Table ronde modérée par Laurence Kiefé, traductrice, secrétaire générale del 'ATLF
Avec Esther Allen, Pierre Assouline, Marie-Françoise Cachin, Olivier Mannoni
Bonjour à tous. Permettez-moi de me présenter rapidement : je suis traductrice de l’anglais, métier que j’ai exercé parallèlement avec celui d’éditeur jeunesse. J’ai publié 200 livres à ce jour, et j’en ai traduit à peu près autant.
Notre table-ronde sur le métier de traducteur compte quatre éminents intervenants. Marie-Françoise Cachin, traductrice, professeur émérite à l’université Paris-Diderot, spécialiste de l’histoire de l’édition en Grande-Bretagne au XIXème et XXème siècle, est aussi à l’origine du DESS (aujourd’hui master pro) de traduction littéraire à Charles V. Olivier Mannoni, traducteur de l’allemand, est également le président très actif de l’ATLF depuis 2007. Esther Allen, venue spécialement de New York et que nous sommes honorés d’accueillir à Paris, est professeur au Baruch college et traductrice. Enfin, Pierre Assouline est l’auteur du rapport du CNL La condition du traducteur, rapport que je l’invite à présenter.
Je précise tout d'abord que je ne suis pas traducteur… Les deux coupables de ce rapport, dont j’assume l’entière responsabilité, sont Olivier Mannoni et Benoît Yvert, avec un coupable associé, Jean-François Colosimo, qui en successeur a encouragé la poursuite de nos travaux, engagés sur deux mandatures du CNL.
En tant que journaliste littéraire je m’intéresse beaucoup à la traduction depuis des années, autrefois au magazine Lire, maintenant au Monde des livres. Lorsqu’on observe la manière dont la presse culturelle traite de la traduction en France, on constate qu’elle est soit dans l’ignorance, soit dans le déni. Tout à l’heure on a évoqué les sites des éditeurs : j’ai le souvenir du livre Purge, de Sofi Oksanen, qui apparaissait comme un ouvrage écrit en français sur le site de Stock, par ailleurs très bon éditeur de la Bibliothèque cosmopolite, la plus ancienne collection de littérature étrangère en France. Même constat sur le site de la Fnac, où nulle mention d’un traducteur n’apparaissait.
Ce rapport a été réalisé après quelques mois d’immersion parmi les traducteurs mais aussi parmi les éditeurs, afin d’entendre également leurs griefs, et force a été de constater que la condition du traducteur n’est dans aucun autre pays meilleure qu’en France. Toutefois, il apparait aussi que le maintien de cette position suppose que l’on se batte pour cela. Les acquis gagnés il y a plus de vingt ans ne sont en effet plus garantis eu égard à l’évolution de la société au sens large et de la société littéraire en particulier. Avec la mondialisation et la numérisation, les éditeurs ont notamment réduit leurs coûts et leurs délais, tout évolue. Or, le statut des traducteurs est resté figé, et à stagner on se retrouve bientôt en recul. Il y avait donc urgence à faire un état des lieux, et c’est la raison pour laquelle l’ATLF et le CNL ont sonné le tocsin.
Il s’est agi d’une part de comprendre comment on pourrait améliorer cette situation, et d’autre part de pousser le SNE à reprendre un dialogue rompu avec l’ATLF il y a plus de 18 ans. Je ne me suis donc pas contenté d’enquêter sur les rémunérations et j’ai lancé des études comparatives avec les pratiques suivies à l’étranger, par exemple à New York. Je me réjouis d’ailleurs de cette première rencontre ici avec Esther Allen, non plus virtuellement cette fois ! Je citerai le site Three Percent, qui dit bien ce qu’il veut dire : 3% des titres publiés en littérature aux Etats-Unis sont traduits (contre 20% en France). Je note que la France occupe le premier rang dans ces 3%, ce qui donne une idée du sort réservé aux autres langues… Il ne faut jamais hésiter à se comparer aux autres, avec en tête l’adage de Madame de Staël : « Quand je me regarde dans la glace je m’accable, quand je me compare je me console ». (Rires)
J’ai pu constater, avec ces études comparatives, qu’il y avait un problème global de reconnaissance. C’est là le mot-clé qui peut résumer le rapport. Un problème de reconnaissance d'abord vis-à-vis du principal partenaire, l’éditeur, en tant qu’interlocuteur principal de ce grand solitaire qu’est le traducteur. Cela passe par des détails qui peuvent apparaitre comme secondaires : par l’exemple l’absence d’un dialogue permanent, et donc la difficulté de travailler ensuite à l’éditing, sur les épreuves. Faire appel au traducteur à ce stade peut paraitre évident, pourtant certaines maisons d’édition s’en passent. À l’arrivée, le traducteur trouve en librairie une traduction signée de son nom dans laquelle certains passages ne sont pas de lui.
