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Table ronde modérée par Juliette Joste, consultante éditoriale
Avec Barbara Cassin, Florence Delay de l'Académie française, Juan Goytisolo, Erri de Luca.

 « Le traducteur est un auteur » : on peut noter qu’il s’agit d’une affirmation et non d’une question, autrement dit nous sommes tous d'accord pour considérer que le traducteur est un auteur. Nous pourrions nous arrêter là, mais nous pouvons aussi nous demander de quelle espèce d'auteur il s'agit et comment les choses s'articulent, s'entremêlent, travaillent, entrent en conflit entre le drôle d'animal qu'est l'auteur et le drôle d'animal qu'est le traducteur. Nous poserons la question à des experts, à des auteurs dotés d'une œuvre et de qualités nombreuses. Tous pratiquent l'écriture, la traduction, tous partagent la passion et le goût des langues. Nous les interrogerons donc sur le passage d'une langue à l'autre.

Barbara Cassin est directrice de recherche au CNRS, spécialiste de la philosophie grecque, philologue et philosophe. Elle a traduit et commenté le livre Gamma de la Métaphysique d'Aristote et plus récemment dirigé la publication d'une œuvre majeure Le Vocabulaire européen des philosophies, dictionnaire des intraduisibles, la question des intraduisibles, déjà évoquée, étant le sujet crucial de la question de la traduction.

Juan Goytisolo a publié son premier roman en 1954 en Espagne. Opposant au franquisme, il s'est installé à Paris en 1957 ; il est entré aux Éditions Gallimard, où il a longtemps travaillé. Il a également enseigné la littérature dans plusieurs universités américaines. Il est l'auteur d'une œuvre de romancier et d'essayiste très riche, c’est un journaliste engagé, très bon connaisseur de la langue arabe et de l'œuvre de José Maria Blanco White qu’il a traduit. Son œuvre de romancier est foisonnante, multiforme, il joue avec les registres, avec les langues.

Erri de Luca est l'auteur de nombreux romans, de recueils de nouvelles et est l'un des écrivains italiens les plus lus dans le monde. Il a appris en autodidacte plusieurs langues, dont l'allemand, le yiddish, l'hébreu. Il a traduit des passages de la Bible. À une question sur sa pratique des langues, il a récemment répondu : « Je me réveille en ancien hébreu. » J'espère qu'il nous en parlera.

Florence Delay, romancière, essayiste, traductrice de l'espagnol et d'un certain nombre de langues inconnues – elle nous dira comment les traduire –, a également participé à une traduction de la Bible qui a fait date. Agrégée d'espagnol, elle a enseigné la littérature française et comparée. Elle a été comédienne et elle est membre de l'Académie française depuis l'an 2000.

Florence Delay, vous m'avez dit que vous aviez envie de venir à la SGDL, parce que pour vous traduire était un bonheur et que vous auriez aimé parler de ce bonheur.

Florence Delay

 Je commencerai par raconter une histoire à propos d’une femme que j’aime, Gertrude Stein. Vous pouvez d’ailleurs en ce moment visiter la magnifique exposition consacrée à la famille Stein. J’ai été très marquée dans ma vie par Gertrude Stein, je l’ai enviée terriblement parce qu’elle a du génie. A une époque, je ne me nourrissais que d’elle. Un jour, j’ai découvert dans un de ses livres comment elle avait commencé à écrire. Elle racontait qu’aimant beaucoup Flaubert, elle avait entrepris de traduire Un cœur simple. Son frère Léo, à la même époque, acquit un Cézanne, le portrait de la femme de Cézanne. Le tableau fut accroché dans la salle où elle travaillait et elle ne se lassait pas de le regarder. Elle passait du tableau à la traduction, de Flaubert à Cézanne, alors elle abandonna se traduction et se mit à écrire son premier texte, « La brave Anna », qui est son « cœur simple » à elle. A l’image de Flaubert qui écrivit Trois contes, elle écrivit Trois vies.

J’aime cette histoire. Je suis certaine que vous tirerez mieux que je ne le ferai, moi qui ne suis pas théoricienne, une leçon de cette histoire où l’acte d’écrire passe par l’acte de traduire et par la peinture, au surplus par Cézanne ! Sur le bonheur, je ne m’appesantirai pas car traduire les discours théologiques de Calderón et retrouver toutes les références ne me rendait pas toujours heureuse. Mais dans la mesure où je suis plutôt « une franciscaine » de la traduction, selon la distinction proposée par Dieter Hornig, j’avais l’impression que ce travail m’enseignait bien des choses. Les premiers souvenirs de ma vie de traductrice m’ont laissé le sentiment que l’on me donnait « la liberté de ». J’ai raconté dans un livre sur l’Espagne comment j’avais eu la chance à quinze ans, de recevoir de René Char les Obras completas de Garcia Lorca dans la première édition espagnole Aguilar, qui venait de paraître en 1954, Il m’a dit « prends et traduis ce que tu aimes ». Cette phrase a été capitale. Et puis, depuis le tournage du film de Bresson « Procès de Jeanne d’Arc », quand j’avais vingt ans, j’ai aimé obéir. J’ai trouvé que c’était merveilleux. Et j’ai considéré la traduction comme étant de cet état-là. Quand on écrit, que ce soit des romans, des poèmes, des essais, on est capitaine, on gouverne tout, alors que traduire, pour moi c’est obéir. J’ai retrouvé dans la traduction le plaisir de mes vingt ans.

Juliette Joste

Parlant de retour aux origines et de la multiplicité des vies, Erri de Luca, vous avez indiqué que votre langue maternelle était le napolitain, que vous n'étiez donc pas un écrivain italien, mais un écrivain « en italien », que vous aviez choisi d'écrire en italien, parce que c'était, disiez-vous, la langue du silence. Cette expérience originelle a-t-elle à voir avec le fait d'écrire et de traduire, qui obéirait au même processus ?

Erri de Luca

 Je partage avec Florence Delay le fait de traduire uniquement ce que j'aime. Par ailleurs, je considère avec Dieter Hornig que la multiplication des langues a été un cadeau et non une peine à purger.

Au large du chapitre XI de la Genèse, l’Humanité voulait bâtir une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux. Formant une communauté à l'image de celle des fourmis, les hommes se consacraient à une seule tâche et ne parlaient qu'une seule langue. La Divinité n’interrompit pas l’ouvrage comme nous le croyons communément, mais il en détourna les hommes en multipliant les langues et le projet faillit : la tour n’atteignit pas les cieux. Les hommes s'éparpillèrent, l'éparpillement permettant la richesse et l'enracinement de l'humanité dans la terre. La multiplicité des langues est donc un cadeau.

À l'instar des monnaies, fortes ou faibles, les langues sont assujetties à des rapports de force. L'Italie a une monnaie faible. Avant de partager le bonheur de l'euro, la lire a été sauvée par ses migrants qui envoyaient de l'argent dans des monnaies plus solides que la lire, permettant la reconstruction et la prospérité de l'Italie. Toute faiblesse recèle donc un avantage. Par exemple, la faiblesse de la langue italienne permet aux Italiens d’en tirer avantage et de devenir de bons traducteurs, car il faut traduire beaucoup. Notre langue étant parlée uniquement en Italie et dans une petite région suisse, nous importons des langues. Nous sommes de bons traducteurs et sommes performants dans le doublage de films. En français, vous n'avez pas l'expression professionnelle de doppiatori, les acteurs nationaux qui doublent la voix des acteurs de la bande originale, les doubleurs de film. Tout relève du rapport de forces entre les langues : plus la langue est faible, plus il faut s'acharner à importer des langues.

