♦ Nicolas Binctin
La vie de l’auteur ne se limite pas à sa partie créatrice, et ses revenus doivent lui permettre de s’inscrire dans un contexte où la protection sociale est un élément extrêmement important de sa liberté, de sa capacité à mener une vie sociale, à vieillir, avec un droit à la retraite, en résumé de pouvoir bénéficier de l’ensemble des mécanismes de notre organisation sociale. Ces éléments de la vie quotidienne renvoient à une question qui a été abordée pendant la table précédente : écrire est-ce un métier ou est-ce une activité ? Et, quelle que soit la réponse, si vous avez une activité d’auteur, le législateur a pris le parti de vous obliger à vous doter d’une protection sociale. Cette protection sociale a été profondément réformée au milieu des années 70 et les auteurs sont passés du statut de travailleurs indépendants à une protection spécifique calquée sur celle des salariés, sans que pour autant ils soient des salariés.
La solution est compliquée puisque le législateur a proposé une analogie construite sur des cotisants qui ne sont pas des salariés, des exploitants qui ne sont pas des employeurs et un mécanisme social qui est pensé sur des bases de cotisations (celles des salariés) que ne pourraient pas atteindre les auteurs. Donc, il s’ensuit un réaménagement complet du modèle de référence pour permettre aux auteurs d’atteindre un niveau de protection sociale similaire à celui offert aux salariés, qui passe par une construction originale faisant intervenir la solidarité nationale. C’est-à-dire que, pour donner aux auteurs le même niveau de protection sociale qu’aux salariés, la solidarité nationale financera l’écart entre les cotisations des auteurs et le coût effectif de leur protection sociale.
Dans cette organisation, figure une multitude d’intervenants. Quand nous parlons de Sécurité sociale, il y a les contributeurs, les bénéficiaires, et selon la nature des prestations fournies, les organismes de collecte et les organismes de gestion. C’est cet ensemble complexe qui aboutit à permettre l’existence d’un système social. L’enjeu de notre table ronde est double. Avant tout, il est de permettre de faire un point sur le mécanisme tel qu’il existe aujourd’hui mais aussi d’aborder les éventuels projets de réformes qui ont été envisagés plus précisément. Je vais passer la parole sans plus attendre à Samuel Souffoy afin qu’il nous présente le cadre actuel dans lequel la protection sociale s’organise.
♦ Samuel Souffoy
Sans entrer dans les arcanes du droit de la Sécurité sociale, je vais essayer d’expliquer simplement. Les artistes-auteurs, bien que travailleurs indépendants, ont été assimilés en droit de la Sécurité sociale à des salariés. Ils restent travailleurs indépendants en droit du travail, mais ils sont assimilés à des salariés en droit de la Sécurité sociale; ils ont donc été rattachés au régime général de la Sécurité sociale au milieu des années 70. Ce rattachement est basé sur une double fiction, une double assimilation, c’est-àdire que les artistes-auteurs sont considérés comme des salariés et leurs diffuseurs sont assimilés à des employeurs.
Première conséquence : les cotisations des artistes-auteurs ne sont plus celles des travailleurs indépendants qui supportent l’équivalent d’une charge salariale et d’une charge patronale – à hauteur d’un peu plus de 45 %. Les artistes-auteurs ne supportent que la part salariale du régime général de Sécurité sociale, c’est-à-dire 15,80 %, sans la retraite complémentaire. L’équivalent de la part patronale (c’est-à-dire la contribution employeur) a été fixée à 1,1 %, formation professionnelle comprise. Ensuite, dans le droit commun de la Sécurité sociale, l’affiliation représente simplement l’inscription qui précède toujours l’assujettissement. Être assujetti, c’est être redevable de cotisations et de contributions sociales. Tous les artistes-auteurs sont assujettis et seulement quelques-uns sont affiliés. L’affiliation joue un peu le rôle d’un certificat de professionnalité pour les auteurs. Ils sont tous assujettis, mais seulement certains sont affiliés à la MDA (Maison des Artistes) ou à l’AGESSA. La MDA et l’AGESSA ont reçu l’agrément d’associations loi 1901 du ministère au milieu des années 70. La MDA existait en tant qu’association et s’occupait déjà des métiers de la création artistique ; l’AGESSA, elle, a été créée de toutes pièces pour la Sécurité sociale des auteurs.
Cette affiliation a généré des droits spécifiques aux artistes-auteurs, notamment la possibilité de cotiser sur une assiette protectrice qui correspond à 900 fois la valeur horaire du Smic et qui permet de valider quatre trimestres de Sécurité sociale. Jusque début 2014, pour valider quatre trimestres au régime général, il fallait avoir cotisé 800 heures. Mais comme l’exercice social des artistes-auteurs se fait du 1er juillet au 30 juin, plus l’inflation et la revalorisation du plafond de la Sécurité sociale, ceux qui gagnaient juste à la limite du seuil de 800 fois la valeur horaire du Smic n’auraient validé que trois trimestres et non pas quatre. Aujourd’hui, depuis début 2014, pour valider quatre trimestres de retraite, il faut, pour un salarié, gagner 600 fois la valeur horaire du Smic. Ce seuil devrait également être révisé pour les artistes-auteurs.
L’affiliation donne également la possibilité d’agréger des activités complémentaires aux revenus d’artistes-auteurs plutôt que de cotiser pour une partie au RSI (Régime Sociale des Indépendants) et, pour une autre, au régime général via la MDA et l’AGESSA. L’affiliation ouvre le droit à la formation professionnelle qui existe aussi au régime général, cela a été une adaptation de la réforme qui a été faite récemment pour les artistesauteurs. Nous essayons d’adapter à des travailleurs indépendants les fondamentaux du régime général des salariés de la Sécurité sociale. On peut dire que nous sommes dans un régime jeune avec des droits ouverts récemment : les activités accessoires, la formation professionnelle et ce n’est pas fini. D’où le projet de réformes, pour franchir une étape et essayer d’adapter le régime général à des travailleurs indépendants. Pour terminer, je vais évoquer l’action sociale qui existe aussi dans d’autres régimes, mais pas nécessairement sous cette forme. L’action sociale au régime des artistes-auteurs est avant tout une prise en charge partielle ou totale de cotisations, via la commission de l’action sociale. C’est encore une adaptation de l’action sociale telle qu’elle est connue dans les autres régimes.
