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Cécile Barbière
Journaliste, modératrice

Pour ce débat consacré à l’avenir du droit d’auteur en Europe, nous avons le plaisir d’accueillir à la tribune Virginie Rozière, députée européenne au parti radical de gauche, qui siège à la Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs au parlement européen ; Maria Martin-Prat, chef de l’unité Droit d’auteur à la Direction générale Réseaux de communication, contenu et technologies (CNECT) de la Commission européenne ; Hervé Rony, vice-président du CPE en charge des affaires européennes, également directeur général de la SCAM depuis 2010, enfin Olav Stokkmo, directeur général de la fédération internationale des organisations de droits de reproduction (IFRRO). Je passe tout de suite la parole à Virginie Rozière, qui a été l’une des observatrices de la première étape de cette réforme évoquée tout à l’heure du point de vue français puis européen. Qu’en est-il de la position du parlement européen sur ce chantier à venir, sur la base du rapport Reda ?

♦ Virginie Rozière
Resituons d’abord le travail du parlement dans un temps long, comme l’a fait à juste titre le professeur Lucas en rappelant que le rapport Reda faisait suite à un certain nombre de travaux, de rapports, de livres verts de la Commission européenne. C’est dans ce contexte-là, avec l’annonce d’une réforme à venir du droit d’auteur pour l’adapter au nouvel environnement numérique, que le parlement européen a confié à Julia Reda, députée du parti Pirate allemand (ce qui donne une connotation particulière à sa proposition initiale), la réalisation du rapport sur lequel il est appelé à se prononcer. Je suis membre de la commission Marché intérieur, mais aussi membre de la commission des affaires juridiques au parlement européen et c’est à ce titre que j’ai participé au débat puisque le droit d’auteur entre dans la compétence de cette commission juridique au titre de la propriété intellectuelle au sens large.
On pourrait légitimement se demander en quoi une réforme du droit d’auteur serait indispensable. Cela tient à un constat partagé par tous les acteurs : depuis une quinzaine d’années, on assiste à un bouleversement des usages et à un changement dans la manière dont le public accède aux œuvres culturelles. On me pardonnera de parler de public et de culture plutôt que de consommateurs et de contenu. Ce bouleversement touche aussi les modèles économiques, ainsi que les rapports et les obligations mutuelles entre les différents acteurs, compte tenu de l’émergence de nouveaux acteurs prépondérants aujourd’hui.
On aurait pu penser qu’il faut en effet adapter le droit d’auteur à ces nouveaux usages, pour autant qu’il conserve son rôle de pivot, qu’il continue de garantir le lien intime entre l’artiste et son œuvre, c’est-à-dire son droit moral, mais aussi son droit à vivre de sa création. C’est bien là l’essence et l’esprit du droit d’auteur, qu’il convient de respecter quels que soient les nouveaux usages et les nouvelles modalités d’accès à la création. Or, dans ce rapport Reda, la réforme de la directive européenne est envisagée à partir d’autres prémisses, sur une vision essentiellement économique articulée en termes de marché et de consommateurs. Cela pose question dans la manière dont est appréhendée cette évolution.
Les débats au parlement européen sur le rapport Reda ont toutefois permis de mettre ces notions en avant, de même que la nécessaire pérennité des politiques de soutien à la création culturelle, qui pourrait être fragilisée par un bouleversement soudain de cette aide ou par une modification de la répartition de la valeur ainsi que des modalités de rémunération entre les différents acteurs. Il en va de la pérennité et de la vitalité de la création culturelle en Europe.
Parmi les principaux points d’achoppement du rapport Reda, la question de la gratuité. La gratuité est-elle désirable en tant que modalité d’accès à la culture ? Bien qu’il s’incarne dans nombre d’usages aujourd’hui, ce postulat est largement discutable. Dans un monde qui change, la question de la juste rémunération des auteurs reste essentielle. Adapter le droit d’auteur aux nouveaux usages numériques, pourquoi pas, mais prenons garde de ne pas ouvrir une boite de Pandore en termes d’insécurité juridique.
Pour conclure cet aperçu des débats au parlement européen, j’ajoute qu’ils ont également porté sur les exceptions, sur la répartition de la valeur, sur les formats propriétaires, sur l’interopérabilité, ainsi que sur la possibilité pour les œuvres de circuler sans qu’elles soient capturées par les distributeurs en bout de chaîne pour en accaparer l’essentiel de la valeur…  

