Jean Claude Bologne
Merci, Françoise Benhamou, de cet exposé nécessaire qui nourrira la réflexion de notre table ronde.
Je remercie particulièrement Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition, qui nous fait le plaisir d’être parmi nous pour la seconde année. Sa présence symbolise les nouveaux rapports qui s’instaurent entre auteurs et éditeurs.
Je suis heureux de recevoir Francis Farley-Chevrier. Il démontrera que la situation des auteurs en France et en Europe ne leur est pas particulière. Nous recevons également Pierre Sirinelli qui a suivi les travaux sur les accords que nous allons évoquer.
Thierry Pech
Un mot d’introduction, et pas plus d’un, même si l’intervention de Françoise Benhamou a suscité chez moi de nombreuses interrogations. Je suis très heureux de me retrouver dans ces murs. J’ai quitté l’édition — la vôtre — pour rejoindre celle de la presse voilà cinq ans. La dernière fois que je suis venu ici c’était pour présenter à la Société des Gens de Lettres les clauses du contrat d’édition numérique qui se pratiquait au Seuil, chez Flammarion, chez Gallimard et chez quelques autres éditeurs encore, contrat qui avait été assez bien reçu, si ma mémoire est bonne. Je suis donc très heureux de constater que les choses progressent dans l’édition. Parallèlement, les usages ne progressent pas — ou faiblement — semble-t-il. Dans la presse, les choses évoluent bien plus rapidement. Dans un sens, c’est positif, car cela vous laisse le temps de vous préparer calmement aux évolutions futures. Par ailleurs, je puis témoigner que cette histoire n’est pas linéaire et qu’elle connaît des coups d’accélérateur prodigieux. Vous semblez avoir un peu de temps, ne le perdez pas, continuez à vous préparer !
Monsieur Sirinelli, voulez-vous nous présenter les grands axes de l’accord qui a été conclu entre les éditeurs et les représentants des écrivains ?
Pierre Sirinelli
Je me limiterai à la présentation des grands axes de l’accord qui a été obtenu, étant entendu que les autres intervenants entreront davantage dans le détail et que le débat avec la salle s’engagera sur les points qui intéresseront plus particulièrement l’assistance.
Nous sommes réunis pour évoquer un accord qui a été conclu au mois de mars. Il ne se caractérise pas uniquement par un échange de souhaits ou de points de vue ; il s’agit d‘un accord-cadre, par conséquent très complet, à objectif d’encadrement et qui serait susceptible d’être présenté au Parlement dans la forme donnée par les signataires, légèrement révisée après un travail de légistique par les services du ministère.
L’accord est le résultat de quatre ans de négociations entre les auteurs et les éditeurs. Cet accord vise à fournir un encadrement aux relations contractuelles. Le temps, cher à Françoise Benhamou, se retrouve pleinement ici. Il s’agit de trouver un équilibre entre plusieurs préoccupations. La première est de protéger la partie la plus faible, sans déstabiliser pour autant le secteur, autrement dit d’imposer de bonnes pratiques, mais en s’inscrivant dans le fi l traditionnel des contrats. Il s’est agi pour nous de recueillir les meilleures pratiques de certains éditeurs, de faire en sorte que le cercle vertueux qui prévalait entre certains auteurs et éditeurs soit progressivement étendu à l’ensemble de la profession. Et cela tout en respectant les équilibres existants et en offrant une prévisibilité à certains éditeurs qui, faute d’ignorer les pratiques ou les solutions, ne faisaient pas encore totalement partie de ce cercle vertueux. Il s’est agi de faire émerger les bons usages en les consolidant et donc en leur donnant force de loi.
Ensuite, ce cadre exigeant doit être doté d’une certaine plasticité et l’ensemble est destiné à s’inscrire dans le climat de confi ance qui doit prévaloir entre un auteur et un éditeur, étant entendu que les bonnes pratiques de l’amont doivent se retrouver dans l’aval. Dans la mesure où l’on s’inscrit dans la durée de la protection des droits, autant faire en sorte que les choses se passent du mieux possible.
L’accord signé est original à plusieurs égards. Sa construction est inhabituelle et il bénéfi cie de solutions nouvelles.
L’accord se compose de deux parties imbriquées : un premier corps constitué de dispositions légales, c’est-à-dire d’un texte voté par le Parlement, qui aura force de loi. Le second corps de règles, provisoirement nommé « code des usages », a été élaboré par les organismes professionnels représentatifs sous l’égide du ministère. Il est appelé à évoluer si cela se révèle nécessaire.
Autrement dit, la loi posera des principes fondamentaux et renverra pour les modalités d’application de ces principes à un code des usages qui aura une plus grande force obligatoire que le simple usage tel qu’il existait jusqu’à présent dans le Code de la propriété intellectuelle. En effet, la délégation expresse donnée par le législateur au rédacteur du code des usages accorde la même valeur législative aux dispositions contenues dans le code des usages. Pourquoi une telle complexité, pourquoi deux sources normatives différentes, me direz-vous, pour finalement leur conférer la même valeur ? Tout simplement parce que le temps a dû être pris en considération. Lors de la rédaction du projet, nous nous sommes placés dans une logique quelque peu complexe. D’aucuns considéraient dangereux de légiférer dans la mesure où la réalité technique, sociale et économique d’aujourd’hui n’est pas celle de demain. Enfermer des parties dans un cadre qui serait adopté pour une longue durée serait susceptible de les enfermer dans un cadre qui pourrait devenir inadapté ou obsolète aux réalités économiques et sociales futures.
Le code des usages présente l’intérêt de pouvoir être revu régulièrement. Il est doté d’une plasticité dont ne bénéficie pas la loi. Amender une loi régulièrement est très compliqué alors que se référer à des principes figurant dans un texte de loi qui renvoie à un code doté d’une plasticité c’est admettre d’un droit évolutif sans perdre la vertu d’une règle de droit. C’est, quand même, faire du droit ferme et non du droit mou. Doté d’une certaine souplesse, le code des usages est donc révisable par les parties qui l’ont élaboré à l’origine, ce par un nouvel accord entre les auteurs et les éditeurs quand cela se révèle nécessaire.
Une fois présentée cette construction qui vise à inscrire le travail réalisé dans une durée assez longue, voyons le contenu des dispositions. Le résultat final peut paraître éloigné des préoccupations, des prétentions et des aspirations de tout un chacun, un texte comme celui-ci est nécessairement un compromis. Nous sommes partis du point de vue des auteurs qui était bien plus simple. Ils aspiraient à ce que la cession de leurs droits soit limitée dans le temps par la loi, que leurs droits leur reviennent au-delà d’une certaine durée. Par ailleurs, les auteurs étaient attachés à l’idée de deux contrats distincts : l’un pour le papier, l’autre pour le numérique. Si, formellement, aucune de ces deux exigences ne se retrouve dans le dispositif que je vais vous présenter, elles irriguent toutefois l’économie de la construction que nous avons mise en place. Le temps a été un élément constant de notre réflexion et a été pris en considération dans les différents aspects. Si les auteurs n’ont pas obtenu deux contrats distincts, en revanche, ils ont obtenu que le contrat conclu contienne deux parties distinctes. Il ne s’agit pas de jouer sur les mots, des raisons président à cette décision, que je vais m’efforcer d’expliquer.
L’unicité du contrat est une concession qui répond aux aspirations des éditeurs. Ceux-ci faisaient remarquer que s’ils concluaient avec un auteur un contrat d’un ouvrage papier, l’auteur pourrait se tourner vers un tiers. Amazon, par exemple, pour la partie numérique. Selon eux, un tel démembrement ne serait pas la garantie de la meilleure exploitation possible de l’œuvre. C’est pourquoi les éditeurs ont souhaité un seul et même contrat. Tous les droits y figurent, mais dans deux parties différentes : d’une part, parce que cela permet d’appeler l’attention des auteurs sur l’étendue des cessions ainsi opérées ; d’autre part, parce que nous verrons que les incidents dans l’exploitation des contrats peuvent avoir parfois des influences sur l’une des parties du contrat, parfois sur l’autre, voire sur l’ensemble du contrat. C’est ainsi qu’un incident dans l’exécution d’une partie du contrat peut anéantir cette dernière tandis que l’autre partie demeure — et réciproquement. Dans certains autres cas, l’incident détruit totalement le contrat, l’auteur retrouvant sa complète liberté. Bien sûr, il faut savoir naviguer entre ces différentes situations, ce qui explique que l’élaboration du texte ait pris dix-huit mois. L’ensemble obéit à une certaine cohérence où les considérations économiques et sociales sont aussi présentes que la logique purement juridique.
La prise en considération du temps qui s’écoule est manifeste dans l’accord que nous avons trouvé. Le fait que la rémunération doive être la plus juste et la plus équitable possible a conduit à l’adoption de certaines solutions qui conduisent à une révision possible des conditions économiques du contrat, ce qui est totalement contraire au principe qui prévalait jusqu’à présent dans le Code de la propriété intellectuelle comme dans le Code civil. De la même façon, il existe une clause de fin d’exploitation. Si l’exploitation de l’œuvre présente un électrœncéphalogramme plat et que l’éditeur, en dépit de sa bonne volonté, n’a pas donné, du tout, à l’œuvre le destin attendu par l’auteur, celui-ci récupère ses droits. Nous avons également donné une nouvelle définition de l’obligation d’exploitation permanente et suivie. Pour prendre en considération le temps, nous avons adopté un code des usages, dont la vertu première est la plasticité et donc l’évolutivité.
Abordons maintenant les grands axes des solutions qui, me semble-t-il, représentent des avancées pour chacune des deux parties. Je le répète, ma présentation ne peut être, dans ce cadre, très précise et j’engage les personnes intéressées à se référer à l’accord cadre pour avoir une vision plus détaillée de l’économie minutieuse des solutions retenues. Des dispositions sont communes à l’ensemble du contrat d’édition ; d’autres s’appliquent uniquement à la partie numérique ; d’autres encore s’appliquent uniquement à la partie « papier ». Il s’agit d‘une avancée non négligeable : en effet, lorsque nous avons commencé de travailler ensemble, nous travaillions uniquement sur le numérique. Nous avons compris qu’il fallait faire le lien entre les différentes exploitations ; nous nous sommes donc permis de retoucher certaines des dispositions existantes.
Nous avons donné une définition nouvelle du contrat d’édition pour permettre son adaptation : « Le contrat d’édition est le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre, ou de la réaliser ou de la faire réaliser sous une forme numérique, à charge pour cette personne d’en assurer la publication et la diffusion. »
Ainsi que je l’ai indiqué, il y a un seul contrat composé de deux parties distinctes. Nous avons renforcé l’obligation de reddition des comptes en soumettant l’éditeur à des contraintes. Son inexécution étant soumise à des sanctions quelque peu radicales ! Si l’éditeur ne rend pas les comptes dans le délai imparti, l’auteur a la possibilité de le mettre en demeure et dans l’hypothèse où l’éditeur, passé le délai prévu par cette mise en demeure, persiste dans cette position, l’auteur dispose d’une faculté unilatérale de sortie du contrat sans avoir à passer devant le juge.
