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Donatella Saulnier, Ecrivains dans la cité (Maison des écrivains)

En 1992 Bernard Pingaud, alors président de La maison des écrivains, la définissait ainsi dans les actes d'un colloque sur les ateliers d'écritures organisé par la DRAC du Languedoc Roussillon et le Ministère de la Culture et de l'éducation nationale qui ne faisaient alors qu'un : « La Maison des écrivains est une association régie par la loi de 1901 dont le conseil d'administration est composé pour l'essentiel d'écrivains. Cette maison fonctionne grâce aux subventions de la Direction du livre et du CNL et aussi depuis quelques temps grâce à des opérations de partenariat. La fonction constitutive de cette institution est bien sûr le service aux auteurs. La Maison appartient aux écrivains et doit leur permettre de développer leurs activités en rencontrant par exemple des éditeurs, des réalisateurs ou des écrivains étrangers. L'idée consiste à la fois à aider les écrivains qui ne réussissent pas à vivre de leur plume, et à faire bénéficier de leurs services des lieux culturels ou des institutions. »

Dans les faits et sur le papier, la seule chose qui ait changé depuis 1992 c'est que c'est maintenant la totalité du conseil d'administration qui est composé d'écrivains puisque le ministère de la culture et le CNL qui y avaient deux représentants s'en sont retirés récemment. Nous sommes donc bien, dans les faits et sur le papier, un service aux auteurs. Etre un service aux auteurs, quand on sait combien sont nombreux les auteurs, combien ils sont divers et diverses leurs attentes, ne peut que recouvrir plusieurs pratiques, plusieurs métiers. A la Maison des écrivains nous avons donc plusieurs métiers, même si des passerelles et des échanges existent entre ces métiers. Je ne vais pas parler ici bien sûr de l'ensemble de la Maison, mais du métier que j'y exerce. Sylvie Gouttebaron, notre directrice, qui est dans la salle, voudra peutêtre parler au nom de l'association et des nouvelles orientations qu'elle lui donne.

Le service Ecrivains dans la cité que je coordonne se compose de quatre personnes ; il a pour métier la mise en relation d'auteurs avec les lieux culturels, les institutions, dont parlait B.Pingaud, qui élaborent des projets impliquant des présences actives et, de ce fait, rémunérées d'auteurs. Ce métier nous l'avons appris peu à peu, et nous continuons de l'apprendre. Il s'est jusque là exercé principalement dans le champ de l'action culturelle et de l'éducation artistique dont tout naturellement nous avons suivi le développement à l'Education Nationale et dans les bibliothèques publiques depuis les années 9O à nos jours. Des écrivains comme François Bon ou Leslie Kaplan qui travaillaient déjà dans ces champs-là furent à nos côtés dès le début et guidèrent nos orientations. François Bon fait d'ailleurs partie aujourd'hui de notre Conseil d'administration. Concrètement aujourd'hui, nous continuons à organiser et à favoriser des rencontres entre des classes, des universités, des bibliothèques ou tout autre lieu culturel ou social et des écrivains et ce dans des temporalités diverses allant de la rencontre unique à la résidence de trois mois en passant par l'atelier d'écriture hebdomadaire. On peut donc s'adresser au service pour cela.

Parmi les éléments du métier que nous avons appris, les directions que nous avons prises, il y a quelques présupposés et quelques exigences. Je n'exposerai ici que celle qui nous semble la plus importante : c'est que ce soit bien dans son statut d'écrivain, c'est à dire en tant qu'auteur de son oeuvre que l'écrivain intervienne. C'est aussi l'exigence qui est la plus difficile à maintenir et nous nous tenons-là sur une frontière qui s'enjambe facilement. En effet, l'action culturelle repose sur la notion de projet et le projet n'est presque jamais seulement de rencontrer un écrivain, il comprend un ou plusieurs public bien précis, un ensemble d'actions souvent articulées sur une thématique qui sont proposées à ces publics dans un objectif défini : la tentation est alors grande d'instrumentaliser l'écrivain, de dévoyer son statut pour l'employer comme un « professionnel » au service de ce projet. Un professionnel de la lecture et de l'écriture, un « animateur ». Quitte ensuite à comparer sa prestation à celle d'autres professionnels, les vrais ceux-là, enseignants, éducateurs, animateurs d'ateliers d'écriture patentés, puisqu'il y en a, qui ont suivi des cours et appliquent des méthodes.
Quant à nous, nous sommes persuadés d'expérience que quand c'est le cas, quand on reçoit un auteur pour une prestation sans le lire, beaucoup de l'importance, de la richesse que peuvent revêtir ces rencontres tant pour le public touché que pour l'écrivain lui-même sont perdues. C'est réussi quand c'est particulier, quand l'auteur a pu pleinement être là en tant qu'auteur quand son engagement spécifique dans la pratique littéraire, son projet intérieur, ont rencontré le projet dans lequel il s'inscrit quitte à le modifier, quand il a pu exercer là son métier d'écrivain. Or, on ne le laissera véritablement faire cela en confiance que si on l'a lu, ou tout du moins entendu.

