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Isabelle Wekstein, avocat à la Cour, spécialisée en droit de la propriété intellectuelle dans le secteur de l'édition et de l'audiovisuel


On classe les attributs du droit moral en quatre catégories : le droit à la paternité de l'oeuvre, le droit au respect, le droit de divulgation et le droit de retrait et de repentir.

Le droit à la paternité

La loi dit que l'auteur jouit du droit au respect de son nom et aussi de sa qualité. Ça veut dire, en premier lieu, que chaque auteur a le droit de voir évidemment mentionner son nom sur son oeuvre, que son oeuvre soit diffusée sous son nom. C'est un droit qui s'applique quelle que soit la célébrité de l'auteur, quelle que soit sa contribution, qu'il s'agisse d'une oeuvre de collaboration ou d'une oeuvre collective.
Dans le domaine de l'édition littéraire, l'auteur a aussi le droit de voir figurer son nom sur chaque exemplaire de son oeuvre.

C'est un droit qui s'applique également, pour tous les coauteurs d'oeuvres audiovisuelles, qui ont le droit de voir mentionner leur nom au générique.

C'est aussi le droit de rester anonyme, de ne pas voir révéler son identité et un éditeur engagerait sa responsabilité s'il révélait le nom d'un auteur qui veut publier de manière anonyme. C'est également le droit de porter un pseudonyme. C'est le droit pour l'auteur de s'opposer à ce qu'on lui attribue faussement des oeuvres dont il n'est pas l'auteur.

Ce droit au nom est souvent couplé au droit du respect de la qualité qui pose en pratique moins de problèmes, qui est, pour l'auteur, la possibilité d'exiger que soient indiqués ses titres, ses grades, ses distinctions.

Le respect du droit au nom, peut en pratique se poser en cas d'omission du nom de l'auteur. Il peut se heurter à des difficultés d'ordre pratique (exemple de l'environnement numérique : il est délicat dans les CD-Rom qui reproduisent des banques d'images de devoir mentionner le nom de l'auteur sur chacune des reproductions). Les conventions relatives à la paternité de l'oeuvre peuvent également poser problème. C'est le cas classique des contrats passés avec les "prête-plume". Est-ce que ces contrats sont licites ou non ? Dans de tels contrats, les véritables auteurs renoncent à la paternité de l'oeuvre, ce qui est en principe contraire à la loi.

Dans le domaine musical encore, on voit souvent de nombreux auteurs qui collaborent pour composer ou co-écrire ensemble une oeuvre. Certains, abandonnant leur droit à la paternité de l'oeuvre au profit d'autres. De telles conventions sont en principe nulles.

Le droit au respect de l'oeuvre

C'est le droit au respect de son intégrité. La loi rappelle que l'auteur a droit au respect de son oeuvre en ce sens qu'on ne peut pas la modifier, l'altérer, y faire des adjonctions, des suppressions, des modifications sans que l'auteur, qui se plaint d'une atteinte à l'intégrité de l'oeuvre ait à prouver qu'il y a une atteinte à son honneur ou à sa réputation. Le seul fait qu'il y a une modification de son oeuvre constitue une atteinte à l'intégrité de l'oeuvre.

Là aussi, il y a des tempéraments. La Cour de cassation a ainsi estimé que certaines modifications, adjonctions qui n'avaient pas pour conséquence de donner une image inexacte de l'oeuvre, pouvaient être admises.
Le respect de l'oeuvre c'est aussi le respect de l'esprit de l'oeuvre, c'est-dire qu'il n'y a pas respect de l'esprit de l'oeuvre quand on la présente dans un contexte qui la dénigre ou la déprécie. C'est ce qu'ont jugé les tribunaux à propos de l'interprétation de l'oeuvre de Beckett, En attendant Godot, où l'ayant droit s'est opposé à ce que les rôles de l'oeuvre soient distribués à des hommes et des femmes puisque Beckett exigeait que les personnages de la pièce ne soient interprétés que par des rôles masculins. On a considéré qu'il y avait effectivement une atteinte à l'esprit de l'oeuvre et l'ayant droit a obtenu gain de cause.

Par contre, un réalisateur de film ne pourrait pas, vraisemblablement, s'opposer à ce que son film ne soit pas diffusé avant un débat télévisé parce qu'il n'apprécierait pas le contenu du débat qui doit suivre la diffusion de son oeuvre.

Le fait de diffuser des oeuvres avec des coupures publicitaires - c'est un problème extrêmement classique - ou avec, en incrustation, le logo de la chaîne de télévision peut aussi constituer une atteinte au droit à l'intégrité de l'oeuvre.


Le droit de divulgation

Le droit de divulgation, c'est le droit pour l'auteur de décider de divulguer son oeuvre, la porter à la connaissance du public. La divulgation implique à la fois un fait matériel, comme la publication, mais aussi une volonté de l'auteur qui doit être dépourvue d'ambiguïté. On parlera du fait d'éditer sous forme d'un écrit ce qu'un auteur a voulu voir diffuser sous une forme exclusivement orale, comme, par exemple les cours de Lacan ou comme certains cours de Barthes. Le droit de divulgation est le droit de fixer les modalités selon lesquelles l'oeuvre va être communiquée au public. Un auteur peut céder ses droits de représentation et de reproduction sur une oeuvre et néanmoins exercer son droit de divulgation pour empêcher une forme de communication au public.
Et la question est ici de savoir s'il peut revenir sur sa parole, avoir cédé ses droits d'un côté, comme par exemple un peintre qui cède une peinture dont il estime après qu'elle est inachevée et qui veut interdire l'exposition de la toile. Dans quel sens se tranche concrètement ce conflit ?


Le droit de repentir et de retrait

Ce sont des droits dont on entend un peu moins parler. Le droit de repentir est le droit de modifier l'oeuvre, le droit de retrait est le droit de revenir, par une rupture unilatérale, sur la cession des droits qu'on a confiés à un tiers. Ce sont des droits qui s'exercent après la divulgation (par exemple une oeuvre a été éditée et l'auteur veut y faire des corrections). La loi a encadré ces droits d'une certaine manière puisque si l'auteur a la possibilité d'exercer, de modifier par exemple son texte, dans le cas du droit de repentir, ou de revenir sur la cession des droits, dans le cadre du retrait, c'est avec un certain contrôle. La loi prévoit le principe d'une indemnisation, l'auteur devra ainsi indemniser le cessionnaire du préjudice que le repentir ou le retrait lui fait subir.
La loi prévoit en second lieu, un contrôle du juge sur l'exercice de ces droits pour éviter qu'il y ait abus du droit de repentir ou de retrait. Un auteur ne pourrait pas, par exemple sous prétexte qu'il veut revenir sur des conditions financières contractuelles, comme le taux de rémunération, invoquer un droit de retrait ou de repentir pour revenir sur un contrat de cession de droit valablement passé.

Voilà une présentation très rapide des attributs du droit moral. Le droit moral présente par ailleurs certains caractères tels que l'inaliénabilité, l'imprescriptibilité, le caractère d'ordre public, personnel, perpétuel, que nombre de contrats, en particulier dans le domaine de l'audiovisuel, (pour des réalisateurs notamment) ne respectent pas toujours. En effet un certain nombre de contrats comportent des clauses qui permettent, au mépris de ces attributs, de contrevenir au droit moral en permettant au producteur ou à l'éditeur, de procéder à certain nombre d'adaptations, modifications, altérations,... de l'oeuvre. Cela devrait susciter une certaine vigilance de la part des contractants.