Dans l’hypothèse où l’éditeur, fortement sollicité par l’intermédiaire de la mise en demeure, rendrait enfin les comptes, l’incident serait clos, mais non effacé, car si l’année suivante l’éditeur ne rend à nouveau les comptes qu’avec retard et après mise en demeure de l’auteur, une clause automatique de sortie s’applique au profit de l’auteur.
Cette construction contient des cas de « sortie automatique » là où autrefois le recours au juge était requis pour le contrat soit (tout ou partie) anéanti. Nous évitons donc le temps judiciaire et peut-être les honoraires d’avocat, ce qui n’est pas inintéressant pour les auteurs qui peuvent plus rapidement se replacer en situation avec un autre éditeur.
Une particularité fait son apparition qui, à mon sens, est une innovation. Il s’agit de la clause de fin d’exploitation — ce que j’ai nommé précédemment « l’encéphalogramme plat ». Le texte prévoit une série de situations. Si les différents paramètres qui ont été listés montrent qu’en face de ces modes d’exploitation, envisagés par le texte normatif, aucune rémunération n’est due à l’auteur parce que l’œuvre n’a pas eu le succès attendu — soit parce qu’elle ne le mérite pas, soit parce que l’éditeur n’a pas fourni les efforts en ce sens, ou pour toute autre explication — il est loisible à l’auteur de sortir entièrement du contrat. L’idée sous-jacente à ce mécanisme est celle-ci : l’auteur donne tout à l’éditeur, qui dispose de plusieurs leviers sur lesquels jouer pour exploiter l’œuvre. Si ces différents leviers, modes d’exploitation envisagés, ne produisent rien, on peut considérer que l’opération appréhendée le contrat n’est pas une bonne affaire, le bon sens commandant que l’éditeur rende les droits à l’auteur. C’est une possibilité automatique de sortie du contrat. Cette possibilité n’existait pas auparavant et l’effet ainsi créé est radical.
Quelques modifications interviennent qui sont propres au contrat d’édition imprimé. Schématiquement, la loi nouvelle précise les contours — objectifs
- de l’obligation d’exploitation permanente et de diffusion commerciale de l’œuvre. En cas de manquement à cette obligation par rapport aux contours définis par l’accord cadre, l’auteur a une possibilité de sortie automatique du contrat, une fois constatée la carence de l’éditeur en la matière. Cependant, cette résiliation de plein droit n’a pas d’effet sur la partie distincte du contrat d’édition relative à la cession des droits d’exploitation numérique de l’oeuvre, ni sur les contrats d’adaptation audiovisuelle prévus à l’article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle. Est seule concernée par l’anéantissement la partie relative à l’exploitation papier. Ensuite, d’autres obligations spécifiques s’attachent au contrat d’édition numérique :
- l’obligation de publication. À cet égard, la loi précise les contours de la publication et les délais dans lesquels elle doit intervenir. La loi offrira à l’auteur la possibilité de sortir du contrat si la publication n’est pas réalisée dans les délais, cela en deux temps : soit en un temps très court, mais alors la procédure réclame une mise en demeure ; soit un temps plus long. Dans ce second cas, sans mise en demeure, l’auteur peut sortir automatiquement du contrat.
- à l’instar des précisions apportées pour l’édition de librairie, la négociation entre auteurs et éditeurs a permis de définir dans le détail l’étendue de l’obligation d’exploitation permanente et suivie pour l’édition numérique. Le code des usages en fixe les contours (différents de ceux de l’édition papier) et, en cas d’inexécution de la part de l’éditeur, l’auteur peut résilier le contrat de plein droit.
- Nous avons envisagé les diverses possibilités de rémunération des auteurs. Il ne fallait pas seulement prendre en considération le bon vieux prix de vente au public avec un exemplaire remis et acheté, mais également appréhender les modèles nouveaux décrits par Françoise Benhamou : le bouquet, l’abonnement et l’argent que l’éditeur encaisserait par l’intermédiaire de la publicité. Je n’entrerai pas dans les détails. L’objectif était de faire en sorte que l’auteur soit associé à tous les types de profits retirés de l’oeuvre par l’éditeur.
- L’accord créé des solutions absolument nouvelles. Il en est ainsi de la clause de réexamen qui s’applique aux contrats d’édition numérique. Dans la mesure où nous ne savons rien de la réalité économique à venir, cette clause permet à un auteur, passé quatre ans et pendant un délai de deux ans, de rediscuter le contenu des conditions économiques du contrat. Soit les parties parviennent à se mettre d’accord sur de nouvelles conditions au vu de l’évolution du secteur et ce nouvel accord de volonté se substituera au précédent sur ce terrain... Soit il n’en est rien et il est, alors, possible de soumettre, pour avis, la situation à une commission de conciliation, composée à parité de représentants des auteurs et des éditeurs, dont l’avis ne lie pas les parties. Si la consultation de cette dernière ne permet pas d’obtenir un nouvel accord qui apparaîtrait pourtant bien venu, il est possible à l’une des parties de saisir le juge pour une intervention sur ce terrain.
Pour cette clause de réexamen, nous avons fi xé des limites temporelles assez étroites — pendant deux ans, au bout de quatre ans — mais nous ne savons rien de ce qui peut se produire dans dix ans. C’est pourquoi nous avons prolongé les durées, deux autres possibilités étant offertes pendant les neuf ans qui suivent la durée de six ans, soit quinze ans. La faculté de réadaptation existe toujours au-delà de la période de quinze ans puisqu’une possibilité plus exceptionnelle est encore offerte aux parties en cas de modifi cation substantielle de l’économie du secteur entraînant un déséquilibre du contrat depuis sa signature ou sa dernière modification.
Voilà très sommairement brossés les grands axes de l’accord. Je pense que Mme la ministre Filippetti vous dira que cet accord prendra force de loi et que se posera une autre question d’application : la loi nouvelle s’appliquera aux contrats futurs et peut-être pour certains aux contrats passés.
Thierry Pech
Francis Farley-Chevrier, nous venons de mesurer le nombre des questions auxquelles cet accord apporte réponse. J’aimerais savoir comment vous avez résolu un certain nombre de ces questions au Québec et la lecture que vous faites de cet accord.
Francis Farley-Chevrier
Nous n’avons malheureusement encore résolu aucune de ces questions ! Je me propose de vous exposer la situation des relations contractuelles entre auteurs et éditeurs québécois. Auparavant, je remercie la Société des Gens de Lettres de m’avoir invité. Je passe deux journées extrêmement enrichissantes que j’apprécie. L’Union des écrivaines et des écrivains québécois est un syndicat professionnel fondé en 1977. Son mandat est double : d’une part, promouvoir la littérature québécoise, d’autre part, défendre les intérêts socio-économiques des écrivains. À cette enseigne, les conditions de pratique des écrivains québécois demeurent difficiles. Une étude publiée il y a deux ans par l’Observatoire de la culture et des communications du Québec révélait que 65 % des écrivains tiraient moins de 3 500 euros de leur pratique de création littéraire et que seulement 2 % pouvaient se réjouir de vivre confortablement de leur art avec un revenu supérieur à 42 500 euros. En d’autres termes, il faut avoir une autre activité rémunératrice pour assurer sa subsistance. Un écrivain qui choisit de consacrer au moins les deux tiers de son temps de travail à l’écriture aura un revenu total inférieur à 21 250 euros dans la moitié des cas. Je crois comprendre que la situation n’est pas plus heureuse en France malgré la perception que nous pouvons en avoir au Québec. Autrement dit, nous avons, les uns comme les autres, beaucoup à faire !
Il existe plusieurs façons d’améliorer la situation des écrivains. Nous pensons notamment à la bonification des aides publiques à la création littéraire, à des programmes de soutien aux prestations publiques dans les bibliothèques et autres lieux qui, de façon plus pragmatique, promeuvent la vente de livres. La vente est sans doute la plus légitime et la plus naturelle des sources de revenus, la plus souhaitée également, l’écrivain étant payé parce qu’il est lu. Mais un succès dans la filière de l’édition ne garantit pas nécessairement à l’écrivain des revenus élevés, car ceux-ci dépendent des conditions contractuelles qui régissent l’exploitation commerciale de l’oeuvre.
Nous arrivons ainsi à la question des contrats et à la relation auteurs/ éditeurs. Que pouvons-nous en dire s’agissant du Québec ? Selon l’étude que je viens de citer, 43 % des écrivains se disent insatisfaits de leur éditeur, mais aucune précision n’est apportée. Peut-être nous aussi avons-nous besoin d’un baromètre.
À l’UNEQ , nous recevons en moyenne quatre appels par semaine d’écrivains qui s’interrogent sur leurs rapports avec leur éditeur. Quatre appels par semaine, ce n’est peut-être pas beaucoup. Question d’échelle, l’UNEQ compte 1 400 membres. La relation est complexe. Nous avons évoqué la métaphore du mariage au cours de nos travaux, elle est tout à fait pertinente, mais, dans la plupart des cas, le pouvoir de l’écrivain est très limité, pour ne pas dire inexistant. Il arrive même que l’éditeur retire son offre lorsqu’un écrivain exprime le souhait de négocier son contrat. Négocier le contrat, ne serait-ce que quelques clauses, demeure un privilège essentiellement réservé aux écrivains à succès qui sont en mesure de jouer dans un rapport de force ou qui peuvent compter sur un agent. Qu’en est-il des autres ? Est-il normal que ceux-ci doivent se soumettre aux conditions édictées par leur éditeur, d’où la nécessité, selon l’Uneq , d’un accord régissant les pratiques contractuelles ? Les tentatives de l’UNEQ pour conclure avec les éditeurs québécois un accord assurant aux écrivains des conditions équitables furent nombreuses et vaines. Les éditeurs affichant une résistance particulièrement tenace, pour ne pas dire par moments une franche hostilité.
Les raisons évoquées sont multiples. Les éditeurs parlent de liberté de contracter, de mise en péril de la rentabilité des maisons d’édition ou encore d’une impossibilité à mettre en application un tel accord en s’interrogeant sur la possibilité, par exemple, pour une association d’éditeurs d’obliger ses membres à respecter un accord. Précisons qu’aucune preuve concrète de menaces susceptibles de peser sur le milieu de l’édition par un accord n’a jamais été apportée. À ce titre, l’UNEQ a heureusement accueilli la nouvelle de la signature d’un accord entre le CPE et le SNE sur le contrat d’édition tout en étant surpris de voir aboutir une démarche qui, pour notre part, s’est toujours soldée par de solides échecs.
Une telle nouvelle s’accompagne de questions : quels facteurs ont rendu cet accord possible ? Par-delà la volonté des parties de parvenir à un accord, quels facteurs ont favorisé la tenue et l’issue des négociations ? Le contexte numérique a-t-il joué un rôle déterminant dans cet accord ? Ce territoire nouveau permet moins de faire table rase que d’investir la problématique du contrat d’édition sous un angle inédit.
Nous sommes nous-mêmes plongés depuis vingt ans, depuis l’adoption de la Loi sur le statut de l’artiste, dans une démarche visant à conclure avec les éditeurs une entente générale qui normaliserait les relations contractuelles. On peut se demander pourquoi, après vingt ans, de telles démarches n‘ont pas abouti. Pour l’expliquer, j’évoquerai le cadre juridique. D’un point de vue juridique, la situation est complexe, dans la mesure où il existe un partage de compétences fédérales et provinciales. En l’occurrence, la loi sur le droit d’auteur relève de la juridiction fédérale et n’encadre pas les pratiques de diffusion. Pour faire écho au thème de la table ronde, je veux évoquer l’encadrement des contrats d’édition au Québec.