J'y insiste aussi parce que beaucoup d'auteurs, par modestie ou par urgence économique n'en sont pas persuadés d'emblée et sont prêts à s'effacer devant les projets. Ces auteurs peuvent d'ailleurs, s'ils le souhaitent ou le pensent nécessaire se rapprocher de structures privées d'ateliers d'écriture, telles ALEPH où ils pourront acquérir une méthode et y être ensuite éventuellement employés et salariés. Ces auteurs restent tout à fait bienvenus à la Maison des écrivains mais ce n'est pas en tant que tels, comme détenteurs d'une méthode, que nous leur proposerons des projets car, comme le disait Bernard Pingaud, le « service » que nous rendons, notre rôle de lieu ressource, est double : il est autant tourné vers l'institution que vers les écrivains et nous devons aux deux un service exigeant.

Spécifique donc, pas de recette, pas de méthode, pas de modèle... dit comme ça, pour un écrivain qui débuterait dans cet engagement, ça peut faire un peu acrobatique, un peu trop sans filet. Et en effet il y a du risque dans ces rencontres, il peut y avoir du dérangement, et c'est aussi ce qui en fait l'intérêt.

Mais que l'on se rassure, il y a tout de même une culture, et même une culture constamment en marche, il y a des livres que l'on peut lire : François Bon, déjà cité, qui a également un site où il est beaucoup question d'ateliers d'écriture, Leslie Kaplan aussi et beaucoup d'autres, il y a nombre de publications, des récits, des témoignages. A la Maison des écrivains notamment, nous conservons ces écrits d'écrivains engagés dans ces champs de l'action culturelle et l'on peut venir les consulter. De plus, quand la rémunération des interventions passe par nous, elle est toujours versée en droits d'auteur avec déclaration à l'AGESSA et nous commandons un texte à l'auteur inspiré par son ou ses interventions. Ces textes, de témoignage ou de réflexion, nous permettent de mieux les connaître et de mieux connaître les actions et les commanditaires, nous servent à nous aussi de guide et ils participent de l'élaboration de cette culture dont je parlais. D'ailleurs, nous publions ceux de ces textes qui nous paraissent les plus parlants, tantôt dans la Lettre trimestrielle, tantôt sur notre site.

Mais je ne voudrais pas donner l'impression qu'il y a là une manne abondante qu'il n'y aurait qu'à venir attendre et ce pour deux raisons. D'abord parce qu'il est bon que les écrivains soient aussi propositionnels. L'institution peut avoir un aspect léthargique, ou répétitif dans ses propositions et elle peut avoir besoin d'être stimulée. Ensuite, et ce n'est pas contradictoire bien que ça puisse apparaître tel, parce que l'action culturelle et l'éducation artistique, on le sait, subissent depuis deux-trois ans des restrictions budgétaires importantes et de nombreux projets qui impliquaient des participation d'artistes et d'écrivains ne peuvent plus voir le jour, sont réduits ou reportés sine die.
Face à cette situation, on peut être optimiste, pessimiste ou combatif. Personnellement, je ne pense pas en tous cas que l'on puisse s'y résigner facilement.
A la Maison des écrivains, quoi qu'il en soit de cet avenir, nous travaillons à préparer d'autres outils.