Bernard Magnier, directeur de la collection Afriques aux éditions Actes Sud.
La collection «Afriques» est née d'une série de rencontres. En 1986, j'avais réuni une anthologie commanditée par l'Unesco, Poésie d'Afrique au sud du Sahara. L'Unesco avait choisi Actes Sud comme éditeur pour cette anthologie. Suite à cette publication, les responsables d'Actes Sud m'ont demandé si je voulais bien créer une collection qui publierait des auteurs africains. J'ai, bien sûr, immédiatement accepté. Actes Sud est sans doute un des lieux dans le paysage éditorial français qui me paraît le plus à même de mettre les auteurs africains à côté des autres auteurs, avec une bonne visibilité, sans créer un ghetto.
L'aventure a donc commencé et les circonstances étaient plutôt favorables. Actes Sud venait de publier avec succès les deux volumes de mémoires d'Amadou Hampâté Bâ, ce qui était un encouragement à continuer. Je connaissais un peu le monde littéraire africain. Nous avons réuni nos forces.
«Afriques», avec un «s» car il paraît souhaitable de renverser la tendance qui voudrait que l'on considère l'Afrique comme un pays ! Il convient donc, d'insister sur cette diversité, toute cette diversité, aussi bien du point de vue du langage que du point de vue de l'écriture et des thématiques abordées, tout en demeurant dans un espace géographiquement circonscrit à l'Afrique au sud du Sahara (la collection Sindbad couvre le reste du continent). Dans cet espace, publier des auteurs qui s'expriment en français mais aussi traduits de l'anglais, du portugais, de l'afrikaans et, je l'espère bientôt, du swahili, du lingala, du peul ou d'une autre langue africaine.
Ce n'est pas une collection qui réunit l'ensemble du monde noir. C'est ici la géographie qui prévaut. Je pense que j'aurais exactement la même attitude si je m'occupais de littérature latino-américaine, par exemple, ou si je m'occupais de la littérature scandinave. C'est un moyen de mettre ensemble des auteurs qui ont en commun un même espace géographique. Je crois à la pertinence de la géographie dans ces rapprochements littéraires. Je crois qu'il existe des sous-ensembles à l'intérieur desquels des écrivains peuvent être réunis, avec, bien sûr, des exceptions et des marges. Je crois qu'il existe des ensembles latino-américain, méditerranéen, scandinave, caraïbe, etc. Je pense qu'un écrivain blanc mozambicain comme Mia Couto, a sans doute beaucoup plus à voir avec Amadou Kourouma l'Ivoirien par exemple, qu'il n'a à voir avec un écrivain du Portugal sous prétexte qu'ils écrivent l'un et l'autre la même langue. La géographie me semble vraiment pertinente dans cette affaire.
Actes Sud offre une visibilité et le prestige du catalogue à ces auteurs et la collection permet des voisinages, des sollicitations, des invitations à d'autres lectures. Un lecteur peut lire Nimrod, auteur tchadien, et découvrir l'existence de Chenjerai Hove, romancier zimbabwéen, qu'il n'aurait peut-être pas repéré autrement. Wole Soyinka, le prix Nobel nigérian ou, plus récemment, André Brink qui vient de nous rejoindre, figurent également dans la collection et ils sont aux côtés du Soudanais Jamal Mahjoub, de l'Angolais Pepetela, ou de l'Ivoirienne Véronique Tadjo. La collection doit permettre et faciliter la découverte.
Néanmoins chaque auteur a son propre espace. Il n'y a pas d'identité de collection repérable, avec des couvertures identiques ou un quelconque signe identitaire. Seul le catalogue et une liste des titres parus permettent de les retrouver dans chaque titre. L'Afrique est ainsi traitée de la même façon que n'importe quelle autre région du monde.
La collection «Afriques» compte aujourd'hui une trentaine de titres pour quelque vingt auteurs et je pourrais pratiquement raconter vingt-cinq histoires éditoriales différentes. En tant d'éditeur, je suis tout d'abord un lecteur. Ensuite, évidemment, il peut y avoir un rapport de sympathie, d'affinité qui s'instaure avec l'auteur. Les gens peuvent m'intéresser par ailleurs, mais c'est autre chose et je fais la distinction. Si les interventions de l'éditeur doivent demeurer à une juste place et ne pas aller au-delà de ce que peut souhaiter l'auteur, ce dernier peut néanmoins avoir besoin d'un œil extérieur, d'un regard neuf, lui qui est seul avec son texte depuis des mois, parfois des années.
Parmi les devoirs qui incombent à l'éditeur il y a le souci de s'inscrire sur la durée. Il me semble important de ne pas publier seulement un livre, mais d'accompagner un auteur à long terme. Ainsi, nous avons publié cinq livres de Jamal Mahjoub, trois de Chenjerai Hove et de Wole Soyinka.
En publiant des auteurs africains, il convient, bien sûr, d'être soucieux de la destinée de ces livres sur le continent et il est évident qu'à ce jour, le bilan n'est pas satisfaisant. Le coût d'un livre, qui peut représenter le quart du salaire d'un instituteur, est un obstacle absolument insurmontable. L'exemple du livre de Véronique Tadjo peut être l'amorce d'une solution en ce qui concerne une meilleure diffusion et distribution du livre dans l'espace francophone.
L'Ombre d'Imana, un livre abordant la douloureuse question de l'après-génocide rwandais, a été publié par Actes Sud. Les droits ont été cédés à l'Alliance des éditeurs indépendants. Huit éditeurs africains se sont mis ensemble pour constituer un premier tirage de 6000 ou 8000 exemplaires qui sont diffusés en Afrique sous une autre présentation et vendus 2,30 euros. Un prix abordable pour ce lectorat.
Il y a là une initiative qui semble aller dans le bon sens. Véronique Tadjo avait le bon profil, celui de l'écrivain dont la notoriété est suffisante pour que, dans huit pays africains, son nom puisse être connu. Il est évident que l'opération sera plus délicate avec un auteur débutant. Il y a peut-être là, le début d'une solution. Nous allons attendre les résultats.
Cette opération demande un effort pour l'éditeur du Nord et pour l'auteur qui doivent abandonner une part de leurs droits afin d'abaisser le coût, et il faudrait que les structures des États africains entrent dans le jeu pour accompagner l'opération et lui assurer le succès qu'elle mérite. De ce côté, à quelques très rares exceptions près, on ne peut pas dire qu'il y ait beaucoup d'efforts consentis dans le domaine culturel, et dans le domaine du livre en particulier. Un abaissement des taxes, une aide au développement des structures locales de diffusion (bibliothèques, librairies) et à la formation des personnels... Une réelle politique de la lecture et du livre serait incontestablement la bienvenue.
En attendant ce moment et sans être totalement satisfait, il semble que les littératures africaines trouvent peu à peu dans le monde occidental la place qui leur revient. Le lectorat est désormais composé de curieux et non plus seulement de lecteurs liés familialement, professionnellement ou d'une façon militante au continent africain.