Le secteur du livre au Québec est régi par la loi que nous appelons communément la « Loi 51 », plus officiellement la « Loi sur le développement des entreprises commerciales dans le secteur du livre ». Cette loi a été votée quasiment en même temps que la loi Lang. Peut-être avez-vous eu l’occasion d’en entendre parler récemment si vous avez eu vent de la commission parlementaire qui s’est tenue au Québec au sujet de la réglementation du prix des livres neufs qui fut d’ailleurs un bel exemple de collaboration interprofessionnelle.
La loi 51 exige notamment des institutions publiques qu’elles achètent leurs livres au prix fort, donc au prix de détail, chez les libraires titulaires d’un agrément, c’est-à-dire qui respectent un certain nombre de critères ayant trait à la propriété, mais aussi à la présence dans leur inventaire d’un quota minimal de titres d’auteurs québécois.
L’autre volet de cette loi qui nous intéresse ici stipule que, pour être admissibles à des subventions provinciales, les éditeurs doivent également détenir un agrément. Les critères de son obtention portent notamment sur la propriété, un nombre minimal de titres publiés et l’obligation d’être à jour dans le paiement des redevances dues aux auteurs. Mais c’est là que le bât blesse car cette condition est suivie d’une disposition qui, à toutes fins pratiques, l’invalide. En effet, selon cette dernière disposition, le fait que l’éditeur ne soit pas à jour des paiements des sommes dues aux auteurs n’entraîne pas automatiquement l’annulation ou la suspension de l’agrément.
Il est donc quasiment impossible de recourir à cette loi pour imposer une action coercitive à l’encontre des éditeurs délinquants. Au mieux, on peut traiter à la pièce avec les bailleurs de fonds publics lorsque des cas nous sont rapportés. Et même quand les éditeurs se conforment à cette obligation, celle-ci n’a aucun pouvoir sur le contenu des contrats d’édition. Du moment que l’éditeur honore son contrat, celui-ci peut être abusif à l’extrême, la Loi est respectée.
Je voudrais maintenant vous entretenir de la loi relative au statut de l’artiste, qui n’est pas nécessairement la plus avantageuse pour les écrivains. À la fin des années 1980, le gouvernement québécois a adopté deux lois régissant le statut de l’artiste. La première s’applique aux artistes des arts de la scène, du disque et du cinéma. Elle oblige de façon stricte les associations d’artistes et de producteurs à négocier des ententes collectives qui définissent les contrats. La seconde loi concerne les artistes des arts visuels, de la littérature et des métiers d’art. Cette loi n’oblige pas la négociation d’un contrat entre les artistes et les diffuseurs. La possibilité existe de négocier une entente, selon le bon vouloir des deux parties.
Une disposition de cette seconde loi permet au ministre d’imposer par voie réglementaire des formulaires, un contrat type, mais jusqu’à maintenant aucun ministre n’a choisi de s’en prévaloir. Nous sommes aux prises avec cette loi. Certains de ses articles traitent des contrats ; ils font état de mentions obligatoires, au demeurant bien légères : il convient de définir la nature du contrat ; l’oeuvre qui en est l’objet ; il convient de préciser s’il s’agit d‘une licence ou d’une cession ; l’étendue de celle-ci ; sa transférabilité ; la contrepartie monétaire prévue ; la pérennité des redditions de comptes ; la possibilité de faire vérifier les livres du diffuseur. Quelques lignes portent sur la résiliation, mais rien d’aussi élaboré que ce qui a été conclu en France récemment. Mais sans obligation de négociation d’entente générale, il faut reconnaître que cette loi favorise les partisans du statu quo, que nous ne sommes pas, vous l’aurez deviné !
Au début des années 2000, des négociations ont été entreprises avec l’Association nationale des éditeurs de livres autour du contrat d’édition. Nous sommes parvenus à une entente presque satisfaisante, mais elle a été désavouée par l’Assemblée générale des éditeurs. Un peu après, à la demande de la ministre de la Culture de l’époque, nous avons organisé des rencontres individuelles avec des éditeurs qui n’ont pas davantage abouti. En 2009, le ministère de la Culture a mandaté un comité pour mener une réflexion avec les associations concernées par les deux lois sur le statut de l’artiste. C’était pour nous l’occasion d’exposer à nouveau les faiblesses de la loi et de proposer des pistes. Malheureusement, nos propositions ont été rejetées par l’Association nationale des éditeurs de livres sans qu’aucune contre-proposition n’ait été énoncée. Pour l’UNEQ, l’expérience fut douloureuse, le rapport de ce comité recommandant un statu quo devant l’impossibilité de parvenir à un consensus.
À la suite du mécontentement suscité par ces travaux chez les artistes du Québec, le Gouvernement a proposé aux associations de notre secteur la mise en place d’une démarche d’accompagnement en vue de conclure une entente. Nous nous préparons activement depuis un an et demi à cette discussion. L’accord signé en mars aura assurément une incidence positive. Le problème que nous rencontrons actuellement tient dans le refus de l’Association nationale des éditeurs de livres de discuter de questions contractuelles. Nous avons cependant bon espoir que le Gouvernement insiste, car le ministre de la Culture a clairement indiqué que c’était la voie à suivre. Inutile de vous dire qu’à ce stade, nous n’avons aucune idée de la façon dont une telle entente, si elle devait voir le jour, serait appliquée. En effet, nous ne savons pas quelles sanctions feraient suite à un non-respect de l’entente. La voie judiciaire est le plus souvent hors de la portée des écrivains en raison des coûts qu’elle entraîne. Quant aux solutions interprofessionnelles, elles sont hasardeuses car elles dépendent de la volonté ou du pouvoir d’une association d’éditeurs de faire appliquer ledit accord. Au surplus, selon la loi, une entente générale ne s’appliquerait qu’aux membres de l’Association nationale des éditeurs de livres. Qu’en serait-il des autres ? Mais notre étude des pratiques des éditeurs nous a placés en face d’une double dynamique. Il y a les éditeurs qui font signer à leurs auteurs des contrats innommables. J’ai constaté hier et aujourd’hui que nous ne sommes pas les seuls. Mais il y a aussi des éditeurs dont les contrats sont acceptables mais qui les appliquent mal. Aussi, nous nous interrogeons sur une entente qui garantirait des contrats équitables faute de moyen de les faire appliquer ou si leur application aboutissait à des situations nébuleuses. À cet égard, le meilleur exemple concerne la reddition des comptes. Trop souvent, nous recevons des relevés de vente illisibles, la terminologie variant d’un éditeur à l’autre. Il arrive également que les ventes de droits à l’étranger ne soient pas divulguées. En d’autres termes, un encadrement des pratiques contractuelles ne règle pas tout, bien au contraire.
Cela dit, il est important de souligner que des éditeurs travaillent bien, signent avec leurs auteurs des contrats équilibrés et qu’ils respectent. En d’autres termes, il existe des pratiques exemplaires qui gagneraient à être reconnues, reprises et sur la base desquelles il serait possible de s’entendre. C’est à partir de ces pratiques exemplaires que nous avons recensées que nous voudrions négocier. Même cette approche n’a pas, pour l’heure, trouvé grâce auprès des éditeurs. Nous espérons que l’accord conclu en France entre le CPE et le SNE contribuera à faire comprendre aux éditeurs québécois l’importance d’évoluer dans un milieu capable de résoudre ces problématiques au bénéfi ce de la relation auteurs-éditeurs, c’est-à-dire en entamant un vrai dialogue.
Thierry Pech
On voit, effectivement, qu’un long chemin reste à parcourir. Mais rien n’est perdu ; de mon temps, je n’aurais pas imaginé qu’un accord, sur le modèle de celui du SNE-CPE, fût possible. Vincent Montagne, vous-même qui êtes signataire, pouvez-vous nous dire ce qui a changé ? On a le sentiment d’un dialogue apaisé. Comment cela a-t-il été rendu possible ?
Vincent Montagne
Sur ma droite, je suis considéré comme un délinquant. La présentation faite par Pierre Sirinelli, que je remercie, conduit à m’interroger : comment se fait-il que je sois encore président du syndicat après avoir abandonné autant de prérogatives historiques ?
Lorsque je suis entré dans la négociation il y a un an, bien des choses avaient déjà été mises sur la table. De part et d’autre, les négociateurs avaient envie de trouver une solution.
Membre du Bureau du syndicat depuis 2005, j’ai connu une période où les éditeurs dissuadaient leurs auteurs de s’intéresser au numérique. Dans ces conditions, l’inquiétude des auteurs était légitime. On voit mal pourquoi les auteurs auraient voulu céder leurs droits numériques pour la durée de la propriété intellectuelle à des acteurs qui ne s’y intéressaient pas. Le caractère asymétrique de la relation entre auteurs et éditeurs rend cette inquiétude d’autant plus légitime.
Mon expérience d’éditeur est largement liée aux bandes dessinées. La bande dessinée a été exploitée dans la presse pendant soixante ans. Je cite souvent Blake et Mortimer, car cette bande dessinée, née en 1946, continue de réaliser de très bonnes ventes. Très naturellement, elle est passée de la presse à l’édition en album, puis sont venus s’ajouter les droits dérivés et l’audiovisuel, et cela depuis trente ans. La problématique du passage d’une oeuvre et d’une création intellectuelle graphique, culturelle, éditoriale sur tous les supports est une question que je traite dans le cadre de mon métier depuis trente ans. Le numérique est un modèle nouveau, mais il est bien plus qu’une simple transposition à un autre support. En même temps, il convient de prendre conscience qu’il s’agit d‘un modèle disruptif que l’on ne peut traiter dans un contrat global papier et numérique sans revisiter la question des taux et de l’assiette.
Pierre Sirinelli a rappelé que les auteurs souhaitaient, au début des négociations, un contrat numérique séparé et pour une durée limitée. Nous avons résolu la question, considérant que l’éditeur était là pour se saisir de l’oeuvre d’un auteur dans sa globalité, quel que soit le support, dans la durée. Rien ne se fait en dehors du temps long qui, comparé au temps court du marché, est complexe à mettre en oeuvre. Des éditeurs — à l’instar de Gallimard avec Harry Potter — se sont rendu compte que les droits qu’ils avaient acquis pouvaient être exploités sur tous les supports. C’était une évolution dans le temps qu’il convenait d’accompagner. La dictature du présent, quel que soit le support, exige une réponse globale. L’éditeur ne pouvait pas s’engager uniquement sur le papier. Si nous étions entrés dans une distinction aussi fine, nous aurions connu des ruptures en matière d’investissement, car le numérique coûte cher et parce qu’il convenait en parallèle d’investir en faveur du papier, du numérique et d’autres supports. La globalité de l’exploitation dans la durée est essentielle pour les éditeurs et cet accord en rend parfaitement compte. Aux droits accordés à l’éditeur d’exploiter l’oeuvre sur différents supports correspondent des obligations bien plus contraignantes que par le passé. C’est certainement une rupture. On ne peut imaginer qu’un auteur, qui confie à son éditeur l’intégralité des droits sur son oeuvre, quel que soit le support, n’en ait pas des retombées économiques dans le temps et donc de façon continue et permanente. Les possibilités de sortie du contrat sont bien plus drastiques, exigeantes et automatiques qu’auparavant.