Je pars du postulat suivant : à mon sens, le traducteur est un coauteur. Les éditeurs ne sauraient me taxer de mégalomanie puisque je ne suis pas traducteur, et peuvent donc m’entendre lorsque je souligne que dans tout livre traduit, il n’y a pas un seul mot de l’auteur qui signe le livre. Tous les mots sont du traducteur, dont très souvent le nom n’apparait pas en couverture. Plaider pour un statut de coauteur revient ainsi à demander que mention soit faite en couverture des noms des deux coauteurs, celui du traducteur en plus petits caractères s’il le faut ! Cela parait la moindre des choses, mais les résistances sont vives chez les éditeurs.
Nous avons souvenir quelques uns ici d’un débat assez houleux au Salon du livre, où intervenaient notamment Antoine Gallimard et Dominique Bourgois, deux excellents éditeurs qui publient beaucoup de littérature étrangère, mais qui refusent cette mention en couverture. Principal motif justifiant cette position : le respect de la charte esthétique… Pour autant que je sache, Actes Sud réussit pourtant de très jolies couvertures, avec le nom du traducteur ! Aux Belles Lettres, je me souviens de cette collection dirigée par Jean-Claude Zylberstein, où l’on trouve en gros sur la couverture le nom du directeur de collection, mais pas celui du traducteur. Et parfois même, s’agissant par exemple d’Arthur Koestler, il n’y a pas de nom de traducteur du tout ! Le lecteur est donc fondé à croire qu’il s’agit d’un écrivain français…
La nécessaire reconnaissance du traducteur passe donc d'abord par l’éditeur, mais elle passe aussi par les traducteurs eux-mêmes, qui doivent sortir de l’ombre. De fait, un traducteur est un timide professionnel, supposé toujours rester en retrait. Mais cela n’a plus lieu d’être aujourd’hui. Un traducteur ne connait-il pas le texte mieux que beaucoup de critiques littéraires ? Et pour cause : il en a travaillé la langue, l’imaginaire, parfois sur plusieurs livres d’affilée.
La reconnaissance passe enfin par celle de l’opinion, donc par les médias. Il faudrait ainsi faire intervenir le CSA pour sanctionner de manière pénale l’absence de citation du nom du traducteur lorsqu’on parle d’un livre dans Le Parisien ou sur France Culture par exemple, cette radio étant supposée donner l’exemple à la place qu’elle occupe dans le paysage culturel.
Il y a là un travail à faire, qui doit être systématique pour porter ses fruits. Il faut combattre cette négligence et l’insistance est payante, je vous l’assure. À ce propos, j’ai proposé à la direction de France Culture un concept d’émission hebdomadaire exclusivement consacrée à la traduction, où des traducteurs viendraient parler de leurs livres. Soit une autre vision de la littérature, par ceux qui l’écrivent !
J’ai évoqué en introduction les reproches que les éditeurs peuvent aussi adresser aux traducteurs. Il s’agit notamment de la sous-traitance, des textes bâclés, des délais non respectés… Ils déplorent également le trop grand nombre d’anglicistes parmi les traducteurs et souhaitent un renforcement des formations dans d’autres langues, mais aussi un renforcement de la qualité du français chez les jeunes traducteurs.
Laurence Kiefé
Peut-être est-ce la conséquence des rémunérations trop basses ou du raccourcissement des délais… La qualité du travail s’en ressent probablement. Mais la question de la formation se pose aussi, comme en atteste l’organisation de ce forum.
Pierre Assouline
J’ai l’impression que la traduction va devenir à la mode. Va s’imposer l’idée qu’être traducteur est un vrai métier, un métier de coauteur.
Laurence Kiefé
L’ATLF a encore du travail devant elle… Esther Allen, quelle est la condition du traducteur Outre-Atlantique ?
Je vous répondrai en commençant par remercier une personne présente dans la salle et qui m’est chère, grâce à qui je suis capable aujourd’hui de m’adresser à vous en français. Ce professeur, qui a enseigné le français pendant vingt ans en Californie, m’a aussi encouragée à devenir traductrice. Monique Chefdor J’ai fait l’éloge de l’homonymie, mais cela n’implique rien. Cinq mille mots, ce sont cinq mille mots. En revanche, il n’y a d’homonymes que depuis une autre langue ; deux langues au moins sont nécessaires pour faire percevoir une homonymie, c’est à partir de l’autre, vu d'ailleurs, par "déterritorialisation" dirait Deleuze, que l’on peut penser l'homonymie de manière féconde. Il n’y a pas d’homonymes, il n’y a que des homonymes « pour »! Merci aussi à Cristina Campodonico et à Evelyn Prawidlo pour l’organisation de ce magnifique forum.
Pierre Assouline a cité Three Percent, un site qui est devenu très important aux Etats-Unis. Mais selon son propre fondateur, ces 3% sont une exagération par rapport à la réalité du marché. On publie là-bas 200000 titres par an, mais on compte hélas bien moins des 6000 traductions que ces 3% laisseraient espérer. Cela étant, le monde de la traduction là-bas ressemble beaucoup au monde français. Ainsi, cette question du nom du traducteur sur la couverture du livre fait également débat en Amérique. J’observe toutefois que les français ont un marché de la traduction, tandis qu’on considère chez moi que la traduction n’est pas un marché. Malgré le succès de « Millénium », titré là-bas « The girl with the dragon tattoo », les éditeurs sont convaincus que la traduction ne se vend pas et que le public américain y est réticent. D’où leur volonté de ne pas citer en couverture le nom du traducteur.