Une grande disparité de forces a présidé à la plus importante traduction de notre civilisation de l'ancien hébreu en grec, puis en latin. La langue grecque ne concevait pas même l'idée du mot « traduire », les Grecs employaient un terme qui signifiait « essayer de comprendre le langage des barbares ».

L'Ancien Testament ne comprend pas plus de cinq mille vocables. Notre vocabulaire en compte des centaines de milliers. Il y a donc un rapport de force entre ces deux vocabulaires. Que fait le vocabulaire majeur ? Il prend un mot de l'ancien hébreu et multiplie son sens, il donne quatre, cinq sens à un même mot. Il modifie le statut de la langue qui a formé la civilisation. Je prends un exemple. La Divinité dans le jardin d'Eden condamne la femme à « accoucher dans la douleur ». S'il y a, en effet, la notion de douleur dans le texte en ancien hébreu, la Divinité, dans son intention, ne condamne pas la femme à la souffrance physique. Elle dit tout autre chose : « Tu accoucheras dans l’effort. » C'est une constatation et non une condamnation.

Après l'Arbre de la connaissance du bien et du mal, Adam et Ève connaissent des changements physiques : leurs yeux s’ouvrent, ils connaissent un élargissement de la perception, de leur capacité d'entendre et de sentir.

Par ailleurs, Adam et Ève se cachent, parce qu'ils ont honte de leur nudité. Aucune bête n'a conscience de sa nudité et c’est à ce moment précis qu’ils se détachent de l'espèce animale pour devenir Homme. Dieu prend des fourrures et en revêt la nudité d'Adam et d’Ève. Il est très proche d'eux.

Dieu dit à Ève qu'elle connaîtra l'effort dans la conception et l'enfantement qui se feront consciemment. Dieu ajoute : « Maudite est la terre. » Il ne s’agit pas d’une condamnation de la terre, c'est là encore une constatation : « Tu ne seras plus satisfait du fruit naturel que la terre produit, et tu t'acharneras sur la terre pour en extraire ses fruits. » Il ajoute : « Tu exploiteras la terre à la sueur de ton front, la terre sera maudite par ta sueur. »

Le mot de l'ancien hébreu, que j'ai traduit par « avec effort » est habituellement traduit « avec douleur ». Ne croyez pas que ce soit une interprétation qui m'est propre, non ! Car les traducteurs savent très bien comment devrait être traduit ce mot. En effet, dans les autres passages de l’Ancien Testament, ils traduisent ce mot par « avec effort », ils en connaissent donc le sens profond, mais ils mettent dans la bouche de Dieu une condamnation du corps féminin, qui a subordonné le corps masculin à la culpabilité de sa responsabilité. Il n'y a aucun péché originel, aucune mauvaise intention dans la phrase « Tu accoucheras dans la douleur ». Les traducteurs prennent une responsabilité immense face à l'histoire et à la civilisation, ce ne sont pas des compagnons de passage, mais des manipulateurs qui, au cours des siècles, ont délibérément opéré une constante falsification des mots utilisés par l’ancien hébreu !

Juliette Joste

Je crois que nous aurions besoin d'un grand avocat, car après vous avoir entendu nous comprenons que la traduction est trahison !

Juan Goytisolo, vous semblez être éloigné de cette optique, puisque vous évoquez les vertus du métissage entre les langues.

Juan Goytisolo

Il est certain qu'une manipulation préside aux livres des religions monothéistes. C'est pourquoi je préfère Les Mille et une nuits et Shéhérazade, dont les versions disent et se contredisent. Les livres des trois religions monothéistes affirment. Shéhérazade au contraire invente tout, les versions varient, les manuscrits sont traduits de l'indien au pārsī, du pārsī à l'arabe, nous sommes dans l'univers du doute. Je pense à la phrase si belle de Walter Benjamin : Le labyrinthe est la patrie, la terre de celui qui doute. Je doute de tout, je ne crois dans aucun des dieux des trois religions monothéistes, mais je crois à Shéhérazade, dont le récit se contredit. La culture n’est-elle pas la somme des influences qu'elle a reçues tout au long de son histoire ? Plus ses influences extérieures sont nombreuses, plus elle est riche, plus elle a l'appétit de connaître d'autres cultures, plus elle se renforce.

L'histoire de l'Espagne en est un exemple, l'histoire arabe aussi. Au moment de la grande conquête arabe, le khalife Mansour a demandé à l'empereur de Byzance de traduire des manuscrits grecs qu'il avait en sa possession. C'est ainsi que ces textes sont arrivés dans la Péninsule et grâce aux traducteurs juifs de l'École de Tolède, la philosophie grecque est entrée en Europe. À cette époque-là, Tolède était le centre de la culture hellénique traduite par les Arabes et l’Espagne était sous l'influence de la littérature arabe et de la culture naissante du reste de l’Europe acheminé par Saint-Jacques-de-Compostelle.

Rechercher la pureté culturelle, nationale, linguistique, parfois me fait rire, parfois me fait trembler. Je pense à cette phrase de mon ami Luis Buñuel : « La pureté est la mère de tous les vices. » Du point de vue de la culture, il avait totalement raison, la recherche de la pureté ayant conduit à la ruine de la culture arabe. Il suffit de lire Al-Muqaddima de Bin Khaldoun pour comprendre à quel point elle s'est écroulée sous l'effet d'un dogmatisme religieux et de la recherche d'une pureté identitaire. Il en fut de même een Espagne, qui a recherché une identité romano-wisigothique, en rejetant les éléments juifs et arabes. C'était de la folie, une sorte de complexe d'infériorité par rapport au reste de l'Europe. Au XVIIIe siècle, on usait en Espagne de cette phrase : L'Europe commence aux Pyrénées. On rejetait tout ce qui ne ressemblait pas à la culture du nord des Pyrénées. D'ailleurs, jusqu'à la moitié du XIXe siècle, l'Alhambra, aujourd'hui l'un des monuments les plus visités au monde, était est en ruine et les habitants de Grenade de le mépriser. Ce sont des étrangers, parmi lesquels des Français, qui ont mis en avant la valeur de la culture arabe en Espagne.

Il en va de même de la culture juive. Du XVe siècle de Juan de Mena jusqu'à la fin du XVIIe siècle, l'époque de la grande culture espagnole, les auteurs à l'origine de la culture espagnole étaient, pour l’essentiel, d'origine juive, convertis ou non convertis. Les Espagnols les appelaient marranos ou cochons. Vous pouvez constater avec quel mépris ils traitaient leurs compatriotes et cela se transmettait de génération en génération. Tous les hébraïsants étant suspects, la traduction de la Bible a coûté des années de prison à Fray Luis de Léon.

La pureté linguistique conduit à la ruine de la culture, et à celle de ma propre culture, la culture arabe alors que l'ouverture, le fait de traduire, de s'ouvrir aux autres est le signe de la vitalité d'une culture. C'est essentiel pour comprendre que sans traduction il n'y a pas de culture européenne.