Sur les principes de base, on retrouve aussi des droits non adaptés comme le chômage ou les accidents du travail, les maladies professionnelles qui sont des droits qui existent dans la protection sociale des salariés. Je ne parle que de Sécurité sociale puisque le chômage n’entre pas vraiment dans le cadre de la Sécurité sociale, et de la protection sociale au sens large qui est gérée par le ministère du Travail. Les accidents du travail, les maladies professionnelles sont beaucoup plus complexes à mettre en place et nécessitent ce que nous appelons une étude de sinistralité, c’est-à-dire quelle profession, quelle activité peut engendrer quelle maladie professionnelle, quel type d’accident du travail ? Le financement de la couverture ATMP (Accidents du travail et maladies professionnelles) est financé intégralement par une cotisation patronale.
♦ Nicolas Binctin
Geoffroy Pelletier, comment voyez-vous ce mécanisme de protection sociale des auteurs ?
♦ Geoffroy Pelletier
Nous sommes très favorables au régime actuel même si des améliorations doivent y être apportées ; je pense en particulier aux auteurs qui découvrent au moment où ils prennent leur retraite qu’ils ont cotisé pendant des années et des années pour rien. C’est toute la différence entre assujetti et affilié, et cette particularité toute française de l’affiliation à l’AGESSA qui est une obligation volontaire, c’est-à-dire que vous êtes obligé de vous affilier, mais si vous ne le faites pas, on ne viendra pas forcément vous chercher. Ce qui a provoqué des situations délicates où des auteurs, au moment de prendre leur retraite, pensaient qu’ils avaient cotisé, puisqu’il y avait une cotisation de la part des diffuseurs et notamment des éditeurs, mais ces cotisations ne concernaient que la Sécurité sociale et pas la retraite.
Il y avait donc une amélioration à envisager sur l’information aux auteurs, information à laquelle les éditeurs pouvaient participer ; il fallait également une affiliation systématique, comme le voulait la loi. De là à faire une réforme aussi importante que celle qui est prévue aujourd’hui, autant vous dire que nous ne sommes pas favorables. Ce n’était pas une priorité ni une demande des auteurs. La suppression de l’AGESSA et de la MDA pour créer une caisse unique n’est pas une attente de nos professions. Tout ce qui avait trait à l’identification et à l’information nous semblait plus important et aurait pu être résolu d’une tout autre manière. Ce qui nous ennuie le plus dans ces points de réforme, c’est notamment l’éventualité d’une cotisation pour tous au premier euro, c’est-à-dire que tous les assujettis devront désormais cotiser pour la retraite dès le premier euro de droit d’auteur perçu, ce qui représente une diminution de 6,75 % de tous les revenus des auteurs assujettis, sans qu’il y ait forcément d’ouverture de droits dans un certain nombre de cas : les auteurs retraités, les auteurs les plus pauvres, ceux qui aujourd’hui cotisent en deçà d’un trimestre de cotisations, c’est-àdire en deçà de 1 500 € par an, et qui représentent pratiquement 75 % des auteurs assujettis. Quid également de la possibilité d’agréger des revenus qui seront issus de plusieurs diffuseurs ? Rares sont les auteurs qui n’ont qu’un seul éditeur. Comment cette caisse sera-t-elle en mesure d’agréger les revenus et les trimestres ? Qui plus est, entre les revenus d’un auteur en droit d’auteur et ses revenus en tant que salarié, indépendant ou fonctionnaire, puisque ce sont des caisses différentes. Tout cela, dans un contexte de grande précarité des auteurs et d’incertitude sur les revenus à venir. Nous voyons une accumulation de réformes, de rapports, de mesures qui sont prises et qui viennent diminuer des revenus dont nous estimons les uns et les autres qu’ils sont déjà en perte de vitesse.
Dernier point, pour aller très vite sur cette réforme, la suppression annoncée de la distinction affilié/assujetti. Quelles en seront les conséquences surla formation continue ? Nous savons qu’aujourd’hui, pour la formation continue, les critères d’éligibilité sont différents selon que l’on est affilié ou assujetti. Pour les revenus accessoires dont nous venons de parler à la table ronde précédente, nous savons qu’il y a des différences selon que l’on est affilié ou assujetti ; ira-t-on dans le sens qui nous serait favorable en permettant à tout le monde sans distinction d’être payé en droit d’auteur pour toutes les activités annexes ? Autre point, qu’en sera-t-il des commissions professionnelles ? Et du travail de la commission d’action sociale ? Les auteurs, qui ont les plus bas revenus et qui avaient la possibilité de cotiser au-dessus de leurs revenus, pourront-ils continuer à le faire ou cotiseront-ils strictement à la hauteur de leurs revenus ? Et dernier point, quelle réflexion sur une contribution accrue des diffuseurs ? Pourquoi faire peser toute cette réforme sur les seuls auteurs ? Vous l’avez dit, ils ne sont ni vraiment des salariés ni vraiment des indépendants et, aujourd’hui, nous avons l’impression que, plus ça va, plus ils vont cumuler les inconvénients du salariat et ceux du régime indépendant sans plus avoir aucun de ces bénéfices, puisqu’il y a un détricotage, maille après maille, du statut social qu’on avait créé pour eux. Pourquoi la cotisation de 1 % des éditeurs depuis 1977 n’a-t-elle jamais changé ? Alors si, il y a quelque temps, nous sommes passés avec la formation continue à 1,1 %, je m’excuse...
Pourquoi est-ce que, sur ces pistes-là, rien n’a été évoqué, rien n’a commencé à être discuté ? La SGDL et d’autres associations ont proposé d’autres pistes pour venir compléter ces cotisations sociales. Nous avons pensé par exemple aux livres d’occasion. Nous parlons de plus en plus du livre d’occasion ; nous n’avons pas beaucoup d’études ni beaucoup de chiffres. Tout ce que nous savons c’est que lorsque des livres d’occasion sont vendus, il n’y a bien que l’auteur et l’éditeur qui ne perçoivent rien, puisque même l’État n’a pas oublié de percevoir une part de TVA. Quid du domaine public ? Nous savons qu’il y a une grande part des ouvrages qui appartiennent au domaine public et qui sont commercialisés. Je veux bien que ce soit gratuit, mais ceux qui commercialisent le domaine public ont des revenus et pourquoi ces revenus ne participeraient-ils pas éventuellement au financement de ces cotisations sociales ? Ce serait une sorte de solidarité « super-intergénérationnelle », puisque plus de 70 ans après leur mort, les auteurs pourraient aider ceux qui aujourd’hui sont en difficulté financière.
