Constance Krebs, éditrice
Le Net est paradoxal. Aujourd'hui, tout le monde utilise le Net, pour écrire, cuisiner, téléphoner, acheter, écouter, voir. Mais qui y lit ? C'est comme dans la vie. On sait qu'il existe des librairies, des bibliothèques, mais on les fréquente peu. De même qu'en bibliothèques, ce n'est pas une question d'argent puisqu'en ligne beaucoup d'oeuvres sont en accès libre. Chacun sait-il d'ailleurs que des oeuvres existent en ligne ? Pas si sûr... Au fond, sommes-nous suffisamment curieux ? Les sites sont relayés et transmis par des communautés qui partagent goûts et intérêts, et qui permettent à l'oeuvre de vivre - plus longtemps qu'en librairie.
I. Les sites
On recense dans le monde en 2007 sans doute plusieurs millions de livres en ligne. Quelques centaines de milliers d'entre eux, qu'ils soient classiques ou contemporains, ont leur contenu numérisé. Sur Google et Amazon, bien sûr, mais aussi sur Numilog et Frantext, Le Terrier, Athena, Labyrinthe, ABU, Gallica, Inventaire/Invention, la Bibliothèque électronique de Lisieux, la Maison de Balzac, Hermès-Lavoisier, Deyrolles, Les éditions du Boucher, de l'Eclat, etc. Pendant ce temps le projet Europeana investit pour numériser des ouvrages de la Bibliothèque Nationale de France, ainsi que ceux d'autres bibliothèques européennes - parmi celles qui ne signent pas de contrat d'exclusivité avec le géant américain du référencement.
Des centaines de milliers d'articles se trouvent en ligne grâce au soutien logistique de HAL, de Cairn et d'Erudit, avec La Découverte et Les Presses de Sciences Po notamment, tandis que le CENS, qui émane du CNRS, avance doucement pour des projets adaptés. Des revues spécialisées animées par quelques passionnés donnent de la lumière à l'écran. Celles qui traitent d'écritures contemporaines se nomment Inventaire/Invention, Chaoïd, Remue, La Revue des Ressources, Le Matricule des Anges, Fluctuat, Zazieweb... pendant que Revues(.org), Fabula, La Feuille,Le Bulletin des Bibliothèques de France, Livres Hebdo ou Le Bloc-Notes de Jean-Michel Salaün recensent tout ce qui intéressent les chercheurs en lettres, économie, ou édition en fonction de leur discipline.
Quel projet derrière tous ces sites ? Donner à lire, soit. Mais on ne lit pas seulement un texte, on participe à un événement. Celui de la mise en ligne, et de sa mise en abîme. Mais avec quels outils éditer ? La mise en écran est désormais simplifiée, les appareils de lectures existent. Pour ces supports, ainsi que pour le papier, un seul type de fichier permet d'éditer un texte de plusieurs façons sans léser la librairie : XML.
Tout cela est fort bien. Deux nouveautés restent à apporter. La première consiste à développer des outils d'étude du texte pour les enseignants, les élèves et les étudiants. Ainsi, les internautes lecteurs partageront leurs requêtes sur une fenêtre propre à chacun d'eux, et se verront tentés par d'autres oeuvres de la collection que leur suggèreront les réponses des internautes. La deuxième tiendra à lier la librairie au Net, le papier aux pixels, grâce à une sorte de bonus accessible par un mot de passe inséré dans l'ouvrage imprimé - pour une reconnaissance des compétences de chacun, pour le droit de l'auteur à vivre de la vente de ses livres, et pour sauvegarder une certaine gratuité sur le Net, sans publicité.
