Ouverture du Forum - Alain Absire, président de la SGDL
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Mesdames, Messieurs, Chers amis auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, lecteurs et acteurs de la chaîne du livre, bienvenue à la Société des Gens de Lettres pour notre Forum 2009...
Il est vrai que, en dehors des actions en faveur de la liberté d'expression, les écrivains, se sont rarement trouvé en première ligne sur les débats touchant le livre et l'édition. Non parce qu'ils s'en désintéressent, mais parce qu'ils ne sont pas des techniciens du livre, et que leurs intérêts sont souvent pris en charge par leurs éditeurs, une infantilisation, au demeurant, librement consentie... En matière d'usage informatique, nous avons pourtant été des précurseurs. Combien parmi nous ont expérimenté le traitement de texte dès le début des années quatre-vingt, avant de l'adopter comme outil au service de leur imaginaire et de l'expression de leur pensée ! L'architecture même de nos œuvres en a été profondément modifiée, tant il nous est apparu facile de tailler et recomposer nos textes au fil d'un processus d'écriture jusque-là rigidifié par la matérialité et la linéarité du support papier. Suivant cette évolution, grâce à « l'écriture numérique », et à l'ouverture aux savoirs de l'humanité, chaque auteur a désormais la possibilité d'ouvrir son œuvre à des champs d'investigation et de documentation illimités, voire même, une fois « achevée », d'accepter de la rendre protéiforme et évolutive, grâce à une multitude de nouveaux usages du texte, du son et de l'image, associés à de nouvelles technologies interactives. Il suffit d'assister aux « performances » numériques publiques de nombreux poètes contemporains pour constater que la virtuosité technique est au service de la création, et de l'intérêt que lui porte un public friand d'hyper médiation. Depuis l'invention de l'écrit, la connaissance et la mémoire se sont toujours fixées, d'abord pour circuler de main en main, puis, pour être diffusées auprès de cercles d'initiés sous forme manuscrite, avant de s'élargir, avec l'invention de l'imprimerie, à des lecteurs inconnus. Les contenus cessant d'être confidentiels et les thèmes abordés devenant universels, la mutation fut de taille pour l'auteur. Aujourd'hui, avec la troisième révolution de l'écrit, alors que le géant américain Amazon lance la version mondiale de son lecteur Kindle connecté en permanence au réseau 3G et permettant au lecteur, où qu'il se trouve, de télécharger le livre de son choix en soixante secondes, les supports de la création se dématérialisent et se multiplient. C'est la course pour dématérialiser tous les savoirs de l'humanité : on parle désormais de partage illimité via les réseaux numériques, et tant pis si le flux des données se déverse de manière anarchique sur un utilisateur grisé de tenir le monde entier à portée de clic ! Amazon, Google, Apple... Le premier arrivé aura gagné ! Et peu importe avec quelles garanties de qualité, de fiabilité et de pérennité. Cerné, et pressé de toutes parts par les enjeux économiques et les nécessités du temps présent où prime le culte de la vitesse, le livre est contraint de s'adapter. Et nous voici, nous auteurs, dans l'obligation de nous concerter et de prendre la parole, afin de préserver notre liberté de créer des œuvres dignes de ce nom, pour le plus grand plaisir d'un public de lecteurs mieux ciblé, plus vaste, plus averti, plus sélectif et plus exigeant, qu'on ne le prétend. C'est un fait : le numérique envahit nos vies, et cette fois-ci de manière irréversible. Alors que, selon les résultats de l'enquête menée durant le premier semestre 2008 par le Ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des Français, l'écran de l'ordinateur à domicile devient le média privilégié de l'accès aux loisirs et à la culture, il est tentant d'oublier que, à l'origine de chaque texte, quel que soit le support sur lequel il est fixé, il y a... l'auteur ! C'est ainsi que nos interlocuteurs de Google, pour ne citer qu'eux semblent ignorer le partage de droits sur l'œuvre et les fruits de son exploitation commerciale qui, dans un pays comme la France, régit les rapports contractuels auteur/éditeur. Et, même s'ils ne sont peut-être pas les plus dangereux parmi ceux qui entendent exploiter l'énergie commerciale d'un marché de « L'écrit en vrac » devenu planétaire, la SGDL poursuivra jusqu'à son terme son action en justice pour la reconnaissance de notre droit moral. Mais pourquoi se gêner puisque, nous, créateurs de valeur pure, en sommes à supporter les inconvénients du copyright anglo-saxon sans bénéficier pour autant de l'intégralité de nos prérogatives telles que notre propre Code de la Propriété littéraire les établit ? C'est ainsi que, lorsque, « protégés » par le système des agents littéraires, nos confrères étrangers cèdent la totalité de leurs droits patrimoniaux et moraux à leurs éditeurs pour une durée