♦ Cécile Barbière
Où en est la préparation des textes de cette réforme qui fait partie des priorités annoncées par la Commission européenne pour 2015 ?

♦ Maria Martin-Prat
Quand j’ai pris mes fonctions en 2011, le gros des discussions en matière de droit d’auteur portait sur l’industrie du livre : l'affaire Google books, la question des œuvres orphelines et les négociations autour du traité de Marrakech. D'autres questions comme l'éducation, les bibliothèques, la recherche étaient aussi au centre du débat. Ce sont des questions liées à l'évolution technologique et au caractère transfrontalier du numérique.

Le droit d’auteur a toujours su s’adapter, j’en conviens. Toutefois, la rapidité des évolutions techniques et des changements d’usage pose problème pour établir un cadre juridique au niveau européen. En plus l’accord des vingt-huit États-membres est requis. En même temps, les États disposent d’une marge de manœuvre très limitée pour faire évoluer le droit. Il faudra donc évoluer ensemble !

Les derniers débats ont permis certaines avancées comparativement aux années précédentes, où s’opposaient tenants d’un abandon du droit d’auteur et ayants droit refusant tout changement. Des questions essentielles sont aujourd’hui mises sur la table, comme la question des exceptions, la liste étant close au niveau européen, ou encore le rôle des industries culturelles dans l’économie de l’Union, et à cet égard beaucoup comprennent maintenant que le droit d’auteur n’est pas une protection culturelle européenne excentrique et obsolète mais bien un facteur de création d’emplois et de richesse en Europe.
La question du partage de la valeur dans les nouveaux modes d’exploitation en ligne est aussi sur la table. Elle touche à la notion de communication au public, à la notion d'acte d’exploitation en ligne, et aux effets de la directive sur le commerce éléctronique.
La définition du droit d’auteur ne doit pas uniquement relever du droit moral, mais aussi du droit économique. C’est le droit économique, qui permet à un auteur d’autoriser ou non une exploitation. Si on casse le lien individuel de l’œuvre avec son auteur, il y a danger pour l’existence même du droit d’auteur.
La Commission a publié au printemps sa « Stratégie du marché unique numérique », annonçant des propositions à court et moyen terme. Le plan comprend 16 initiatives que la Commission, les États-membres et le Parlement européen vont s'efforcer de préciser d'ici fin 2016. Des décisions politiques restent à prendre, concernant certains choix fondamentaux à long terme. Outre l’obstacle des différences de régime juridique entre les États-membres dans les échanges transfrontaliers, il reste à régler le curseur entre flexibilité indispensable et besoin d’harmonisation. Il faut y réfléchir sérieusement, et travailler d’une main tremblante tant les enjeux sont importants sur le long terme.

♦ Cécile Barbière
Dans ce projet de réforme, quelles sont les attentes des auteurs ?

♦ Hervé Rony
La première réaction des auteurs et des ayants droit a été de considérer qu’il n’y avait pas d’urgence à modifier de façon générale le droit d’auteur en Europe. La Commission Juncker, plus encore que la précédente hélas, fait montre d’un travers pro-nouvelles technologies prononcé. Or, la construction du Marché unique européen se heurte dans le domaine culturel à une contradiction majeure, concernant des principes de territorialité et de protection culturelle qu’il faut absolument préserver, avec des réalités nationales qui restent très diverses en Europe et qui sont une richesse.
Il est à craindre que nous ayons raté ici un coche historique, au niveau des chefs d’État et de gouvernement, en nous abstenant de poser la question de l’Europe culturelle des médias et du droit auteur, tandis qu’on a su la traiter à l’Unesco dans le contexte des négociations à l’OMC, avec le traité international sur la circulation des biens culturels. Il est pourtant indispensable de traiter ce problème fondamental, compte tenu du malaise éprouvé devant nos professions par les tenants du Marché unique à tous crins.

