Présentés par Geoffroy Pelletier
Je vous propose un rapide panorama des chiffres-clé de la traduction, en préambule des tables rondes qui vont suivre. Les principaux résultats sont issus de l’enquête menée par Livres Hebdo/Electre en 2011, présentée à l’occasion du dernier salon du Livre.
Tout d’abord, il convient de souligner que l’édition française est très certainement celle qui traduit le plus largement l’ensemble des langues écrites et propose la plus grande diversité des littératures du monde. Elle est aussi, derrière l’anglais, la langue la plus traduite. C’est dire la richesse de l’édition française et de ses acteurs.
Selon le rapport de Pierre Assouline, La condition du traducteur, la France est le premier pays traducteur, réalisant 13% des traductions effectuées dans le monde en 2004. J’ai appris ce matin que la France avait même dépassé l’Allemagne pour ce qui était de la littérature, et qu’elle était première tous secteurs confondus.
Lorsqu’on se promène dans nos librairies ou nos bibliothèques, l’importance des ouvrages traduits saute aux yeux ; tel n’est pas le cas dans d’autres pays, comme le Royaume Uni, où la part de ces ouvrages se voit très restreinte. Actuellement en France, un livre publié sur six est une traduction. Je vous livre les chiffres exacts : sur les 63052 titres publiés en 2010, 9406 étaient des traductions. Et ce chiffre va croissant : au cours des vingt dernières années du XXème siècle, les traductions auraient augmenté de 50%. Sur les cinq dernières années, la hausse du nombre de traductions est en moyenne de 3% par an.
Cette augmentation peut être plus importante selon les secteurs. Ainsi, un roman publié sur trois est un roman traduit. C’est dire l’importance de la traduction et des traducteurs dans la production éditoriale. Voyons comment se répartissent ces traductions selon les différents secteurs éditoriaux : un titre traduit sur trois est un roman, tandis que la jeunesse, les sciences humaines et la bande dessinée représentent chacun un titre sur six. La bande dessinée a d’ailleurs connu une augmentation considérable du nombre de titres traduits ces dernières années (+33%), à partir du japonais mais plus encore de l’anglais.
J’en arrive à la répartition des traductions selon la langue d’origine : les cinq langues les plus traduites représentent 84% des traductions en 2010, tous secteurs éditoriaux confondus. Ces cinq langues sont l’anglais, le japonais, l’allemand, l’italien et l’espagnol.
L’anglais représente, avec 5562 titres traduits en 2010, 59% de l’ensemble des traductions tous secteurs confondus, soit plus d’un titre sur deux. La langue anglaise est plus majoritaire encore dans la catégorie des romans, puisque une traduction de l’anglais sur deux est un roman, tandis que les trois quarts des romans traduits le sont de l’anglais.
Plus surprenant, le japonais constitue désormais, avec 10% du total des traductions, la deuxième langue traduite. C’est l’effet « manga » : les romans ne représentent que 3% des titres traduits du japonais. Aujourd’hui dépassé par le japonais, l’allemand, avec 7,4% des traductions, reste une des principales langues de traduction vers le français, avec l’italien (4,2%) et l’espagnol (3,6%).
Selon l’enquête annuelle BIEF/SNE, les chiffres des acquisitions de droits viennent confirmer, sur un périmètre plus restreint, ceux issus des statistiques Livres Hebdo/Electre. Le roman est majoritaire et représente 30% des titres acquis, tandis que l’anglais confirme sa position majoritaire avec 53% des acquisitions de droits. On remarque toutefois que plus de 50 langues différentes font chaque année l’objet de traductions en France. La concentration des traductions sur cinq langues principales n’empêche donc pas l’existence de nombreuses autres langues traduites en français.
On note aussi une grande faiblesse des droits numériques, qui sont acquis en complément des droits papier. Auteurs et traducteurs, dans leurs négociations avec les éditeurs, tentent d’expliquer qu’on ne peut dissocier droit numérique et droit papier, mais on constate ici que les droits numériques ne représentent que 14% de l’ensemble des acquisitions ; peut-être est-ce un point à retenir pour nos futures discussions avec le SNE.
Pour ce qui concerne maintenant la traduction du français vers l’étranger, ou « extraduction », toujours selon les chiffres de l’enquête annuelle BIEF/SNE, le français est la deuxième langue la plus traduite au monde. En 2010, les éditeurs français ont ainsi enregistré 9478 cessions de droits auprès de leurs confrères étrangers - soit un chiffre équivalent aux acquisitions de droits, pour un chiffre d’affaires estimé à 12 millions d’euros. Ce dernier chiffre n’est qu’une estimation, un certain nombre de répondants à l’enquête ayant communiqué le nombre de cessions mais pas le chiffre d’affaires correspondant. On peut rapporter cette estimation au chiffre d’affaires à l’exportation des éditeurs français, qui en 2009 s’élevait à 550 millions d’euros. Sur l’ensemble des cessions de droits, les droits numériques sont cédés dans une proportion encore plus faible que pour les acquisitions : 6%. Nous restons donc dans un contexte de dissociation entre droits papier et droits numériques.