brève, et déterminée au cas par cas, en vertu de règles établies il y a presque vingt ans pour la seule édition papier, nombre d'entre nous cèdent à l'aveugle et sans discuter l'exploitation de leurs droits numériques à leurs éditeurs pour soixante-dix ans post-mortem. Le numérique : une chance historique pour les auteurs, et pour leurs lecteurs... Toute nouvelle technologie s'ouvre sur un monde nouveau qui produit ses propres règles d'élaboration et d'usage, et porte en lui ses qualités et ses propres défauts. Côté pile : alors que la durée moyenne de vie en librairie de nos livres imprimés est de deux mois, la diffusion via les réseaux numériques paraît leur ouvrir l'éternité : en principe, plus d'exploitation commerciale interrompue ni de stocks épuisés ! Sauf que... (ce sera l'un des thèmes de notre débat de demain matin intitulé : « L'auteur face à la mémoire des œuvres »), la durée de vie des supports numériques, des logiciels et des terminaux de lecture est limitée dans le temps. Côté face : tous ces ouvrages dématérialisés risquent de se retrouver à égalité sur le Web, parmi des millions d'écrits, lâchés en vrac dans l'urgence et ne méritant pas l'appellation d'œuvres. Avec le livre papier, les choses sont simples : nous remettons notre texte à l'éditeur qui, ayant choisi de le publier, effectue avec nous un travail éditorial aussi fiable que nécessaire. Après quoi la chaîne de médiation du livre prend le relais jusqu'au lecteur, via le réseau des librairies-conseil de proximité, qui, même par écran interposé, continueront à être nos meilleurs prescripteurs. Avec le passage au virtuel, l'auteur, géniteur de son œuvre, peut certes être tenté de se passer d'éditeur, et de vendre lui-même ses livres en ligne, avec une simple plateforme de Web commerce. En pratique, ce modèle économique paraît périlleux pour de multiples raisons : coûts de gestion du système plus élevés qu'on ne l'aurait pensé ; difficulté pour l'auteur, privé de la dynamique de la multiplicité des modes d'accès, physiques et virtuels, à sortir du périmètre de sa communauté fidèle, impossibilité de rester visible au milieu d'une profusion de propositions ; risques de piratage et de détournement des contenus, etc. Sans compter qu'au final, l'auteur assumant seul le fonctionnement de sa propre « chaîne du livre », change de casquette pour devenir tour à tour libraire, responsable du marketing, diffuseur, autant d'activités nécessitant un réel savoir-faire aux antipodes de sa vocation artistique... En outre, il est urgent pour nous, et pour nos lecteurs nouveaux médiateurs de lectures via le Web, d'y voir clair entre ces e-plateformes d'éditeurs qui se multiplient, et par lesquelles vont transiter toutes les offres numériques. À titre d'exemple, il nous revient de savoir si, comme le préconisent Eden-Livres (Gallimard, La Martinière-Le Seuil et Flammarion), associé à la plateforme de diffusion électronique de livres numériques québécoise De Marque, et Editis nouvellement associé à Média-Participation, nos livres doivent être désormais publiés simultanément dans leurs deux versions : papier et numérique, avis que partagent pas Hachette et sa plateforme Numilog. Mais n'anticipons pas sur notre débat de demain après-midi... Pour une valeur ajoutée de la chaîne éditoriale... Pour refonder la chaîne de valeurs du livre, face à un marché saturé de contenus numériques sans valeur attestée, et de « tuyaux » et équipements de diffusion coûteux et pléthoriques, il relève de la responsabilité des auteurs et des éditeurs d'adopter une stratégie commune équilibrée. En l'occurrence, pour les éditions numériques premières comme pour les contenus issus du livre papier, le premier rôle de l'éditeur est d'assurer un travail éditorial mettant en valeur un texte original porté, grâce à son savoir-faire, jusqu'à son plus haut niveau de pertinence. C'est cette fonction qui distingue aujourd'hui l'éditeur de l'imprimeur. C'est elle qui, demain, fera la différence entre lui et les simples « distributeurs de contenus numériques », prêts à s'engouffrer, dans la brèche laissée ouverte par l'absence d'entrée unique au catalogue numérique des éditeurs français. En ce sens, l'existence d'un outil commun de référence exhaustif et de métadonnées fiables à la disposition de tous les maillons de la chaîne du livre, lecteur inclus, est un préalable incontournable à tout accès de masse à nos catalogues éditoriaux. Livre fermé, comme sur le papier, ou livre évolutif..., avec les potentialités du numérique en matière de création et d'enrichissement des contenus, cette fonction éditoriale revalorisée devra s'étendre aux « plus » apportés par les bouquets de liens, de supports audio sur le Web et de prolongements multimédia. Cette valeur ajoutée « purement Web », consultable librement, est la condition nécessaire à l'adoption de la lecture par de nouvelles générations dont les usages culturels sont liés aux pratiques interactives, et à propos