et fonctionnel. Il satisfait les éditeurs comme les auteurs, qui trouvent à financer leurs projets littéraires. Ce système permet en outre de gérer la question des œuvres orphelines, à l'aide de licences collectives étendues. Quel meilleur parent en effet qu'un autre écrivain pour gérer une œuvre orpheline ? Mais, pour fonctionner, ce système suppose que soient remplies certaines conditions, par exemple le fait que les sociétés de gestion collective soient mandatées par un ministère et qu'elles rendent compte à ce dernier. Il faut aussi que leur administration soit transparente, et que les auteurs prennent en charge leur gestion. C'est ainsi que naît la confiance.

Fabrice Siiriainen

J'invite maintenant ceux qui le souhaitent à prendre la parole dans la salle.

Jean Sarzana, co-auteur d'Impressions numériques avec Alain Pierrot (Publie.net)

Je voudrais revenir sur la question des autorités communautaires, ramenée au domaine du livre. Au-delà de la musique, nous avons en effet connu pour le livre, dans les années 1990, des difficultés similaires. En particulier lorsqu'un certain nombre de pays européens, qui parlaient la même langue, ont essayé d'instaurer un prix fixe transfrontalier. Je pense ainsi à l'Irlande et à l'Angleterre, avant la suppression du prix fixe par cette dernière, à l'Allemagne et à l'Autriche, ou encore aux Pays-Bas et à la Flandre. La Commission n'a hélas jamais compris que le marché d'un livre, c'est d'abord son bassin linguistique. Les accords ont dû être cassés, avec les conséquences que chacun connaît. A l'époque, le seul soutien qui avait été trouvé au plan communautaire provenait du Parlement, dont les prérogatives étaient moindres qu'aujourd'hui mais qui a régulièrement voté des motions en faveur du prix fixe. Avec l'affaiblissement actuel de la Commission, quelle place voyez-vous pour le Parlement européen dans le débat sur la gestion collective ?

Véronique Desbrosses

Le Parlement européen se montre souvent, en effet, plus réceptif à la dimension culturelle de la gestion collective et à l'enjeu de diversité culturelle. Le Parlement européen est sensible à l'idée d'assurer l'égalité de traitement entre les répertoires et au fait que le marché européen des œuvres culturelles n'est pas uniforme mais composé de zones linguistiques et culturelles distinctes les unes des autres, et que ces spécificités sont à prendre en compte. Le Parlement peut tout à fait jouer un rôle de contrepoids efficace. Toutefois, certaines idées dogmatiques transparaissent même au sein du Parlement, comme, par exemple, l'idée qu'il faut mettre en concurrence les sociétés d'auteurs pour améliorer l'efficacité des systèmes. La territorialité de la gestion du droit d'auteur est également remise en cause compte tenu de l'objectif de marché unique. A ce sujet, le commissaire Barnier prépare actuellement un important document : l'« Acte pour le marché unique ».

André Lucas

Je voudrais revenir sur l'exemple de cette succursale néerlandaise d'une société nord-américaine qui, lorsqu'elle voudra exercer son activité en Allemagne par exemple, échapperait par principe aux règles assez strictes du droit allemand et donc au contrôle sévère organisé par l'office des brevets. J'ai dit hier les réserves que m'inspirait la conception dogmatique du droit de la concurrence défendue au sein de la Commission. Cela étant, j'imagine qu'il y a aussi des règles aux Pays-Bas, où la tradition de la gestion collective est déjà ancienne et où les mécanismes de contrôle inspirent confiance. Ne peut-on imaginer que, dans la future directive sur la gestion collective, il y ait un socle minimum de règles, au titre de la gouvernance, de nature à restaurer cette nécessaire confiance ?

Ferdinand Melichar

Je ne suis pas défavorable à l'activité de cette société en Europe, mais il est nécessaire que soit respectée l'égalité des chances et donc que les mêmes restrictions s'appliquent à tous. Ce qui ne sera pas le cas s'il est possible pour cette société de travailler en Allemagne sans obéir aux règles qu'y suivent les sociétés de gestion collective. Il s'agira alors d'une véritable concurrence déloyale.