On discute d’un certain nombre de points sur lesquels il est possible de trouver des accords conjoncturels, à petits pas, mais cela vaut finalement mieux qu’une éventuelle nuit du 4 août concernant le droit d’auteur… On nous reproche d’être des idéologues du droit d’auteur, mais les autres acteurs ne le sont certainement pas moins et Mme Prat devra faire la part des différents lobbies à l’œuvre pour trouver un équilibre.
Le droit d’auteur est-il dépassé ? Certainement pas. Il permet tout simplement de négocier contractuellement l’exploitation d’une œuvre. Le problème aujourd’hui est que cette négociation contractuelle ne se fait pas de la même façon parmi les partenaires européens. Ce qui va nous affaiblir par le biais des exceptions est bien cette atteinte portée à notre capacité à contractualiser nos relations avec les exploitants des œuvres. Cette gestion contractuelle dans un cadre protecteur est au cœur de ce que nous cherchons à préserver, c’est notre colonne vertébrale.
Dans le travail réalisé par la Commission européenne, il n’y a pas suffisamment d’études d’impact. On nous parle de blocages, de difficultés : qu’on nous les démontre ! Il ne s’agit pas de refuser, au nom de je ne sais quel conservatisme, toute évolution du droit. En lui-même, le droit n’est jamais archaïque, il est au contraire très contemporain, en permanente adaptation à la société. Chacun est prêt à accompagner cette évolution, dès lors que l’Europe s’exprime clairement sur ce qu’elle veut globalement et qu’elle garantit la protection de nos droits à travers la lutte contre les contenus illicites.

En tout état de cause, on ne peut accepter une réforme du droit d’auteur qui serait isolée d’une réforme de la Directive commerce électronique. La directive de 2000 sur le commerce électronique est d’ailleurs largement plus obsolète que celle de 2001 sur le droit d’auteur, qui a fixé un certain nombre d’exceptions tout en laissant des marges de manœuvre aux États compte tenu de la difficulté voire de l’impossibilité d’obtenir un consensus au niveau européen.
Nous continuerons à défendre le droit des écrivains à Bruxelles, où les auteurs semblent avoir toujours beaucoup de mal à se faire entendre, mais nous nous félicitons des discussions avec Mme Martin-Prat. Nous avons davantage confiance dans ce nouveau parlement européen, qui a bien travaillé avec ses amendements au rapport Reda initial et su se faire entendre par la Commission européenne.
Oui, nous entendons garder nos protections, mais nous sommes prêts à évoluer avec le monde.

♦ Cécile Barbière
Quid de l’évolution du droit d’auteur au niveau mondial ?

♦ Olav Stokkmo
L’IFRRO - La fédération internationale des organisations de droits de reproduction - est est le réseau international principal des sociétés chargées de la gestion collective des droits de reproduction et les organisations d’auteur et d’éditeurs dans le secteur du matériau imprimé et publié.  Les membres de l’IFRRO sont les sociétés de gestion collective dans le secteur des œuvres imprimées, au même titre que le CFC ou la Sofia en France, ainsi que des association d’auteurs et éditeurs au niveau national et international, comme le SNE ou le FIA. En octobre 2015  nous comptons 145 associations membres dans 80 pays de tous les continents.
Le secteur créatif est essentiel au développement de la culture nationale et européenne. Le savoir, l’éducation, la recherche ne peuvent espérer progresser en l’absence d’accès à la propriété intellectuelle. Ce secteur est un contributeur majeur à l’économie et à l’emploi en Europe, et ce secteur donne un excédent à la balance du commerce extérieur de l’Union européenne.