Il est absolument impossible de discuter d’une révolution complète pour le statut social de l’auteur sans qu’il n’y ait la moindre consultation entre les parties prenantes. Il y a eu une réunion tout à fait ubuesque : les associations d’artistes étaient représentées ainsi que l’ensemble des associations d’auteurs ; nous avons posé des questions, demandé des explications. Aucune réponse ! Nous ne sommes pas radicalement opposés à un projet de réforme, sans vouloir rien entendre… Nous voulons participer à cette réflexion et comprendre s’il y a un éventuel intérêt pour les auteurs. Actuellement, il n’y a aucune concertation ; ce n’est pas possible, ça ne peut pas durer. Un calendrier a été annoncé par la ministre, lors de son audition à l’Assemblée nationale, annonçant une loi au premier semestre 2015, dont les éléments sur le statut social des auteurs, et nous n’avons toujours pas commencé à discuter !
♦ Nicolas Binctin
Pour continuer avec l’avis des auteurs, je vais passer la parole à Mathieu Gabella qui va continuer à exposer le point de vue des auteurs.
♦ Mathieu Gabella
Geoffroy Pelletier a très bien expliqué les problèmes, d’une façon plus technique et plus pointue que je ne le ferai ; il a très bien résumé la situation. Moi, je parle pour les auteurs de bandes dessinées, et notre sentiment a l’air partagé, car, lorsque nous nous sommes mobilisés en mai, nous avons été soutenus par beaucoup de gens. J
usqu’à présent, les auteurs avaient fait le choix d’une certaine forme de précarité, des aléas du métier ; ils savaient ce que c’était que d’être auteur et quand ils prenaient le risque d’abandonner un métier ou même de ne pas avoir de métier salarié pour exercer celui d’auteur, ils savaient où ils allaient, ils avaient conscience que leurs chances de survie et leur qualité de vie dépendaient tout simplement de leur succès.
Aujourd’hui, il y a une crise dans le livre qui provoque une baisse des revenus. Est-elle proportionnelle à la crise ? C’est la grande question. De plus, on s’aperçoit qu’il y a cet énorme projet de réforme. Je vais faire une petite chronologie. Cela fait un an et demi que je suis représentant au Conseil permanent des écrivains avec Geoffroy Pelletier, ainsi que d’autres auteurs. Nous avons vu passer des clauses contractuelles, des auteurs qui avaient des problèmes de rémunération, des contrats qui se verrouillaient de plus en plus. Nous étions mobilisés sur ces questions, en nous rendant compte que les problèmes s’ajoutaient petit à petit, en venant « de plus haut », et sans les voir venir. Nous n’en avons pas beaucoup parlé, mais il y a la question des droits d’auteurs au niveau européen, au niveau parlementaire et la censure aussi récemment. Il y a aussi les problèmes de revenus pour tous ceux qui vivent des activités scolaires. Et puis, il y a cette espèce d’énorme projet de réforme de la Sécurité sociale qui est arrivé et qui a commencé à nous inquiéter ; nous en parlions, il y a eu des concertations.Mais pour nous, les auteurs, c’est trop technique et diffus ; la Sécurité sociale signifie des appels à cotisations, le droit de se faire rembourser et c’est à peu près tout. Nous grognons quand on est un peu trop prélevé et qu’il faut faire une demande de remboursement, mais c’est très pragmatique. Et quand nous avons commencé à entendre parler, en début d’année, de la problématique du seuil d’affiliation, de commissions et de logistiques, nous avons commencé à être plus tendus. D’une certaine manière, L’IRCEC a été le « déclencheur », même si ça n’aurait pas dû l’être, qui a mobilisé les auteurs de bandes dessinées et qui a débouché sur une lettre pétition en ligne. Au CPE nous nous sommes aperçus, notamment au travers des réseaux sociaux, que nous n’étions pas les seuls dans la BD à penser que 8 % c’était trop pour nous et qu’il fallait qu’on en discute, qu’il fallait examiner les aménagements possibles… J’ai le sentiment qu’une mobilisation des auteurs est en train de se mettre en place face à une double problématique : d’un côté les revenus et de l’autre les réformes de Sécurité sociale et de retraite complémentaire.
Pour l’anecdote, il y a eu une mobilisation avant l’été sur Facebook qui a fait bouger les lignes, mais qui n’a rien apporté de concret. À Saint-Malo, deuxième festival de bande dessinée en termes d’audience, nous avons dialogué avec les festivaliers qui voulaient nous aider et nous avons lancé une action qui a été mal perçue au début. Nous avons demandé à tous les auteurs de débrayer pendant une heure et demie, nous ne voulions pas impacter l’économie du festival. Nous avons dit : « Levez tous les crayons. Arrêtez tous de dédicacer et venez à l’amphithéâtre pour vous informer, pour voir si vous êtes capables de vous mobiliser et de bouger. » Et ça, c’était nouveau dans le milieu de la BD. Un auteur de BD a dit : « Nous sommes un troupeau de chats, on est incapable de se fédérer, de se mobiliser. » Nous voulions voir si ça allait marcher et ça a marché, ça a été un succès. Il y a même des éditeurs qui sont venus dans la salle qui pensaient qu’on allait juste parler de la problématique de l’IRCEC et pour laquelle, c’est facile, ils ne sont pas concernés. Ils ont bien vu que nous parlions d’autres sujets aussi, et notamment de la rémunération. L’amphi était plein et ce fut un vrai succès. Nous avons touché des auteurs de tous les âges et de tous les niveaux de revenus. Cette mobilisation a lieu aussi dans d’autres secteurs, notamment dans celui de la jeunesse. Nous savons qu’il se prépare des choses à Montreuil et, espérons-le, des éléments concrets, peut-être même un peu spectaculaires ; je peux dire que les auteurs de BD sont en soutien. Nous voulons que cette mobilisation autour de cette double problématique continue : les réformes concernant la Sécurité sociale et la retraite, et nous devons parler également des revenus.
J’ai l’impression que c’est possible et j’espère que cela aura lieu.
♦ Nicolas Binctin
Merci beaucoup. La question pour « le troupeau de chats » ou pour les autres, est la même : quelle assiette sera prise en considération pour les cotisations ? Faut-il garder le taux en augmentant l’assiette, faut-il conserver l’assiette et augmenter le taux ? Tout cela a naturellement un impact sur le mécanisme et, sous l’angle des revenus, il faut avoir à l’esprit qu’entre la cotisation et les prestations servies, il y a un effet qui compte sur la globalité des revenus disponibles pour les bénéficiaires. Nous allons maintenant écouter les gestionnaires des différents mécanismes et notamment les points de vue de l’IRCEC, de l’AGESSA et la position du ministère de la Culture. Une grande partie des questions concerne des questions paritaires. Quand il y a du paritarisme, la position de l’administration est « spéciale » ; elle accompagne, mais elle n’est pas nécessairement le guide.