Juliette Joste

Barbara Cassin, philosophe et philologue, vous dites que la multiplicité, la diversité, la richesse de la traduction, d'une certaine façon, souligne l'équivoque de la langue, comme si de multiples traductions remettaient en question la notion d'un sens défini à l'origine.

Barbara Cassin 

Mes deux expériences en rapport à la traduction se rejoignent.

La première cherche à comprendre des textes grecs, des textes fondamentaux qui circulent comme s'ils allaient de soi, que je ne comprends pas, même si je suis censée les comprendre. Par exemple, j'ai travaillé à la traduction de la Métaphysique d'Aristote. Aristote établit au livre IV le principe de non-contradiction. "Il est impossible que A soit à la fois A et non A". Eh bien, non ! ce n'est pas cela dans le texte, c'est-à-dire que c'est un peu cela , mais pas tout à fait. Et du coup pas du tout ! Voilà une expérience de traducteur.

A suivre le texte d'Aristote en effet, parler suppose d’obéir au principe de tous les principes, le principe de non-contradiction, et c'est en ce sens qu'il est "logique" : pour parler, vous signifiez une seule chose, la même pour vous et pour moi. Quand vous me direz « bonjour », vous ne me direz pas en même temps « adieu ». Autrement dit, le mot est la première entité rencontrée et rencontrable à ne pas tolérer la contradiction. C'est ainsi que s'établit le principe de non-contradiction, enté sur la décision du sens.

Vous parliez de langue d'origine ou de rapport à l'équivoque. L'homonymie est le mal radical du langage, ce que les philosophes s'échinent à montre et à défaire. Après le Livre Gamma de la Métaphysique, suit le Livre Delta qui constitue le premier dictionnaire et qui définit en distinguant les sens. L’idéal serait un seul sens par mot, c'est-à-dire qu'il faudrait inventer une multitude de mots. On ne le fait pas, mais on sait que la norme, c'est-à-dire la manière dont je suis en train de vous parler et dont vous m'entendez, revient à formuler une seule chose à la fois. Ce qui est fou si l'on se réfère à la psychanalyse.

J'ai eu la même expérience à propos du Poème de Parménide, dont tout le monde sait qu'il dit « est » et qu'il décrit la manière dont l'être est. Je n'ai compris ce poème que parce que j'essayais de le traduire et parce que, à chaque phrase, j'avais envie de dessiner une arborescence des possibles : prendre un mot dans tous ses sens possibles, puis le mot suivant, refermant ainsi un certain nombre de sens du premier mot. J'avais envie de construire une arborescence de traductions et non une traduction unique. Il me fallait clore des possibilités parce que la succession des mots, avec grammaire et syntaxe, imposait telle ou telle impasse. Je n'aboutissais pas à une seule traduction possible, mais, pour un cas essentiel, à deux traductions nécessaires, à deux équivalents français, pour que l'ensemble du poème puisse se comprendre dans sa force philosophante. En tant que philologue, j'avais également affaire à une multiplicité de textes, de leçons transmises et parfois corrigées, dont il fallait choisir le bon. Autrement dit, traduire est la dernière opération après avoir établi un texte et tenté de le comprendre. Dernière opération herméneutique, elle n'est fondée que sur l'expérience du pluriel, de la pluralité interne à une langue, et sur l'expérience des pluralités internes à chaque langue qui sont des pluralités différentielles.

Et j'en arrive ainsi à ma seconde expérience de traductrice, qui est celle du Dictionnaire des Intraduisibles, vocabulaire européen des philosophies.

Dans un domaine comme la philosophie qui prête, à la différence de la poésie par exemple, si peu d'attention à ce que Jacques Derrida appelait « l'intraduisible corps des langues », autrement dit au son, au signifiant, en ce domaine même, la traduction est de l'ordre de l'impossible sans cesse réalisé. Ce qui est en question, c'est la discordance entre réseaux conceptuels soi-disant universels, mais qui ne le sont pas : il n'y a pas de d'universel en philosophie, mais des mots qui font que l'on philosophe dans une langue ou dans une autre. Le dictionnaire des intraduisibles s'est focalisé sur ce que pouvait vouloir dire « philosopher en langues", de manière différentielle. Mind ne correspond pas exactement à Geist, ni à esprit. On ne sait s'il faut utiliser love ou like pour traduire « aimer ». Les intraduisibles sont des symptômes de différence des langues qui mettent en lumière les différences entre réseaux sémantiques, et entre réseaux syntaxiques. C’est l’expérience de l’homonymie, des équivoques différentes d’une langue dans l’autre.

Je pourrais parler ensuite politique, car le Dictionnaire des intraduisibles est un travail non seulement philosophique, mais aussi politique. Comment voulons-nous parler, comment voulons-nous que l'Europe, que le monde parle? Une seule langue, un globish, "global english", sans auteur et sans œuvre, pour demander son chemin dans le monde entier et faire des dossiers pour Bruxelles? Ou plusieurs langues, "plus d'une langue" comme disait Derrida?

Mais si l’on s’en tient à la philosophie, la similitude entre ces deux expériences de traduction, Aristote, Parménide, et le Dictionnaire, réside dans l'importance de l'homonymie, l'équivoque et les équivoques, différentes d'une langue à l'autre.

Je voudrais pour conclure citer une phrase de Lacan dans L'Étourdit qui s'applique aux langues de l'inconscient et que j'appliquerais volontiers à toutes les langues : "Une langue, entre autres" – en tant donc qu'il y en a plusieurs – "n'est rien de plus que l'intégrale des équivoques que son histoire y a laissé subsister." C'est ce que j'ai sans cesse tenté d'explorer comme traductrice, qu'il s'agisse d'un texte fondamental ou du rapport entre les langues. La traduction de la Bible est évidemment un point essentiel pour comprendre les équivoques possibles et les tours de passe-passe historiques et historiaux des traducteurs.

Juliette Joste

Erri de Luca, vous dites "Traduire c'est retrouver l'intention du verbe." Êtes-vous opposé au propos de Barbara Cassin sur la pluralité interne à la langue ? Pensez-vous au contraire qu'il est nécessaire de retrouver l'essence ?

Erri de Luca

Pour l'écriture sainte, pour ce format d'origine de notre civilisation religieuse, oui. Il y a cinq mille mots en hébreu, la langue de traduction doit en rendre cinq mille. On ne peut transformer. En ancien hébreu, les mots connaissent davantage de sens. Jésus expirant sur la croix romaine ne rend pas son dernier souffle. Il ne dit pas « souffle », mais « vent ». Le mot « souffle » n’est pas celui employé, car la vie est un cadeau qui vient de l'extérieur. Lorsque le bébé sort du ventre de sa mère, l'air entre et ouvre ses poumons, c'est l'air et non son souffle qui lui offre la possibilité de vivre.

Si on traduit « vent » par « souffle » ou par « âme », on perd le sens de l'expression, ainsi que la beauté poétique et philosophique, car usant de ce terme Jésus exprime le cadeau venu de l'extérieur et qu'il restitue. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire, selon moi, de coller à l'ancien Hébreu.