II. La communauté
Quel projet derrière tous ces sites ? Donner à lire, soit. Mais choisir un auteur, aussi. L'auto-édition n'est pas davantage diffusée si les textes auto-édités sont sans valeur. Seules les oeuvres dignes d'intérêt trouvent un écho dans quelques sites, blogs ou webzines. Ce ne sont que quelques-uns qui font connaître les oeuvres en ligne. La communauté des internautes, qui s'intéresse à l'écriture, textes classiques et contemporains confondus, y participe. Que cette communauté soit composée de lecteurs (Zazieweb), d'écrivains (Remue, Désordre, Le Terrier), de conservateurs (les premiers sans doute, en 1993, se regroupent en association des bibliophiles universels ou ABU, Gallica, Labyrinthe...), ou d'universitaires (Cairn, Erudit, CENS), elle compose la petite toile des écrits sur le Net ; elle relaie l'information, la transmet de façon ciblée. Ainsi Florent Latrive peut-il vendre ses livres imprimés à un nombre inespéré pour son éditeur. Car naturellement, chacun pourvoit la bonne graine : qui lit un texte ici en parle là, avec un lien hypertexte pour en montrer la source, le lecteur conquis reproduit le texte en question sur son blog, qui à son tour touche d'autres lecteurs, etc. Et au lieu d'un mois de présence en librairie, le texte d'un inconnu fait le tour de la Terre en quelques clics, en quelques heures, reste en ligne plusieurs années après sa création et augmente le trafic du site de l'auteur de 1% à 20%, voire plus.
Ces communautés sont-elles des maisons d'édition ? Absolument pas. D'ailleurs s'agit-il d'édition ? Au sens traditionnel du terme, du moins tel qu'on l'entend au XXe siècle, certes non. Pourtant, s'il n'existe ni contrat ni droits d'auteurs, il s'agit bien de choisir des textes, de les relire, de les corriger, de les illustrer, de les mettre en page puis en ligne, bref de les publier en les diffusant le plus largement possible de façon à les distribuer au plus grand nombre d'intéressés - en un mot, de les éditer.
Les canaux de distribution changent. En 1998, la nouveauté venait de Jean-Pierre Arbon et de Bruno de Sa Moreira et leur maison d'édition en ligne. L'objectif ? Pas de stock, distribution directe. Mais 00h00 et ses livres imprimés à la demande, ainsi ses PDF, vendus par correspondance après paiement en ligne, a fait son temps sans faire ses preuves, malheureusement. Pas de stock, c'est bien. Une part de gratuité, c'est mieux. Le Net n'est pas conçu pour une structure de distribution marchande, du moins pas uniquement. Il est constitué de liens, qui tissent un réseau. Chaque réseau de fils forme petit à petit une toile de ressources qui très vite se reconnaissent pour se fondre les unes avec les autres. Sans anicroche ni concurrence. Sans enjeu. Sans argent. Basée sur la fidélité. Les éditions de l'Eclat et la revue-maison d'édition Inventaire/Invention le montrent bel et bien depuis 1999. Pour beaucoup il est difficile de lire à l'écran... Si les livres virtuels se lisent c'est parce qu'ils sont gratuits.
Mais alors, puisque encore aujourd'hui ni le libraire ni le critique ne guident le public, comment se diriger dans ce dédale ? Heureusement, une femme tient à jour cette bibliothèque borgésienne. Elle se nomme Christine Genin. Son Labyrinthe est le point de départ à toute recherche de textes en ligne, qu'ils soient classiques ou contemporains, qu'ils utilisent les fonctions du Net ou pas. Le Labyrinthe recense tous les textes en ligne, en les classant. Ce n'est qu'un point de départ. Mais il est essentiel. Ensuite, quelques liens aisément discernables dans cinq à dix sites de choix aident à naviguer sur les flots mouvants des textes, essais, poèmes, journaux ou romans en ligne.
En attendant l'éditeur qui regrouperait en ligne les textes importants, avec des liens, et des livres imprimés, voici un aperçu de ce qui existe au début 2007, soit dix ans après les balbutiements de 00h00, dont j'étais, et huit ans après les premiers e-Book.
Des revues en ligne, des blogs, des liens hypertextes, des lettres d'information font découvrir les auteurs de l'écran. Ces sources se trouvent en ligne, uniquement. Le relais dans la presse écrite spécialisée, pour l'instant, tarde. Seuls de trop rares éditeurs perçoivent l'intérêt de ce renouveau de la diffusion.