Pierre Assouline
C’est la même chose pour le cinéma : personne ne veut des sous-titres.
Esther Allen
Je repense à cette traductrice anglaise, qui avait exigé par contrat de voir son nom cité sur la couverture. L’éditeur l’a fait, mais au dos du livre ! Elle a protesté, mais l’éditeur lui a expliqué que c’était une exigence des distributeurs, sans quoi le livre ne se vendrait pas.
Les traducteurs aux Etats-Unis doivent ainsi travailler contre le marché, à la différence de leurs collègues français. Depuis dix ans les choses ont un peu évolué; un débat s’est ouvert sur la question de la traduction et sur le statut du traducteur. J’espère que l’on arrivera bientôt à une situation comparable à celle du Japon. Car je me fais de ce pays l’image d’un paradis des traducteurs ! En effet, beaucoup de grands écrivains y sont aussi des traducteurs, cette activité faisant partie intégrante de leur métier d’auteur. Murakami par exemple publie des traductions de Fitzgerald, de Dashiell Hammett, et ce sont des événements tout aussi considérables que celle d’un de ses nouveaux livres. La traduction n’est donc pas considérée là-bas comme une activité secondaire. Et même si vous n’êtes pas un écrivain reconnu, en tant que professionnel de la traduction vous aurez un statut d’auteur et donc votre nom sur la couverture, parfois plus gros que celui de l’auteur ! Parce que ce dernier est un inconnu, un étranger, tandis que tel traducteur sera connu comme un individu de goût, qui traduit des livres intéressants. Le traducteur est donc un artiste, qui va dans le monde chercher ce qu’il souhaite traduire et qui présente sous son nom une œuvre digne d’être découverte. De ce fait, les traducteurs en viennent à faire de leur nom une marque. Et je trouve cela positif, dans la mesure où cela leur permet de faire découvrir à leur public des écrivains parfois négligés dans leur propre pays, j’ai en tête plusieurs exemples d’auteurs américains dans un tel cas.
Je sens un léger frémissement en ce sens aux Etats-Unis, où il y a eu une mode de la littérature d’Amérique latine il y a quarante ans. Un traducteur en particulier est devenu assez connu : Gregory Rabasa, qui a notamment traduit Márquez. Le public, voyant son nom sur la couverture, savait qu’il y avait là un auteur et un grand texte d’Amérique latine à découvrir.
Que devient le nom de l’auteur dans ces cas là ? Est-il effacé, comme le faisait au 18ème siècle Isabelle de Montolieu, traductrice de Jane Austen en particulier, qui plaçait ses traductions dans la liste de ses œuvres ?
Esther Allen
Certainement pas ! Tout au plus m’a-t-on rapporté qu’au Japon, logique de marché oblige, le nom de Murakami sur la couverture était écrit plus gros que celui de Fitzgerald…
Pierre Assouline
C’est peut être la logique du marché, mais j’ai envie de dire : hélas ! Nous avons eu en France quelques grands écrivains qui ont traduit, par exemple André Gide pour Joseph Conrad, mais insister sur ces cas rares revient à nier que traduire est un vrai métier. Ce n’est pas quelque chose qu’un vrai écrivain fait « en plus », comme en Angleterre où il faut pour être reconnu avoir écrit à la fois du roman, de la poésie, du théâtre et puis une ou deux traductions…
Traduire est un métier, et nombreux sont les exemples d’écrivains qui lisent très bien l’anglais mais qui sont incapables de fournir une traduction. Il y a eu récemment des tentatives en France s’inspirant de la situation au Japon, avec par exemple Anna Gavalda et sa traduction d’un auteur américain inconnu. Malgré son bandeau prescripteur (« Anna Gavalda a choisi et traduit librement »), le livre n’a pas marché. Marie Darrieussecq a traduit Ovide chez P.O.L., où une jeune romancière, Julie Wolkenstein, a quant à elle traduit Gatsby de Fitzgerald… Etait-il nécessaire, après toutes les autres, de rajouter cette traduction ? Cela peut être de tradition ailleurs qu’en France, comme en Angleterre par exemple, où c’est une question de statut. J’ai ainsi lu hier dans le Gardian un article d’Adam Thorpe, romancier anglais, qui explique pourquoi il vient de signer une vingtième traduction de Madame Bovary…
Concernant le livre d’Anna Gavalda, je peux témoigner d’une chronique de Valérie Expert sur France Info il y a trois semaines, qui a consacré dix minutes à cette traduction. Etait citée cette phrase d’un libraire : « C’est merveilleusement traduit, à aucun moment on ne s’aperçoit que c’est elle »… Cette émission présentait trois livres au total, trois traductions, et le nom d’Anna Gavalda a été prononcé douze fois, contre zéro fois pour celui des deux autres traducteurs. C’est assez symptomatique.