Les usages ont évolué, mais sous la contrainte, ce qui n’est pas encore le cas de l’édition, le numérique ne représentant au maximum que 1 à 2 % du chiffre d’affaires net des éditeurs. Les éditeurs se sont saisis très rapidement de la protection du droit d’auteur dans l’environnement numérique en engageant une action en contrefaçon contre Google en 2006. Nous avons gagné en première instance. Google et le SNE ont décidé, en 2012, de mettre fin à ce contentieux et ont établi ensemble les principes d’un accord-cadre de numérisation des oeuvres indisponibles. Signé par Antoine Gallimard, cet accord-cadre est fondé sur la reconnaissance des droits des éditeurs français. Toute numérisation des oeuvres protégées par le droit d’auteur nécessite une autorisation préalable des ayants droit. Cette obligation ne peut pas être contournée par l’exception de fair use.
Si l’éditeur a la possibilité d’exploiter l’oeuvre sur tous les supports et tous les continents (dans la limite des droits qui lui sont cédés bien entendu), il est impératif que l’auteur soit associé à tous les types de profit et en ait connaissance. À cet égard, la reddition des comptes se doit d’être extrêmement précise. Elle est complexe. L’auteur doit être informé des modes d’exploitation de l’oeuvre, des taux et des assiettes. On ne pouvait entrer dans cette économie disruptive qu’en acceptant une révision régulière et récurrente des conditions de marché (clause de réexamen). La sérénité des relations auteurs/éditeurs était en cause. L’éditeur a accepté un nombre plus élevé d’obligations pour publier l’oeuvre en numérique, quel que soit le support.
Thierry Pech
Je confirme que l’accord trouvé par la presse avec Google est très mauvais. Il revient à recevoir soixante millions d’euros et à se revoir dans trois ans. Jean Claude Bologne, avez-vous le sentiment que cet accord ouvre une nouvelle ère de dialogue ?
Jean Claude Bologne
Oui, bien sûr. En écoutant Pierre Sirinelli, j’ai eu le même sentiment que Vincent Montagne et exactement dans le sens opposé ! Vincent Montagne s’est dit : « Mon Dieu, j‘ai abandonné tout cela ! » Et moi, je me disais : « Mon Dieu, nous avions deux demandes et nous n’avons obtenu aucune des deux. »
Thierry Pech
Les bons accords laissent les signataires toujours mécontents. C’est dire que des concessions ont été consenties.
Jean Claude Bologne
Nous pourrions nous demander s’il ne s’agirait pas d’un accord perdantperdant. Mais, en réalité, si nous avons organisé cette table ronde, si nous demandons tous à la ministre — et nous lui redemanderons tout à l’heure — d’introduire au plus vite cet accord dans la loi, c’est parce que nous sommes persuadés qu’il s’agit d’un accord gagnant-gagnant.
L’accord a nécessité quatre ans et a progressé graduellement.
La première année, du temps de mon prédécesseur, Alain Absire, des discussions préparatoires eurent lieu. On ne pouvait pas parler de négociations entre la Société des Gens de lettres et le Syndicat national de l’édition. Quand Alain Absire m‘a transmis la présidence, il m’a indiqué que des négociations devaient intervenir au sein du Conseil permanent des écrivains. Nous avons trouvé cela normal, nous gravissions un échelon.
La deuxième année, le Conseil permanent des écrivains a discuté avec la Sne, mais les négociations n’ont pu aboutir.
La troisième année, c’est au sein du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique que nous avons repris les discussions. Nous sommes parvenus à un quasi-accord, deux points n’ayant pas trouvé de consensus.
La quatrième année, une mission fut confiée à Pierre Sirinelli directement par la ministre de la Culture. Heureusement, nous sommes parvenus à un accord, sans quoi, la cinquième année, il aurait fallu aller jusqu’à la présidence de la République et la sixième jusqu’à Dieu !
Il y eut donc quatre années de discussions et de négociations en gradation. Qu’est-ce qui a fait que nous sommes parvenus à un accord gagnantgagnant la quatrième année ?
Premièrement, nous avons renoncé à la stratégie des échecs : personne n’allait l’emporter sur l’autre et personne ne mobilisait ses troupes. Nous avons plutôt décidé de nous écouter. La faculté de prendre en compte les demandes de l’autre, aussi bien des auteurs que des éditeurs, fut déterminante.
Deuxièmement, c’est ce que j’appellerai, pour rester dans la métaphore des échecs, « la stratégie du cavalier ». Aux échecs, le cavalier est le seul qui parvient à surmonter les obstacles, à passer au-dessus d‘autres pièces. C’est le seul qui, pour aller là-bas, commence par aller ici. C’est ce qui a fait la différence. Ni les éditeurs ni les auteurs n’ont eu vraiment ce qu’ils demandaient, mais ils ont eu mieux. Par exemple, une réelle divergence nous séparait, la dernière année des négociations, sur l’impression à la demande. Pour les éditeurs, il s’agit d‘un mode d’exploitation tout à fait normal ; pour les auteurs, c’est l’inversion de la logique. La logique de l’édition est une logique de l’offre. Une fois le stock épuisé, l’auteur reprend ses droits. Avec l’impression à la demande, le stock ne s’épuise pas et l’auteur ne peut donc pas reprendre ses droits. Il convenait donc de considérer les choses sous un autre angle.
L’impression à la demande, pour les auteurs comme pour les éditeurs, est une chance nouvelle donnée pour que l’oeuvre ne soit jamais épuisée et qu’elle soit donc exploitée en permanence. Les auteurs estimant que la seule soupape de sécurité disparaissait, voulaient que la durée soit limitée, ce que les éditeurs refusaient. Nous aurions pu nous arrêter là. Qu’avonsnous fait ? Considérant qu’une soupape de sécurité disparaissait, nous avons décidé d’en créer d’autres. Dans la mesure où la seule possibilité qui existe dans le Code de la propriété intellectuelle de reprendre ses droits sans passer devant les tribunaux disparaît, on donne d’autres possibilités pour sortir du contrat si les choses se passent mal. Voilà ce que j’appellerai « la stratégie du cavalier ». Nous avons renoncé, l’une et l’autre partie, à parler de l’impression à la demande. Les termes n’apparaissent même pas dans les accords. Ainsi, ce qui ennuyait les auteurs a été effacé. L’auteur peut sortir du contrat si l’exploitation permanente et suivie n’est plus réalisée, soit dans le numérique, soit dans l’imprimé. Nous avons trouvé une solution qui répond aux demandes des uns sans venir en contradiction avec les inquiétudes des autres. C’est cette qualité de dialogue qui a fait beaucoup dans l’évolution des discussions.
Le deuxième point fondamental de l’accord a résidé dans le rapprochement des interlocuteurs. Pour la première fois, le Président du Syndicat national de l’édition et la Présidente du Conseil permanent des écrivains se sont trouvés face à face. C’est-à-dire que les signataires de l’accord l’ont négocié. Cela paraît aller d’évidence. Eh bien, non. Je veux remercier Vincent Montagne et Marie Sellier, Présidente du Conseil permanent des écrivains, de s’être totalement investis dans cet accord. Si nous avions continué à discuter, pour ensuite rendre compte au Bureau, qui aurait dit non, et recommencer de zéro, nous n’aurions jamais abouti.
La quatrième année, nous avons rencontré des éditeurs au sens anglais, editors et non publishers. Nous avons eu devant nous des éditeurs qui étaient en contact avec les auteurs. Ne pas échanger uniquement avec des juristes modifie bien des choses. Nous avons pu parler avec des personnes qui entendaient la voix des auteurs. Quant à nous, nous entendions la voix des éditeurs. C’est ainsi que nous avons pu échanger de manière plus apaisée.
Les deux dernières années, nous avons bénéficié de la consultation de spécialistes. Françoise Benhamou est venue nous parler de l’économie du livre numérique. Cela m’a marqué à tout jamais. En particulier son analyse des nouveaux modèles économiques : à l’image d’un rubik’s cube, retenez quatre stratégies éditoriales, trois modes de lecture et onze modèles économiques et vous obtiendrez cent trente-deux façons de rémunérer un auteur — ou de ne pas le rémunérer.
Nous avons admis que l’on ne pouvait pas discuter de cent trente-deux 141 façons de rémunérer un auteur, surtout dans un cadre aussi mouvant : nous avons donc décidé d’instaurer des garde-fous. Il fallait nous assurer que les accords soient suffisamment souples pour rester opérants le jour où tel ou tel modèle économique prendrait le pas sur un autre. Toute nouvelle forme de l’exploitation doit être prévue très largement en vue d’instaurer des règles de rémunération de l’auteur. Certes, ce qui figure dans le contrat sur les rémunérations peut décevoir. Bien des choses sont dites sur la façon de sortir du contrat dans le cas où l’auteur serait insatisfait, mais peu de chose sur la façon de rester dans le contrat en étant satisfait des conditions. Néanmoins, des gardefous existent. Cet accord ne réglant pas tout définitivement, les conditions économiques changeant, de nouveaux modèles apparaissent ; discutons-en pour instaurer des règles.
Enfin, bien que des représentants de la littérature générale fussent présents en majorité à la table des discussions, nous avons entendu les représentants de tous les secteurs en introduisant pour chacun des portes d’entrée dans l’accord. À un moment donné, nous avons cru que les illustrateurs allaient tout faire basculer. Nous avons entendu leur demande et nous l’avons prise en compte. À un autre moment, nous avons cru que les éditeurs techniques allaient tout faire capoter. Nous avons entendu leur demande et pris en compte leurs remarques dans les accords. À force d’entendre toutes les parties, en concentrant la discussion sur le secteur du livre et sur la littérature générale, la jeunesse, la bande dessinée, nous avons réussi à aller au bout.
L’autre point central réside dans la volonté politique, dont nous aurons tout à l’heure, je l’espère, une confirmation, car sans la volonté politique, cet accord serait à peu près caduc. Je dis « à peu près » car il existe un accord entre le CPE et le SNE. Au cas extraordinaire où il ne resterait que cela, il pourrait servir de base à des usages. Mais c’est la volonté politique qui nous a permis de dépasser de simples accords et d’entreprendre une véritable réflexion sur le Code de la propriété intellectuelle.
Cette volonté politique ne naît pas par hasard : auteurs comme éditeurs sont face à des défis tout aussi importants. Confrontés à d’autres enjeux — la Tva, le prix unique du livre, des exceptions au droit d’auteur — ils doivent par conséquent être solidaires et en phase avec le ministère, qui l’a bien compris. Le poids que le ministère a fait peser dans les accords au cours de la dernière année n’a pas été sans effet.
Dès lors, nous pouvons aborder la façon dont l’accord pourra être appliqué dans le futur car c’est bien là l’essentiel.
Thierry Pech
À vous entendre, on a le sentiment d’un dialogue social entre parties rivales, aux intérêts parfois divergents ou convergents. Le modèle auquel vous êtes parvenu est assez réussi. Avez-vous vraiment besoin d’une loi ?