Voyons maintenant la répartition des cessions selon les secteurs éditoriaux.
En 2010, les cessions de droits ont porté majoritairement sur la jeunesse, qui concentre le tiers des cessions, devant le roman (21%), la bande dessinée (16%) et les sciences humaines (12%).
Le Portail international du livre français (qui est le nouveau portail du CNL), FranceLivre, indique que sur la période 2005 – 2010, le roman resterait majoritaire avec 27% des cessions de droits, devant la jeunesse en forte progression (21%) et les sciences humaines et sociales (19%), ces dernières ayant enregistré un net repli.
Concernant maintenant la répartition des cessions selon la langue de traduction, on remarque que les cinq premières langues de traduction du français représentent moins de 50% du nombre total des cessions. Il y a donc un plus grand éclatement des langues vers lesquelles le français est traduit : ce sont ainsi chaque année plus de 100 pays qui acquièrent les droits pour des ouvrages français. Les écarts entre les différentes langues de traduction sont moins marqués que dans le cadre des acquisitions, où l’anglais est largement majoritaire. Ainsi, en 2010, les cessions en espagnol, première langue de traduction du français vers l’étranger, ont représenté 11% du total, dont 70% en Espagne et 30% en Amérique latine. La deuxième langue de traduction, le chinois, a représenté 10% des cessions, suivie par l’italien, le coréen, l’allemand, le néerlandais et l’anglais (6%, dont 46% pour les États-Unis et 40% pour le Royaume-Uni). On observera le déséquilibre de la balance commerciale entre achats et cessions de droits au bénéfice de l’anglais, qui n’arrive qu’au septième rang des langues de traduction du français. Viennent ensuite le portugais et le russe (5%), l’ensemble des autres langues représentant 31% des cessions.
On constate une concentration des cessions de droits sur l’Europe, à hauteur de 52,5% selon FranceLivre. Les autres principales zones géographiques sont l’Asie et l’Océanie (19,6%), l’Europe centrale et orientale (13,2%), l’Amérique latine (6,4%), l’Amérique du Nord (3,3%) et le Proche et Moyen Orient (2,7%). On remarque ces dernières années une forte hausse sur certaines zones : le Maghreb, l’Amérique du Nord et l’Asie.
D’une zone géographique à l’autre, les cessions des droits sur 2010 se concentrent sur des secteurs éditoriaux très différents. Par exemple, le roman n’est largement majoritaire qu’en Europe de l’Est (Bulgarie : 49%) et dans les pays scandinaves (Suède : 50%), tandis qu’il est relativement majoritaire en Italie, en Pologne et aux Etats-Unis, où il représente le quart des cessions de droits. En conséquence, dans les autres zones géographiques, ce n’est pas le roman qui fait majoritairement l’objet de cessions vers l’étranger.
Le secteur jeunesse occupe ainsi le premier rang des cessions de droits en Asie : Chine (62%), Taïwan (68%), Corée du Sud (67%), Viêt-Nam (55%)… C’est aussi le cas au Mexique (47%), en Turquie (39%), en Norvège (39%) et en Grèce (37%). Il est aussi majoritaire, mais dans une moindre mesure, en Espagne (29%), au Portugal (26%) et au Japon (22%).
La bande dessinée, secteur d’importance croissante, est majoritaire dans presque tous les principaux pays de l’Europe de l’Ouest : Belgique (48%), Allemagne (39%), Royaume-Uni (35%), Pays-Bas (33%)…
Enfin, dernier secteur important même s’il est en déclin depuis quelques années, les sciences humaines restent prépondérantes en Amérique latine (Argentine : 42%, Brésil : 38%) et au Maghreb (30% des cessions de droits). Ce matin Barbara Cassin donnait l’exemple du Dictionnaire des intraduisibles, avec pour l’espagnol une traduction au Mexique, et pour le portugais une traduction au Brésil ; illustrant l’importance des sciences humaines dans cette zone géographique.
J’en viens maintenant aux chiffres concernant les acteurs de la traduction. L’AGESSA recense en 2010 un effectif de 934 traducteurs affiliés, soit l’équivalent du nombre des traducteurs adhérents à l’ATLF. Cela étant, l’AGESSA recense aussi 5880 personnes dont l’activité principale, pour ce qui concerne leur rémunération en droits d’auteur, est la traduction. Ce chiffre constitue un minimum, puisque d’autres personnes peuvent également avoir une activité, plus accessoire, de traduction. Sur ces 5880 traducteurs, 17% d’entre eux ont perçu un montant supérieur au seuil d’affiliation de l’AGESSA et pourraient donc venir rejoindre les 934 traducteurs affiliés.
L’ATLF recense 12 formations universitaires francophones qui conduisent au métier de la traduction. Ce sont 150 nouveaux traducteurs professionnels qui seraient ainsi formés chaque année, la très grande majorité constituée d’anglicistes. On peut d’ailleurs s’interroger : ce nombre élevé d’anglicistes formés chaque année est-il la cause de la prépondérance de l’anglais en tant que langue de traduction, ou bien en est-il, à l’inverse, la conséquence ?
