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Nathalie Carré, rédactrice en chef de la revue Notre Librairie

La revue Notre Librairie a presque quarante ans : elle a été créée en 1969, dans l'environnement du ministère français de la Coopération. Après avoir rejoint l'Adpf en 1998, elle fait partie depuis juin dernier de la toute nouvelle agence Culturesfrance, opérateur pour les échanges culturels internationaux du ministère des affaires étrangères et du ministère de la culture.

Elle est tirée à 8 000 exemplaires et principalement distribuée gratuitement dans les universités africaines, les alliances françaises... C'est un outil de travail pour les étudiants et les professeurs.

Si l'on remonte aux origines, l'histoire de Notre Librairie est celle de découvertes mutuelles : à ses débuts, la revue constituait une sorte de bulletin critique généraliste, destiné aux bibliothécaires en poste et faisant la recension d'ouvrages parus en France. Mais l'on découvrit bientôt sur place que la littérature n'était pas absente : la revue se fit donc l'écho de la littérature du Sud, que ce soit celle du continent africain ou des îles, en développant en particulier une longue série de numéros consacrés aux «littératures nationales». Dédiés exclusivement à la production littéraire d'un pays d'Afrique noire ou d'ailleurs (Côte-d'Ivoire, Sénégal, Mali, Mauritanie, ou, plus récemment, Nigeria et Ghana mais aussi Île Maurice, Nouvelle-Calédonie...) ces numéros ont permis la mise à jour, voire «l'inventaire» de la production littéraire sur place et sont encore souvent considérés comme de véritables ouvrages de référence pour les universitaires du Sud et d'ailleurs.

Il y a un véritable rôle de découverte dans la revue, un côté «avant-poste» -non du progrès ou de la colonisation comme chez Conrad- mais de défrichage, de mise en valeur des auteurs avant qu'ils ne voguent vers des horizons plus vastes: des auteurs comme Alain Mabanckou ou Fatou Diome (pour ne citer que quelques exemples) ont été présentés -et ont écrit- dans la revue bien avant les succès qu'on leur connaît actuellement: nous les avons suivis, de leurs premières publications, en Afrique ou en France, dans des maisons d'édition, plus petites, moins connues (mais également prestigieuses si l'on songe au rôle historique de Présence africaine) à leurs succès d'aujourd'hui.

On reproche souvent à la revue son côté spécialisé, «ghetto». La littérature n'a pas de frontière, rien n'est plus vrai, et elle est sa propre patrie ; cependant, je crois aussi en l'efficacité pragmatique des étiquettes : il faut bien, à un moment donné, identifier les talents, faire le travail de repérage précis qui conduira à l'entrée dans la République mondiale des lettres. Si nul n'est infaillible, bien peu des talents reconnus aujourd'hui par la critique «généraliste» ont échappé à notre publication. Les auteurs rassemblés autour de l'exposition «nouvelle génération» -tels Ken Bugul, Florent Couao-Zotti, Kangni Alem, Yasmina Khadra...- poursuivent une très belle carrière et nous espérons que cela sera aussi le cas pour les «plumes émergentes» que nous avions mis en valeur dans le numéro du même nom.

Dans cette découverte des talents, la coopération avec les représentations françaises à l'étranger et avec les universitaires est un atout incontestable : médiathécaires, conseillers culturels, directeurs de CCF sont aussi des relais qui nous permettent de savoir ce qui s'écrit, se publie ailleurs, quels sont les auteurs prometteurs. C'est ainsi que nous avons découvert Kettly Mars ou Beyrouk, aujourd'hui invités du festival Francofffonies !

Il y a aussi un rôle critique important dans la revue : nous sommes une revue de type universitaire, et cela nous semble important à souligner. Il y a parfois en France, une difficulté à considérer les littératures francophones comme des littératures «à part entière», ce qui est particulièrement visible travers des programmes scolaires : qu'une telle littérature soit sujette à la lecture et à l'analyse critique de la part d'universitaires du Nord comme du Sud permet aussi de la légitimer tout en soulignant combien elle est riche, foisonnante.

Un des derniers rôles de la revue, mais non des moindres et qui découle de son statut de revue critique, c'est le va-et-vient entre la rédaction et ses collaborateurs sur le terrain. Revue sur les littératures du Sud et publiée «au Nord», Notre Librairie sait qu'elle est le fruit d'un partage. Outil de travail pour les étudiants et les enseignants africains, elle tente de leur ouvrir ses pages le plus largement possible car il est important, voire primordial que spécialistes et critiques du Sud puissent s'exprimer et faire entendre leur voix, sans quoi le discours ne reste que celui du Nord porté sur le Sud...

Il est vrai cependant que nous avons parfois du mal à répondre à toutes les demandes et sollicitations : la revue ne possède que 160 pages et il se publie aujourd'hui tellement d'ouvrages ! Développer une édition en ligne pourrait être une solution : il faudrait y songer. La revue est déjà disponible, et très consultée sur le net (environ 10000 téléchargements complets pour un numéro sur un trimestre) mais il est vrai que ce n'est que la copie conforme du numéro papier.