desquels l'étude déjà mentionnée sur les pratiques culturelles des Français, nous dit que 78 % seulement des 15/24 ans ont lu un livre au cours de l'année écoulée, contre 83% en 97... Il incombe ensuite au couple auteur/éditeur de garantir la fiabilité des contenus achevés. Or, la numérisation entraîne de nouveaux risques : voisinage de publicités, découpage, indexation, étiquetage, reconnaissance approximative des caractères et lecture dégradée... Pour le livre numérique, cette notion de fiabilité initiale, et de conformité à la volonté de l'auteur, relève du droit fondamental du lecteur acceptant de s'acquitter d'un «prix d'achat » fixé par les titulaires des droits. L'œuvre diffusée en ligne étant fragilisée par des modes d'accès et d'usage démultipliés, il revient aussi à l'éditeur de mettre en place les protections techniques capables d'en empêcher le piratage et le détournement. Et il revient à l'auteur (détenteur du droit moral) de veiller à la sauvegarde de l'identité propre de son œuvre. En ce sens, en dépit de ce que voudraient nous faire croire certains, jaloux de leurs anciens privilèges, loin de considérer l'édition numérique comme « un simple avatar » de l'édition papier, Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat à la Prospective et au Développement de l'économie numérique, nous dira ce soir quel défi, en matière de valeur ajoutée, représente, à son sens, la mutation du système éditorial et économique du monde de l'édition. Vivre, dès demain avec, et grâce, à nos œuvres... Enfin, puisque tout modèle économique viable se doit d'être équilibré, comme nous en discuterons cette après-midi, il est légitime que la diffusion de chaque œuvre génère une juste rémunération en faveur de son ou de ses auteurs. En la matière, pas question pour nous d'en être réduits économiquement à une simple « variable d'ajustement » liée aux variations du marché, une pratique qui, à force de dilution dans la jungle du profit, reviendrait à entériner la disparition pure et simple de l'auteur. De ce point de vue, le Code de la Propriété Intellectuelle impose un rapport de proportionnalité entre le bénéfice tiré des ventes et le montant des droits d'auteur. Avec un livre dématérialisé, et selon le mode de commercialisation envisagé (paiement à l'acte de téléchargement, abonnement, emprunt, simple consultation d'extraits, etc.), d'autres modes de rémunération associant l'auteur au chiffre d'affaires (tel que le mix forfait + rémunération proportionnelle déjà pratiqué par l'édition scientifique et médicale), restent à envisager. Ainsi, sur la base de l'offre légale justifiée qui commence à se dessiner, on imagine fort bien deux types de livres numériques cohabiter. D'une part les ouvrages aussitôt lus aussitôt oubliés, proposées par des distributeurs numériques de masse, à des prix « cassés », voire gratuitement, et privilégiant l'efficacité et l'immédiateté liées à la lecture fragmentée sur écran. Et d'autre part, les œuvres de qualité, vendues via notre chaîne du livre traditionnelle à un prix plus ou moins proche de l'édition papier, et enrichies de liens internes et externes : hypertexte, avec images fixes, son, vidéo..., consultables librement, et nécessitant ce temps de lecture, de réflexion et de silence, à la base de tout enrichissement personnel. Alors : prix unique de nos livres numériques, comme pour nos livres papier, ou prix « cassé », laissé à l'appréciation du plus offrant face à un marché en ligne où la demande des lecteur/usagers se substitue à l'offre des auteurs/éditeurs ? Quel modèle légal l'emportera ? Le danger est que de nouveaux acteurs hégémoniques, tel qu'Amazon, ou Google avec sa nouvelle plateforme de librairie en ligne : Google Editions disposant de bases de données qualifiées permettant de cibler directement les internautes en fonction de leurs centres d'intérêts, n'inondent le marché et ne soient en mesure de nous imposer leurs propres prix de vente public... En guise de « Prix unique », nous assisterions alors, comme aux Etats-Unis, au triomphe de « L'unique prix du livre », à destination de publics rendus captifs à force d'avoir été pré-calibrés. Voilà autant de questions auxquelles nous allons nous efforcer de répondre durant ces deux journées qui vont voir se côtoyer ici, dans la maison des auteurs, les principaux acteurs de notre révolution numérique, et que clôturera demain soir Monsieur Frédéric Mitterrand, ministre la Culture et de la Communication. Face à un aussi vaste programme, il me reste à rappeler que le contenu de nos dialogues et de nos tables rondes sera mis en ligne sur notre site et fera l'objet d'une publication papier intégrale, et à vous souhaiter un Forum enrichissant. Nouvelles fonctionnalités, mise en réseaux ciblés, bouquets numériques, valeur ajoutée purement Web..., pour entrer dans le vif du sujet, je vous propose de partir dès maintenant à la rencontre de ces éditeurs d'un nouveau type dont les auteurs Bon débat ! |