♦ Angela Alves
Si j’évoque la réforme, c’est celle du régime de retraite complémentaire puisque je représente la caisse de retraite complémentaire IRCEC. Je peux rebondir sur ce qui a été dit depuis tout à l’heure. C’est vrai que l’assimilation des auteurs aux salariés depuis les années 70 s’est faite uniquement pour le régime de base de la Sécurité sociale. Nous n’avons pas été jusqu’au bout de l’assimilation puisque, pour la retraite complémentaire, les auteurs sont gérés par une caisse de Sécurité sociale qui est autonome et qui fonctionne selon les règles des caisses de professions libérales. C’est important de le dire parce que la caisse est gérée directement par les auteurs, les conseils d’administration de l’IRCEC sont composés uniquement d’auteurs. Quand je parle d’auteurs, je sais qu’ici nous sommes à la Société des Gens de Lettres, donc nous pensons forcément aux auteurs de l’écrit, mais l’IRCEC est la caisse de retraite complémentaire de l’ensemble des artistes-auteurs, qu’ils soient AGESSA ou Maison des Artistes, et, à l’intérieur de l’IRCEC, il y a les écrivains, et les traducteurs littéraires qui ne représentent que 10 % de la population affiliée à l’IRCEC. C’est vrai qu’à l’IRCEC, nous tenons compte de l’ensemble des problématiques qui change d’une activité à l’autre. Les écrivains et les traducteurs littéraires ont un statut un petit peu particulier à l’IRCEC puisqu’ils sont arrivés en 2004. Avant 2004, les écrivains et les traducteurs n’avaient pas de retraites complémentaires. C’est vrai que nos mécanismes de Sécurité sociale en France sont un petit peu complexes. Nous ne sommes pas dans les pays du Nord où les cotisations se font à une seule caisse, que ce soit pour la retraite de base ou pour la retraite complémentaire. En France, il y a toujours deux niveaux de retraites : la retraite de base et les retraites complémentaires.Pour vous donner un exemple, chez les salariés il y a la retraite de base, qui est le régime général, et il y a les complémentaires qui sont gérées par les caisses AGIRC-ARRCO. L’équivalent pour les auteurs de l’AGIRC et de l’ARRCO, est l’IRCEC. L’IRCEC gère trois régimes de retraites complémentaires obligatoires : le régime commun à l’ensemble des artistes-auteurs, le RAAP (Régime de Retraite Complémentaire des Artistes et Auteurs Professionnels) – j’insiste sur ce point parce que c’est un régime qui a été bâti selon le concept de l’auteur professionnel –, le RACD (Régime de retraite complémentaire des auteurs et compositeurs dramatiques et auteurs de films), qui est le régime des droits de diffusion de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) et des contrats producteurs et, le RACL (Régime de retraite complémentaire des auteurs et compositeurs d’oeuvres musicales), dont les droits sont générés par les droits de diffusion Sacem.
Nous allons nous focaliser ici sur le RAAP qui est le régime commun. Il existe depuis les années 60, mais les écrivains et les traducteurs littéraires ne cotisent que depuis 2004. Le fonctionnement de ce régime est un petit peu particulier puisque, dans les années 60, la problématique des retraites complémentaires était d’apporter un petit complément de revenus au moment de la retraite en plus du régime de base. Chaque groupe professionnel a ainsi constitué sa retraite complémentaire, c’est pour cela qu’il y a les caisses de professions libérales, celles des artisans commerçants et celle des artistes-auteurs. C’est une particularité, les artistes-auteurs ont leur caisse de retraite complémentaire qui est autonome, gérée directement par les auteurs, et qui a le statut de caisse nationale. Vous parliez de paritarisme, il n’y a pas de représentation paritaire au sein de l’IRCEC, le paritarisme étant la représentation à la fois des actifs et des employeurs au sein du conseil d’administration. À l’IRCEC, les conseils d’administration ne sont vraiment composés que d’auteurs et pour cause, puisqu’il n’y a pas d’employeurs et que les auteurs sont les seuls à cotiser pour leur retraite. La charge de la protection sociale complémentaire aujourd’hui est uniquement à la charge des auteurs. Donc, il est vrai que chaque changement dans ce régime de retraite complémentaire va avoir un impact sur l’auteur puisqu’il est le seul à le supporter. Geoffroy Pelletier disait que certaines personnes ont eu l’impression d’avoir cotisé toute leur vie pour avoir des droits à la retraite et, au moment du départ en retraite, s’aperçoivent qu’ils n’en ont pas ; et nous en voyons de plus en plus, bien évidemment puisque le régime date des années 70. De nos jours, la conception de la retraite complémentaire prend une autre dimension alors qu’à l’époque on pensait que c’était un plus par rapport au régime de base. La perception du revenu du droit d’auteur a changé depuis les années 60. Les auteurs qui ont bâti lessystèmes de protection sociale à l’époque se sont dit : « Nous pouvons vivre de nos droits d’auteur dont la particularité, par rapport aux autres revenus d’activités, est que nous pouvons encore le percevoir même après un départ en retraite. » Les indépendants avaient la même problématique, les artisans se disaient : « Nous ne voulons pas investir dans notre retraite complémentaire puisque nous aurons le retour sur investissement de notre fonds de commerce ou de notre clientèle, au moment où nous partirons à la retraite. » Toutes ces conceptions économiques ont changé. Aujourd’hui, le médecin à la retraite ne vend plus sa patientèle ; si un jeune médecin ouvre un cabinet à côté, il reprend la patientèle automatiquement. Pour les droits d’auteur, c’est pareil, comme le disent les auteurs depuis ce matin : les revenus ont changé, les revenus ont baissé. Aujourd’hui, dire que l’on peut compter sur ses droits d’auteur après son départ en retraite, c’est de moins en moins vrai. C’est pour toutes ces raisons que le régime de retraite complémentaire s’est intéressé à la situation de ces retraités. Il ne faut pas oublier que le régime du RAAP est bâti sur un système obligatoire, mais optionnel. C’est-à-dire que vous êtes obligé, dès lors que vous avez ce fameux seuil d’affiliation, de cotiser à la retraite complémentaire en faisant le choix de votre classe de cotisation.