L'italien a une expression pour évoquer la traduction : traduire un prisonnier d'une prison à l'autre. Le terme est « menotté », lié au sens. Dans l'ancien hébreu, le mot dabar signifie le mot et la chose accomplie. Dans l'Ancien Testament, la Divinité dit, cette divinité parle, parle, parle continûment. Elle parle aussi quand il n’y a personne ! Elle dit : « Et que la Lumière soit ! » Et la lumière fut. Car il faut la nommer pour que la lumière soit, la volonté n'est pas suffisante. Les mots précèdent les six jours de la création. Le mot appelle le fait accompli. Hors de là, il est impossible de réaliser cette conjonction, cette identité. Je prends un exemple : sur le menu du restaurant, on lit spaghettis a la carbonara et en Italie le plat qui vous est servi est les spaghettis a la carbonara ; en revanche, si je commande les spaghettis a la carbonara à Paris, ce ne sont pas des spaghettis a la carbonara ! Hors de l'écriture sainte, pas de possibilité de dabar, identité entre les spaghettis à la carbonara écrits et les spaghettis a la carbonara goûtés !

Juliette Joste

Florence Delay, pouvez-vous nous parler de votre expérience de la traduction de la Bible qui est sans doute un peu différente de celle de Erri de Luca ?

Florence Delay

Nous avons eu avec Erri de Luca des discussions assez vives à l'occasion de la parution de la nouvelle traduction de la Bible aux éditions Bayard. Le principe en était le suivant : chacun des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament qui sont aussi différents que le soleil et la lune – rien à voir entre le livre de Job, le livre des Rois ou le Cantique des Cantiques – était traduit par un « binôme », un exégète, savant en la matière, et un « idiot » (comme disait Sébastien Castellion de ceux qui ne connaissaient ni l’hébreu ni le grec), l’écrivain. L’expérience fut passionnante, les écrivains étant reconduits à une sorte d’analphabétisme, au sens où l’entend José Bergamin dans son essai La décadence de l’analphabétisme. Il y déplore la culture de la lettre et la perte de l’ignorance spirituelle. Jusqu’aux vitamines, s’exclame-t-il, portent des noms de lettres, A, B, C, D ! Sa thèse étant « au pied de la lettre, meurt l’esprit crucifié ». Cette défense de l’analphabétisme s’appuie, entre autres, sur les Béatitudes (« Bienheureux les simples d’esprit ») où le dimanche de Quasimodo, domenica in albis, où il est demandé d’être comme des enfants… l’essai de Bergamin m’a été fraternel tout le temps passé à traduire quelques prophètes et un évangile. Nous étions deux, parfois trois, discutant à l’infini et de ces infinis dialogues est née la nouvelle traduction qu’on peut juger inégale, contester ou aimer, suivant les livres. Je ne connais pas de plus belle traduction du Livre de l’Ecclésiaste que celle de Jacques Roubaud. Il a choisi de l’écrire en quatrains et de conserver le thème hébreu hével, car le terme vanité n’a plus le sens qu’il revêtait. Le livre de Job traduit par Pierre Alféri est aussi magnifique. En route, certains comme Pierre Alféri ont appris l’hébreu, d’autres sont restés « idiots » comme moi.

Juliette Joste

Barbara Cassin, l'hypothèse de retraduction rejoint-elle la notion de relativisme linguistique ? Une traduction n'est-elle qu'une étape, qu'un moment, n'est-ce qu’un élément contextuel ?

Barbara Cassin

Il existe des traductions, qui sont requises à la fois par des œuvres, des moments et des langues – et des traducteurs, chacun dans un rapport à leur langue et à un moment de leur langue.

Friedrich Schleiermacher disait du rapport entre un auteur et sa langue : « il est son organe et elle est le sien ». C'est là que l'on voit que l'auteur est traducteur et que le traducteur est auteur. C'est ainsi que l'on ne cesse de traduire. Pour moi, un "intraduisible" n'est pas ce que l'on ne traduit pas, c'est ce qu'on ne cesse pas de (ne pas) traduire.

Florence Delay

Erri de Luca disait que la traduction n'existait pas pour les Grecs. Est-ce à dire qu'il n'y avait pas d'autre monde qu'eux ?

Barbara Cassin

Une expression d’Arnaldo Momigliano me vient à l'esprit : ils étaient, dit-il, "fièrement monolingues".

Hellenizein signifie « parler grec », « parler correctement », « penser correctement », « être cultivé », « être un homme », « ne pas être barbare. » C'est donc soi ou tous les autres. C'est en ce sens que les Grecs ne traduisaient pas. Ils n'y pensaient même pas. Il est très significatif que les Latins aient été obligés de traduire doublement le terme logos : logos, c'est ratio et oratio, raison et discours. Logos signifie mot, phrase, discours, raisonnement, langage, langue, raison, parole… Quand on pense que hellenizein signifie "parler grec, être cultivé et se comporter en homme", et que logos signifie "langue, langage, raison", on comprend le poids du monolinguisme ; c'est en ce sens que la traduction ne leur importe pas. Bien sûr, les philosophes perçoivent la différence des langues, mais elle est toujours subsumée par l'universel, qui est l'universel de ce monde, qui est notre monde à tous, et l'universel des idées, qui sont nos idées à tous. Entre les deux, la marge de manœuvre est étroite.

Florence Delay

Vous traduisez pour comprendre, avez-vous dit ?

Barbara Cassin

C'est vrai. Je retraduis pour comprendre. Je n'ai jamais l'impression de connaître un texte, y compris ceux que j'ai traduits. Quand je les relis, je suis à nouveau perdue et je les comprends à nouveau en les retraduisant.

Juliette Joste

Barbara Cassin vient d’évoquer le monolinguisme comme une forme d'ethnocentrisme radical. Juan Goytisolo, pouvez-vous nous parler de votre apprentissage de l'arabe et de la traduction comme un enrichissement personnel pour votre œuvre et comme une ouverture à la compréhension des langues et de l'autre ?

Juan Goytisolo

Je suis un auteur traduit et je suis traducteur. Ma seule grande traduction a été l'œuvre de José María Blanco White, l'auteur espagnol le plus important de la première moitié du XIXe siècle. Il a écrit la plus grande partie de son œuvre en anglais, et la vengeance de l'institution littéraire espagnole fut de ne pas le traduire.

Je ne suis pas un arabisant, j'ai appris l'arabe dialectal du Maroc, ce qui m'a enrichi de bien des connaissances. L'arabe est une création continuelle, elle contient des mots d'origine française, espagnole, les mots évoluent.

La première fois que je me suis rendu à Marrakech, nous mangions un casse-croûte, que l'on appelait alors le makla khfifa ; le makla khfifa a fait place au sandwich, qui lui-même a fait place au bocadillo ! On l'écrit très drôlement « bocadiyo », il semble sortir de la bouche de Dieu ! C'est un langage très créatif.

Je suis passionné par le langage populaire et par l'argot. Je vais vous raconter une histoire. Une fille très belle se promène sur la place. Un Égyptien la hèle : « Gamila ! », lui dit-il, au lieu de « Jamila » comme on le prononce en arabe. En arabe dialectal, « gamila » signifie « gamelle ». Se sentant insultée, elle lui répond : « Cuenta taro » ! « taro » étant le lieu où l'on jette les ordures ; en espagnol, on parle de « taro de la basura ». Le temps de trois phrases, le sens bascule de par le jeu de la prononciation, de l'introduction d'un mot d'origine française et d'un mot d'origine espagnole. Quelle incroyable vivacité ! Cela m'a donné envie d'étudier l'évolution de la langue.