Autre sujet, sur lequel nous avons beaucoup débattu cette année avec les éditeurs : les rémunérations des traducteurs. Les statistiques de l’ATLF portent en 2010 sur l’analyse de 449 contrats signés par 133 traducteurs. Le prix moyen au feuillet varie légèrement selon les langues : 20€ pour l’anglais, 22€ pour l’allemand, l’italien ou l’espagnol, 22,50€ pour les autres langues. On remarque que la « prime » pour les langues difficiles n’apparait pas clairement dans les statistiques. Ces prix présentent en revanche des écarts importants au sein d’une même langue, entre 10€ et 50€ pour l’anglais par exemple, entre 13€ et 25€ pour l’allemand. Le taux de droits proportionnels est en moyenne de 2% sur le prix public de vente hors taxe, ce qui est très peu si l’on compare avec le taux moyen de droit d’auteur (environ 10%). La proposition des éditeurs de maintenir le même taux de rémunération pour le numérique va donc poser de sérieux problèmes.
Je terminerai ce tour d’horizon des acteurs par une rapide présentation des principaux organismes de soutien, à commencer par le Centre national du livre. Le CNL soutient notamment les éditeurs pour la traduction en français d’ouvrages étrangers (350 aides en 2010, avec un budget de 1,6 millions d’euros), mais aussi pour la traduction d’ouvrages français en langues étrangères (385 aides en 2010, avec un budget de 1,15 millions d’euros). Si l’on compare ce budget de soutien au chiffre d’affaires brassé au final, soit 12,4 millions d’euros, on constate l’importance de l’effet de levier de ces organismes de soutien. Le CNL soutient également les traducteurs français qui travaillent sur des œuvres particulièrement difficiles, avec une aide directe apportée à une vingtaine de bénéficiaires en 2010, et il soutient des traducteurs étrangers avec des bourses de séjour, accordées à 91 bénéficiaires en 2010.
Autre organisme de soutien important, le Bureau international de l’édition française (Bief) favorise les cessions de droits à l’étranger en représentant les éditeurs français sur les grands salons internationaux. Enfin, je citerai l’Institut français, qui a pour mission de promouvoir et de diffuser la création intellectuelle à l’étranger.
En guise de conclusion, permettez-moi un dernier chiffre, tiré de l’indispensable rapport de Pierre Assouline : on recense aujourd’hui 30 prix de traduction attribués chaque année. Cela peut paraitre beaucoup, mais c’est en réalité bien peu en comparaison du nombre total de prix littéraires attribués ! Cela étant, c’est déjà une preuve du commencement de la reconnaissance du métier de traducteur…
J’ai deux questions à vous poser. Tout d’abord, le fait que les sciences dures ne soient jamais évoquées signifie-t-il que tout le monde écrit en anglais aujourd’hui ? Ensuite, dans quelle mesure les traductions publiées sont-elles vendues en tant que traductions ? Car parfois on dissimule l’origine étrangère du texte, en ne faisant mention en couverture ni du traducteur ni même du pays d’origine. Le livre est alors vendu comme si son auteur était français ! En tant que membre du jury d’un prix de traduction, je remarque qu’hormis l’enveloppe que peut toucher le traducteur, ces prix n’ont aucun effet puisqu’on n’en fait pas la publicité et qu’on ne les mentionne même pas sur les livres concernés...
Geoffroy Pelletier
J’observe que ces questions s’adressent principalement aux éditeurs ! Pour répondre toutefois à la première, les sciences dures sont classées aujourd’hui dans une rubrique appelée STM, pour scientifique, technique et médical. On compte en la matière 119 cessions de droits pour 2010, ce qui est peu : environ 1% du total des cessions tous domaines confondus. Concernant les acquisitions, c’est encore moins : 29, sur 1655 au total. Le déclin observé sur les sciences humaines n’est donc pas comparable avec la situation catastrophique de la littérature scientifique, technique et médicale.
Pour ce qui est de la mention du nom du traducteur sur la couverture des ouvrages, nous en avons beaucoup débattu avec l’ATLF et dans le cadre de notre instance de liaison avec le SNE. S’il est rare que cette mention soit absente de l’ouvrage, le problème est réel pour un certain nombre de sites de maisons d’édition, et non des moindres. Il semble que les éditeurs en faute aient pris conscience de la situation et soient en train de remédier à ce problème. Mais c’est plus difficile pour les sites de vente en ligne, qu’il s’agisse de librairies indépendantes ou de grandes maisons qui devraient avoir les moyens de se procurer les bases de données correspondantes. Il arrive aussi, lorsque le nom du traducteur figure dans la base de données, que l’éditeur du site de vente en ligne choisisse de ne pas le mentionner. Le travail de persuasion mené en commun avec l’ATLF commence toutefois à porter ses fruits et je sais que la Fnac, par exemple, à décidé d’améliorer son site à cet égard. De fait, la reconnaissance du métier de traducteur commence par la mention de son nom sur tous les supports de communication, au même titre que doit y figurer le nom de l’auteur. C’est un combat qu’il faut continuer à mener, et la SGDL y prend toute sa part.