♦ Nicolas Binctin
Et pour l’AGESSA ?
♦ Thierry Dumas
L’exercice est un peu périlleux parce que je ne vais pas refaire un historique de l’AGESSA, d’autant plus que Samuel Souffoy vous a dit de manière très simple et pédagogique ce qu’il en était et que la thématique de cette table ronde projette un futur, mais il y a pour le moins des incertitudes quant à ce futur comme Geoffroy Pelletier l’a également évoqué. En tant que directeur de l’AGESSA, je n’ai pas à intervenir dans le débat de fond sur ce que doivent être les réformes et leurs contenus. Il vous appartient, à vous, organisation professionnelle et au pouvoir public de décider : faut-il une caisse ou pas ? Quelles seraient ses missions ou pas ? Quelle serait sa gouvernance ?...
Moi, en tant que directeur, j’ai à mettre en oeuvre une politique qui doit être définie par les partenaires et les pouvoirs publics, mais je n’ai pas à me positionner sur les débats de fond qui sont les vôtres et dont je comprends qu’ils vous préoccupent.
Je voudrais néanmoins dire certaines choses qui me sont venues à l’esprit pendant que j’écoutais Geoffroy Pelletier. J’aurais peut-être, si je puis me permettre, sur certains points une analyse un peu différente à donner et peut-être un ou deux messages à faire passer, sait-on jamais ? Je ne saispas ce que devrait être le futur, mais je sais que le statu quo pose un certain nombre de problèmes, et je voudrais faire le lien avec ce qui a été dit. Je voudrais au nom de l’AGESSA m’inscrire en faux sur une idée qui se répand indiquant que nous serions uniquement dans une optique de recouvrement et que techniquement nous ne serions pas prêts à en assurer les droits correspondants. Je ne me situe pas sur le débat de fond, mais effectivement si l’on nous donne des consignes sur un avenir, quel qu’il soit, même si la caisse ne se fait pas, je pense qu’il faudra aménager le statu quo et il y aura donc des mesures à prendre. Quelles que soient ces réformes, nous aurons une mission et ma responsabilité de directeur de l’AGESSA est d’assurer notre efficacité et notre réactivité lorsque la feuille de route sera claire. Bien sûr que notre métier est effectivement d’assurer une protection sociale aux auteurs, ne pensez pas que l’on se dise qu’il faut faire rentrer de l’argent à tout prix sans qu’il nous importe d’en assurer les droits qui y sont afférents. J’entends bien – mais je ne vais pas rentrer dans ces débats –, que, pour les gens, il n’est pas indolore de payer des cotisations supplémentaires dans un environnement qui n’est pas extrêmement mirobolant, et c’est un euphémisme, car ce sont des cotisations qui sont relativement importantes. Dans le même temps et il faut faire passer ce message, même s’il n’est ni sexy ni populaire, c’est que, si on veut une protection sociale, il faut des cotisations en regard. Aujourd’hui, on ne peut pas à la fois dire depuis 1978 que l’AGESSA existe, nous sommes entre deux eaux juridiques, nous sommes une sorte de pseudo AXA, alors que nous devons être un organisme de Sécurité sociale. Effectivement, nous n’imposons pas l’obligation, donc les gens ne viennent que s’ils le veulent. Nous avons fait un réel effort en termes de communication à laquelle la SGDL et le SNE ont pris part ; cela a permis de faire mieux connaître l’AGESSA. Une partie des assujettis a des revenus supérieurs au seuil, nous pourrions donc leur appeler des cotisations. Mais ce n’est pas le souhait du conseil d’administration de l’AGESSA, lui-même reflet de la volonté des auteurs. Nous avons donc pris une décision intermédiaire : adresser un courrier chaque année préconisant de cotiser pour les revenus au-dessus du seuil. Si nous avions une logique purement Sécurité sociale, nous obligerions les cotisations auprès des revenus supérieurs au seuil. Ces problématiques ne sont pas simples et ce système est bancal depuis 35 ans, mais il y a une solution qui est celle de la cotisation au premier euro, ça peut marcher. J’ai conscience que cela fait des revenus en moins. Mais quelles que soient les modalités choisies, il faut qu’il y ait un financement si nous voulons y rattacher des droits. Les décisions ne sont pas prises.
Je vais me permettre de citer deux précédents car, si je ne le fais pas, quile fera ? Nous sommes devenus prestataires de services pour le RACD pour qui nous faisons le recouvrement, cela a été décidé en trois mois. Je ne vais pas rentrer dans les détails sur les contrats avec les producteurs, mais en trois mois, ils nous ont demandé de mettre en place un système ; nous l’avons fait et ça marche. Sur la formation professionnelle, il nous a été demandé d’être opérationnels au 1er juillet 2012 et nous l’avons été. Je ne dis pas que grâce à l’AGESSA tout sera parfait, mais nous avons répondu présents. Ne prévoyons pas le pire, peut-être que nous arriverons à apporter des améliorations. Mes propos ne sont pas démagogiques. Notre travail est d’essayer de vous offrir des services et d’assurer la protection sociale.
♦ Nicolas Binctin
Nicolas Georges, peut-être que vous pourriez nous donner le point de vue de la perception de cette évolution pour le ministère de la Culture ?
♦ Nicolas Georges
C’est un exercice assez périlleux évidemment…
Je ne devrais pas être le seul à parler de ce sujet puisque vous le savez, le ministère de tutelle, le ministère le plus opérationnel sur cette question n’est pas le ministère de la Culture. Mais les ministères sociaux n’endossent pas les responsabilités, et du point de vue de la communication, c’est la ministre de la Culture et ses services qui se retrouvent en première ligne. C’est un exercice qui n’est pas facile pour toute une série de raisons et de contextes. Première raison c’est que c’est une matière extrêmement technique, et moi qui ai commencé par la force des choses à m’y mettre il n’y a pas longtemps, avec mes collaborateurs que je salue ici, nous pouvons vous dire que ça nous a demandé un investissement personnel alors que ce n’était pas notre vrai métier, que ce sont des questions qui, au ministère de la Culture, sont traitées par d’autres collègues qui impliquent un investissement technique extrêmement important. Technicité de laquelle il faut s’extraire si nous voulons en tirer le discours politique essentiel dans le cadre de réformes que nous proposerons à la ministre. Mais le fait est que nous n’avons pas réussi à faire émerger les quelques idées fortes qui sous-tendaient ces réformes. Le discours est resté technique et n’a pas été assez simplifié, ce qui fait qu’il n’a pas été compris et que certains se sont emparés de cette question dans un contexte difficile. De plus, il est bien entendu regrettable qu’il n’y ait pas eu de concertation et nous allons en mettre une en place.