Laurence Kiefé
Nous sommes bien dans la logique de marché…
Pierre Assouline
Je trouve dangereuse cette logique du marketing. Comme je le soulignais tout à l’heure, je connais très peu d’écrivains qui savent traduire, et encore moins qui savent lire leur texte à voix haute, comme on leur en fait souvent la demande dans les festivals du livre ! Les écrivains ne sont pas tous des comédiens… Il me semble qu’aux Etats-Unis, au contraire, la lecture à haute voix fait partie des traditions.
Esther Allen
C’est vrai, mais pas tous les auteurs americains non plus sont doués pour cela!
Le combat des traducteurs americains contre la logique du marché, parce qu’elle ne va pas dans notre sens, a conduit par exemple à l'organisation, il y a sept ans, d'un programme d'appui appelé « French voices », fondé par Fabrice Rozié, un attaché culturel français pour le livre à New York. Il voulait s’assurer de la traduction d’œuvres récentes et d'auteurs nouveaux, sachant que la logique de marché était à la mise en avant de quelques marques, auteurs reconnus, tels Foucault, Barthes ou Flaubert. Pour ce faire, le programme —qui existe toujours, maintenant sous la direction d'un nouveau attaché culturel, Fabrice Gabriel — accord un soutien financier aux éditeurs. On a constitué un comité franco-américain, qui s’occupe de choisir les projets de traduction qui reçoivent l'appui du programme. Pour réussir, un projet doit convaincre aux français et aux americains, l'œuvre originale et sa traduction également.
Le traducteur du français aux Etats-Unis a la possibilité de solliciter ces bourses avant même d’avoir trouvé un éditeur. La bourse est accordé provisoirement; dés que son projet est choisi, le traducteur a un an pour trouver un éditeur. Il est très rare qu’aucun éditeur ne soit intéressé par un texte choisi par ce comité, au prestige indéniable. Pour l’éditeur, qui ne sait rien des auteurs français, l’obtention d’une bourse par le traducteur est une réassurance. Depuis sept ans, ce système qui permet d’influer sur le marché fonctionne très bien, assis sur le libre choix du traducteur.
Je regrette à cet égard le commentaire d’Erri de Luca ce matin, selon lequel le traducteur n’est qu’un employé de l’éditeur. Aux Etats-Unis tel n’est jamais le cas, où l’on ne compte que de très rares traducteurs littéraires professionnels. Personnellement, je n’en connais que deux. Et s’ils arrivent à gagner leur vie grâce à cette unique activité, je me dois de préciser qu’ils l’exercent surtout par vocation. À mon sens, le traducteur devrait être considéré comme étant l’initiateur d’un contact entre deux cultures, non pas selon les diktats du marché mais selon des critères de goût.
Pierre Assouline
En France aussi le traducteur est souvent l’initiateur d’un projet, à la différence qu’il ne pourra obtenir une subvention du CNL en l’absence d’un éditeur. Mais l’initiative laissée aux traducteurs est logique : combien d’éditeurs connaissent le marché de la littérature islandaise ou d’ailleurs ? Les éditeurs français, il faut bien le reconnaitre, ne parlent que le français et peinent à se servir seuls d’un ordinateur…
Marie-Françoise Cachin
Vous avez dit qu’il n’existait aux Etats-Unis que de rares traducteurs professionnels, et je voudrais rebondir sur ce terme qui est aussi celui qui nous a été imposé par l’université lorsque nous avons lancé ce premier DESS de traduction littéraire, finalement intitulé « DESS de traduction littéraire professionnelle ». Depuis, je m’interroge sur ce que recouvre le terme de professionnalisation et sur le devenir du traducteur avant qu’il n’obtienne ce statut de professionnel. Nombre d’universitaires sont traducteurs. À partir de quel moment peuvent-ils être considérés comme des professionnels ? Autre question : qui veut la professionnalisation de la traduction ? Sans doute les traducteurs en premier lieu, parce qu’ils ont besoin d’une reconnaissance, d’un statut. C’est donc dans cette perspective qu’a été créé ce fameux diplôme, unique en son genre à l’époque, et je veux rendre hommage à cet égard à Michel Gresset, grand traducteur de la littérature nord-américaine, et à Françoise Cartano, alors présidente de l’ATLF. Cette formation a été axée essentiellement non pas sur l’acquisition de savoirs, mais sur la transmission de savoir-faire, avec une forme de compagnonnage sur laquelle je reviendrai.
Olivier Mannoni
Pour ce qui est de la professionnalisation, il faut savoir que l’idée de considérer la traduction comme un métier est historiquement assez nouvelle, elle date d’à peine quarante ans. Auparavant, c’était une activité d’écrivains ou d’étudiants visant à financer leurs études.
Aujourd’hui, les traducteurs sont les premiers à faire cette demande de professionnalisation, et on ne saurait leur reprocher de tenter de vivre de leur métier. La demande est forte également de la part des éditeurs, qui aimeraient travailler avec des professionnels remarquablement formés et aguerris. Assez paradoxalement, ils semblent aussi, parfois, aimer traiter avec des professionnels pas forcément très bien payés, et pour certains ne connaissant pas tout à fait leurs droits… Quoi qu’il en soit, les négociations entre les corporations de traducteurs et d’éditeurs sont en bonne voie sur ce point, car à chacun apparait la nécessité d’un travail en commun.