Sur le Net, on ne lit pas que des blogs d'adolescents en mal de confidence - et quand bien même ? -, ni seulement des recettes de cuisine - même si de temps en temps... Nombre d'écrivains se prennent au jeu. Des auteurs reconnus par une maison d'édition et un public jouent avec l'écran et la souris : Beinstingel, Bon, Detambel, Delaume, Pennequin... Parfois inventifs avec ces outils électroniques mis à leur disposition, ils trouvent un écho de leurs travaux, voire une version imprimée de leurs oeuvres chez leurs éditeurs. D'autres sont d'ores et déjà connus sur la Toile. Certains d'entre eux ont quelques milliers de visiteurs réguliers par jour (1). Pourtant ils éprouvent encore les plus grandes difficultés à être édités.
Ce manque de reconnaissance de l'édition traditionnelle tient à plusieurs raisons. Les réticences naturelles qu'éprouve la plupart des éditeurs à publier une oeuvre par ailleurs gratuitement disponible à l'écran. En effet, cette publication provoquerait des coûts financiers (préparer, faire imprimer, diffuser, distribuer et vendre un texte coûte cher, environ 80% du prix de vente du livre) qui, couplés à la gratuité du même titre en ligne, peuvent paraître saugrenus, voire incongrus. En outre, rendre compte d'oeuvres multimédias en une version composée de caractères et d'espaces imprimés noir sur blanc, sur des cahiers reliés entre eux, aisément repérables par des folios numérotés en ordre croissant, peut sembler totalement impossible. La Maison des feuilles, de Mark Z. Danielewski, que Denoël a publié en 2002 est en effet illisible sur du papier. Tristram Shandy de Lawrence Sterne ou même la Bible aurait toute légitimité en ligne. Et l'édition s'adaptera très rapidement. Son histoire le montre suffisamment.
Ces mises en ligne de texte, avec ou sans éditeur, confirmentelles un effet de mode ? On pourrait le penser parce qu'on parle beaucoup du web. D'ailleurs certains blogs d'auteurs populaires ont été créés par leur éditeur pour les bienfaits de la communication autour du livre à vendre.
Mais pour ceux qui ont envie d'essayer autre chose, d'expérimenter ? Ne s'agit-il pas plutôt d'un intérêt pour des outils qui provoquent des nouvelles façons d'écrire, des ruptures dans le mode de narration traditionnel - ou du moins en usage au XXe siècle ? D'un besoin, d'une envie de renouveler le mode de narration romanesque ?
Pour ceux-là, peut-on parler d'avant-garde ? Pas si sûr, ou du moins pas pour tous. Le roman, genre classique dans l'histoire des lettres se renouvelle avec les époques, « parce qu'elle était radicalement nouvelle dans la sienne. Une oeuvre classique ne peut jamais être complètement comprise, car elle dépasse les intentions et les théories qu'elle met en pratique (2) ». Alors peut-on parler de classiques à propos des oeuvres proposées en ligne ?
Eh bien, pas encore. Pourtant les commentaires affluent autour des oeuvres en ligne. Parfois concomitant à la mise en ligne (3) , d'autres fois produit par les auteurs du site eux-mêmes, le commentaire bruisse de mille voix, de mille pensées éparses...
Est-ce un phénomène propre aux avant-gardes ? Est-ce une nouveauté liée aux usages d'Internet ?
L'avant-garde n'est liée ni au support ni au dispositif mais à la pâte de chaque artiste. Y a-t-il un groupe d'artistes clairement défini ? Evidemment, non. L'un se réunit autour de l'université de Saint-Denis(Paris 8), où Jean-Pierre Balpe a longtemps dirigé le laboratoire Paragraphe (4) du département d'information et de communication Hypermédia. Ce groupe comprend les amateurs d'écritures hypertextuelles et de générateurs de textes. Autrement dit, une sorte de poésie automatique propulsée par l'ordinateur, parfois composée uniquement d'images, sans qu'aucun texte vienne éclairer le sens du propos. Une revue, Doc(k)s, rassemble les premiers auteurs à s'intéresser au Net, écrivains pionniers sur la Toile. Emportés par la machine, fascinés par les 0 et les 1, par le signe plutôt que par le sens, par le code plutôt que par la composition (qui structure le rythme de tout récit ou poème), ce groupe d'artistes et de chercheurs se perd parfois dans l'auto-analyse.