Autres éléments de contexte importants qui ne sont pas à négliger, c’est que plusieurs réformes se sont entrechoquées, deux réformes socialesse sont mêlées par le hasard de la chronologie d’une certaine manière, mais qui, je pense, devraient être traitées en même temps pour la sortie de crise.
La première est celle de la retraite complémentaire. La retraite complémentaire en toute sincérité, je pense que nous ne pouvons pas passer à côté de la réforme pour toute une série de bonnes raisons que Mme Alves vous expliquera beaucoup mieux que moi. Il est fondamental de réformer ce régime si nous voulons qu’il s’agisse d’un régime de Sécurité sociale qui corresponde aux droits de l’Union européenne d’une part, et qui puisse servir un certain nombre de cotisations à des personnes qui reçoivent 1 500 € de retraite complémentaire en moyenne par an et qui finiront par poser des problèmes sociaux à ce pays. Il faut peut-être que nous nous y prenions autrement, reprendre les choses, rediscuter et d’ailleurs, la ministre de la Culture a écrit à son homologue des ministères sociaux pour stopper le processus en cours et demander une nouvelle consultation interministérielle. Le temps du débat est ouvert sur cette question. L’autre affaire, c’est la réforme du régime de base qui arrive dans un contexte là aussi extrêmement médiocre. À tel point que mes collègues qui l’ont imaginé se disent que le temps politique de tout ça est passé et fini, ce qui reste à voir. Quel est ce contexte ? Mes collègues de la DSS (Direction de la Sécurité sociale) le savent, nous sommes rentrés en discussion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale et chacun sait, pour avoir lu la presse, que ça va très mal, que nous cherchons beaucoup d’argent et que nous allons hésiter avant d’entreprendre des réformes qui en coûtent, incontestablement.
Deuxième élément, vous savez que vous n’êtes pas les seules professions créatrices ou de la création à susciter l’intérêt et les soucis de la ministre de la Culture, il y a les intermittents du spectacle ; important dossier qui n’est pas – et je vais peut-être choquer ici –, sans analogie avec ce qui vous arrive. Je m’explique. Dans les années 60-70, ce pays – parce que nous avions beaucoup d’argent – s’est montré assez généreux, et a pris toute une série de mesures, notamment des mesures sociales pour aider la création et les créateurs. Comme nous l’avons rappelé tout à l’heure, ces mesures consistaient à l’assimilation de ces créateurs à des salariés. Ça n’a l’air de rien, mais c’est assez intéressant parce qu’elle vous permet d’avoir une couverture sociale assez large qui, en termes de cotisation, vous coûte moins cher. Si vous étiez indépendants, ça vous coûterait beaucoup plus cher, car vous auriez également une part employeur, or vous êtes uniquement assimilés à des salariés.
Mais effectivement, de l’autre côté, il y a des employeurs, que j’aimerais bien voir dans la salle parce que ça les concerne aussi ; je regrette un peuque les employeurs assimilés ne soient pas plus nombreux, c’est un peu dommage. En effet, nous parlons dans ce forum de revenus. Il faut des cotisations pour avoir des droits, et pour qu’il y ait des cotisations, il faut des revenus : nous revenons bien au sujet fondamental qui est la question du niveau de revenus et d’activités. Alors le souci est que l’arrière-plan est très mauvais, pour ce qui concerne les intermittents il s’agit de questions de périmètres ; qui est intermittent et qui ne l’est pas ? Il y a un déficit, tout le monde se bat sur le chiffre du déficit, mais il y a quand même un gros déficit, et c’est un peu la même chose chaque année pour votre régime lorsque la direction de la Sécurité Sociale prépare le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Pourquoi ? Parce qu’effectivement, en face des quasi salariés que vous êtes, il y a des quasi-employeurs ; or ces quasi-employeurs aujourd’hui ne payent des cotisations qu’à hauteur de 1 %. s’ils étaient de véritables employeurs, et ils le sont pour les salariés qui sont dans leurs entreprises d’édition, ils paieraient des cotisations nettement supérieures d’environ 30 % sur les assiettes assimilées et déterminées. Encore une fois, je suis désolé, vous êtes tous essentiels comme créateurs, mais comme assurés sociaux vous êtes dans un grand régime qui est le régime général de la Sécurité sociale pour lequel tout le monde paye pour tout le monde ; c’est ça le principe, et fondamentalement vous n’avez pas de spécificité, ou quelques-unes de ce point de vue-là. Vos employeurs en ont une et ils ne payent pas beaucoup, et ce différentiel de cotisation s’élève aujourd’hui, selon la DDR à un déficit de financement qui coûte 700 millions d’euros. Il faut le savoir.
Fleur Pellerin est arrivée il y a quelques semaines et doit faire face à une réforme coûteuse à laquelle s’ajoute un déficit de cotisations de 700 millions d’euros.
Alors cette réforme, d’où vient-elle ? Même si je ne l’ai pas toujours portée et que nous nous sommes un peu accrochés avec mes collègues de la Direction de la création, je me dois de la porter et de la présenter, et j’essaie de le faire de façon juste. Elle ne vous concerne pas uniquement, vous. Au début des années 60, la Nation a choisi d’intégrer les créateurs plastiques à ces régimes sociaux, une dizaine d’années pour les auteurs. Pour le ministère de la Culture, il n’y a pas de statut fiscal, mais il y a une vision d’un statut social du créateur et de l’artiste qui englobe toutes les professions de la création : plasticiens, photographes, auteurs de l’écrit, auteurs de musique, etc. ; et quand il faut réformer, on doit le faire pour tout le monde. Alors, évidemment lorsqu’on réfléchit pour tout le monde, il y en a toujours qui ne sont pas d’accord avec les professions d’à côté. Il s’agit parfois de questions fondamentales, mais qui peuvent apparaître auprès de certains dirigeants de mon cabinet comme des questions de marchands de tapisqui disent : « Mais nous n’allons quand même pas payer pour les autres. Nous sommes nettement plus nombreux qu’eux et la Sécurité sociale cherche des cotisations pour les payer alors qu’ils ne font qu’augmenter le déficit. » Nous sommes donc obligés de voir ce statut dans sa globalité et de respecter les équilibres.