Des études conduites dans plus de 40 pays dans le monde, utilisant une méthode développée pour l’OMPI (l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) montrent de même façon l’importance significative de la contribution du secteur créatif. En outre, ces études mettent en lumière la corrélation existant entre le niveau d’investissement dans le secteur du droit d’auteur d’une part et l’innovation et la compétitivité d’autre part. C’est bien la protection de l’expression créative, du créateur et de l’éditeur qui investit dans sa diffusion, qui stimulent la création et la diffusion de nouvelles œuvres, et non la libre disposition – le free use – sans autorisation préalable, ni rémunération pour l’auteur et l’éditeur. Toute modification de cette protection dont le cadre a été établi avec soin depuis très longtemps doit d’abord viser à renforcer le secteur créatif, sachant par ailleurs la remarquable adaptabilité du droit d’auteur.
Dans le secteur de l’imprimé, l’écosystème est constitué de trois éléments : le premier marché (on achète un livre, un abonnement), le marché secondaire (on réutilise une œuvre déjà publiée), enfin les exceptions. Il existe en Europe des solutions établies et orientées vers le marché secondaire, qui offre un accès facile et légal à des usages qui peuvent être multiples sur les œuvres déjà publiées. Il s’agit de la gestion collective qui est mise en œuvre dans le secteur de l’édition et de l’imprimerie par les RROs, les Organisations de gestion des Droits de Reproduction. Les revenus issus de ces usages secondaires sont essentiels pour les auteurs et les éditeurs. En Grande-Bretagne, 25% des auteurs reçoivent plus de 60% de leurs revenus des usages secondaires. Pour les éditeurs de ressources pédagogiques, les revenus générés par les usages secondaires représentent 12% de leurs revenus et sont vitaux pour financer la transition vers le numérique, en adéquation avec les objectifs de la Commission européenne.

Les représentants des institutions européennes déclarent qu’apporter des modifications au cadre européen entourant le droit d’auteur ne devrait être entrepris que dans le cas où cela permettrait de créer une situation gagnant-gagnant pour les utilisateurs et les acteurs de la création, sans aucune intention de fragiliser la base permettant aux auteurs et aux éditeurs de percevoir une rémunération. L’avenir n’est pas encore écrit. Évitons en tout cas de remplacer des solutions existantes qui fonctionnent (comme ici en France par exemple) par des exceptions et des limitations non rémunératrices, qui en outre ne peuvent répondre aux attentes changeantes et évolutives des utilisateurs. À l’inverse, les accords passés avec des auteurs et des éditeurs et soutenus par les accords signés avec des organisations de gestion collective ont cette faculté. Les exceptions et limitations sont importantes, je ne le nie pas, cependant les exceptions non rémunérées doivent être limitées aux cas où le premier marché et le marché secondaire ne peuvent répondre à un besoin de marché de façon efficace.
La Commission européenne est donc invitée à proposer des changements là où c’est nécessaire, et seulement si cela contribue au développement du secteur créatif et de l’édition. Nous estimons, à l’IFRRO, qu’il faut agir en bonne coopération avec la Commission, et nous continuerons à partager des informations au sujet des solutions établies dans les Etats membres et de leur mise en œuvre, notamment afin de garantir la bonne transparence et la circulation des informations entre les États-membres.

♦ Cécile Barbière
La question des exceptions et limitations occupe une place centrale dans cette évolution du droit d’auteur. Faut-il élargir les limitations, à l’image du « Fair use » étasunien, ou bien le spectre actuel des exceptions et limitations tel qu’il existe en France et en Europe est-il suffisamment ouvert ? Une plus grande harmonisation est-elle souhaitable, et permettrait-elle une meilleure circulation des œuvres dans le cadre du marché unique numérique ?

