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Emmanuel Dongala, écrivain


Je suis un universitaire qui s'intéresse beaucoup à la littérature. Toutes les semaines, je lis les suppléments livres de la plupart des grands journaux américains. Je suis également membre du comité de rédaction d'un magazine intitulé Words without Borders (Des mots sans frontières), un magazine en ligne dont la vocation est de promouvoir la traduction en anglais des textes en langue étrangère et de les diffuser. Je m'occupe tout particulièrement de la partie africaine où je m'applique à faire découvrir les écrivains africains non encore traduits ou très peu traduits.

Récemment la revue a publié des statistiques vraiment très intéressantes. En 2004, par exemple, sur 185 000 livres de littérature publiés aux USA , seuls 0,5 % étaient des traductions. Ce qui est très peu, quand on sait que ces statistiques comptabilisaient les livres traduits de toutes les langues.

Pour nous francophones, il serait intéressant de connaître le pourcentage des livres traduits du français parmi ces 0,5 %! On constate que les Etats-Unis publient moins de livres étrangers que deux petits pays comme le Danemark ou les Pays-Bas où la littérature étrangère est très importante !

Il faut cependant distinguer deux sortes d'éditions en Amérique, les presses universitaires et ce que j'appellerais l'édition commerciale.

Les presses universitaires américaines sont vraiment très dynamiques. Presque toutes les grandes universités ont des services de publication qui font un travail remarquable en ce qui concerne la littérature francophone. Je vois dans cette salle Werewere Liking, Véronique Tadjo, Ken Bugul, Abdourahmane Waberi, etc., eh bien tous ces auteurs sont traduits par les presses universitaires.

D'ailleurs dans plusieurs universités, les départements de français s'élargissent de plus en plus en «Department of French and Francophone Studies» et les écrivains francophones d'Afrique y sont très étudiés. Il n'y a pas de doute que la part consacrée aux études de littérature francophone africaine et antillaise est beaucoup plus importante là-bas qu'en France.

Cependant, les livres publiés par les éditions universitaires sont très chers, beaucoup plus chers que les éditions commerciales. La diffusion est moindre, elle n'atteint pas vraiment le grand public parce que les publications des presses universitaires ne sont souvent recensés que dans les journaux ou revues spécialisés et donc la visibilité de ces auteurs ne dépasse pas les portes de l'université.
Pourtant ces livres sont très facilement disponibles, on les trouve dans n'importe quelle grande librairie ou tout simplement sur internet.

Il y a ensuite les grands éditeurs américains, les éditeurs commerciaux comme Knopf, Farrar, Straus & Giroux, Norton etc. Lorsqu'on est publié chez eux, le livre est beaucoup plus remarqué, et a des chances d'obtenir une recension dans les grands journaux, le New York Times, le Washington Post, le Los Angeles Times etc. et l'auteur est souvent invité sur les radios publiques qui couvrent tous les États-Unis. Hélas il y a très peu d'auteurs francophones publiés par ces grands éditeurs, contrairement aux écrivains africains qui écrivent en anglais comme Helon Habila, Chris Abani - ce sont les jeunes qui montent en ce moment - ou les anciens, Chinua Achebe, par exemple. Ceux-là sont très bien diffusés.

Il existe quand même des écrivains francophones publiés par ces grands éditeurs, comme Maryse Condé, Yasmina Khadra, Chamoiseau et j'en passe. Je suis moi-même publié chez Farrar, Straus & Giroux.
Peu de livres en français sont cités dans les revues littéraires hebdomadaires, même lorsque, chaque année, les grands journaux américains publient la liste de ce qu'ils considèrent comme les meilleurs livres de l'année, les Best Books of the Year.

À ma connaissance, le palmarès 2006 des cinq grands journaux, le New York Times, le Washington Post, le Los Angeles Times, le Chicago Tribune et le Boston Globe ne liste aucun ouvrage francophone, et bien que mon livre, Johnny chien méchant, soit sur une des listes (le Los Angeles Times), cela reste confidentiel pour le grand public.

En revanche, une fois ces livres publiés il n'y a plus aucune distinction avec les autres livres, on ne les range pas dans des catégories, ils sont répertoriés en tant que roman et, dans n'importe quelle grande librairie, ils seront classés par ordre alphabétique, contrairement à ce qui se passe en France où bien souvent encore on considère la littérature francophone comme une catégorie à part.

Voilà quelques grandes lignes concernant cette littérature francophone aux Etats-Unis. Pour résumer, j'estime que ce sont surtout les universités qui font un très grand travail sur les littératures francophones. Quand on est étudiant dans l'un de ces départements, on connaît tous les grands auteurs africains, et mêmes les jeunes auteurs que j'ai cités précédemment.

Le désintérêt des éditeurs commerciaux n'est pas particulier à la littérature francophone, il est le même pour toutes les autres littératures en langue étrangère. Le continent américain se suffit à lui-même et n'est pas très intéressé par la littérature étrangère, sauf pour des ouvrages très remarqués à l'étranger. Des prix Goncourt ont été traduits mais ils n'ont pas eu autant de succès qu'en France.

Il existe le Bureau du livre français à New York qui centralise les livres publiés et essaie de les promouvoir. Par exemple, mon premier éditeur voulait me publier, mais il hésitait entre deux livres, Le Feu des origines et Les Petits Garçons. Il a demandé conseil auprès de ce Bureau.

Je lisais dans le New York Times il y a un ou deux mois que le gouvernement allemand impulsait une politique très volontariste pour diffuser le livre allemand. J'espère que tous les organismes responsables de la promotion des littératures de langue française à l'étranger en feront autant.