Premier problème à régler : celui de la reconnaissance du métier de traducteur. Cela suppose de continuer à faire pression sur les acteurs emblématiques, par exemple la, où le char d’assaut de la SGDL a ouvert la voie aux tirailleurs de l’ATLF, qui pendant dix-huit mois ont posté quotidiennement des commentaires sur son site de vente en ligne. Il y a six semaines, la poussée des troupes a permis cette victoire : la mention du traducteur est devenue possible sur le site grâce à l’apparition d’une case prévue à cet effet. Mais que d’efforts fournis pour parvenir à ce minimum légal qu’est la présence du nom du traducteur sur ce site important d’un point de vue culturel ! À la radio, nous nous battons - à coup de mails nombreux - pour que les animateurs d’émissions littéraires mentionnent les noms des traducteurs, et nous commençons à voir les premiers fruits de nos efforts.
Deuxième problème à régler : celui de la formation. Autant le DESS, outil extraordinaire, a été utile, autant la situation actuelle est devenue aberrante, avec ces 120 étudiants qui sortent du master pro chaque année, 80% ou 90% d’entre eux étant des anglicistes. Concrètement, une centaine de jeunes traducteurs d’anglais, à qui on est censé avoir donné une formation professionnalisante, arrivent chaque année sur le marché du travail. Le même phénomène se produit en matière de traduction audiovisuelle et de traduction dite pragmatique. Cet afflux de traducteurs représente un danger pour le métier, et l’ATLF a engagé une réflexion sur ce sujet il y a quelques années, qui pour l’instant avance trop lentement. Il est clair pourtant qu’il y a beaucoup trop de traducteurs anglicistes, ce qui pousse à accepter de travailler dans de mauvaises conditions sans garantie que cet état de fait soit provisoire. Il existe cinq langues principalement traduites en France : il est temps maintenant de former des traducteurs à des langues externes à ce bloc.
À la suite du rapport de Pierre Assouline, des discussions ont été engagées entre l’ATLF et le SNE sous l’égide efficace du CNL. Ces discussions visent à remettre à plat le code des usages signé en 1993 entre les traducteurs et les éditeurs, et à définir une série de « décrets d’application », si je puis dire. Nous devrions obtenir des ébauches d’accords d’ici le mois de décembre, et vraisemblablement un accord général d’ici le Salon du livre au mois de mars. Cet accord traitera aussi de la formation, notamment sur la question de savoir ce que l’on veut transmettre. S’agit-il de transmettre des techniques de traduction, ou bien de transmettre la totalité d’un métier ? Dans ce dernier cas, le premier écueil sera de trouver des professeurs de thaï par exemple, et de surmonter la réticence de l’université à ouvrir une formation pour seulement deux étudiants dans un premier temps… Il sera crucial également d’assurer une formation bien plus efficace à la réalité du métier de traducteur. Peut-on imaginer une formation professionnelle au métier d’artisan plombier par exemple, qui intégrerait des cours de soudure mais pas de comptabilité ?
Marie-Françoise Cachin
Nous avons été très vite conscients de ce problème, c’est pourquoi, dans le cadre du DESS de Charles V, nous avons régulièrement invité des intervenants, souvent des professionnels de l’édition, à même d’expliquer en détail le fonctionnement d’un contrat ou d’autres aspects de leur métier.
Olivier Mannoni
Dans la plupart des masters pro en France, cet aspect de la formation au métier occupe moins de 90 minutes par an !
Pierre Assouline
Il y a aussi tout un pan oublié de la traduction littéraire : la traduction théâtrale. La situation y est scandaleuse, au point que je ressens l’envie, lorsque je croise une affiche faisant la publicité d’une pièce, d’aller féliciter le directeur du théâtre à chaque fois qu’il y fait mentionner le nom du traducteur. C’est extrêmement rare hélas. En revanche, il est fréquent que les traducteurs de théâtre se voient expliquer que leur traduction est en fait un travail de bout à bout, ce qui permet ensuite au metteur en scène de reprendre le dit bout-à-bout et de s’approprier le travail du traducteur moyennant quelques modifications minimes. On connait même certains metteurs en scène qui n’hésitent pas à signer la traduction de langues qu’ils ne parlent pas ! C’est par exemple le cas pour une pièce de Bergman qui se joue en ce moment, dont l’affiche proclame qu’elle est traduite par la metteur en scène, alors qu’elle ne parle pas le suédois. C’est un cas d’école, mais qui s’est répété de nombreuses fois.
Cela fait davantage scandale aujourd’hui, sans doute grâce à l’affaire Tanase qui a permis aux traducteurs de sortir de l’ombre il y a deux ans. Il était courageux de se révolter ainsi contre les metteurs en scène, sachant qu’il s’agit d’un tout petit milieu. Si par exemple vous êtes traducteur d’allemand pour le théâtre, vous pouvez organiser vos congrès dans une cabine téléphonique… Cette révolte a aussi amené les traducteurs à défier les théâtres, qui pouvaient être le Palais de Chaillot, la Comédie française ou un autre. D’où le rôle important de soutien joué par la Sgdl et l’ATLF, soutien tant juridique que moral dans cette bataille contre des mastodontes. Car les procédures durent plusieurs années, comme l’illustre l’affaire Tanase qui n’est toujours pas réglée.