Pierre Sirinelli
La loi est utile si l’on se reporte à l’idée qu’il existait certes un cercle vertueux mais au périmètre restreint. Il ne s’agit pas de paroles de circonstance. Nous sommes parvenus à un accord parce que les auteurs ont compris qu’une chance historique se présentait et qu’il leur fallait éventuellement renoncer à des exigences considérées comme inacceptables par les éditeurs. Si les éditeurs ont accepté certaines des revendications, c’est parce que Vincent Montagne a compris qu’il fallait faire entrer l’édition dans le XXIe siècle, quitte à être — un peu — impopulaire parmi ses troupes. Des solutions raisonnables se sont dégagées, inspirées des bonnes pratiques constatées. Le recours à la loi permet de dépasser le cadre — étroit — du cercle vertueux originel. Si les négociateurs ont vite compris l’importance des nouveaux usages, tous les acteurs du secteur n’en étaient nécessairement persuadés et certaines pratiques surprenantes perduraient. Si, pour certains, les règles nouvelles devaient s’imposer par autorité de la Raison, pour d’autres, elles ne devenaient obligatoires que par raison de l’autorité que leur confère un texte normatif. Sans compter qu’en plus de rendre une solution obligatoire, la Loi est Pédagogie.
La loi ne fera qu’acter les points sur lesquels les parties se sont accordées. J’ignore, dans le collège éditeurs, combien sont membres du SNE. Mais je rends à nouveau grâce à Vincent Montagne d’avoir rendu cela possible.
Vincent Montagne
Il existe en France plusieurs milliers d’éditeurs, mais certains ne publient qu’un seul ou deux ouvrages par an. Syndicat unique, le SNE compte 680 adhérents et représente une force de proposition importante.
Pierre Sirinelli
L’intérêt de la loi est de rendre opposable à tous la solution qui a été trouvée. Ce qui nous conduit à une autre diffi culté : les services du ministère se hâtent pour que cet accord intervenu au mois de mars 2013 devienne loi ; il n’en reste pas moins que nous sommes déjà en octobre. Nous sommes parvenus à un accord équilibré mais peut-être parfois écrit avec candeur et il fallait que le texte soit rédigé dans une forme susceptible d’être acceptée par le Conseil d’État lorsqu’il l’examinerait. Une part du temps a donc été consacrée à un toilettage de la forme. Par ailleurs, l’agenda parlementaire est surchargé. La vraie préoccupation est de savoir ce qui se passera entre le moment où l’accord a été signé au mois de mars 2013 et une loi sans doute promulguée en 2014.
Thierry Pech
C’était ma prochaine question ! Que pensez-vous faire d’ici à la promulgation de la loi, qui prendra du temps. La magie lexicale et sémantique du Conseil d’État est chronophage. À quoi vous engagez-vous d’ici là ? Pourquoi ne pas appliquer immédiatement ces dispositions ?
Vincent Montagne
Pour des raisons de sécurité juridique, une loi est nécessaire. Par rapport à celle de 1957, des changements très importants sont intervenus. Il est important d’acter dans une loi le travail réalisé, qui a introduit la plasticité du lien entre la modifi cation de la propriété intellectuelle et le code des usages.
Le SNE a constitué un groupe de travail pour mettre en conformité le contrat type « littérature générale » avec l’accord du 21 mars 2013. Pierre Sirinelli n’est pas entré dans le détail de la loi, extrêmement complexe. Il faudra par conséquent donner aux éditeurs un modèle de contrat type qui soit conforme à la loi et au Code des usages. Cet accord est complexe et équilibré. Nous souhaitons donc que le Gouvernement soit habilité à légiférer par ordonnance. J’ai été très impressionné que le CPE ait réuni dixsept associations, couvrant ainsi les principaux métiers de la création : les illustrateurs, les dessinateurs. Nous répondons ainsi par avance aux critiques éventuelles des parlementaires qui nous reprocheraient de ne pas avoir tenu compte de tel ou tel acteur. Certes, nous n’avons pas tout réglé, mais je pense que le projet de loi touche nombre de professions et j’espère que la loi sera votée le plus rapidement possible. Je n’imagine pas un seul instant que Aurélie Filippetti venant clôturer nos travaux ne fasse pas une annonce particulière.
D’ici à la promulgation de la loi, les éditeurs ne peuvent qu’introduire de manière vertueuse, pour ceux qui le souhaitent, des dispositions contenues dans l’accord-cadre.
S’agissant de la reddition des comptes, l’accord est plus exigeant que ce qui existait auparavant. Nous avons introduit des éléments qui supposent des modifi cations, par exemple des systèmes d’information, que ce soit chez les éditeurs, gros ou petits. Si les gros éditeurs disposent de plus de moyens, la mise en oeuvre est extrêmement compliquée. D’ores et déjà, les équipes informatiques des éditeurs travaillent pour être en conformité avec les nouvelles dispositions. Les redditions de comptes seront complètes. Elles contiendront des informations permettant aux auteurs d’apprécier les modes d’exploitation de l’oeuvre, les taux et les assiettes. Le travail est en cours.
Thierry Pech
Comment cet accord a-t-il été reçu par les membres de votre syndicat ?
Vincent Montagne
J’ai trouvé une astuce. Je n’avais nullement l’intention de me faire crucifier par les éditeurs. J’ai donc invité régulièrement les négociateurs au Bureau du syndicat, pas seulement Christine de Mazières, un autre responsable ou moi-même, mais toute la délégation. Autrement dit, les douze éditeurs membres du Bureau ont été obligés de se prononcer après avoir entendu dans le détail les conclusions des négociateurs. Ils ne pouvaient donc ignorer l’état des négociations au jour le jour. J’ai même demandé à Pierre Sirinelli de venir travailler au Bureau du syndicat, où il a subi les foudres de quelques éditeurs. Globalement, c’est un accord qui a été porté par le Bureau. Je n’en ai été que le porte-parole, c’est-à-dire que c’est un accord « vécu » et décidé à l’unanimité.
Jean Claude Bologne
Des temps d’adaptation sont prévus tant l’accord est complexe, notamment pour ce qui concerne les redditions de comptes du numérique, les maisons d’édition devant se mettre en règle avec les termes de l’accord. Un temps d’adaptation est prévu après l’entrée en application de la loi, lequel permettra aux éditeurs de ne pas se retrouver le lendemain face à des auteurs qui argueront que leurs redditions de comptes ne sont pas conformes à l’accord et qu’en conséquence ils reprennent leurs droits. C’est pourquoi la mise en application le plus tôt possible de cet accord est indispensable. Non seulement, le temps d’attente est utilisé par les éditeurs — et c’est bien normal — pour se mettre par avance en accord avec les principes qui ont été émis, mais s’ajoute, dans certains cas, un temps d’adaptation.
Dès à présent, nous serions heureux que le Syndicat national de l’édition prenne position en introduisant dans les contrats qui sont signés dès aujourd’hui une clause de mise en conformité avec les prescriptions de la loi, une fois celle-ci adoptée. Un accord est signé entre le CPE et le SNE et, à ce titre, nous savons que les membres du Syndicat national de l’édition le respecteront. Nous pouvons comprendre qu’ils ne changeront pas le modèletype de contrat avant le vote de la loi, mais nous aurions souhaité qu’ils s’engagent à ce que les contrats actuellement signés soient mis en conformité avec la nouvelle loi. De grands éditeurs le font, d’autres s’y refusent. Le Syndicat national de l’édition pourrait-il pour le moins engager ses membres à introduire cette clause de mise en conformité avec la future loi ?
Vincent Montagne
Je suis tout à fait prêt à recommander aux éditeurs d’introduire dans leur contrat une clause de mise en conformité pour que la nouvelle loi soit applicable dès sa promulgation, mais c’est du ressort contractuel. Je ne puis qu’émettre une recommandation. Le vote rapide de la loi serait la seule solution raisonnable.
Pierre Sirinelli
Le temps du législateur n’est pas le temps du marché ou le temps des accords. Nous avons vu, précédemment, le temps nécessaire à l’élaboration d’une loi. Mme la ministre expliquera sans doute, plus avant, comment accélérer le processus. Néanmoins, sur le plan purement juridique, lorsqu’une nouvelle loi intervient, se pose la question de savoir à quels types de situations elle s’appliquera. La loi s’appliquera aux contrats conclus postérieurement à sa promulgation. En revanche, cela ne sera pas le cas pour les effets passés des contrats antérieurement conclus ; la loi n’est pas rétroactive, elle ne peut changer ce qui a été consommé. La loi peut-elle s’appliquer aux effets futurs d’un contrat conclu avant sa promulgation ? C’est-à-dire, produire des effets pour des situations postérieures à son entrée en vigueur ?
La jurisprudence est à cet égard très divisée. Pour éviter les incertitudes en résultant, des dispositions ont été prises dans les textes envisagés. La jurisprudence indique que la loi n’appréhende que l’avenir, qu’il est nécessaire de respecter la prévisibilité des parties, c’est-à-dire le contrat conclu, équilibré en fonction de ce qu’était le verbe du législateur à l’époque de sa signature. Mais il s’est déjà produit que des lois porteuses d’impératifs sociaux très forts s’appliquent aux contrats antérieurement conclus pour leurs effets postérieurs au vote. Par exemple, la loi sur les congés payés a été votée en 1936. Tous ceux qui avaient signé un contrat de travail avant le vote de la loi n’ont pas été privés de congés ! C’est ce que l’on appelle « l’ordre public renforcé ». Ce peut être le cas lorsque la loi nouvelle offre un « statut » à ce point bien réglementé que la volonté des parties sert surtout à entrer dans ce statut plus qu’à tenter d’en déterminer le régime. Dans cette approche purement jurisprudentielle, c’est le juge qui est l’oracle de l’application de la loi dans le temps. Il le fait en fonction de cet ordre public renforcé ou de l’aspect statutaire. L’inconvénient de la solution, c’est qu’il faut attendre un arrêt de la Cour de cassation pour savoir à quoi s’en tenir. On est à « T + six ou sept ans ». Pour éviter cette incertitude, le législateur peut intervenir pour préciser les conditions d’application de la loi dans le temps et permettre qu’elle s’applique aux effets futurs des contrats antérieurement conclus. C’est la voie ici retenue. Autrement dit — et sous réserve que Mme la ministre le confi rme tout à l’heure — nous avons élaboré ensemble les moyens de ventiler les dispositions nouvelles en fonction des différents paramètres qui ont été évoqués par Jean Claude Bologne et Vincent Montagne. Des solutions nouvelles s’appliqueront immédiatement aux contrats en cours s’agissant de précisions supplémentaires ou d’un renforcement de ce qui se pratiquait déjà. D’autres s’appliqueront aux contrats en cours mais après un délai nécessaire à la mise en conformité de l’encadrement juridique ou technique du contrat. C’est ce que Vincent Montagne indiquait précédemment sur la reddition des comptes, dont la production, devenue plus lourde, nécessite une informatisation. D’autres ne s’appliqueront pas du tout aux contrats antérieurement conclus. Le législateur fera le choix de cette ventilation. Dans la mesure où nous avons réfléchi à la question, nous l’aiderons dans sa tâche.
Thierry Pech
Il ne reste plus qu’à voter fi nalement !
Pierre Sirinelli
Très accessoirement !
Thierry Pech
La rétroactivité sera donc mesurée selon les dispositions.