De quoi était constituée cette réforme ? Il y avait plusieurs éléments. Mes collègues ont toujours essayé depuis des années de faire en sorte que vous soyez vraiment assimilés à des salariés, c’est-à-dire que vous ayez la palette la plus large possible des droits assurantiels. Nous avons peu à peu tricoté les droits – nous n’irons certainement pas jusqu’au chômage, même si certains d’entre vous le souhaitent – ; le dernier, même s’il fait polémique sur la question de la formation professionnelle, fait partie de cette vision : ajouter des droits ; la question de la maladie professionnelle fait partie de cette vision : vous rapprocher le plus possible de la protection des salariés qui est la plus protectrice dans notre pays. Deuxième élément, nous réfléchissons au périmètre, un peu comme pour les intermittents, il y a des gens qui ne devraient pas y être et qui y sont, etc. C’est assez compliqué. Mes collègues ont réfléchi à la question du périmètre des créateurs, car il y a des créateurs qui ne sont pas encore intégrés à ce régime tels les designers et les artisans d’art. Cela ne vous concerne pas, mais ça a un rapport avec la vision de ce statut social du créateur et ça coûterait assez cher, entre 30 et 40 millions. Mais aujourd’hui, il n’y a plus beaucoup d’argent et le temps politique est sans doute passé.
Troisième élément, le processus dans le régime général avec ses spécificités a été fondé pour sa gestion sur des organismes qui ne sont pas des caisses, mais des associations. La Maison des Artistes et l’AGESSA sont des associations ; ce sont de petits régimes avec peu de gens qui n’ont pas les moyens techniques de prendre en charge l’appel des cotisations retraite. Il faut donc réformer la gestion pour la rendre plus efficiente de façon à garantir les droits, d’où la proposition de fusionner ces deux organismes avec une volonté de modernisation de la gestion pour le bienfait et le bienêtre des bénéficiaires.
Autre point fondamental, beaucoup à l’AGESSA ne payaient pas de cotisation de retraite sur leurs revenus et préfèrent choisir le présent plutôt que le passé, mais notre pays ne fonctionne pas ainsi. Si l’on veut choisir ce fonctionnement, il faut passer de l’autre côté de l’Atlantique et aller dans un pays où il n’y a pas de Sécurité sociale obligatoire et où on trouve des régimes avec des fonds de pension. Il pourrait y avoir un fonds de pension pour les auteurs d’une certaine manière, ça pourrait marcher comme ça !
♦ Mathieu Gabella
C’est bien que vous finissiez comme ça, si je peux me permettre de répondre. Nous entendons très bien les différentes problématiques. Nous entendons et nous comprenons très bien que vous essayez de mettre en place une réforme. Première chose, nous avons bien conscience que c’est un travail et qu’il n’est pas simple. Deuxième chose, nous comprenons très bien la problématique de l’avenir, de devoir prévoir notre avenir ; simplement effectivement, nous avons un souci avec ce qu’on va nous demander là, maintenant, parce que cela met en péril le petit équilibre financier sur lequel nous sommes installés.
♦ Nicolas Georges
Ne vous inquiétez pas.
♦ Mathieu Gabella
Ce que nous demandons, ce sont de vraies concertations, comme celles que nous avons maintenant avec l’IRCEC. Nous espérons les avoir au niveau de la réforme de la Sécurité sociale, nous espérons les avoir aussi sur le thème des revenus. Pour l’instant, sur le thème de la Sécurité sociale, visiblement les démarches ont été faites pour qu’il y ait ces discussions et, ce que Geoffroy Pelletier et le CPE de manière générale reprochent, c’est qu’elles n’ont plus lieu depuis très longtemps. La dernière concertation date de février et la loi doit passer a priori en janvier ?
♦ Nicolas Georges
Non.
♦ Mathieu Gabella
C’était prévu comme tel il y a quelques mois. Ce que nous voulons ce sont des réunions, pouvoir discuter et faire entendre notre voix et nos propositions.
♦ Nicolas Georges
J’ai essayé de défendre courageusement cette réforme parce que j’ai fait l’effort de la comprendre. Je trouve que c’est un sujet passionnant, nous arrivons à aller au-delà de la technicité qui pose des questions de fond et que j’ai essayé d’expliquer avec mes collègues à notre nouvelle ministre. Notre ministre a vu ce projet et ce calendrier où nous essayons de passer sans doute « aux forceps » dans la loi création et, aujourd’hui, ce qu’il fautsavoir c’est que cette réforme est gelée, et il n’y a plus d’annonces. Je vous prie d’excuser notre ministre de ne pas être là, mais elle aura d’autres rendez-vous comme Montreuil et Angoulême pour faire des annonces plus positives, tout du moins je l’espère.
Il faut que nous soyons prêts à faire les annonces au bon moment. Et le bon moment sera quand toutes les zones d’ombre de ces projets auront été éclairées et cela ne peut se faire qu’avec vous et qu’en concertation. Ensuite les pouvoirs publics prendront leurs responsabilités et s’il y a des problèmes, ils trancheront, dans un sens ou dans l’autre. Mais je suis chargé de vous dire ici que ça ne se fera pas sans que des concertations importantes soutenues soient organisées.
Je crois qu’au ministère de la Culture nous avons su montrer que nous pouvions faire ce type de concertations ; il y a des réformes à faire, il n’est pas normal que des gens passent sous les radars de la protection sociale dans notre pays, sinon ils viendront un jour ou l’autre à un guichet parce qu’ils seront vieux et n’auront pas cotisé suffisamment pour acquérir des droits et ça sera à la solidarité nationale de les prendre en charge d’une manière ou d’une autre, et cela n’est pas normal. Il faut que nous réglions ces problèmes avant que des contentieux sérieux ne nous soient opposés par ceux qui n’auront pas cotisé par leur faute en partie, mais également par la faute des pouvoirs publics qui n’auront pas su organiser correctement les choses. Nous avons une vraie responsabilité de ce point de vue-là et il faut que nous l’assumions. Je dis au nom de la ministre de la Culture que rien sur ce sujet ne sera fait sans vous. Nous allons nous donner les moyens – temps politique ou non – de poser les choses et de répondre à toutes les questions.
♦ Geoffroy Pelletier
Nicolas Georges, je tiens à vous remercier parce que je sais que c’est avec courage que vous venez défendre une réforme qui n’a pas été portée par la DGMIC (Direction générale des médias et des industries culturelles), qui a été menée par d’autres et que vous venez ici essayer d’expliciter. Je vous remercie de préciser qu’il y aura une concertation, on nous l’a déjà promis par le passé, mais je vous fais confiance et c’est entendu aujourd’hui publiquement.
