Anne Miller, secrétaire générale du CNL
Beaucoup de gens ici connaissent le Centre national du livre, mais je vais peut-être commencer par vous rappeler quelles sont ses missions.
Le Centre national du livre est un établissement public administratif, sous tutelle du ministère de la Culture, dont la vocation est le soutien à la chaîne du livre et à l'économie du livre. L'idée est d'aider et de promouvoir la création, la publication et la diffusion d'oeuvres exigeantes tout au long de cette chaîne du livre, c'est à dire au sein d'un système qui est censé avoir une certaine logique économique. Il ne s'agit pas de prendre l'initiative, de décréter le bon et le bien, mais simplement de soutenir des oeuvres exigeantes que des personnes privées ont envie de créer, de publier, de diffuser.
C'est pour cela que nous intervenons tout au long de la chaîne du livre, en faveur des auteurs, mais aussi des éditeurs, des libraires, des bibliothécaires, des organisateurs de manifestations destinées à faire connaître les oeuvres et leurs créateurs. Je n'oublie pas les traducteurs, qui sont également au coeur de notre action, mais je n'en parlerai pas aujourd'hui, pour me concentrer sur le sujet de notre table ronde.
Pour revenir aux auteurs il est clair que le CNL est là, par l'octroi de bourses, pour favoriser la création littéraire au sens large, car il s'agit aussi bien de la littérature (poésie, théâtre, roman) que des oeuvres de l'esprit en matière de sciences humaines, de philosophie, de littérature scientifique et technique, d'histoire de l'art. On considère au CNL que toute personne qui est capable d'écrire un livre qui apporte quelque chose à la pensée, que ce soit de la création ou une façon d'aborder avec sérieux et talent des sujets de sciences humaines, doit être considérée comme un auteur à part entière.
Ces aides sont bien des bourses, mais en aucun cas des pensions. Le CNL a clairement pris le parti de ne pas s'engager dans ce chemin dangereux que signalait Nathalie Heinich : il ne se sent pas habilité à décréter que tel ou tel auteur a vocation à être pensionné à vie par l'Etat, c'est-à-dire, au passage, par les contribuables, par la collectivité.
Simplement, nous considérons que le temps est quelque chose d'essentiel pour un auteur. À partir du moment où il est très aléatoire de pouvoir vivre de sa plume, cela nécessite forcément des sacrifices, d'une façon ou d'une autre, sauf pour les auteurs de best-sellers, mais je les oublie, ils sont tellement minoritaires. Même les quelque 2500 auteurs qui relèvent de l'Agessa ne peuvent certainement pas tous vivre exclusivement de leurs droits d'auteurs. A ceux qui sont obligés d'avoir des métiers à côté de l'écriture, nous voulons offrir du temps.
Pour revenir au thème de la table ronde, dans ces conditions, est-ce qu'écrire est un métier ? Nathalie Heinich a très brillamment dégagé des catégories sociologiques en distinguant vocation, profession, métier et je dirais qu'au CNL, on reconnaît les auteurs comme étant de vrais « professionnels». Il est demandé à chaque auteur, pour pouvoir présenter sa candidature à une bourse, d'avoir déjà publié. Cela veut dire qu'un éditeur au moins, des libraires, des lecteurs l'ont reconnu comme auteur : il ne peut pas simplement s'auto-proclamer auteur. De ce point de vue, il faut être « du métier ».
À ce sens du mot « métier », je dirais que pour le CNL, écrire est un métier parce que cela nécessite une qualification, des qualités d'écriture, toutes choses qui se travaillent. En revanche, nous partons du principe que l'auteur ne peut pas forcément vivre de sa plume. Je répondrais donc oui et non à la question posée. Oui au sens de « professionnalisme», non au sens de « métier rémunérateur ».
Comme je vous l'ai dit précédemment, l'objet principal des bourses du CNL est d'accorder du temps rémunéré pour écrire, mais pour une période limitée et non reconductible immédiatement, même s'il est possible de présenter à nouveau sa candidature après un délai de carence. Le CNL, s'il n'a pas vocation à « entretenir» les auteurs, peut néanmoins les aider à différentes étapes de leur carrière.