Olivier Mannoni
L’audience de plaidoirie aura lieu le 22 novembre. Les deux courageuses traductrices impliquée sont soutenues, y compris financièrement, par l’ATLF dans ce procès aux enjeux élevés, qui a déjà coûté plusieurs milliers d’euros et dans lequel la partie adverse compte un metteur en scène et un théâtre.
Marie-Françoise Cachin
Je voudrais évoquer cette rivalité qui a longtemps existé entre les universitaires, souvent traducteurs occasionnels, et les traducteurs littéraires professionnels membres de l’ATLF, traduisant à plein temps et essayant d’en vivre. Je suis assez choquée de constater la persistance de certaines pratiques, par exemple au sein de la collection La Pléiade, où les traductions sont majoritairement réalisées par des universitaires rémunérés très en dessous du prix normal du feuillet au prétexte que ce sont des livres de fonds, et que ces universitaires-traducteurs toucheront donc des droits pendant des années. Là aussi il faudrait intervenir, ne serait-ce que par solidarité. Les universitaires et les traducteurs professionnels ont su travailler main dans la main en particulier dans le cadre du DESS, et cette collaboration se poursuit depuis 1990. Il devrait donc être possible d’obtenir que les universitaires montrent un minimum de respect vis-à-vis des traducteurs professionnels dans cette affaire.
Pierre Assouline
Vous voulez dire que les traductions de La Pléiade sont payées par le CNRS ?
Marie-Françoise Cachin
Je n'ai jamais dit cela, ne serait-ce parce que pendant longtemps les traductions n'ont pas été prises en compte comme travaux de recherche", mais il faut souligner l’absence de connaissance pratique du métier chez ces universitaires, qui signent trop souvent leurs contrats les yeux fermés.
Esther Allen
Aux Etats-Unis, la formation professionnelle d’un traducteur littéraire passe, dans la majorité des cas, par des masters au sein d’écoles de « creative writing », où se côtoient futurs poètes ou romanciers, sans que quiconque ne songe pouvoir gagner sa vie en devenant traducteur.
Olivier Mannoni
Le master de Charles V est à l’heure actuelle l’un des plus complets dans ce domaine, avec la formation proposée à Bruxelles. Cela étant, il reste un travail énorme à faire en France, passant par une remise à plat du statut du traducteur et une meilleure communication avec les éditeurs dans le cadre professionnel.
Pierre Assouline
La question de la formation ne peut pas se régler simplement entre le SNE et l’ATLF…
Marie-Françoise Cachin
Le problème vient aussi des universités. Au moment de la création du DESS, j’ai dû aller défendre devant les membres du conseil de l’université les crédits que l’on avait bien voulu nous allouer. Il a fallu leur faire comprendre que ce DESS de traduction littéraire visait à former des professionnels indépendants, et aussi expliquer ce qu’était le métier de traducteur.
Laurence Kiefé
Si certains d’entre vous souhaitent étudier d’un peu plus près le code des usages, sachez qu’il est annexé au répertoire de l’ATLF.
Olivier Mannoni
Il figure aussi sur notre site internet.
Laurence Kiefé
Quelqu’un dans la salle souhaite-t-il poser des questions à nos intervenants ?
Jean Sarzana, ancien délégué général du SNE puis de la SGDL
Dans le contexte des discussions ouvertes récemment entre le SNE et l’ATLF, je voudrais vous soumettre une proposition. Je constate qu’on fait souvent figurer dans un livre la liste des autres ouvrages de l’auteur. Pourquoi ne pas en faire autant avec le traducteur ? Mentionner dans le livre la liste des autres ouvrages traduits par le traducteur ne ferait pas de mal à l’édition, et cela permettrait au lecteur de s’orienter dans une langue avec le fil du traducteur, qui n’est pas le fil le plus mauvais pour cela. J’ai fait cette proposition dans le cadre du dernier Salon du livre, mais je profite de la présence de Pierre Assouline pour la réitérer ici, gardant à l’esprit l’adage de Napoléon selon lequel la répétition est la forme la plus accomplie de la rhétorique...
Pierre Assouline
Cette proposition me parait intéressante, sous réserve de l’amender pour tenir compte des réserves des éditeurs, par exemple pour les cas où cette liste serait trop longue, ou bien si les traductions concernent des domaines qui n’ont rien à voir. Imaginons un nouveau livre de Peter Handke traduit par Georges-Arthur Goldschmidt. Il ne serait pas anodin que soient mentionnées, à côté du nom de l’auteur, les autres de ses œuvres traduites par Georges-Arthur Goldschmidt. De fait, un traducteur s’attache souvent à un auteur, et je ne vois pas comment un éditeur pourrait refuser une telle proposition.
Marie-Françoise Cachin
Cela ne marcherait pas dans le cas d’une Nadine Gordimer, qui change constamment de traducteur…
Dieter Hornig
Ce système existe déjà en Angleterre. Les publications de Penguin Classics présentent au début du livre à la fois le nom de l’auteur associé à une rapide bibliographie accompagnée de quelques indications biographiques, et le nom du traducteur associé aux mêmes compléments d’information.