Laissant disparaître la figure de l'auteur au profit de celle du lecteur, l'auteur n'a plus qu'à se lire pour se délier, mais déliter son oeuvre.
Les éditeurs sont perplexes. En effet, que faire de ces textes sans auteurs, où les lettres ne sont plus que des figures de la lettre, des images qui s'effacent, ces récits structurés par le seul lien hypertexte censé donné le beau rôle à l'aléatoire ? François Rastier résume : «Cependant, la combinatoire ne résout à sa manière que le problème de l'inventio, non celui de la dispositio. Ainsi, les textes combinatoires réduisent en général le récit à des réitérations de péripéties, et ne se préoccupent pas de varier les techniques de la narration - exceptons Perec ! Enfin, sans lien avec un contexte situationnel déterminé, ils restent indépendants de l'actio, c'est-à-dire du moment propice, du ton, des gestes de l'orateur qui sont devenus ceux de l'auteur, ou du moinsdu narrateur. En somme, produit aléatoirement, un livre écrit par personne pour personne peut-il intéresser quelqu'un ? »
III. Les oeuvres
L'édition veut bien investir pour lancer une écriture créative, un ton nouveau, un auteur neuf, mais avec quelques garanties de qualité.
C'est bien légitime. Aveuglée par ce brillant travail de communication, elle n'a pas perçu les personnalités qui se dégageaient de quelques auteurs du Net. Ceux-ci écrivent des textes, rien que des textes, qu'ils adaptent ensuite à un support multimédia, soit leur site internet. Au-delà de l'hypertexte et des générateurs électroniques, il existe le texte, « tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change ». Il s'agit souvent dans ce cas de communautés d'artistes qui se regroupent en revues, sur des sites ; forme d'édition somme toute assez traditionnelle - seul le support a changé.
• Les revues et les sites d'auteurs
Certains creusent des chemins qui, sous la houlette du Lièvre de Mars, se muent en galeries. Quelques membres du Terrier participent au Désordre de Philippe De Jonckheere, ce qui n'est pas pour lui déplaire, et vice-versa. De temps à autre, ils prennent leur respiration dans les pages numériques ou imprimées de quelques blogs et revues. NeXt génération se regroupe autour de Philippe Boisnard, tandis qu'Hermaphrodite, élégante revue imprimée de Philippe Krebs, évoque régulièrement et brillamment les états de l'art numérique.
Christian Prigent, Samuel Beckett, Queneau ou Borges en sont quelques aînés à chaque fois convoqués. Eloignés de toute facilité, ils donnent le la à ces créations qui renouvellent l'écriture sans ennuyer le lecteur.
Robin Hunzinger et Bernard Gauthier, quant à eux, ouvrent le situationnisme au Net littéraire dans leur Revue des Ressources née en 1998. Ecclectisme et sérieux des interventions du cinéaste et du conservateur, de Guy Debord à Marcel Schwob ou Victor Segalen, de Maupassant à Potocki, autant de bibliothèques que de créations : audiovisuelle, sonore, littéraire. On y lit, entre autres, les bibliothèques idéales d'écrivains ou éditeurs invités (de Jean-Michel Maulpoix à Michel Valensi ou Hervé Chesnais), les textes expérimentaux du laboratoire (town town, work in progress de Fred Griot), ou l'édition en ligne du dernier opus de Laurent Margantin, Das Kind, ou l'enfant neutre. La folie, le surréalisme - par des images filmées, photographiées ou mises en mots, posent la question de la vérité du réel avec une richesse toujours renouvelée.