Pierre Sirinelli
Ce n’est pas à proprement parler une rétroactivité, car on n’anéantit pas les effets régulièrement passés.
Thierry Pech
Francis Farley-Chevrier, vous étudiez ce qui se passe en France ; j’imagine que vous portez également votre regard vers d’autres pays. Francis Farley-Chevrier La qualité qui a présidé au dialogue entre les auteurs et les éditeurs a été évoquée, de même que M. Sirinelli a évoqué les meilleures pratiques comme base de discussion. Je crois que ce sont des éléments essentiels. Nous réussirons parce que nous serons partis de ce qui se fait de bien. C’est une recette que je vais rapporter dans ma valise. Des accords ont eu lieu en Allemagne, qui ont permis des progrès. Malheureusement, votre question arrive quelques mois trop tôt, car une étude commandée par le ministère portera sur les usages contractuels au plan international.
Thierry Pech
Une telle synthèse a-t-elle été réalisée en Europe ? Avez-vous une vue d’ensemble des accords qui ont été conclus ?
Vincent Montagne
S’agissant du numérique, la France est en avance en matière d’accords entre les auteurs et les éditeurs.
Francis Farley-Chevrier
Également en ce qui concerne le papier.
Vincent Montagne
Dans le cadre des discussions au sein du Bureau du SNE, les éditeurs qui poussaient le plus au caractère vertueux étaient les plus puissants et ceux dont l’effet asymétrique auteurs-éditeurs était le plus fort. Le management de ces groupes est international et ce qu’ils vivent aux États-Unis, en Angleterre, en France, en Espagne est une pratique de management qui pousse au caractère plus vertueux de leurs relations avec les auteurs. Il semblait légitime que nous soyons plus performants. S’agissant des redditions des comptes, l’idée serait que les auteurs aient accès à un compte par Internet.
Nous dialoguons fréquemment avec les syndicats d’éditeurs européens, voire japonais, qui sont extrêmement attentifs à ce que nous faisons. Le rapport de Pierre Lescure est très élogieux sur l’accord que nous avons signé. Cela dit, la question n’est pas tant d’être en avance que de tirer l’édition vers un « benshmark international ». Je ne vois pas pourquoi nous n’y parviendrions pas. Les éditeurs se doivent d’adopter ces pratiques internationales s’ils veulent rester les acteurs du numérique au XXIe siècle.
Jean Claude Bologne
Aujourd’hui, la dimension internationale est indispensable. C’est pourquoi l’accord se fonde sur des études, telle celle du Bureau international de l’édition, bien antérieure à nos accords, sur les pratiques internationales en matière de contrats d’édition et sur les rapports entre auteurs et éditeurs. Le Parlement européen et la Commission européenne ont lancé deux enquêtes sur la contractualisation entre auteurs et éditeurs que nous suivons attentivement. Ce que nous avons obtenu au niveau national s’inscrira nécessairement dans un contexte international.
Nous sommes très attentifs à ce qui se passe dans d’autres pays, y compris au Québec. Dans les pays anglo-saxons, notamment, la pratique se répand d‘une déclaration des ventes aux sorties de caisse des librairies. Cela n’existe pas en France mais ce dispositif a totalement décrispé les rapports entre auteurs et éditeurs dans les pays anglo-saxons, notamment en Australie. Nous sommes l’une des rares professions, pour ne pas dire la seule, où celui qui nous doit quelque chose détermine ce qu’il nous doit, c’est-à-dire que nous devons faire confi ance aux comptes qui nous sont présentés.
En France, nous sommes plutôt pour l’euphémisme, nous n’avons jamais parlé des éditeurs délinquants ! Par le passé, ce petit degré de suspicion prévalait. Lorsque les auteurs reçoivent leurs comptes, ils ne savent pas comment les vérifi er. Or, nous savons que la suspicion n’est pas positive, les comptes, neuf fois sur dix, sont exacts, mais le seul fait que nous ne puissions être sûrs de leur exactitude qu’en prenant langue avec notre éditeur — qui est aussi notre débiteur — fausse le problème. Il est nécessaire que l’auteur puisse avoir, sinon en permanence, du moins en temps réel et plusieurs fois par an, accès à un compte qui l’informerait de l’état de ses droits d’auteur. Une fois instauré ce système que nous appelons de nos voeux, il décrispera notablement les rapports entre auteurs et éditeurs sur les redditions de comptes.
Francis Farley-Chevrier
La Société de gestion de la banque de titres de langue française a mis en place un système de décompte aux sorties de caisse qui s’appelle « Gaspard ». Malheureusement, il n’a pas été adopté par l’ensemble des librairies. Aussi, les données chiffrées ne sont-elles pas exactes et l’on ne peut s’y fi er pour établir un niveau précis des ventes, mais cela permet d’avoir une idée. Ce système peut également se révéler intéressant parce que l’on peut faire apparaître les chiffres de différentes façons. C’est un indicateur.
Thierry Pech
Parmi les conditions de réussite de cet accord, une me semble devoir être citée, dont vous n’avez pas parlé. Auriez-vous été aussi effi caces sans l’ombre menaçante de Google, d’Amazon ou d’Apple ? Que ces géants rôdent autour 149 de votre grisbi de manière envieuse pour s’en emparer — 30 % aujourd’hui, voire plus demain — ne vous a-t-il pas mis l’épée dans les reins ?
Jean Claude Bologne
J’ai indiqué de manière un peu restrictive que la volonté politique tenait à la nécessité d’une paix sociale entre auteurs et éditeurs pour relever ensemble de grands défi s, parmi lesquels la concurrence des entreprises internationales.
Mais soyons clairs, des auteurs sont fortement tentés par l’expérience Amazon. La Société des Gens de Lettres pense qu’il est préférable de se battre avec les éditeurs français que de lutter contre de grosses multinationales en cas de problème. Aux yeux des auteurs, obtenir des conditions contractuelles avec résolution des conflits à Dublin ou à New York n’est pas nécessairement un gage de bonne foi. Nous pensons que la médiation des éditeurs reste essentielle et pour cela, nous pensons qu’ils doivent consentir des efforts pour conserver leurs auteurs. Telle était la philosophie de ces accords.
Il est une mode, notamment dans les pays anglo-saxons, qui se caractérise par la signature de contrats extrêmement longs. Les auteurs ont des difficultés à lire des contrats de dix pages. Si ces derniers sont de trente pages demain, nous enregistrerons le même taux de contrats signés non lus que celui que nous connaissons actuellement, voire un peu plus élevé. La perspective de contractualiser avec des multinationales éveille en moi une certaine méfiance.
En France, nous nous plaignons déjà de ce que les contrats sont de plus en plus fréquemment des contrats d’adhésion et non plus des contrats négociés. C’est encore plus le cas s’agissant d’entreprises internationales dont tout interlocuteur humain est exclu. Cliquer « ok » pour accéder à un service d’édition en ligne revient à dire que nous ne négocions pas les contrats. Il est difficile aujourd’hui de négocier les contrats en France. J’ai négocié mon premier contrat d’édition il y a vingt-huit ans avec, face à moi, un éditeur qui avait le pouvoir de négocier. Aujourd’hui, quand je négocie un contrat d’édition, il doit remonter au service juridique, qui doit lui-même remonter jusqu’à la maison mère. Négocier un contrat nécessite six mois. Je ne force pas le trait. Parce qu’il aura barré une ligne dans le contrat, un auteur qui attend un à-valoir peut s’entendre répondre que trois mois de plus seront nécessaires au versement de l’acompte. Négocier des contrats est de plus en rare, mais c’est encore possible. En revanche, ce ne sera pas le cas avec Amazon. Ils cliqueront sur « ok ». Avec les géants internationaux, le danger est véritable pour les auteurs de perdre ce qui leur reste de pouvoir de négociation. Nous savons que la tentation existe et nous ne conseillons pas à nos auteurs d’y céder. Mais nous savons aussi que tout le monde change. Si, un jour, la société Amazon nous explique qu’elle est un éditeur comme les autres, qu’elle propose des contrats avantageux aux auteurs et que ceux-ci pourront les négocier, en tant que représentants des auteurs, nous l’écouterons.
Vincent Montagne
Parce que vous êtes un grand auteur, Jean Claude Bologne, vous avez accès au service juridique des grands éditeurs, mais de petits éditeurs seront dépassés par les aspects juridiques et contractuels. Je rappelle que soixante éditeurs sont à vendre. Les aspects financiers sont extrêmement complexes. Nombreux sont les auteurs qui, n’arrivant pas à publier chez les grands éditeurs, signeront avec de petits éditeurs dans des conditions contractuelles peu vertueuses.
S’agissant des grands acteurs, il faut savoir que si vous publiez une poésie sur Facebook, le copyright en appartient aussitôt à Facebook. Le droit d’auteur est attaqué de toute part. La réouverture de la directive « droits d’auteur » à Bruxelles se fait sous la pression des grands acteurs Internet pour essayer de mettre en place le droit d’auteur. Nous pouvons nous réjouir de cet accord historique. Mais ce qui nous attend c’est une lutte sans merci pour la défense du droit d’auteur et de la chaîne du livre, contre des opérateurs qui ont la tentation du monopole : il faut savoir qu’Amazon détient 90 % de la vente de livres numériques en Grande-Bretagne. Il nous faudra travailler sur les exceptions aux droits d’auteur.
Thierry Pech
La parole est à l’auditoire.
Sylvestre Clancier, poète, président du PEN club français
J’ai suivi avec grand intérêt toutes les négociations depuis quatre ans. Je me suis investi il y a fort longtemps en faveur des auteurs en tant que président du PEN club français et en tant qu’administrateur de la Société des Gens de Lettres.
Le PEN club français faisant partie du CPE, je peux dire à quel point cette dernière instance, au même titre d’ailleurs que le SNE et le Bureau, a réalisé un travail remarquable. Sous la pression entre autres d’Amazon et de Google, les auteurs français sont très sensibilisés à l’ensemble des questions liées à l’internationalisation ou à la mondialisation tant il est vrai que depuis des années, ne serait-ce qu’à la SGDL sous la présidence d’Alain Absire, puis de celle de Jean Claude Bologne, nous nous sommes sentis concernés par l’international. Nous avons créé une commission des affaires étrangères européennes de la francophonie dont la présidence m’est échue. Nous sommes attentifs à ces questions depuis bien des années, en accord d’ailleurs avec les éditeurs qui savent qu’une course de vitesse s’est engagée et qu’il faut défendre le principe du droit d’auteur.
J’ai assisté aux restitutions qui nous ont été faites pendant ces quatre dernières années au sein du CPE. Le processus d’écoute et d’attention fut remarquable. Des négociations ont eu lieu en interne, car nous n’étions pas tous d’accord : il a fallu, étape par étape, faire valider au sein du CPE ce qui était acceptable et ce qui ne l’était pas. Peut-être le processus fut-il laborieux, en tout cas il fut méthodique et réalisé dans le respect.
La table ronde qui se tient en ce moment même prouve que si la SGDL continue de s’impliquer au plan européen, d’autres réunions auront lieu bientôt dans d’autres pays. Nous les suivrons. C’est un travail de longue haleine. Je suis très heureux que nous ayons abouti à cet accord. J’espère que Mme la ministre fera une annonce positive. Quoi qu’il en soit, il faut saluer aussi bien les éditeurs que les auteurs de leur attention, de leur écoute et de leur volonté d’aboutir. Nous remercions également Pierre Sirinelli, car des acteurs aident parfois largement au dialogue, ce fut son cas.