♦ Hervé Rony
Je ne pense pas qu’un consensus puisse être trouvé sur de nouvelles exceptions obligatoires au niveau européen. La philosophie qui a présidé à l’adoption de la Directive de 2001 ne semble pas devoir être remise en cause. Une seule exception pourrait être rendue obligatoire : la copie privée, qui est pour le moment facultative. Nous ne voulons pas du régime américain décrit tout à l’heure par le professeur Lucas. Ne faudrait-il pas plutôt laisser le juge faire évoluer le droit ? Les bases aujourd’hui d’un certain nombre d’exceptions sont bonnes, on peut en rendre certaines obligatoires au titre de l’harmonisation européenne, mais nous ne sommes pas demandeurs du « Fair use » ni d’une exception sur les œuvres transformatives.
Le CSPLA a fait un travail très utile sur ce sujet, démontrant qu’il n’y avait aucune urgence à légiférer et qu’il était préférable de laisser évoluer la jurisprudence. Il arrive en la matière que la CJUE rende des décisions qui ne nous plaisent pas, par exemple concernant le droit de communication au public, mais c’est au fond un outil intéressant, qui permet d’évoluer. Pourquoi vouloir aller vite, quand on sait que nombre d’exceptions vont pouvoir profiter à certains opérateurs privés et que le danger est grand d’une reprivatisation du domaine public ?
Nous ne sommes pas en demande aujourd’hui, si ce n’est concernant le partage de la valeur.
Cette question recouvre deux domaines différents, celui des auteurs mais également celui des éditeurs et producteurs qui veulent eux aussi avoir leur part du gâteau face à des grands opérateurs venus des États-Unis et que l’Europe accueille de façon surréaliste actuellement, qu’il s’agisse de la TVA ou des aménagements fiscaux qui vont jusqu’à l’évasion fiscale organisée. C’est là qu’on peut être en colère contre la Commission de monsieur Juncker, pour qui il est acceptable que Google n’accepte pas de payer ses impôts de façon normale.
Il existe ainsi beaucoup de sujets périphériques autour du droit d’auteur, qui relativisent l’urgence de son évolution. Les exceptions qu’on nous proposera devront être strictement définies, tandis que nous n’hésiterons pas à dénoncer celles qui favorisent des usages commerciaux à notre détriment. En revanche, il peut y avoir souplesse de notre part en cas d’exploitation de nos œuvres sans but lucratif ni préjudice économique.
L’élément clé dans le domaine du marché numérique est bien celui du partage de la valeur. Le problème sur internet n’est pas le droit d’auteur, contrairement à ce qu’affecte de croire la Commission européenne : le problème est d’abord économique, comme l’illustre le cas de l’industrie du disque. Attention à ne pas lâcher la proie pour l’ombre, à ne pas tirer les revenus vers le bas comme ont tendance à le faire les exceptions, ou alors il faudra aborder la question des compensations. Bref, nous refusons une harmonisation qui se ferait par le bas.

♦ Cécile Barbière
Légiférer sur le droit d’auteur, est-ce l’urgence pour la Commission ? Quid de la dimension économique des exceptions dans l’évolution du droit d’auteur européen ?

♦ Maria Martin-Prat
L’exception du droit d’auteur établit le périmètre du droit. Cela fait partie de sa légitimité. Il y a des objectifs d’intérêt général dont tiennent compte les législateurs au moment de définir le monopole du droit d’auteur. La discussion sur l’harmonisation doit se poursuivre au niveau européen car la Directive de 2001 donne une liste d’exceptions fermée mais ne donnant pas un niveau d'harmonisation suffisant. La Commission aurait d’ailleurs préféré une liste plus courte mais c’était sans compter les demandes des États-membres à l’époque. Certaines exceptions sont toutefois importantes  en particulier dans les secteurs où les enjeux sont transfrontaliers.
La question est de savoir jusqu’où aller. Il faut avancer avec prudence. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de tout harmoniser, mais nous allons commencer à discuter sur certaines exceptions. Les approches peuvent être très différentes. Dans certains pays certaines œuvres sont exclues des exceptions, dans d’autres il y a un système de licences, ou encore des systèmes de gestion collective étendus, … Comment trouver un accord global au niveau européen ? Il serait plus réaliste de travailler à atteindre un niveau d’harmonisation suffisant plutôt que total, permettant les usages transfrontaliers lorsqu’ils sont justifiés. Les discussions sont en cours, sachant qu’il reste encore en effet à traiter de la question des compensations liées aux exceptions (à ne pas confondre avec le droit de rémunération), ainsi que la question de la relation entre exceptions et licences, ce qui n’avait pas été fait en 2001.