Jean Sarzana
Il existe un précédent en France, dans la bande dessinée, où figurent déjà les autres œuvres de l’auteur, du dessinateur, voire du coloriste… Bien entendu, cette proposition peut être améliorée comme le suggère Pierre Assouline.
Marie-Françoise Cachin
Et quand vous allez au cinéma, figurent aussi bien au générique le quatrième perchiste, le conducteur du véhicule qui apporte des collations aux acteurs, etc.
Olivier Mannoni
A ma connaissance, un seul éditeur en France insère une notice, d’une demi-page, sur le traducteur.
Pierre Assouline
Il y a une tendance nouvelle chez certains éditeurs, qui consiste à mettre en fin de livre le nom du correcteur…
Laurence Kiefé
Il y a là un problème juridique : si on cite dans le livre le nom du correcteur, alors il rentre dans le droit d’auteur. Or, le correcteur est censé être salarié, du moins c’est la règle.
La mention des autres ouvrages du traducteur se pratique également en Allemagne chez certains éditeurs, en particulier pour les livres reliés, où figure une notice sur l’auteur, qui prend les deux tiers de la page, et une notice sur le traducteur contenant quelques éléments biographiques et bibliographiques, spécifiant éventuellement quels livres il a traduits pour le même auteur ou chez le même éditeur. C’est systématiquement le cas pour Houellebecq et Le Clézio par exemple. Cela prend dix lignes, ce n’est pas compliqué !
Florence Bernard, traductrice
J’ai fait de la traduction littéraire au Canada, qui est là-bas subventionnée par le gouvernement. Le même tarif s’applique à tous, sur la base du nombre de mots du texte traduit. Le nom du traducteur figure toujours sur les livres, mais pas en couverture. Toutefois, il m’est arrivé d’être interviewée par les médias en tant que traductrice, médias généralement renvoyés vers moi par l’éditeur. J’ai même été invitée à une séance de signature au Salon du livre, ce qui je l’avoue m’a profondément étonnée.
Un de mes livres traduits a été acheté par une maison d’édition française, et j’ai eu la surprise de découvrir ma traduction en français. Or, mon texte était à l’origine rédigé en québécois… On ne m’a pas demandé mon avis, alors que j’aurais pu travailler moi-même sur la version en français. En outre, le résumé de quatrième de couverture comportait plusieurs fautes, bien qu’il s’agisse d’une maison d’édition connue. Ce qui illustre bien son absence totale de concertation avec le traducteur comme avec la maison d’édition canadienne.
Olivier Mannoni
C’est une pratique parfaitement illégale et vous gagneriez le procès que vous êtes en droit d’intenter à cette maison d’édition française. Nous travaillons avec le SNE à réduire un phénomène moins caricatural mais comparable, qui est la relecture des traductions par des correcteurs, débouchant parfois sur le renvoi aux traducteurs d’épreuves massacrées. Il faut savoir qu’en une quinzaine d’années, l’édition a augmenté sa production de 30% tout en diminuant d’autant son personnel. Restent donc des stagiaires, parfois compétents, plus rarement lorsqu’il s’agira de relire des traductions d’autres langues que l’anglais, ou des traductions réalisées à partir de versions américaines, qui souvent n’hésitent pas à s’éloigner du texte original, par exemple en transformant en dialogues un récit écrit au style indirect. La liberté du traducteur semble en effet totale là-bas !
Pierre Assouline
Certains de mes livres, des biographies de Gaston Gallimard ou de Kahnweiler par exemple, ont été traduits aux Etats-Unis chez des grands éditeurs comme Knopf. A chaque fois, le texte se voyait réduit d’un quart, et je n’ai jamais réussi à obtenir que cela soit mentionné sur la page de garde. Les critiques littéraires ont pointé une traduction déplorable, et lorsque j’ai demandé au traducteur où étaient passés des auteurs tels que Gide ou Brasillach, disparus même de l’index, il m’a répondu qu’il avait retiré tout nom inconnu du public américain ! Ces biographies sont donc incompréhensibles, et il a fallu conseiller aux critiques de se rapporter au texte original en français… En France, lorsque de telles choses se produisent, il y a scandale et procès. Autant je suis un admirateur de la fabrication des livres aux Etats-Unis, qui sont de beaux objets, autant je déplore cette liberté prise avec les traductions.
