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Alain Absire, écrivain

Nous avons évoqué l'espace francophone comme un espace d'humanisme, et exprimé l'idée que la langue française serait une patrie au-delà de la nation, et aurait les moyens de devenir vecteur de liberté face à l'intégrisme et à toutes les servitudes qui minent une partie des pays du Sud. Symboliser une telle résistance, voilà une grande mission pour notre langue. Notion paradoxale au fond, puisque cela signifierait que c'est la langue du colonisateur qui deviendrait facteur de libération.

Merci à Daniel Maximin d'avoir rappelé que, loin de toute idée de nombrilisme ou d'hégémonie de l'Hexagone, la création de la francophonie avait été une volonté de nos aînés, celle de se réunir pour parler ensemble. Traçons donc les frontières d'un espace francophone où s'expriment toutes les identités culturelles et esthétiques qui vont de pair. Pourquoi la littérature francophone serait-elle purement esthétique, ou seulement une littérature factuelle ou de chronique ? Notre problème, en France, est plutôt de n'avoir plus grand-chose à raconter, en comparaison de ce que vivent, dans la douleur, nombre de pays francophones.

Puisque tout est politique, nous avons regretté qu'au lieu d'être accueillis dans nos universités françaises, certains auteurs francophones aient du s'expatrier dans les universités américaines. Nous avons évoqué le sujet des littératures comparées au sein d'une même langue et admis qu'il nous revient, à nous auteurs, de défendre l'idée qu'un professeur de littérature française pourrait devenir professeur d'une littérature francophone ouverte à cette diversité culturelle à l'intérieur même d'une langue. Malheureusement, nous déplorons trop souvent la coupure entre universités et écrivains. À ce sujet, rappelons que la SGDL vient de négocier pendant plus de deux ans avec l'Éducation nationale à propos des droits sur la numérisation à fin d'utilisation pédagogique. Je dois dire que ça a été ardu, alors que le respect de nos intérêts respectifs devrait devenir la règle...

Nous sommes actuellement confrontés à un certain désengagement de l'Éducation nationale. Mais, au lieu de se réduire comme peau de chagrin, la politique de promotion du livre et de la lecture via les écrivains dans les lieux d'enseignement devrait au contraire s'élargir à l'espace francophone. Il devrait être possible, pour nous, auteurs jeunesse ou autres, de rencontrer dans les autres pays francophones, des élèves qui ne sont ni familiarisés avec le livre, ni avec notre langue. Il y a là, pour la Société des Gens de Lettres et les différents organismes qui ont pris la parole ici, un travail de lobbying à entreprendre auprès du ministère de l'Éducation. Si nous n'agissons pas, non seulement rien ne bougera au niveau francophone, mais à un moment où la lecture, le livre et tout simplement le langage, tendent à faire cruellement défaut dans les jeunes générations, la situation continuera de se dégrader dans notre propre pays.

Auteurs, éditeurs, libraires... Face à de tels défis, nous avons besoin les uns des autres. Partenaires de l'AILF, du Bureau international de l'édition française, de l'Alliance des éditeurs indépendants, travaillons dans le cadre de la Caravane du livre, organisons des lieux de rencontre, montons, enrichissons ces réseaux professionnels que l'Internet devrait nous permettre de développer. Et, puisque nous avons évoqué la professionnalisation de la chaîne du livre, ajoutons-y la professionnalisation des auteurs dans l'espace francophone, auteurs qui ne sont pas forcément à même de se défendre et de faire valoir ce qui leur revient de droit. Séminaires thématiques, actions de promotion du livre et de la lecture... c'est à nous, qui sommes au cœur de cette chaîne du livre, d'aller à la rencontre des auteurs des pays francophones et de voir avec eux comment nous entraider et nous protéger. Pourquoi ne pas envisager des états généraux pour faire le point sur ces différentes politiques du livre dans un certain nombre de pays, comme nous avions commencé à le faire avec nos confrères algériens il y a deux ans ?

Nous avons la force de l'idéal, et, comme nos statuts le précisent, cette Société est celle de tous les des Gens de Lettres, écrivains de langue française. Pour la défense et le partage de la langue française et l'accompagnement de tous les auteurs de la francophonie, maintenant que nous nous connaissons, il nous incombe de garder vif cet élan qui prend l'ampleur.