Nous tentons également d'adapter nos aides aux différents tempéraments d'auteurs. Il y a des gens qui ont besoin de trois, six mois ou d'un an devant eux, d'autres qui ont besoin de se mettre à mi-temps pendant un an, d'autres qui ne peuvent pas interrompre leur métier mais voudraient se dégager d'activités annexes. Nous avons des solutions pour chacune de ces situations. Je voulais terminer en vous parlant du fait qu'il y a très peu de temps, le CNL a voulu mener une réflexion sur ses aides, notamment aux auteurs. Certains de nos débats rejoignent la problématique de cette table ronde. Deux évolutions majeures ont été arbitrées après des discussions très approfondies.
Tout d'abord, jusqu'à la fin 2005, dans la plupart des domaines - à l'exception des sciences humaines -, on ne demandait pas de projet. L'auteur nous envoyait ses livres, qui étaient lus, il y avait un débat en commission et on lui donnait une bourse à tel ou tel niveau selon ses mérites passés et sa situation financière présente.
Or, la décision a été prise de demander systématiquement un projet à tout auteur dans tous les domaines. Nous considérons qu'un auteur ne peut se présenter en disant : « voilà ce que j'ai fait, faites-moi confiance, vous pouvez me verser tant de milliers d'euros», d'autant moins que, même si l'auteur n'écrit finalement pas, la bourse lui reste acquise. Cependant, nous avons été sensibles aux arguments de ceux qui nous ont fait valoir que certaines disciplines (poésie, notamment) ne se prêtent par à la présentation d'un projet, ou que, tout simplement, certains auteurs savent élaborer un projet et d'autres non. Je me souviens de Pierrette Fleutiaux, notre présidente de commission roman, qui nous a dit qu'elle aurait été bien incapable de décrire son projet lors de sa demande d'année sabbatique au CNL quelques années plus tôt, et que pendant l'année qui lui avait été accordée, elle n'avait pas pu écrire une ligne, puis que tout est « sorti» très rapidement dans les mois qui ont suivi.
Finalement, on est arrivé à une solution intermédiaire : l'auteur pourra soit fournir un projet, soit expliquer tout simplement comment il travaille (comment il conçoit son métier !) dans une note d'intention.
L'autre grand débat a concerné le lien entre création et publication. Belinda Cannone disait qu'elle avait envie d'écrire, qu'elle soit publiée ou non, et c'est son droit le plus absolu. Simplement, à partir du moment où l'on sollicite le CNL, il faut accepter de s'inscrire dans l'économie du livre. Le CNL ne peut donner des aides à des auteurs qui ne se préoccupent absolument pas de la façon dont ils seront ou pas publiés ou lus. Donc, nous avons pensé demander à chaque auteur candidat un contrat ou une lettre d'intention d'éditeur. C'est ce que l'on faisait jusqu'ici en sciences humaines, pour éviter de soutenir les travaux de recherche purement universitaire, et cela ne provoquait aucun remous.
Mais au cours des débats cette idée a provoqué une véritable levée de boucliers, le risque a été évoqué, notamment, de rompre l'équilibre entre les maillons de la chaîne du livre, d'inciter les éditeurs à reporter vers le CNL le paiement des droits d'auteur et des à valoir.
Nous avons donc renoncé à cette idée, du moins pour le domaine de la création, mais nous avons décidé de demander que l'auteur nous explique à tout le moins comment il pense qu'il va pouvoir se faire publier, quel type d'éditeur peut être intéressé par son oeuvre. En effet, il me paraît difficile de concevoir un véritable auteur qui ne soit pas aussi un gros lecteur. Il doit savoir ce que font les autres, ce que publient les éditeurs et par lequel il a une chance de se faire publier.
Voilà pourquoi les dernières évolutions du système d'aide aux auteurs du CNL, que ce soit l'exigence d'un projet d'écriture ou d'un projet d'édition, me semblent aller dans le sens de la reconnaissance du professionnalisme de l'écrivain.