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Kettly Mars, écrivain


Le thème proposé par la SGDL, «Le choix d'un éditeur» m'a fait sourire. Dans ma tête, la notion de choix implique opportunités, options, disponibilités. Dans mon expérience - et je peux parler au nom de la majorité des écrivains haïtiens vivant en Haïti -, le thème serait de loin plus réaliste s'il s'intitulait plutôt «La chasse à l'éditeur» ou encore «Les hasards de l'édition».

Je vais illustrer mon propos par une anecdote racontée par mon collègue et ami l'écrivain Gary Victor, originaire de Port-au-Prince comme moi. Gary fait le métier d'écriture depuis bien plus longtemps que moi mais notre parcours est à peu près similaire et nous sommes édités actuellement par la même maison. Il y a quelques années, en Guyane où il participait à une rencontre littéraire, une petite fille de 8ans s'ennuyait dans la salle, et lui aussi probablement. Ils ont lié connaissance, Gary lui a sûrement raconté l'une de ces merveilleuses et effrayantes histoires pour enfants dont il a le secret. Tout heureuse de sa nouvelle connaissance, la petite fille lui a pris la main pour le présenter à sa mère. Et sa mère était... l'éditrice. C'est ainsi qu'a débuté leur collaboration qui porte des fruits. Je constate de plus en plus, surtout après ce séjour en France que, malheureusement, talent mis à part, être édité c'est surtout avoir des relations, entretenir des connaissances, donner dans la débrouillardise. Et pour ceux qui n'ont pas ce tempérament ou des antennes opportunistes, les chances sont minces de «sortir». Une difficile et frustrante réalité.

Il me semble aussi qu'on n'est pas reconnu écrivain, que l'on n'existe pas tant qu'on n'est pas édité dans certains milieux ou dans certaines métropoles françaises. J'apprécie l'opportunité de participer à ce festival francophone où vraiment je m'enrichis de tous ces contacts, de toutes ces rencontres, des expériences partagées. L'un des critères de sélection des écrivains invités était d'avoir été publié en France. Je regrette ces contraintes qui entravent l'élan d'un écrivain. Si je n'avais pas eu la chance (le privilège ?) d'être éditée en France j'aurais raté cette opportunité et ce serait vraiment dommage pour mon pays, car à travers moi c'est la culture, l'histoire, la voix de mon pays qui sont portées en avant. J'ai une occasion précieuse de faire voir autre chose, d'apprendre aux autres des aspects de ma réalité bien différents que les images souvent négatives qu'ils reçoivent des médias.

J'ai publié cinq ouvrages en Haïti à compte d'auteur. Pourquoi ? D'abord, il n'y a que deux ou trois maisons d'édition en Haïti. En fait de maisons d'éditions, ce ne sont surtout que de grandes imprimeries spécialisées dans la publication des livres scolaires. Il arrive parfois qu'elles éditent un ouvrage de fiction, mais c'est sur recommandation, ou pour s'aménager un retour d'ascenseur. Même dans ces cas, il n'y a pas de travail éditorial qui est fait. L'auteur doit vraiment présenter un manuscrit prêt à aller sous presse. Il décide de sa couverture, du format du livre, de ses couleurs, de sa police d'impression. C'est un travail qui est fait de A à Z par l'auteur qui, faute de moyens, s'improvise graphiste et très souvent doit avancer la majeure partie des frais de publication ! Voilà à quoi se résume l'édition en Haïti. 98 %, des écrivains s'auto-éditent.

J'ai fait cette expérience une première fois en me disant que je chercherais ailleurs entre-temps. Je me suis évertuée à trouver des adresses, des informations sur Internet pour expédier des manuscrits en France. Les frais postaux considérables. L'attente. Rien. C'est encore Gary Victor qui a glissé mon nom à son éditeur parce qu'il apprécie mon travail et voulait que je profite de cette diffusion que nous recherchons tous vers les pays francophones. Cet éditeur a eu le mérite de se déplacer en Haïti, de venir à la rencontre du lectorat haïtien, accompagné de son auteur qui sortait un nouveau titre. C'est à cette occasion que je l'ai rencontré, que je lui ai donné un manuscrit et ça a marché tout de suite.

Actuellement, en Haïti, nous sommes environ une dizaine d'écrivains édités à l'étranger, et particulièrement en France, et parmi ces huit écrivains, nous sommes trois femmes. On a tendance à considérer avec envie ceux qui ont franchi cette barrière, comme des rescapés, des privilégiés. Nous avons pu grimper le mât suiffé, c'est un exploit, une prouesse qui tourne la tête à certains et qui les rend désagréables, parce qu'ils perdent la mesure des choses, oubliant finalement l'objectif principal qui est la poursuite de la beauté, l'amitié, la chaleur et tout ce qui passe à travers l'écriture.

L'expérience de Samuel Millogo répond à un besoin. Beaucoup d'auteurs publient à perte mais ils le font quand même parce qu'ils ont besoin du nom d'une maison d'édition dans leur CV, pour leur donner accès à d'autres tremplins, à d'autres étapes. Mon expérience avec un éditeur, la première, est positive. Plus qu'une relation commerciale avec un éditeur, je désire surtout avoir une relation humaine, car je lui confie quelque chose de très précieux, et ça me rassure de voir que cette personne valorise cet objet précieux. Elle veut me connaître, comprendre mes motivations pour créer et pouvoir me conseiller aussi. Et puis il y a tous les aspects techniques et de promotion qui sont pris en charge et soulagent l'écrivain d'un poids très lourd.

Pour ce qui est des «collections» chez certains éditeurs, au prime abord cette idée me dérange. Je dois le dire honnêtement. Mais en voyant le travail d'un éditeur comme Bernard Magnier chez Actes Sud, par exemple, j'y suis moins hostile. Je comprends cet aspect de canalisation qui devrait me faciliter, par exemple, la découverte d'auteurs africains éparpillés dans des langues et régions de ce continent immense. Mais, a priori, réflexe d'ancien colonisé, je vois ça comme une sorte de négrier culturel. On est tous sur le même bateau, les anciens esclaves, enchaînés par cette langue française (spontanée ou traduite), héritage qui nous délivre et nous maintient en même temps dans une mémoire indélébile. Mais c'est nos problèmes, ce n'est peut-être pas votre intention, mais c'est comme ça qu'on le perçoit, qu'on le reçoit.