Je vous livre un autre exemple : comment adapter une langue aux besoins phonétiques de sa propre langue ? Au moment où la chanson Guajira Guantanamera était à la mode, j'étais à Tanger. Les jeunes, quoique parlant espagnol pour certains, n'y comprenaient rien. Ils l'ont adaptée et chantaient : Guanta la nevera, Juanita guanta la nevera ! C'était prodigieux ! « Tiens le frigidaire, Juanita, tiens le frigidaire ! »

Autre exemple du voyage des mots : depuis toujours, quand une personne commet un barbarisme, on lui dit : « No sea cafre ! », « cafre » venant de l'arabe « khâfir », infidèle. Le mot est passé de l'arabe à la langue espagnole après un long voyage. En effet, enfant, je lisais des romans de Rafael Sabatini, qui mettaient en scène des pirates turcs, ces derniers traitant les Chrétiens de « Perros ghaoures ! », « ghaour » étant une déformation de « Khâfir », infidèle. En Afrique du nord, « ghaouri » au singulier et « ghoura » au pluriel sont des péjorations pour nommer les Européens, la politesse voudraient de les nommer masahi, nasrani ou rumi. En Espagne, les étrangers sont appelés « guiris ». J’ai entendu prononcer ce mot pour la première fois à Melilla. Le mot a voyagé à travers la Turquie, l'Afrique du nord pour arriver en Espagne. Le voyage des mots et leurs transformations me fascinent.

J’ai enregistré et traduit des contes oraux que j'ai entendus place Jamaâ' Al Fna. Dans leur version originale, ils sont très difficiles à comprendre, parce qu'ils recèlent de multiples allusions. Par exemple, un conteur faisait des allusions sexuelles et citait pour chacune une ville marocaine : une ville spécifique quand il évoquait le sexe de l'homme, une autre pour le sexe de la femme, etc. Les gens rigolaient, mais les étrangers ne comprenaient pas. Au début, je ne comprenais pas pourquoi ils riaient tous à ce point ! J'ai creusé la question et de là est venu mon intérêt pour la culture orale, l'oralité primaire. Ainsi, grâce à moi, l'Unesco a pris en considération la notion de chefs-d'œuvre du patrimoine oral et immatériel. J'ai rencontré le directeur général de l'Unesco, je lui ai fait remarquer que des traditions orales étaient en train de se perdre. Pendant quatre ans, j'ai été le président du jury international de la Proclamation par l’Unesco des chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité. L'Afrique, l'Amérique du sud, l'Océanie…, tous les pays présentaient des propositions de candidatures. J'ai découvert l'imagination humaine et les cosmogonies du monde. Le Vanuatu a envoyé son dossier intitulé « Récits de sable ». On y découvre que les savants tracent sur le sable des dessins, formant un diagramme de plus en plus complexe et que les jeunes doivent mémoriser la signification de chaque trace. Une fois appris ce diagramme, ils peuvent passer d'une vie à l'autre. La fragilité, le vent… Cette expérience m'a fortement impressionné. Je ne parle pas ici de la grande littérature, mais de la littérature orale qui existe depuis au moins 50 000 ans et des quelques milliers de langues qui sont en train de disparaître tous les jours, que l'Unesco qualifie de « trésors vivants », cette oralité que l'on peut qualifier d'oralité secondaire dans la poésie et dans la prose et que l’on trouve chez les peuples primitifs.

Florence Delay

Les dessins de sable évoqués par Juan Goytisolo me font penser à ces merveilleuses peintures de sable que dessinaient les Indiens navajos à l’occasion d’une grande cérémonie de guérison qui durait neuf jours et neuf nuits. Ils réalisaient des peintures de sable pour les dieux, qui étaient censés descendre pour guérir de la surdité et de la cécité. La neuvième nuit épuisée, ces chefs-d’œuvre étaient effacés. Ce qui est perdu est extrêmement émouvant.

Juliette Joste

Florence Delay, le fait d’avoir traduit a-t-il changé votre œuvre littéraire ? Auriez-vous écrit différemment si vous n’aviez pas été traductrice ?

Florence Delay

Le mot « auteur » sert à tout : on peut tout aussi bien être auteur d’un attentat, d’un carambolage… Je me sens plus écrivain qu’auteur.

Mais j’ai une autre histoire à raconter …

La force et l’outil est une nouvelle de Valery Larbaud qui se déroule en Italie. Un enfant, Giuseppe Giusti, vole : il recopie et signe de son nom un poème de Giuseppe Parini, poète milanais du XVIIIe siècle. Voilà le raisonnement que Valery Larbaud fait tenir à l’enfant : « J’aime tellement cette poésie de Parini que je voudrais l’avoir faite ; je la comprends si bien qu’il me semble l’avoir faite ; je l'ai si bien sentie que mon esprit a refait toutes les opérations qu'avait faites l'esprit de celui qui l’a écrite. Elle ne pouvait être autrement. J’en ai fait la preuve et je trouve qu’elle est juste. Je l’ai refaite, et elle est désormais aussi bien à moi qu’à son premier auteur. Et je la signe. »

Je trouve ce passage magnifique, car c’est parfois ce qui arrive avec la traduction : on peut s’approprier un texte. Valery Larbaud, avec sa douceur et sa tendresse habituelle, a touché juste.

Je suis extrêmement influençable, mais plutôt dans mes essais. J’ai toujours pensé que la meilleure façon d’écrire sur un écrivain était d’écrire comme lui ; par exemple, écrire un essai sur Gertrude Stein ou sur Ramón Gómez de la Serna en écrivant comme eux. Je considérais que c’était là une façon de prouver son amour. C’est plus ou moins réussi, mais cela montre l’intimité que l’on a avec un écrivain. Finalement, l’intimité c’est de le traduire un peu. Sans être une grande angliciste, j’ai compris Gertrude Stein en la traduisant.

Si traduire m’a influencée dans l’écriture de mes essais, cela n’a pas été le cas, hélas ! pour les romans. Traduire m’a uniquement donné le diapason, le « la » de l’incipit, « ces phrases qui cognent à la fenêtre », comme disait Aragon, ce toc-toc qui donne le départ. Parfois, on emprunte un incipit à un écrivain que l’on aime, que l’on ne traduit pas forcément. Ce fut le cas pour ce qui me concerne avec Kleist.

Juliette Joste

Erri de Luca, en tant que traducteur, avez-vous fait cette expérience d’appropriation d’un texte ou d’un auteur ?

 Erri de Luca

Non. Le sentiment d’un traducteur vis-à-vis de l’auteur qu’il traduit doit être l’admiration, un sentiment arrêté, qui ne prête pas à la mise en mouvement vers l’auteur admiré. Le traducteur ne peut pas être en compétition, voire pire : prendre sa place ! L’admiration est un sentiment qui permet de garder la distance. C’est un sentiment intransitif, on reste avec ses moyens propres.