Suivons les liens dans ce labyrinthe de pixels et de caractères (5) . De la Revue des Ressources ou du Journal LittéRéticulaire, nous parcourons d'autres espaces, avant d'arriver à un site né sous le signe de Michaux. Grâce à l'énergie de François Bon, de Ronald Klapka et de quelques autres, Remue réunit depuis 1999 les oeuvres d'écrivains contemporains, dont quelques-uns travaillent à partir de l'écran. Néanmoins, là non plus, leur travail ne se base pas sur l'hypertexte, déjà académique en tant que genre, seulement un outil parmi les multiples possibilités numériques. Pas question de se figer dans un genre, à Remue. La volonté des rédacteurs, qu'ils soient éditeurs ou écrivains, consiste bien à montrer que les auteurs vivent et donnent à lire des oeuvres en mouvement... Des dossiers traitent des écrivains majeurs du siècle, et de quelques autres. Les rédacteurs chacun à leur tour ou ensemble apportent des textes, des réflexions. Des auteurs qui ont leur propre monde. Revue de création, Remue ne draine pas moins de 150 000 à 200 000 lecteurs uniques par mois, quand une revue imprimée du même ordre tire à 500 exemplaires. Parce que la revue en ligne est gratuite, accessible d'un clic.
R de Réel a fini son alphabet (en ligne et joliment imprimé) pour donner naissance à un Tigre en papier, mensuel en kiosque, quotidien en ligne. Créé sous logiciel libre, accessible selon les termes des Creatives Commons sur blog le jour même puis réservés aux abonnés de la version papier ou numérique, Le Tigre est rédigé uniquement par des auteurs qui écrivent sous pseudonymes. Certains ont un nom célèbre, qu'ils préfèrent ici cacher sous un masque du théâtre Nô. S'y découvrent parfois des auteurs du Web qui bloguent derrière leur écran, en silence. Ecoutons-nous ces voix qui fondent avec humour l'écriture d'aujourd'hui, le classique de demain ?
• Les auteurs qui éditent
Certains numérisent à tour de scanner, en anglais depuis 1996 Gutemberg Project, en français Athena, et Pierre Perroud pour l'Association des Bibliophiles Universelle, (ABU), François Bon pour Tiers Livre ou lui-même - mais Bon, c'est le Balzac du XXIe siècle, tour à tour écrivain, imprimeur, éditeur, libraire, courant de Tours à Paris puis de Paris à Tours en passant par Lyon, Rome ou Copenhague... Tiers Livre, comme le Désordre et le Terrier, est un site d'auteur devenu éditeur. Que ce soit sous licence Creative Commons ou sous régime traditionnel, trois auteurs choisissent aujourd'hui d'éditer les oeuvres qu'ils apprécient, renouvelant ainsi le travail de l'éditeur. Sensibilité et réactivité placent d'emblée romans et nouvelles, poèmes et récits, en avant d'eux-même.
Aucune de ces structures ne se ressemble. Chacune conçoit l'édition d'une façon qui lui est propre, et en fonction du droit d'auteur.
Sur Tiers Livre, le texte de chaque auteur est mis en ligne dans l'état où il est à un moment donnée, avant publication dans la collection Déplacements que dirige François Bon au Seuil. Des compléments au texte seront mis en ligne régulièrement en fonction des évolutions de l'auteur, de ses bifurcations. Dans le Désordre, liens et images, enregistrements audio et vidéo viennent compléter les récits mis en ligne. Une nouvelle lecture du texte mis en ligne, classique ou inédit, est ainsi proposée.
En outre, chacun des textes est relié à une partie du Désordre, dans un ordre que seul Philippe De Jonckheere perçoit globalement, mais qui donne une dimension particulière, une orientation au texte ainsi relié. Le Lièvre de Mars, quant à lui, édite en papier quelques-uns des textes qu'il met en ligne, tout en les reliant à d'autres, les illustrant, etc.
Ecriture et ordinateur sont désormais liés, et pour longtemps. Question d'époque, bien sûr. Tout le monde écrit aujourd'hui avec son traitement de texte, corrige, « copicolle » et retranche grâce au clavier ASCII ou Unicode, sur PC ou Macintoch - même si quelques-uns ont recours au stylo pour les premiers jets et au crayon pour les relectures.