Véronique Desbrosses

Pour ce qui est de la future directive, il faut garder à l'esprit le fait que les Etats membres ont tendance à défendre leurs systèmes et n'acceptent une directive que dans la mesure où elle ne les modifie pas en profondeur.

Fabrice Siiriainen

Un des apports de cette directive pourrait être de définir ce qu'est une société de gestion collective, et de soumettre à la réglementation toute société qui répond à cette définition. Il y aurait ainsi une véritable égalité dans la concurrence.

Sylvestre Clancier, poète, administrateur de la SGDL

Je voudrais remercier la présidente de l'EWC, qui, en évoquant le système des pays nordiques, a mis l'accent sur le rôle culturel et social des sociétés de gestion collective. Ces pays comptent parmi les plus avancés et il y aurait lieu de s'en inspirer pour signaler aux autorités communautaires que rien n'oblige à être les moins disant en matière de respect des droits d'auteur ou de droit moral. Puisqu'il revient au commissaire Barnier de réfléchir à l'organisation du marché, profitons de l'occasion pour dénoncer l'idéologie dont tous subissent les conséquences. L'Europe est en construction et il n'y a aucune raison de laisser la DG Concurrence dicter les perspectives aux autres directions générales, par exemple à la DG Culture. Nous pourrions saisir le commissaire Barnier, à l'occasion de cette réglementation du marché en matière de livre et donc de droit d'auteur, pour lui demander de remettre en avant la notion de prix unique du livre, de façon à ce qu'il n'y ait pas une perspective uniquement fondée sur le respect des règles de concurrence. De plus, on peut difficilement soutenir que les sociétés de gestion collective sont une entrave à la liberté de circulation des droits et à la concurrence.

Ferdinand Melichar

Je suis de votre avis. Il est incontestable par ailleurs que l'on ne peut se contenter de définir les sociétés de gestion collective en tant que « sociétés de perception et de répartition », et qu'il faudra légitimer dans la future directive leurs dimensions culturelles et sociales. J'insiste également sur la nécessité, surtout depuis la directive services, que nous luttions ensemble pour que l'inévitable régulation des sociétés de gestion collective au niveau européen s'opère dans le sens que nous souhaitons.

Véronique Desbrosses

Le GESAC n'a pas de position officielle sur l'opportunité ou non d'une directive. Certains membres y étaient favorables, estimant comme vous que cela donnerait un cadre propice à leur activité, tandis que d'autres étaient plus réservés, craignant les dangers d'une dérive. Je suis d'accord avec vous pour déplorer que la valeur des œuvres et le rôle culturel et social des sociétés de gestion collective ne soient pas suffisamment pris en compte par certains décideurs communautaires. J'invite d'ailleurs les auteurs à faire valoir leurs points de vue auprès des Commissaires européens et notamment de Mme Vassiliou, Commissaire en charge de la Culture, sachant que la décision sur une directive communautaire reste collégiale.  

Ingrid de Ribaucourt

L'IFRRO a la même position que le GESAC concernant cette proposition de directive : exprimer l'espoir que cette dernière soit favorable et permette une gestion collective sereine au niveau européen. Pour ce qui est du rôle culturel des sociétés de gestion collective, celui-ci est en effet souvent mis de côté mais il arrive aussi qu'il soit critiqué. Au niveau de la répartition des rémunérations perçues, certains s'émeuvent par exemple de ce que tel pays va donner sans contrôle telle somme pour des activités culturelles, ou de ce que tel pays ne redistribue pas du tout. En réalité, cette attaque du rôle culturel des sociétés de gestion collective cache bien souvent une attaque contre le droit de la copie privée.  

Véronique Desbrosses

Il faut donc mettre ce rôle en avant comme un atout, non pas comme quelque chose à justifier...

Sylvie Nerisson , étudiante

Je finis une thèse sur la gestion collective du droit d'auteur en France et en Allemagne. Pour renforcer la particularité des sociétés de gestion collective, ne serait-il pas utile d'y réduire le poids des éditeurs, dont l'expertise juridique est utile mais qui sont avant tout des commerçants et n'hésitent pas à user de leur droit de veto pour les décisions sociales ?