Thierry Pech
Jean Claude Bologne, pouvez-vous nous dire un mot sur l’accord entre auteurs et éditeurs allemands qui devait intervenir cette semaine ?
Jean Claude Bologne
L’accord est en passe d’être signé. Je ne puis vous en dire bien davantage. Je sais toutefois que les Allemands ont négocié des taux minimums de rémunération. C’est une idée qui pourra peut-être faire son chemin.
Thierry Pech
Elle sera certainement inscrite à l’agenda des discussions futures !
Vincent Montagne
Avec 22 000 librairies, le marché allemand de l’édition est très proche du marché français. Le 9 septembre, une discussion franco-allemande s’est tenue dans les bureaux de la représentation européenne à Berlin entre éditeurs, auteurs, libraires et représentants du Parlement européen. Il convenait d’affi cher une unité entre les chaînes française et allemande du livre. La déclaration commune a eu un impact à Bruxelles ; cet impact a d’ailleurs probablement été plus fort qu’on ne le pense.
Jean Claude Bologne
Il faudra continuer à surveiller, à négocier et à créer ensemble. J’ai indiqué que la rémunération restait le point faible de cet accord quand bien même des bases d’une rémunération équitable seraient-elles bien posées. Pierre Sirinelli a souligné qu’il existait une clause de réexamen. Si l’auteur et l’éditeur ne parviennent pas à s’entendre, ils pourront porter l’affaire devant une commission paritaire, qui reste à mettre en place.
Trois possibilités de réexamen et une possibilité permanente en cas de changement de l’équilibre économique ont été rappelées. Un auteur n’est pas en mesure de décréter seul que l’équilibre économique est rompu. Dès lors, se pose la question de savoir ce qui permettrait de renégocier le contrat. L’arrivée des tablettes d’Amazon en France serait-elle un facteur de changement de l’équilibre économique qui conduirait à une renégociation du contrat d’édition ? Je pense que les éditeurs s’y refuseraient contrairement aux auteurs. Le fait de passer majoritairement à un modèle de gratuité est-il en lui-même une modifi cation de l’équilibre économique qui ouvre la révision du contrat ? Il faudra en débattre.
Créer des commissions pour discuter de sujets que nous n’avons pas réussi à résoudre est une solution facile, mais ouvre des perspectives plus complexes. Il existe déjà une instance de liaison entre la SGDL et le SNE qui fonctionne plutôt bien, mais rappelons que le code des usages de 1981 prévoyait la possibilité d’organiser une instance de liaison entre le CPE et le SNE qui n’a jamais été réunie. Que les choses soient possibles ne signifi e pas qu’elles se fassent. J’attire votre attention sur le travail qui reste à entreprendre sur des points délicats — la rémunération en est un.
J’ajoute que la loi sur le prix unique du livre numérique votée en 2011 prévoyait chaque année la publication d’un rapport ministériel et parlementaire sur la rémunération juste et équitable de l’auteur. Si l’un d’entre vous a vu passer les rapports 2012 et 2013, je serais heureux d’en être informé. Prévoir telle ou telle chose dans une loi ou dans des accords n’implique pas sa réalisation. Il sera de la responsabilité du CPE et du SNE de réfl échir ensemble à l’organisation de la commission mixte qui permettra de résoudre des confl its ou des mésententes entre auteurs et éditeurs, mais aussi de réfl échir à ce changement des conditions économiques qui permettrait la réouverture du contrat.
Nous avons instauré un véritable dialogue dont nous nous sommes félicités. Il doit perdurer, car il ne convient pas d’échanger uniquement lorsque des diffi cultés se posent.
Vincent Montagne
Je suis d’accord avec Jean Claude Bologne. Il ne faut pas faire de certains sujets des problèmes. Par exemple, les possibilités de vendre en bundle le papier et le numérique est une réfl exion qui suppose des fast tests. Ils correspondront à des préoccupations de vente de marchés. Peut-être s’apercevra-t-on qu’il s’agit de fausses-bonnes idées. Des tests nous conduiront à défi nir des taux et des assiettes auxquels nous réfl échirons ensemble. Comme le disent les Anglo-Saxons, avançons step by step ! Pour l’heure, attendons d’avoir une loi.
Dans l’assistance
De jeunes auteurs marquent leur désaffection envers le monde de l’édition pour se tourner vers le numérique, parce que publier chez les grands éditeurs relève plus d’une question de relationnel que de talent. Bien des manuscrits sont négligés, renvoyés et non lus. Je le sais, car j’ai été directeur de collection et j’ai vu comment cela se passait. Le copinage était à l’oeuvre ; de telles pratiques devraient être dénoncées.
Vincent Montagne
Au Parlement européen, nous avons organisé des dialogues entre auteurs et éditeurs. Les auteurs étaient des écrivains qui avaient réussi. La relation humaine entre l’auteur et l’éditeur a été un sujet récurrent du débat et a été considérée comme un facteur essentiel de réussite, l’auteur déclarant qu’il était heureux que son éditeur l’ait empêché de publier son premier roman dans sa version initiale.
L’auteur ayant progressé et ayant fait la réussite de son éditeur, le dialogue fut très intense. Si les éditeurs se consacrent à ce travail, ils resteront éditeurs et en vie. Faute de quoi, nous connaîtrons une relation technologique et commerciale entre auteurs et Amazon ou le développement de l’auto-édition. La meilleure défense des éditeurs tient dans leur capacité à construire une relation vraie avec les écrivains. Malheureusement, l’éditeur est un peu l’homme qui dit non. Le nombre de manuscrits qu’il reçoit au quotidien est considérable. Je ne suis pas défavorable à l’auto-édition, car elle fera émerger d’autres formes d’accès au marché à des auteurs qui n’y avaient pas accès. Il faut repérer des auteurs qui ont un potentiel. Une alchimie étonnante lie un auteur et un éditeur, et il convient de la préserver.
Jean Claude Bologne
La question de l’accès à l’édition est extrêmement douloureuse pour les auteurs. Elle n’est heureusement pas aussi catastrophique qu’on la décrit parfois. Tous les ans, la Société des Gens de Lettres organise une soirée « Premiers romans, nouveaux talents ». Il se trouve que l’an dernier cinq auteurs d’un premier roman étaient à cette table. Nous les avons questionnés sur la façon dont ils avaient été édités. Les cinq auteurs avaient envoyé leur manuscrit par la poste.
Cela ne signifie pas que tous les manuscrits envoyés par ce moyen sont édités, mais que ce qui paraissait impossible il y a vingt ans est rendu possible aujourd’hui. Je commence à connaître nombre d’éditeurs, car j’ai publié une quarantaine de livres. Certains de mes ouvrages continuent d’être refusés, ce n’est donc pas une question de copinage. Cela dit, le phénomène existe. Certains sont édités par copinage alors que de bons livres ne trouvent pas d’éditeur. Je lis souvent de bons livres sous forme de manuscrits. Nous avons beau les recommander à des éditeurs, rien n’y fait. Un éditeur m’a dit une fois qu’il ne voulait pas lire le manuscrit de M. Untel, parce qu’il aimait cet auteur et qu’il savait ne pouvoir l’éditer pour des raisons commerciales. C’est de l’hypocrisie, tout ce que vous voudrez. Quoi qu’il en soit, le copinage n’est pas la solution, pas davantage que l’envoi par la poste. La situation est un peu plus nuancée.
Il y a vingt ans, l’auto-édition était onéreuse. Les éditeurs à compte d’auteur étaient sauf exception des escrocs. Aujourd’hui, des possibilités sont offertes par l’auto-édition, voire l’édition à titre gratuit auprès d’éditeurs qui réalisent des opérations commerciales d’un autre genre. Elles permettent à des manuscrits de qualité d’émerger et des éditeurs commencent à être attentifs aux auteurs qui émergent grâce à l’auto-édition électronique. Sur le fond, vous avez encore largement raison, mais je pense que la situation est un peu plus nuancée.
Thierry Pech
Le copinage ne fait pas une stratégie éditoriale. Cela conduit plus souvent à des catastrophes qu’à des réussites.
Dans l’assistance
Le témoignage des cinq romanciers qui nous ont dit avoir envoyé leur manuscrit par la poste fut assez marquant.
Jean Claude Bologne
Je suis sûr que nous n’aurions pas reçu les mêmes réponses il y a dix ans.
Fatia Guelmane, agent littéraire
Jeune agent d’auteurs, je suis en pleine réfl exion, rédaction et travail contractuels à la fois pour les droits premiers, les droits numériques et les droits audiovisuels. J’ai suivi le Forum dans son intégralité avec grand intérêt, crainte et enthousiasme — selon les moments. Ma question a trait à la notion de temporalité que nous devons prendre 155 en compte pour « revoir notre copie », à la fois socialement et économiquement. La clause de réexamen que vous avez évoquée en est la preuve. Pensez-vous que la clause de réexamen consacrée au droit numérique pourrait être en lien avec la durée de cession des droits premiers et, partant, la protection intellectuelle pourrait-elle être réduite à court, à moyen ou à long terme ? Comment cela pourrait-il se traduire dans les contrats signés actuellement ou dans ceux qui le seront prochainement ? Peut-on envisager des clauses de réexamen tous les quinze ans, pas forcément tous les trois ans ?
Pierre Sirinelli
La clause de réexamen répond à deux objectifs : assurer le caractère juste de la rémunération et réduire l’incertitude qui entoure la vision de l’avenir. La loi future l’imposera pour les contrats futurs. Cela dit, ce n’est pas parce que la loi ne l’imposera qu’après son adoption que vous n’êtes pas en mesure de la négocier pour les conventions qui seront conclues entre aujourd’hui et la promulgation de la loi. Le bon usage peut inspirer d’autres usages. La règle est d’ordre public en ce qu’elle est destinée à protéger les gens dans le secteur numérique, mais l’ordre public ne signifi e pas qu’il ne serait pas possible de l’envisager ailleurs ou avant. Enfin, c’est votre puissance de négociation qui fera qu’elle sera peut-être admise !
Je comprends parfaitement les observations de Jean Claude Bologne. Dans le fond, auteurs et éditeurs ont conclu un accord en « bande organisée ». Les habitudes perdureront : la qualité du dialogue ne devrait pas disparaître. Dans la mesure où des lieux institutionnels sont prévus par l’accord, il faut inciter la ministre à les installer. Une personne a demandé si les nouveaux entrants avaient été un aiguillon et si c’était eux « qui avaient incité à ». Oui, peut-être. J’évoquerai l’argument mis en avant par Jean Claude Bologne, l’auteur menaçant de se tourner vers Amazon si la situation ne s’améliorait pas. C’est un premier temps de réponse. Le phénomène peut jouer aussi en sens inverse. À un moment donné, la négociation s’est trouvée dans l’impasse, car les éditeurs avaient signé un contrat avec Google. Les auteurs n’ayant pas été informés de l’initiative, un climat de suspicion s’est instauré, remettant en cause l’idée de travailler ensemble.