J’ai apprécié le passage de Juan Goytisolo sur la pureté. Nous qui venons de la Méditerranée sommes le fruit d’un métissage. À la première page du Nouveau Testament, Matthieu introduit cinq femmes dans la liste des quarante-deux personnes formant l'arc générationnel qui va du patriarche Abraham à Jésus. Ces cinq femmes ont commis des transgressions sexuelles. Toutes ces transgressions ayant été gouvernées par la volonté de Dieu, ces femmes surmontent la loi, même si elles risquent la condamnation à mort. Elles sont au-dessus de la loi des hommes.

Trois de ces femmes n’appartiennent pas au peuple juif. Dans la descendance la plus précieuse, dans la généalogie du Messie, il n’y a pas pureté du sang. Le Messie est métisse de sangs mêlés, comme nous tous. Jose Luis Borges écrit dans son poème À Israël :

À ce réseau perdu de fleuves millénaires,

Mon sang, sais-je, Israël, si le tien se mêla ?

On pourrait dire la même chose du Phénicien, de l’Égyptien, du Grec et des peuples venus du Nord : les Normands, les Vandales, les Wisigoths, les Ostrogoths… Un mélange de sangs coule dans nos veines, qui a fait notre richesse et formé notre langage, dont les langues sont proches.

La dernière qualité d’un traducteur doit être celle de connaître et aimer la musique, sans pour autant être un musicien. Il doit avoir une ouïe musicale. Méfiez-vous du traducteur qui chante faux ! Ma traductrice excellente, Danièle Valin, chante dans un chœur !

Juan Goytisolo

J’ai eu la chance d’avoir d’excellents traducteurs en anglais et en français. Bien sûr, des adaptations s’imposent et quand je lis les traductions de mes textes, l’important pour moi est de retrouver la musique des mots en français ou en anglais. C’est fondamental.

Dans Don Julián, je fais une parodie de l’hymne de la légion espagnole que l’on nous faisait apprendre par cœur à l’école après la guerre civile. J’avais écrit : « Derramaste tu sangre preciosa, legionario de brava legión. » Ma traductrice, Aline Schulman, a mélangé des vers de la Marseillaise avec Mon légionnaire d’Edith Piaf. Le lecteur comprend ainsi immédiatement l’ironie qui sous-tend le texte. Certes, c’était bel et bien une trahison, mais une traduction littérale n’aurait rien signifié pour un lecteur français.

Juliette Joste

Barbara Cassin, je ne sais si la question de la musicalité se pose de la même manière pour les concepts sur lesquels vous travaillez, mais quelles ont été les expériences les plus frappantes du Dictionnaire des intraduisibles ?

Barbara Cassin

Le propos de Erri de Luca me terrifie, car je chante horriblement faux et en plus j’adore chanter, j’adore que la voix s’exprime !

Voilà quelques jours, je me trouvais à Rio, où nous avons monté le spectacle "Parménide va à l’opéra", que nous avons présenté sur une scène magnifique de l’École de musique. Nous étions trois traducteurs de Parménide de langue différente. Nous scandions Parménide, et une chanteuse chantait en scansion le texte en grec. Parfois, nous faisions des canons, parfois nous nous succédions.

Je vous ai dit plus tôt combien j’avais eu envie de construire ma traduction en efflorescence, en arborescence, à quel point je ne la considérais pas comme définitive. Jouant le personnage de la Déesse, je me devais de dire : « Jeune homme, compagnons d’immortels cochers" —jusque là, ça allait—, qui grâce aux juments qui te portent parviens à notre demeure, bienvenue, car ce n’est pas un mauvais destin qui … »

J’ai été obligé de reprendre ma traduction, car les « qui » se succédant, le texte ne passait pas l’épreuve de l’oral. Lorsque j’avais réalisé cette traduction du poème de Parménide, mon intention avait été de faire comprendre l’articulation de la phrase en grec. C’est une traduction de travail d’un philosophe s’adressant à des philosophes qui travaillent et qui ont besoin de savoir où sont les possibles, où sont les chevilles, où sont les points problématiques. Mais lorsque j’ai été obligée de déclamer cette traduction à pleine voix, je l’ai reprise entièrement. Je ne pouvais clamer : « Tu apprendras en outre… » J’ai retiré ces deux derniers mots, ridicules à entendre. Je suis très sensible à cette idée de chanter juste, de faire bruire le signifiant. Cependant, en tant que philosophe traduisant un texte pour des philosophes, je ne peux m’arrêter au chanter, je ne peux que pleurer !

Quant au Dictionnaire des intraduisibles, c’est véritablement de politique qu’il s’agit : il est en cours de traduction en arabe, en anglais, en russe, en ukrainien, en roumain, en persan, en portugais au Brésil et en espagnol au Mexique. Chaque traduction est une expérience particulière, qui implique une réinvention du dictionnaire. Il s’agit d’évaluer son point d’impact dans la langue qui va l’accueillir et qui donc l’écrit. Le Dictionnaire des intraduisibles est fait politiquement pour refuser le nationalisme ontologique, autrement dit la hiérarchie des langues, certaines étant supposées supérieures à d’autres : le grec, langue philosophique la plus proche de l’être, là où cela se dévoile, et l’allemand, plus grec que le grec. Je paraphrase ainsi Heidegger, pour qui seule la langue grecque est philosophique. Selon cette idée de la philosophie, le grec et l’allemand sont supérieurs comme des races pures ou authentiques. Le Dictionnaire des intraduisibles est fait pour bouleverser cette hiérarchie. Il est dans un "ni...ni" : ni nationalisme ontologique ni « globish », global english. Il refuse, je l'ai dit, la mainmise d’une langue qui n’en est pas une, ce pseudo-anglais universel qui nous sert malheureusement à monter des dossiers de subventions pour Labex, Idex, ERC, selon le modèle "européen"…

C’est contre ces deux vections que politiquement le Dictionnaire est construit. C’est ainsi que je l’ai conçu en France. Il s’agit de déterminer dans chaque pays contre quoi nous devons lutter. Il n’est pas vrai que le monde arabe doive lutter contre Heidegger ! Il n’est pas vrai non plus que les États-Unis doivent lutter contre ce type de nationalisme ontologique que nous avons sucé avec le lait de nos Khâgnes ! À chaque fois, il s’agit de comprendre quels gestes politiques nous avons l’intention de faire en traduisant.

Nous étions tous réunis à Naples, quand il est apparu que traduire le dictionnaire à Princeton, c'était jouer l'anglais contre le globish , retravailler le rapport à la philosophie autrement qu’en suivant l’universel pseudo-analytique qui fait d'Aristote mon collègue à Oxford. Voilà pourquoi les expériences de traduction sont politiques.

Florence Delay

Dans quel pays le dictionnaire est-il traduit en espagnol ?

Barbara Cassin

Au Mexique, pour des raisons économiques : si je veux que l’Amérique du sud hispanophone soit en mesure d’acheter ce dictionnaire, il faut qu’il soit réalisé au Mexique, non pas à Madrid.

Florence Delay

Juan Goytisolo, est-il vrai qu’il n’y a pas de génie philosophique à proprement parler en Espagne, pas de système de pensée fondé sur des concepts ? L’Espagne a pensé grandement par le théâtre, la poésie, non par la philosophie.