♦ Cécile Barbière
Une question avait fait polémique lors de l’examen du rapport Reda au parlement européen : l’exception de panorama, qui permet de poster sur les réseaux une photo de bâtiment public par exemple sans avoir à demander son autorisation à l’ayant droit.

♦ Virginie Rozière
La difficulté est que l’on écarte l’application du droit d’auteur. Force est de constater la subsistance de différences culturelles et légales assez substantielles entre les États-membres européens. L’exception de panorama existait déjà en Autriche par exemple. Le rapport finalement voté reste silencieux sur ce point, ce qui est à mon sens un moindre mal. Il faudra sans doute se poser la question de la différenciation des usages. L’incertitude légale pèse toujours sur les personnes qui vont poster leurs photos de vacances sur différents supports numériques, mais quel ayant droit va poursuivre ? Toutefois, il convient de garantir le droit moral et le droit de rémunération des artistes qui créent dans l’espace public, qu’il s’agisse de monuments ou d’art de rue.
À Montpellier, ma ville d’origine, il existe un artiste de rue qui fait des sculptures avec des vélos incrustés dans les murs.  Il fait partie des acteurs culturels de la ville. La communauté de communes de Montpellier a récemment reproduit une œuvre sans consultation de l’artiste pour faire la promotion de la ville. Une polémique bien légitime en a suivi, bien que cette reproduction par une autorité publique ait été exécutée sans but lucratif. Il n’y a pas lieu d’étendre l’exception en matière de droit de panorama, mais simplement de faire attention au droit moral sur l’utilisation des œuvres, ainsi qu’au droit de rémunération en particulier lorsque des bénéfices en sont dégagés.
La philosophie qui prévaut aujourd’hui est celle d’une harmonisation minimale. Nous n’avons pas fermé la porte à une augmentation du nombre d’exceptions communes en Europe, aux côtés de celles relatives au droit de citation, à l’enseignement et à la recherche, ou encore à la presse, mais les politiques culturelles restent essentiellement nationales, ce qui en soi n’est pas forcément négatif en termes de soutien à la création.
Un autre point avait fait débat au parlement européen, concernant la transposition des exceptions depuis l’environnement physique vers l’environnement numérique. On ne peut faire cette transposition de façon systématique, car ce serait donner un droit de reproduction implicite aux détenteurs d’une œuvre numérique et créerait un marché secondaire dont on peut discuter la légitimité et qui impacterait les revenus des ayants droit.

♦ Cécile Barbière
Quelles exceptions posent le plus de problèmes ?

♦ Olav Stokkmo
Les exceptions concernant l’enseignement et les bibliothèques sont entre les plus discutées, sans doute en raison des différents systèmes utilisés par les États-membres. C’est un débat qui dure depuis longtemps, mais à la différence de ces dernières années, grâce en partie à Mme Martin-Prat, le dialogue est devenu productif  et l’on observe un changement dans le discours des membres de la Commission. Il devient concevable de moderniser sans forcément réduire les protections au détriment des auteurs. Pour les représentants des titulaires des droits, c’est un changement positif.
J’ajoute qu’il importe de dénoncer, parmi le foisonnement d’études sur le sujet, celles qui font œuvre de propagande. Je pense en particulier à une étude du Conseil de Lisbonne parue cette année, dont il serait intéressant de savoir qui l’a financée car ses conclusions laissent penser que les exceptions et limitations sont économiquement bénéfiques. Or, un examen sérieux de cette étude par un expert dans la matière montre à quel point il s’agit là de fausse science, déclarant à quel point ses auteurs sont au mieux incompétents. Il faudrait en réalité faire le contraire de ce qu’ils préconisent et L’IFFRO recommande aux commissaires européens de rejeter immédiatement et complètement de telles études, évitant de prendre en considération leurs recommandations.