Pour rassurer les éditeurs, je dirai que le texte leur est également favorable. Il se fonde sur les pratiques des éditeurs vertueux avec pour objectif de les généraliser. Ainsi, celui qui consentait des efforts en faveur de l’auteur ne se retrouvera pas seul et en concurrence déloyale par rapport à l’éditeur non vertueux ou le prestataire technique qui prétendrait jouer ce rôle. S’agissant des nouveaux entrants, pourquoi un auteur céderait-il aux sirènes d’Amazon ? Parce que les pourcentages seraient plus intéressants ? En fait, il y a confusion des genres : Amazon n’est pas un vrai éditeur. Amazon va se retrouver dans une activité dérégulée là où, au contraire, nous venons de produire un texte éminemment protecteur des intérêts des auteurs. Auteur, je choisirais sans conteste un éditeur qui est tenu de respecter les obligations qui viennent d’être instaurées. Bien que ce texte crée plus d’obligations à la charge des éditeurs, par un effet de ricochet, il leur est favorable puisqu’il évite la fuite des auteurs. C’est un texte gagnant-gagnant.
J’ignore ce qui se passe à l’étranger, mais au plan législatif, nous ne sommes pas susceptibles de trouver un texte identique, car notre modèle est la marque du système de droit d’auteur français en ce qu’il encadre le droit des contrats de droit d’auteur. Rares sont les pays de par le monde qui appliquent une législation particulière aussi éminemment protectrice des intérêts des auteurs. Ce ne fut le cas en Allemagne qu’au XXIe siècle alors que cette législation est à l’oeuvre en France depuis 1957. Ces autres pays ne sont pas prêts à se doter de textes propres au contrat numérique puisqu’ils n’ont pas même de contrats spéciaux ni de réglementations propres aux contrats d’édition.
Une législation qui, non seulement promouvrait un contrat encadré par l’ordre public, mais qui reposerait au surplus sur des accords consensuels me semble inédite. Voilà pour cette observation de droit comparé.
Jean Claude Bologne
Suite à la remarque de Mme Fatia Guelmane, il convient de distinguer les accords collectifs des accords individuels. Plusieurs auteurs s’inquiètent de ne plus pouvoir signer de contrats à durée limitée. Les accords collectifs sont des accords a minima. Si certains éditeurs proposent de meilleurs contrats, bien entendu, les auteurs pourront les signer. Aucun éditeur ne pourra s’abriter derrière les accords collectifs. Le texte ne prévoit pas de limitation ; pour autant, cela ne signifi e pas que l’on ne puisse négocier une limitation de la durée de la cession des droits numériques comme des droits « papier ». Si la durée limitée est plus fréquente en Belgique, par exemple, elle est rare en France. Je me permets même de dire aux éditeurs que non seulement, conclure pour cinq ou dix ans n’est pas catastrophique, mais que c’est même souvent plus sécurisant. J’ai récupéré les droits sur certains de mes livres publiés en France avec cession pour la durée de la propriété intellectuelle, de gré à gré avec des éditeurs. En revanche, je n’ai pas récupéré les droits sur mes livres publiés en Belgique avec tacite reconduction tous les ans, parce que le jour où je voudrai les exploiter, il me suffi ra d’interrompre la reconduction. Je récupérerai ainsi mes droits dans l’année. Une telle formule est plus sécurisante pour un auteur et l’engage à rester chez son éditeur.
Certains éditeurs, et de grands éditeurs comme Gallimard, proposent dès à présent une clause de réexamen avec reprise des droits en cas de nonaccord entre auteur et éditeur. Ce n’est pas parce que nous avons accepté, dans des accords collectifs, de passer devant le juge en cas d’absence d’accord et après passage devant une commission paritaire, que Gallimard ne pourra plus proposer de clause de renégociation avec restitution des droits en cas d’échec de la renégociation. Tout reste possible au niveau des accords individuels. C’est une question de rapports de force. Nous avons négocié des accords collectifs pour fi xer une base commune à toutes les négociations entre auteurs et éditeurs. Pour le reste, certains peuvent obtenir davantage.
Vincent Fabry,stagiaire au service juridique d’Editis
Des clauses s’appliqueront aux contrats en cours. Desquelles s’agit-il ?
Pierre Sirinelli
Je suis hésitant dans la réponse car il y a ce que nous avons indiqué et ce que le législateur entend en faire.
Vincent Fabry
Certes, mais chacun a bien compris que vous avez soufflé au législateur ce qu’il convenait de faire.
Thierry Pech
Vous faites preuve d’un peu de maladresse. Si vous posez la question ainsi, M. Sirinelli vous répondra négativement. Je poserai la question différemment : Monsieur Sirinelli, vous avez dessiné en pointillé le chemin que pourrait suivre le législateur. Par où passe le pointillé ?
Pierre Sirinelli
La seule disposition qui ne serait pas susceptible d’être traitée par le nouvel accord serait celle dite de l’électroencéphalogramme plat ; plus juridiquement, la « clause de fi n d’exploitation ». Cette dernière est en effet trop novatrice pour être susceptible d’être appliquée aux contrats déjà conclus. Dans les autres cas, on se place dans l’hypothèse d’une application immédiate ou d’une application avec moratoire qui laissera le temps aux éditeurs de s’adapter. Ils prennent de plein fouet les effets de la loi nouvelle sur des relations préexistantes, laissons-leur le temps d’instaurer les outils permettant la mise en oeuvre de la solution.
Vincent Montagne
La clause de fin d’exploitation s’applique quatre ans après la publication de l’oeuvre si, pendant deux exercices successifs, les redditions de comptes font apparaître qu’il n’y a pas eu de droits versés, ou crédités en compensation d’un à-valoir, au titre des exploitations prévues. Il est évident que l’appliquer aux contrats anciens serait compliqué. C’est pourquoi nous avons donc décidé qu’elle ne s’appliquerait qu’aux contrats conclus après l’entrée en vigueur de la loi.
Pour les séries, à l’instar des séries en bandes dessinées, la problématique des droits est complexe. Je l’ai vécu en Belgique. J’avais signé des contrats de trente ans pour la bande dessinée Blake et Mortimer ; il a fallu racheter la série. Edgar P. Jacobs s’étant fait circonvenir, il avait cédé ses droits à son vendeur de chaîne hi-fi , à un courtier en assurances et à un troisième homme, qui se les sont partagés. Pour finir, l’auteur réalisant qu’il avait peut-être fait une bêtise a sollicité l’avis de la maison Gallimard, qui lui a confi rmé que c’était bien une catastrophe. La chance pour les Editions du Lombard que nous reprenions à l’époque, c’est que ces trois personnes se sont brouillées et ont été obligées de revendre leurs droits. Mais elles se sont enrichies sur le dos de la maison d’édition et sur celui d’Edgar P. Jacobs. Dans cet exemple, la durée de la propriété intellectuelle constituait une garantie pour l’auteur.
Thierry Pech
Je suis frappé par le fait que les usages finaux — les modes de lecture — se soient transformés rapidement dans le monde de la presse alors qu’ils semblent progresser très lentement dans le monde de l’édition. Comment l’interpréter ? Est-ce une bonne nouvelle ou cela masque-t-il une lente désaffection envers le livre ?
Françoise Benhamou
Pour que les usages décollent, il ne faut pas uniquement des matériels, il faut une offre aisée d’accès et des prix qui correspondent au consentement à payer. Enfin, il faut un élément déclencheur qui fasse effet de levier. J’ai toujours pensé que l’habitude croissante de lire la presse sur tablette conduirait progressivement au livre numérique. Les années qui viennent le montreront. Aux États-Unis, le livre numérique représente environ 20 % du marché ; pour certains éditeurs, cette proportion dépasse les 30 %. Je sais bien que les moeurs et le rapport à la culture ne sont pas les mêmes aux États-Unis et en France, mais cela indique quelque chose. L’usage du numérique peut stagner longtemps et décoller soudainement parce que les conditions sont réunies.
Vincent Montagne
Les liseuses et les tablettes ont fait leur apparition en Europe en 2011, alors qu’elles ont commencé à faire leur chemin dès 2007 aux États-Unis. Quatre années c’est beaucoup. Pour le reste, l’offre est là qui a encore progressé de 30 % puisque désormais 130 000 livres francophones sont accessibles en numérique. L’offre est présente, les tablettes prennent leur place. Lorsque la tablette Kindle a été commercialisée en Europe, les iPad étaient déjà présents. La concurrence existait entre les différents supports.
Jean Claude Bologne
Une réaction qui témoigne de l’inquiétude de tous les auteurs : lorsque le Kindle est arrivée aux États-Unis, elle faisait état de 350 000 titres disponibles en anglais. À son apparition en France, on parlait de 35 000 titres référencés. Tout à trac, on apprend à raisonner non plus en termes de livres, mais de bibliothèque. C’est très perturbant pour un auteur de constater qu’il n’est que le 1/350 000e de l’offre. C’est pourquoi les discussions sur les bouquets, dont les offres sont multiples, sont parfois compliquées. L’auteur se sent un peu perdu dans une bibliothèque qui n’est pas la sienne et face à des offres dont les critères ne lui apparaissent pas immédiatement. Lorsque vous ouvrez une tablette ou une liseuse, on commence par vous proposer des livres gratuits avant de vous présenter les oeuvres payantes, qu’il faudra, en outre, balayer largement pour trouver le livre qui vous intéresse. Les changements induits par le numérique perturbent les habitudes traditionnelles de lecture. J’espère que cela peut expliquer la désaffection que l’on commence à percevoir pour des offres qui ne sont pas celles auxquelles nous sommes habitués.
Thierry Pech
Personne ne reprend l’argument selon lequel il pourrait y avoir discrimination entre les formes brèves et les formes longues ? Je lis Vie et destin de Vassili Grossman. Des personnes aux États-Unis lisent-elles des ouvrages de 700 pages sur des tablettes ? La consommation de lectures numériques ne porte-t-elle pas davantage sur des formes plus brèves, comme la presse ?
Françoise Benhamou
Il faudrait étudier de plus près les pratiques effectives. Aux États-Unis, les best-sellers se vendent très bien sous forme numérique. Ils sont gros, mais divisés en chapitres courts et très normés. Votre remarque suppose des études fines, qui n’existent pas, me semble-t-il. Il est, en outre, difficile d’extrapoler les comportements de lecture et d’achat d’un pays à un autre, certains adoptant plus rapidement que d’autres certaines habitudes de lecture. Reste que c’est là une hypothèse intéressante.
Jean Claude Bologne
Permettez-moi de quitter ma casquette de participant à cette table ronde et de reprendre celle de Président de la Société des Gens de Lettres pour accueillir Vincent Monadé qui, depuis hier, est le nouveau président du CNL. Sa première visite officielle est donc pour nous, dans le cadre de ce Forum et auprès des auteurs, ce dont nous sommes particulièrement heureux. Je me permets, au nom de tous, de le féliciter pour cette nomination. Monsieur le Président, souhaitez-vous dire un mot ?
Vincent Monadé
Je serai très bref parce que je ne serai en fonction officielle que demain matin, moment où je prendrai mes fonctions. Ce n’est pas un hasard si ma première sortie est pour la SGDL. Je souhaite que ce geste imprime le mandat que Madame la ministre m’a fait l’honneur de me confier.
Jean Claude Bologne
Merci à chacun d’avoir participé à cette table ronde.