J'admire beaucoup le droit allemand de la gestion collective, mais l'obligation de gérer avec les utilisateurs n'est-elle pas inutile du fait que le droit de la concurrence leur permettra d'agir contre une société de gestion collective, qui aura pratiqué des tarifs abusifs par exemple ? Les nombreux procès en attente témoignent de ce problème, et je m'interroge donc sur la position favorable à cet égard du président Melichar.

Ferdinand Melichar

Quand nous négocions, nous sommes toujours dans le rôle d'un monopole. D'où notre faiblesse dans un contexte de licence légale, car l'usager peut ne pas payer sans être en infraction avec la loi. Mais cela ne dépend pas de la régulation des sociétés de gestion collective.

Pour ce qui est du poids des éditeurs au sein des sociétés de gestion collective, il faut savoir que les décisions fondamentales ne peuvent être prises qu'à une majorité élevée. Certes leur droit de veto existe, mais leur participation présente de nombreux avantages, par exemple concernant la distribution sur Internet. Et puis en cas de désaccord entre auteurs et éditeurs, la VG WORT séquestre les sommes concernées jusqu'à la résolution du problème. Cela encourage la finalisation d'accords entre les deux parties, dont les intérêts ne sont pas forcément contradictoires. Il me semble en outre qu'il vaut mieux que débats et conflits permettant d'arriver à un compromis sur la part des auteurs se déroulent au sein de la société plutôt qu'à l'extérieur.

Fabrice Siiriainen

Alors qu'on peut limiter statutairement le pouvoir des éditeurs au sein des sociétés de gestion collective, telle n'est pas actuellement l'optique communautaire puisque tous les documents produits postulent une égalité rigoureuse de traitement entre les ayants droit. La présence d'éditeurs ou d'exploitants de manière générale au sein des sociétés de gestion collective peut cependant être une cause de fragilisation ou de blocage lorsque les intérêts des uns et des autres divergent, notamment dans les relations avec les utilisateurs. On sait par exemple que les exploitants souhaitent reprendre en gestion individuelle un certain nombre de droits confiés aux sociétés de gestion collective.

Sandra Travers de Faultrier 

Il faut dire les choses explicitement : les débats sont biaisés, car il y a d'un côté une idéologie, comme cela a été souligné par plusieurs intervenants, et de l'autre côté on demande aux différents partenaires de répondre sur un plan apparemment technique. C'est-à-dire que nous ne pouvons pas répondre sur le même terrain. Il est intéressant de constater que l'Europe se construit par le droit, mais à partir de considérations techniques qui ne laissent pas place au débat politique. Ce qui est à l'œuvre, c'est en fait un combat de valeurs. Dès lors, la question est de savoir comment défendre vos valeurs dans les réponses que vous apportez aux questions qui vous sont posées au niveau communautaire dans le cadre de cette idéologie dominante.

Véronique Desbrosses

Il y a lieu de distinguer les personnes à qui l'on s'adresse : il n'y a pas beaucoup de personnes réceptives à ce type de discours au sein de la Commission. . En effet, il s'agit avant tout, pour cette dernière, d'examiner des options et leurs conséquences, afin de choisir la voie à suivre. Il s'agit d'un débat technique, économique et juridique auquel il convient d'apporter des réponses de même nature. Il faut démontrer que la gestion collective répond à un objectif d'efficacité économique. Les députés européens sont bien entendu plus sensibles aux discours politiques et aux spécificités et intérêts nationaux. Je crois qu'il est indispensable de donner une dimension politique à ce débat sur la gestion collective compte tenu des enjeux culturels sous-jacents.

Ferdinand Melichar

Vous avez parlé d'un combat de valeurs. Or, je m'inquiète de ce que l'on parle de plus en plus des droits de l'usager : le danger est que l'on en arrive à considérer qu'à légitimité égale, il convient de parvenir à un équilibre avec le droit d'auteur. En pleine ère libérale, nous avançons paradoxalement vers un collectivisme total. Il n'y a pas si longtemps en Allemagne a prédominé cette idéologie du primat du collectif sur l'individuel (« Gemeinnutz geht vor Eigennutz »), avec les dramatiques résultats que l'on connaît.