♦ Cécile Barbière
Venons-en à la question du partage de la valeur. Il existe en Europe certaines plateformes qui fonctionnent de façon parfois illégale. Cette problématique n’est pas vraiment mise en avant dans les projets d’évolution du droit d’auteur au niveau européen. Quelles pistes pour avancer ?

♦ Hervé Rony
Il n’existe pas un pendant entre une directive sur le droit d’auteur qui « libéraliserait » le droit d’auteur et une directive sur partage de la valeur. Selon France créative, le partage de la valeur ne devrait pas être accaparé par des intervenants extérieurs au marché européen tels que les GAFA. Il faut continuer de lutter contre la piraterie, contre le streaming. Concernant les formes d’exploitation légale, il faut clarifier la fiscalité. Les opérateurs de télécom français payent des impôts et contribuent au financement de la production d’œuvres. Plus généralement en France, quand on tire un chiffre d’affaires de l’exploitation d’une œuvre protégée, on contribue à la création. Ces mécanismes vertueux fonctionnent, ils font l’objet d’une politique publique. Nous y sommes attachés, ce que l’on a tendance à nous reprocher au niveau européen…
Les nouveaux acteurs qui prétendent exploiter des œuvres devraient participer à cet écosystème, mais je n’ai pas vu jusqu’à présent que l’Europe s’en soucie beaucoup. Il faut pourtant s’accorder sur la façon dont ces nouveaux acteurs peuvent participer à la création en France. Ils règlent des droits d’auteurs aux sociétés d’auteurs, c’est bien. Mais le partage de la valeur concerne tous ceux qui participent à cet écosystème. D’où le nécessaire débat sur la place de la gestion collective dans le secteur de l’écrit, outil par ailleurs bien adapté au secteur numérique. Cela concerne aussi bien la presse que l’édition ou les jeux vidéo. La gestion collective, qui participe d’une certaine équité dans le partage de la valeur, fonctionne bien en Europe. Ne soyons pas idéologues, mais soyons conscients du fait que cette question relève d’un positionnement politique.

♦ Maria Martin-Prat
Cette question du partage de la valeur est bien au centre des débats, mais il faut savoir que ce sujet signifie différentes choses pour différentes personnes. Concernant le droit d’auteur en particulier, il faut définir ce qu’est un acte d’exploitation qui rentre dans le périmètre du droit d’auteur et déterminer ce qui touche au droit de la concurrence plutôt qu’au droit d’auteur. N’oublions pas que le partage de la valeur en ligne est un sujet nouveau et difficile pour beaucoup d’acteurs. C’est bien à tort que certains affirment que le numérique ne permet ni la gestion des droits exclusifs ni la rémunération individuelle. Cependant, les auteurs et les artistes ont l’impression avec le numérique de ne pas disposer des outils leur permettant d’être rémunérés comme ils pensent devoir l’être. L’essentiel est de ne pas faire passer à la trappe les liens entre l’artiste et son œuvre.