Pour en revenir en France, il me vient l’idée de lancer un buzz sur Internet pour dire que le must du bibliophile serait d’avoir des ouvrages dédicacés à la fois par l’auteur et par le traducteur…
Esther Allen
Je voudrais défendre un petit peu les traducteurs aux Etats-Unis, qui ne sont pas décisionnaires en matière de coupes dans le texte : c’est du ressort de l’éditeur, qui a tout pouvoir. Un livre de David Bellos, traducteur de Perec, va bientôt paraitre chez Gallimard. Consacré à la traduction, il a suscité le débat aux Etats-Unis et est arrivé au troisième rang des bestsellers en Grande-Bretagne. J’ai pu comparer les épreuves et la version finale de ce livre, et j’ai été étonnée des grandes différences entre les deux. L’auteur m’a expliqué que le livre à été réécrit jusqu’au dernier moment ! L’éditeur prend ainsi un rôle très actif dans la production du texte, même pour les auteurs qui écrivent en anglais. Mais tel n’est pas le cas uniquement aux Etats-Unis : David Bellos a dû recommencer ensuite ce travail de réécriture avec son éditeur anglais… Quant à la mauvaise qualité de la traduction des livres de Pierre Assouline, cela arrive comme dans tous les domaines et il ne faut pas y voir une règle. Cela étant, force est de reconnaitre qu’il est de bon ton aux Etats-Unis de dénigrer la traduction, ce qui justifie de ne pas toujours faire appel à un professionnel puisque de toute façon le résultat sera décevant. Je pense souvent à cette traductrice d’Elena Poniatowska, qui dans son ignorance totale de la culture mexicaine n’hésitait pas à imaginer des « tamales au beurre »… Certains éditeurs savent ce qu’est une traduction, mais beaucoup d’autres choisissent leurs traducteurs sur la base de critères financiers.
Laurence Kiefé
La traduction est donc un métier qui n’existe pas aux Etats-Unis…
Pierre Assouline
Certains auteurs ont aussi eu à se plaindre de leurs traductions en français, tels Kafka ou Kundera. Parfois à juste titre ! Mais à la différence des Etats-Unis, les abus sont en France dénoncés et font scandale.
Anna Deli, traductrice littéraire en italien
Je vais remonter le moral de tout le monde en racontant ce qui se passe en Italie… Je traduis du français et de l’anglais vers l’italien, et je fais partie de la secte secrète des traducteurs de théâtre. En Italie, la traduction ressort du bénévolat, c’est un métier pour les femmes, très mal payé. On compte quelques traducteurs reconnus, mais la situation est très loin de la situation française. On traduit des classiques, comme Balzac ou Flaubert, mais on ne reçoit pas pour autant de droits d’auteur, car le travail de traduction est rémunéré au forfait. Ce métier non reconnu pousse les traducteurs à accepter des activités de rédaction en sous-traitance, souvent en télétravail.
Erri de Luca, grandissime traducteur, reconnait que nous sommes tous soumis à la loi des éditeurs, qui font la pluie et le beau temps. Je ne vois qu’une solution pour y échapper : s’occuper d’auteurs vivants, qui viendront payer de leur poche pour s’assurer que tel traducteur sera choisi par l’éditeur plutôt qu’un autre. Je pense en particulier à certains auteurs français… Je pense aussi au dernier traducteur en italien de Susan Sontag, qui est le seul à avoir été payé décemment et ce grâce à l’insistance de l’agent de l’auteur auprès de la maison d’édition italienne.
Pierre Assouline
J’ai souvenir de Daniel Pennac, scandalisé par les conditions financières imposées par l’éditeur italien à sa traductrice, qui a exigé qu’elle perçoive contractuellement une partie des droits de vente.
Olivier Mannoni
La situation en Espagne est similaire à la situation italienne, où l’on compte deux associations actives dans le combat pour la reconnaissance du métier, mais si l’on va en Grèce, les traducteurs gagnent moitié moins ! Les éditeurs français nous donnent souvent ces exemples lorsqu’on leur dit que tel contrat ne nous convient pas… On réalise ainsi l’importance de continuer ce combat en France, si l’on veut éviter de rejoindre le niveau européen actuel. Rappelons que les acquis obtenus dans les années 80 en France l’ont été de haute lutte.
Marie Gravey, traductrice
Je voudrais revenir sur la solidarité défaillante entre universitaires et traducteurs, et sur l’exploitation qu’en font certains éditeurs. Je travaille beaucoup dans le champ des sciences humaines, où les éditeurs nous expliquent que nos tarifs sont beaucoup trop élevés comparativement aux exigences des universitaires, qui eux disposent d’un salaire ou d’une retraite et n’ont donc pas besoin d’être payés comme des traducteurs qui vivent de leur métier. J’ai ainsi renoncé à travailler auprès de certains éditeurs tout simplement parce qu’il est impossible de rivaliser avec des personnes qui bénéficient d’un revenu par ailleurs.
Pierre Assouline évoquait tout à l’heure une mode de la traduction, et cela m’a rappelé un colloque récent à l’Inalco, où un universitaire traducteur du coréen confiait qu’il ne mentionnait cette activité dans son CV que depuis récemment, car il y a encore quelques années cela ne faisait pas sérieux.
Esther Allen
Aux Etats-Unis, je connais le cas d’un universitaire qui a fait une traduction très importante de l’œuvre de Thomas Bernhard dans les années 90, mais sous un pseudonyme. Il craignait alors que son travail de critique littéraire soit stigmatisé du fait de cette traduction. Aujourd’hui, il revendique ouvertement cette traduction et donne même des cours de traduction.
Laurence Kiefé
Sur ces paroles optimistes quant au sort de la traduction et des traducteurs, je vous propose de clore cette table ronde.