Alors pourquoi les supports de lecture sont-ils encore le cahier le livre, le codex ? Certes, on ne peut pas s'en passer, et c'est tant mieux. Mais au XXIe siècle, existe autre chose, qui induit de nouvelles formes littéraires, de nouveaux regards sur l'étude du texte, d'autres façons de lire. Ce n'est ni le livre, ni le cahier, ni le code, ni le stylo. Pourtant, c'est un outil. C'est la machine.
Sur un tel support, l'éditeur n'a qu'à proposer des oeuvres qui renouvellent le roman, et des outils informatiques qui enrichissent l'étude des textes classiques. Un prototype est en cours d'élaboration. Jouant sur la lexicométrie, la disponibilité des textes et les communautés de lecteurs, il proposera aux éditeurs qui le souhaitent une approche pédagogique adaptée aux nouvelles générations. A nous éditeurs, auteurs, libraires de nous approprier le réseau multimédia, les « readers » et leur fonction pour transmettre le goût de la lecture.
Deus ex machina, l'écrivain utilise l'ordinateur pour créer, écrire, répertorier, classer, jouer parfois, raturer, couper, copier, coller, photographier, rogner, enregistrer, ordonner, chercher ou commenter, relire, recommencer - et enfin mettre en ligne. Pourtant ce n'est pas la machine qui lui donne du talent, mais les multiples brouillons, tatonnements, repentirs, hésitations... Qui vont parfois jusqu'à former la perle, celle qui deviendra un jour, un classique.
Et ce classique, sur quel support pourra-t-on le lire ? Car enfin, nous ne lirons plus Tumulte (6) ou Chinois imprimé sur du papier, cela n'aurait plus de sens. Philippe Rahmy nous enverra ses SMS de la cloison directement sur notre e-Book. Le moment venu.
Demain peut-être...
(1) Philippe de Jonckheere, avec Désordre, compte 3 à 5000 visiteurs/jour, soit 100 à 150 000 / Mois. Fred Griot jusqu'à 300 / jour, soit plus de 7000 visiteurs/mois pour de la poésie.
(2) François Rastier, Ecritures Démiurgiques, Visio, 2002, repris dans Texto! puis Remue en 2007.
(3) Des oeuvres de Boutiny, Brandenbourger, Balpe, par exemple, sont commentées par le laboratoire Paragraphe qu’a longtemps dirigé Jean-Pierre Balpe à Paris 8, le groupe Cytexte de Jean Clément, de la même université, par Philippe Bootz qui anime la revue Alire, et par les chercheurs de l’UTC de Compiègne, comme Bruno Bachimon, Serge Bouchardon ou Bernard Stiegler (qui depuis, c’est dirigé vers l’Ircam et Beaubourg).
(4) Maintenant mené par Imad Saleh.
(5) Philippe De Jonckheere, Laurent Margantin, François Bon www.tierslivre.net, Le Lièvre de Mars, Fred Griot http://www.fgriot.net/, Charles Pennequin http://www.20six.fr/charles_pennequin,
Philippe Rahmy http://remue.net, Oolong http://leportillon.com/ ne structurent pas leurs textes selon un courant, un cercle. Mais selon la vitalité essentielle qui est la leur à l’instant où ils écrivent. Certains, parmi eux pubient chez Chaoïd http://www.chaoid.com/, des frères Ruffel (dont une collection découle chez Verdier), ou portés par La Femelle du requin http://lafemelledurequin.free.fr/, Fluctuat http://www.fluctuat.net/blog/, ou Sitaudis http://www.sitaudis.com/, revues littéraires qui lient le web, la philo et la poésie. Nous manquent aujourd’hui le renouvellement des ciels aériens et légers, de Pleut-il http://pleutil.net/cote_rue/?date=2003-06-10, revue de poésie en ligne.
(6) éditée sous forme imprimée chez Fayard mais sans photos ni rien, des extraits sont en ligne à cette adresse : http://www.tierslivre.net/livres/tumulte/spip.php?rubrique21