♦ Virginie Rozière
Pour ce qui est de l’intégration d’un marché numérique des œuvres, le droit d’auteur n’est pas le principal obstacle ! Le premier obstacle est la fiscalité. Aujourd’hui, la question de l’équité dans le marché intérieur se pose beaucoup sur le fait de savoir où sont payés les impôts par les acteurs de ce marché et comment faire en sorte que le marché numérique ne soit pas l’occasion d’une utilisation à des fins d’optimisation ou d’évasion fiscale.
Il y a aussi la question de la territorialité, avec des problèmes de distribution et de commercialisation des droits. Ces problèmes d’exploitation ne relèvent pas du droit d’auteur mais de la liberté contractuelle. On peut déplorer une insuffisante diffusion des œuvres, mais cela tient à une réalité économique. Je m’étonne toujours de voir cette Commission d’inspiration très libérale d’un point de vue économique vouloir organiser le marché de façon aussi contraignante…  
Ceux qui vont commercialiser leurs droits vont ils être obligés de les concéder aux distributeurs pour toute l’Europe, ou alors va-t-on devoir créer un régime européen du droit d’auteur ? Qui alors prendrait le risque économique de la diffusion d’une œuvre au niveau européen sinon des distributeurs numériques extrêmement puissants tels les GAFA ?
La question des droits de diffusion dépasse l’échelle européenne, attention à ne pas affaiblir la position des acteurs européens dans un marché mondial assez concurrentiel, où les Etats-Unis n’hésitent pas à défendre leurs champions.
Concernant la responsabilité des hébergeurs, les plateformes numériques sont obligées d’appliquer la loi. Ces acteurs demandent un engagement à ceux qui utilisent leurs services, par exemple au travers d’une charte, en matière de mise à disposition de ce qui est mis en ligne, et se réservent le droit de supprimer tout contenu qui contreviendrait à cette charte. Nous avons clairement affaire ici à une politique éditoriale ou à de la censure. Il y a donc un régime de responsabilité spécifique à établir pour ces acteurs.

♦ Cécile Barbière
Nous arrivons bientôt au terme de notre table-ronde, peut-être y a-t-il des questions dans la salle ?

Un intervenant dans la salle
Concernant les hébergeurs, on ne doit pas faire l’impasse sur le problème des clauses abusives.

Un autre intervenant dans la salle (CPE)
La question est de savoir pourquoi il serait aussi urgent de transposer la pratique du Fair use en Europe. Quelle pression s’exerce sur l’Union européenne à cet effet ? Quelle peut être l’influence des négociations en cours sur le traité de libre-échange transatlantique ?

♦ Maria Martin-Prat
Je ne pense pas qu’il y ait grand rapport entre les négociations sur le TTIP et la réforme du droit d’auteur. Certes les États-Unis peuvent avoir une approche juridique différente en matière de droit d’auteur, mais la protection du droit d’auteur et des industries culturelles n’est pas plus faible là-bas qu’ici.

♦ Jean-Noël Tronc
Comme l’a souligné Virginie Rozière, tout cela n’est après tout qu’une question de distribution. En vingt ans, grâce au numérique, la diffusion et l’accès aux livres ont connu une révolution. Toutefois, la Directive de 2001 reste adaptée. Auparavant, il était impossible de trouver une librairie française à l’étranger hormis dans les capitales ; aujourd’hui les 500 millions d’européens ont accès à des millions d’œuvres grâce à internet, où qu’ils se trouvent. Le commerce électronique ayant représenté une révolution commerciale et culturelle, il conviendrait de mettre en valeur cette révolution numérique dans nos discours en montrant que les droits d’auteurs sont une partie de la solution en matière d’accès aux œuvres.
Soulignons par ailleurs l’absence aux États-Unis d’harmonisation fiscale entre les États, ce qui n’a en rien empêché l’émergence de ces géants de l’internet. De fait, l’harmonisation est d’ores et déjà plus avancée au sein de l’Union européenne, où elle fait l’objet d’un processus incessant entre les 28 États-membres.

Une intervenante dans la salle
Je dédicaçais un livre à Toulon récemment, et un auteur voisin s’est vu féliciter par une lectrice Russe pour un livre qu’il ignorait être diffusé en Russie et pour lequel il n’était pas rémunéré…

♦ Hervé Rony
Cet auteur devrait poser la question à son éditeur ! Ou alors ce livre est édité illégalement en Russie, ce qui paraît tout de même peu probable.

♦ Cécile Barbière
La piraterie n’est donc pas l’apanage d’internet...
Merci à tous, la prochaine table-ronde abordera le thème du prêt numérique du livre en bibliothèque sous l’angle européen.