Alain Absire, auteur, Président de la SGDL
Au terme de ce Forum, je voudrais, revenir sur quelques propos emblématiques tenus par nos invités, concernant ce droit moral, justement présenté dans sa définition par Isabelle Wekstein comme étant : "inaliénable, incessible et imprescriptible".
Dans la première table ronde, Raphaële Billetdoux nous a ainsi parlé avec émotion de "L'âme d'une oeuvre souillée" et "d'un enfant dénaturé", à propos de l'adaptation cinématographique de son roman : Mes nuits sont plus belles que vos jours.
Jacques-Alain Miller a évoqué une notion qui m'est chère : "la solidarité du droit moral entre auteurs". Insistant sur l'exercice du droit moral à propos d'une oeuvre en voie d'achèvement Christine Miller a cité, pour sa part, cette phrase d'un réalisateur auquel elle a eu affaire : "un scénario, c'est fait pour être violé ", et Guillaume Villeneuve nous a incités à ne jamais renoncer à agir pour faire respecter notre droit moral...
Lors de la seconde table ronde, Monsieur le Professeur Pollaud-Dulian a, entre autres, souligné combien le caractère perpétuel de notre droit moral français était mal compris par nos voisins européens. Il a également insisté sur " l'esprit de fidélité " post-mortem aux volontés d'un auteur défunt.
Se basant sur les conclusions récentes du juge dans l'affaire Hugo/Les Misérables, Maître Pierrat a mis l'accent sur "l'intérêt à agir en justice " de la Société des Gens de Lettres, qui a pour charge la défense du droit moral mis en péril par des opérations mercantiles. Quant à Laure Leroy, directrice des Éditions Zulma, elle a introduit la notion de défense du droit moral des auteurs par leurs éditeurs à l'étranger, et a rappelé que, face à l'abus de droit par les ayants droit, le droit moral ne devait pas être confondu avec "une pompe à finances".
Dans la troisième table ronde, autour de la notion de "pacte culturel", M. Philippe Gaudrat a mis en avant l'intérêt du public, amateur d'oeuvres de l'esprit, au respect du droit moral. Notion liée au travail pédagogique nécessaire face à la méconnaissance des auteurs, du public et des pouvoirs publics, en la matière. Catherine Borgella a souligné que : "Chaque nouveau pan de nos droits perdus est un nouveau morceau de bouclier qui tombe". Puis, tout en remarquant que, même si "tout n'est pas oeuvre", elle a dénoncé "le coauteurage à tout va" en matière d'oeuvre audiovisuelle, et, rejoignant Anne Miller, a plaidé pour que le scénario soit considéré comme une oeuvre en soi, dissociable du film présenté au public.
Enfin, Guillaume Marsal, juriste de la SGDL, a rappelé les graves atteintes à l'intégrité de l'oeuvre dans l'environnement numérique.
Quelles résolutions prendre ?
Autour des deux thèmes de solidarité du droit moral, et de liberté culturelle dans un environnement intellectuel non induit par le marché, je voudrais, pour conclure, vous proposer deux pistes de travail :
1 - La consolidation du pôle d'information et de travail pédagogique, dont ce Forum est l'acte fondateur.
Pôle permanent constitué à l'usage de :
- notre communauté d'auteurs, dont chaque membre doit se garder de signer tout et n'importe quoi, et doit toujours être en mesure d'agir pour faire respecter son droit moral ;
- du public, dont le goût pour les oeuvres originales et de qualité est protégé par le droit moral ;
- des pouvoirs publics, décisionnaires en matière de législation et de pratiques juridiques ;
- des pays étrangers, où les spécificités de notre droit moral sont mal comprises.
2 - La création d'un Observatoire du champ d'application et du respect du droit moral à la Société des Gens de Lettres,
suivant trois modes d'intervention :
- L'alerte...
- dans les nouvelles fenêtres d'exploitation des oeuvres ;
- face aux nouvelles technologies ;
- dans le cadre de la transposition des directives européennes ;
- face aux lois du marché, etc. - La défense...
- grâce à l'identification de tous les ayants droit d'auteurs disparus, par le biais du premier fichier centralisé consultable pour toute utilisation totale ou partielle d'une oeuvre de création,
- par la saisie du tribunal (voir "l'intérêt à agir" de la Société des Gens de Lettres). - La reconquête...
- par la redéfinition du concept d'oeuvre, en particulier dans l'audiovisuel ;
- en oeuvrant pour l'élaboration d'un "code des usages", dotant le scénariste et le scénario d'un statut à part entière ;
- par le marquage précis séparant oeuvre et produit ;
- par l'implication de la Société des Gens de Lettres dans les réseaux européens de réflexion et de proposition en matière de droit d'auteur (European Writers Congress), etc.
De quoi bien nous occuper pour les mois à venir...