Christian Roblin

Dans le domaine du livre, l'alliance entre éditeurs et auteurs est absolument nécessaire pour l'ensemble des ayants droit aujourd'hui, justement face au développement du droit de l'usager. Si jamais nous montrons que ce droit d'auteur n'a pas d'unité, ou qu'il est en lui-même source de conflit, ou bien qu'ayants droit et auteurs ne sont pas capables de se mettre d'accord entre eux, alors ce sera l'échec. Les sociétés de gestion collective sont un lieu idéal pour cette rencontre de volontés.

La situation du livre est différente de celle de la musique, puisque ce marché est encore animé par des opérateurs de marché dans un cadre qui protège la vie contractuelle entre les auteurs et les éditeurs. Mais les troubles qu'il y a sur ces marchés créent en répercussion des troubles dans les comportements internes à ces sociétés. Le plus important est de refuser toute polémique pour sauvegarder une qualité de dialogue, et finalement aller vers cette alliance entre auteurs et éditeurs, condition nécessaire pour défendre efficacement à la fois le droit d'auteur et la liberté de conclure un contrat avec un éditeur.

Fabrice Siiriainen

Cette idée des sociétés de gestion collective comme lieu de médiation, de dialogue et de régulation entre acteurs du marché pourrait intéresser les autorités communautaires. Peut-être faudrait-il envisager d'en faire la promotion ?

Pirjo Hiidenmaa

Dès lors qu'il est question de rémunérations et de droits, la question est aussi politique. Il faut dénoncer l'idéologie du marché, dont l'application ferait disparaître, par exemple, l'édition d'ouvrages spécialisés en ophtalmologie, pourtant indispensables aux spécialistes, faute de rentabilité. Or, la démocratie impose de prendre en considération tous les citoyens, d'assurer un accès à la culture même aux plus pauvres ou à ceux qui parlent une langue minoritaire.

Jean Sarzana

Je voudrais revenir sur la problématique des auteurs et des éditeurs, pour souligner que si la musique est organisée en sociétés de gestion collective depuis longtemps, les producteurs sont pour la plupart des grands majors. Dans l'édition au contraire, il y a quelques géants comme Hachette mais surtout une multitude de maisons d'édition indépendantes, que l'on ne peut ignorer si l'on veut parler de diversité culturelle et de création. D'où la nécessité du regroupement entre auteurs et éditeurs.

Ferdinand Melichar

C'est vrai pour la littérature générale, mais pour ce qui est de l'édition scientifique on se retrouve dans un cas de figure comparable au secteur de la musique, avec quelques grands groupes seuls sur le marché. La tâche traditionnelle de l'éditeur de livres est d'imprimer et de vendre. Mais elle va évoluer, comme pour le secteur musical où, depuis un siècle déjà, l'activité principale des éditeurs n'est plus d'imprimer des partitions.

Véronique Desbrosses

Il ne faut pas oublier le dénominateur commun entre les différents ayants droit, qui est le passage par la gestion collective pour la gestion efficace de leurs droits. Il vaut mieux travailler sur les points communs que sur les dissensions, qui restent importantes dans le secteur musical du fait que les grands éditeurs siègent dans les mêmes comités d'administration que les auteurs. Mais cette tension peut être encadrée par des règles de gouvernance. La GESAC avait d'ailleurs pris l'initiative, avec les éditeurs de musique, de faire une déclaration commune fixant des normes pour la gouvernance entre les auteurs et les éditeurs, de façon à ce que chacun y trouve son compte. Même la Commission européenne se demande s'il ne faudrait pas juste faire référence à des autorégulations sectorielles plutôt que de mettre des dispositions précises dans une directive !

 Fabrice Siiriainen

Je critique surtout le fait qu'on postule par principe une égalité de traitement pour toute situation de gestion collective. Or, les débats montrent bien qu'entre les différents secteurs de la création, il y a des différences profondes dans les relations au sein de la gestion collective et le fait de promulguer un modèle unique qui s'appliquerait à l'ensemble de ces secteurs n'est sûrement pas une bonne solution.