Juan Goytisolo

On en trouve l’explication dans le Saint-Office de l’inquisition. Un début de rationalisme avait été hérité de l’averroïsme latin quand il s’est trouvé que les Juifs ont été convertis par la force à la religion catholique, oubliant les traditions religieuses de leurs ancêtres et définissant par là même un terrain nouveau. Toutes les réflexions nouvelles étaient l’œuvre de convertis. Le regard de la périphérie de la société espagnole vers le centre est bien plus intéressant que le regard discriminé du centre vers la périphérie.

La Célestine de Fernando de Rojas est le premier texte littéraire important en Occident où Dieu n’apparaît pas, il n’est pas survolé par l’auréole protectrice de la Divinité, on y parle d’amour, de sexe, de pouvoir et d’argent. La Célestine, évoquant la création, parle de « foire », de « marché ». À l’heure où nous vivons, cela revêt une signification toute particulière. Cette période qui s’étend jusqu’à Spinoza est celle des rationalistes juifs espagnols. Cette ligne de réflexion philosophique fut coupée par le pouvoir religieux, le dogmatisme et la force.

Barbara Cassin

Cette question nous a fortement préoccupés. C’est pourquoi nous avons choisi des mots qui se situent à la frontière de la littérature et de la philosophie, par exemple desengaño.

Florence Delay

Voilà un mot très difficile à traduire. Il ne s’agit pas de désillusion.

Aline Schulman

On peut le traduire par « désabusé ».

Florence Delay

Oui, désabusé, désenchanté.

Juan Goytisolo

Entre Fernando de Rojas et Spinoza, il y avait Uriel da Costa, un rationaliste qui s’est suicidé à Amsterdam parce qu’on le considérait comme athée. On connaît aussi le châtiment de la synagogue portugaise d’Amsterdam porté à l’encontre de Spinoza. Du moins Uriel da Costa et Spinoza ont-ils tenté de tenir une ligne philosophique et rationaliste judédo-espagnole même si elle a été coupée violemment.

Juliette Joste

Pourquoi avez-vous éprouvé la nécessité de traduire, Erri de Luca ? N’étiez-vous pas satisfait des traductions existantes ?

Erri de Luca

Des traductions de l’Ancien Testament, personne ne pouvait être satisfait. J’en ai traduit certaines livres, puis je me suis mis à traduire le yiddish, une tout autre langue, une langue allemande, écrite en alphabet hébreu. Avec l’extermination des Juifs d’Europe, le yiddish a disparu.

J’ai appris le yiddish en revenant de la Célébration du cinquantenaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Enfant, l’un de mes héros, avant de connaître Che Guevara, était Marek Edelman, un des commandants de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Je connaissais le plan du ghetto, les lieux de la destruction, avant de m’y rendre.

Et de retour, je me suis dit que l’impéritie ayant détruit totalement une langue, la seule chose que je pouvais faire était de renouer les lèvres d’une langue assassinée. Si je ne pouvais corriger le passé, je pouvais lui donner tort en lui démontrant qu’il n’avait pu détruire totalement une langue. Je ne crois pas à la résurrection des vies humaines – si on ne s’embrasse pas dans cette vie c’est perdu ! En revanche, je crois à la résurrection des langues, qui peuvent renaître et être à nouveau chantées. Apprendre le yiddish est un acte correcteur du passé, qui me permet d’accéder à une littérature immense et scellée, dont j’ai la clef. Et puis personne ne peut contrôler ou savoir ce que je vole à cette littérature immense !

Juliette Joste

Florence Delay, vous avez traduit des langues inconnues. S’agissait-il de redonner vie à des langues ?

 Florence Delay

Pendant plusieurs années, j’ai fait un cours sur une matière que je ne connaissais pas. Mais j’avais prévenu mes étudiants ! Nous étions dans l’inconnu. Nous avons étudié les discours de chefs indiens de l’Amérique du nord, puis les contes, puis les chants. C’est ainsi qu’au fil des ans, nous avons découvert ce qui nous restait des Indiens de l’Amérique du nord suite à leur destruction. Après un temps, Jacques Roubaud, constatant que nous avions amassé un matériel très intéressant, a émis l’idée d’écrire un livre. Les sources des textes étaient issues des musiciens, car nous ne parlions ni le sioux, ni le navajo, ni le cheyenne. D’ailleurs, la faiblesse des Indiens d’Amérique du nord devant les blancs résidait en ceci qu’ils parlaient des centaines de langues et ne pouvaient se comprendre entre eux. Les blancs n’auraient sans doute pas conquis aussi aisément l’Amérique du nord si les Indiens avaient parlé une seule langue. Remarquons au passage que les Américains sont des gens assez extraordinaires ! Ils ont exterminé les Indiens ou les ont mis dans des camps pour ensuite envoyer sur place les plus grands ethnologues, anthropologues, musicologues pour les enregistrer et étudier leurs chants. En particulier une femme hors du commun, Frances Densmore, a écrit une vingtaine d’ouvrages, dont Chippewa music, Navajo music … Avec la musique, elle fournissait un mot à mot des paroles qui permettaient d’entrer en contact avec ces langues.

Ces langues me sont restées inconnues, Erri de Luca, car je n’ai pas eu le courage de les apprendre. Le relais en la personne de poètes et de musicologues était fiable. Je pense à l’anthologie de Jérôme Rothenberg Shaking the Pumpkin, En agitant la calebasse, qui avait passé plusieurs années dans une réserve à étudier les chants de la tribu indienne Seneca.

Voilà pour mon expérience des langues inconnues.

Une dernière question à Juan Goytisolo : les juifs parlaient cette langue si particulière qu’est le ladino. Est-elle toujours parlée ?

Juan Goytisolo

Oui. Au Maroc, les Juifs parlent aussi leur propre langue, le judéo-espagnol, qui est encore différent.

 Françoise Wuilmart

Erri de Luca, vous avez indiqué que la Bible comptait cinq mille vocables. Si j’ai bien compris, cinquante occurrences d’un même mot devraient donc être traduites cinquante fois de la même manière. Est-ce à dire que l’hébreu archaïque, celui de la Bible en tout cas, ne connaît ni la connotation ni la polysémie et qu’un mot, quel que soit son contexte syntaxique, revêt toujours un même sens, donc simple ?

 Erri de Luca

La Bible compte un peu plus de cinq mille mots et leur répétition a du sens comme a du sens la position des mots dans la phrase. Nous traduisons régulièrement « Et Dieu dit », mais en ancien hébreu, la phrase est « Et dit Dieu ». Dans l’ancien hébreu, la Divinité vient après sa manifestation, le dire étant plus important que la Divinité elle-même. Les premiers mots de la Genèse sont « Berêshit Bara Elohim. » Berêshit signifie « en principe », Bara, la création, étant plus importante que le sujet. Il est essentiel, selon moi, de respecter l’ordre de la phrase.

La Divinité confie à l’homme le soin de conserver et de travailler la terre, shamar et avad. Les mêmes verbes sont utilisés pour se rapporter au culte que l’homme doit rendre à la Divinité, shamar et avad : conserver la Divinité et la labourer. C’est décisif. On ne peut puiser dans la richesse de notre langage, il faut s’en tenir à l’essence même de l’hébreu ancien qui nous renvoie à l’identité de la création et à l’importance que la terre revêt pour l’homme et pour la Divinité. Le shabbat ne relève ni de l’homme ni même de la Divinité, le shabbat appartient à la terre.

 Barbara Cassin

J’ai fait l’éloge de l’homonymie, mais cela n’implique rien. Cinq mille mots, ce sont cinq mille mots. En revanche, il n’y a d’homonymes que depuis une autre langue ; deux langues au moins sont nécessaires pour faire percevoir une homonymie, c’est à partir de l’autre, vu d'ailleurs, par "déterritorialisation" dirait Deleuze, que l’on peut penser l'homonymie de manière féconde. Il n’y a pas d’homonymes, il n’y a que des homonymes « pour ».

 Florence Delay

Je suis en total désaccord avec Erri de Luca. Cette obéissance aux mots me paraît terrible, je suis, quant à moi, dans la désobéissance. J’ai eu des discussions à n’en plus finir avec l’exégète avec lequel je travaillais sur Zacharie, parce qu’il était insupporté par les anges. Je suis quant à moi croyante et l’idée de supprimer les anges m’était tout aussi insupportable ! Zacharie parlant d’un messager militaire, j’ai insisté à chaque occurrence sur l’idée de capitaine, de messager ou d’ange pour que l’on comprenne toutes les fonctions de la même personne.

 Erri de Luca

En ancien hébreu, malach représente le messager. Il ne possède pas d’ailes.

 Florence Delay

C’est un cavalier.

 Erri de Luca

C’est un messager à visage humain, non un ange. D’ailleurs, Abraham ne voit pas des anges quand il offre l’hospitalité aux trois messagers, les malachim, sous les chênes de Mambré. L’un des messagers avant de partir dit à Abraham : « Je reviendrai vers toi l'an prochain ; alors ta femme Sara aura un fils. » Et Sara se met à rire, parce qu’elle est très âgée.

En ancien hébreu, les anges s’appellent Serafim, Keroubīm … Ce sont les êtres angéliques représentés sur l’Arche d’Alliance, les chérubins, qui portent des ailes au contraire du malach qui marche à pied et qui est un messager comme un autre.

Le messager qui se présente à Marie, Myriam, et qui lui transmet le message n’est qu’un homme. Il est plus émouvant qu’elle obéisse à un humain qu’à une divinité, l’obéissance perdrait alors de sa valeur. Le messager lui transmet la nouvelle de sa fécondité hors du mariage. Myriam est à ce moment-là adultère. Elle échappe à l’adultère en se mariant avec son amoureux Yosseph qui est, je vous le dis à votre grande surprise, un jeune homme ! Aucun évangéliste n’a dit qu’il était vieux ! Nous avons donc le droit de l’imaginer jeune homme comme Myriam est une jeune fille.

Juan Goytisolo

Le peu de traducteurs a été un signe du retard de la culture espagnole. Quand j’étais jeune, les romans de Tolstoï ou de Dostoïevski étaient traduits du russe en français, puis du français en espagnol. En Espagne, nous avions uniquement des traducteurs du français, de l’anglais, quelques traducteurs de l’italien et de l’allemand, aucun traducteur du russe.

J’ai vu la différence entre les textes quand j’ai relu quarante-cinq ans après des traductions du russe par de bons traducteurs. Ce n’était pas une question d’âge, mais de traduction ! Cela a été l’une des tragédies de la culture espagnole. Heureusement, depuis la mort de Franco, nous comptons des traducteurs dans toutes les langues, y compris en ukrainien ou en algérien, et d’excellentes écoles de traduction. La perspective espagnole sur la littérature mondiale en a été totalement modifiée.

Liliane Hasson, traductrice

Je suis d’origine judéo-espagnole. Dans ma famille comme dans toutes celles que je connais, nous n’avons jamais entendu le terme ladino pour nous désigner, ni nous ni notre langue. Nous appelions la langue « el español nuestro », non pas « nuestro », c’est-à-dire « notre espagnol », non sans un certain complexe d’infériorité. On se désignait comme « Espagnols » ou « Juifs espagnols ».

J’ai appris le mot ladino des années plus tard quand j’ai commencé à me documenter à travers l’œuvre de Haïm Vidal Séphiha, un juif belge, d’origine judéo-espagnole, qui fut déporté à Auschwitz à l’âge de dix-huit ans et qui vit toujours. Il est l’auteur d’une œuvre considérable, qu’il a vulgarisée dans un ouvrage paru en 1977 que je vous conseille vivement : L’agonie du Judéo-espagnol. La langue a quasiment disparu, il ne reste que de très grands vieillards qui la parlent encore à Istanbul, d’où ma mère était originaire ; on ne la parle plus à Salonique depuis la Shoah ni en Israël. Ceux qui sont partis en Espagne ou en Amérique latine se sont re-hispanisés selon les termes de Haïm Vidal Séphiha.

Juan Goytisolo

Un Bosniaque a écrit une anthologie des auteurs ladinos et a ainsi sauvé la culture des ladinos de Sarajevo. En effet, pendant le siège, le ladino a disparu. Heureusement, juste avant, une personne a interviewé et enregistré les femmes de Sarajevo d’origine espagnole, elle a recueilli les noms des romanciers, des poètes et des chanteurs, et elle les a ensuite publiés.

 Liliane Hasson

J’en suis bien d’accord, mais je reviens sur le terme « ladino », qui est la langue traduite des textes sacrés hébreux et écrite en espagnole, une langue savante, qui s’est construite au cours des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. On ne l’entendait pas parler dans nos familles, qui vivaient en Europe. Nous n’entendions jamais prononcer ce mot.

Juan Goytisolo

J’ai eu l’occasion de discuter avec un ladino qui parlait l’espagnol du XVe siècle. Il disait mancebo pour parler d’un jeune garçon.

Liliane Hasson

C’est ce que disait ma grand-mère, mancebo. Elle employait aussi le mot las faltriqueras pour dire les poches.

Florence Delay

L’exemple est ici frappant : Liliane Husson n’a jamais entendu ce mot et nous l’avons entendu. Il faut traduire.

Liliane Hasson

Parlez-vous des gens ou de la langue ?

Florence Delay

De la langue.

Liliane Hasson

Pour nous, l’espagnol  nuestro  est le judéo-espagnol parlé par les Juifs.

Florence Delay

Je ne peux pas dire nuestro  puisque je ne suis pas ladino.

Liliane Hasson

Vous dites le judéo-espagnol… enfin, vous dites ce que vous voulez ! Ladino revêt un sens savant.

Lazare Bitoun, traducteur 

J’ai entendu une traductrice dire qu’elle désobéissait aux mots, qu’elle les traduisait comme elle le voulait ; j’ai entendu dire un traducteur qu’il prenait les mots dans leur sens strict, qu’il essayait de reproduire cette traduction à chaque fois. Le traducteur est-il tout-puissant et quelles sont les limites de cette toute-puissance ?

Florence Delay

J’ai dit que je « désobéissais » pour refermer une courbe qui avait commencé par l’obéissance absolue. Il est absurde de dire que le traducteur est tout-puissant. Bien sûr, il fait ce qu’il veut, mais il a sa conscience, me semble-t-il.

Erri de Luca

À l’exception des traducteurs amateurs que nous sommes, les traducteurs sont employés par un éditeur, qui est le tout-puissant !

Lazare Bitoun

L’éditeur est sa conscience !

Juliette Joste

Nous avons parlé de bien des choses. Nous nous reverrons peut-être pour parler du sexe des anges ! Merci beaucoup.

 

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