Je voudrais juste dire que le rapport auprès des inspections générales des affaires culturelles et de la Sécurité sociale a été commandité non seulement par la Culture et les Affaires sociales mais également par le Budget. Nous constatons donc que l’idée d’aller récupérer quelques cotisations n’est pas absente de la lettre de mission.
Je cite par ailleurs le rapport : « Il faut organiser une phase de concertationavec pour objet la réduction des résistances à la mise en oeuvre des préconisations du rapport». Donc, même les auteurs du rapport savaient que ce serait compliqué, et n’ignoraient pas qu’une grande partie des auteurs et éventuellement des artistes ne seraient pas favorables aux mesures qui ont été annoncées.
Bien sûr que pour qu’il y ait des droits il faut qu’il y ait des cotisations, mais pour l’instant, la seule assurance que nous ayons c’est qu’il y aura des cotisations ; nous n’en avons aucune qu’il y aura des droits. Je veux bien vous faire confiance sur la mise en oeuvre technique, au regard du précédent de la formation continue qui consistait à aller chercher de nouvelles cotisations et qui a effectivement très bien fonctionné. Je n’ai donc aucune inquiétude sur la capacité à aller chercher des cotisations, on saura le faire.
Nous ne demandions pas une ouverture de droits pour tout le monde. Ce que nous souhaitions, c’est que ceux qui étaient au-dessus du seuil d’affiliation n’aient pas de mauvaises surprises et qu’ils soient informés sur leur devoir de cotisation afin qu’ils ne se retrouvent pas, au moment de liquider leur retraite, avec une mauvaise nouvelle. Tout cela arrive dans un contexte que vous avez rappelé de deux réformes qui sont concomitantes, même si elles sont séparées, et qui ont lieu au même moment, plus la TVA qui est passée à 10 % sur les droits d’auteur, alors que l’ensemble de la chaîne du livre est revenu à 5,5 %. Nous avons également parlé très rapidement, dans la réforme, des maladies professionnelles. Alors, je sais bien que la «crampe de l’écrivain», «l’angoisse de la page blanche» sont dramatiques, mais attention car tout cela représente des cotisations en plus.
Peut-être in fine il y aura des droits. Le RAAP et l’IRCEC sont des retraites complémentaires qui présentent certes une rentabilité importante. Mais même dans ce cas-là, il s’agit d’une cotisation supplémentaire ; les 8 % plus les 6,75 %, cela représente 15 % de moins de revenus ! Qui accepte aujourd’hui et sans sortir dans la rue de voir ses revenus diminuer de 15 % ? Personne. Si, peut-être les auteurs. Pour l’instant.
♦ Nicolas Binctin
Je propose de donner la parole à la salle pour une série de questions concernant cette première partie.
♦ Alain Absire, écrivain, président de la Sofia
J’aurais deux questions à poser. Sans vouloir polémiquer, je pense que la situation des auteurs de l’écrit et particulièrement celle des écrivains n’est pas assimilable à beaucoup d’autres professions artistiques, en aucun cas.Pourquoi ? Parce que l’immense majorité d’entre eux ont un métier, et un métier qui n’est pas celui de l’écriture. Et, à ce titre-là, ils cotisent déjà pour la vieillesse et pour la retraite complémentaire. Ils n’ont pas besoin de prestations nouvelles, et, si la réforme était appliquée comme elle semblait se dessiner, je dirais aveuglément que cela pose un énorme problème que de cotiser deux fois pour la même chose. Ma seconde remarque concerne le plafond de la Sécurité sociale qui est à 37 000 €. Que se passera-t-il pour ceux qui ont déjà une profession comme les enseignants qui sont aussi auteurs et qui vont le dépasser ? Qui leur remboursera le trop-perçu une fois qu’ils auront payé toutes ces cotisations ? J’aurais bien d’autres questions, mais ces deux-là sont absolument essentielles. Je rappelle qu’aujourd’hui il n’y a environ que 2 100 écrivains affiliés…
♦ Thierry Dumas
Les écrivains sont 2 300, les illustrateurs du livre environ 1 700 et les traducteurs 1 100 ; c’est donc un gros contingent d’affiliés, les gens de l’écrit.
♦ Alain Absire
Les illustrateurs que je salue ici sont souvent des professionnels. Ce sont bien sûr nos confrères, mais il s’agit là d’un tout petit nombre d’écrivains qui ont fait ce choix-là au regard du chiffre des écrivains assujettis qui se comptent par dizaine de milliers qui tous risquent de basculer dans un autre système à partir du seuil fatidique. Nous avons vraiment besoin de cette concertation et je pense que nous ne pouvons pas être assimilés systématiquement aux autres professions artistiques concernées. Et c’est pourquoi nous nous battrons sur ces sujets-là entre autres et je rejoins bien entendu les propos de Geoffroy Pelletier. Je parle au nom de la Sofia qui abonde pour moitié aux cotisations IRCEC pour la retraite complémentaire des auteurs de livres : 4 % sur 8 %, cela représente beaucoup d’argent.
♦ Nicolas Binctin
Je propose que nous prenions une seconde question puis selon la volonté de chacun nous y répondrons collectivement ou individuellement.
♦ Agnès Pierron, auteur
Je suis auteur de plusieurs dizaines de dictionnaires. J’ai fait ma demande de retraite il y a quelques mois, j’ai cotisé à l’IRCEC, cela m’a été présenté comme si c’était une cotisation complémentaire obligatoire en 2004 ou en 2005. J’ai toujours cotisé au plus bas, parce que j’avais des revenusextrêmement faibles et voici quelques mois, j’ai reçu une relance de paiement s’élevant à plusieurs centaines d’euros. J’ai téléphoné pour demander si c’était vraiment nécessaire que je paye encore ce dernier trimestre et j’ai demandé combien d’années il me faudrait pour me rembourser des cotisations ? Je me serais bien passée à ce moment-là de les payer, quand on sait ce que l’on gagne, 2 000 € d’à-valoir pour faire un livre qui demande deux ans de travail, c’est absolument ridicule. Eh bien, on m’a dit que je serai remboursée au bout de 6-7 ans à peu près. J’espère que Dieu me prêtera vie pour que je sois remboursée de l’IRCEC et je trouve ça absolument scandaleux.
♦ Nicolas Binctin
Voulez-vous réagir ?
♦ Samuel Souffoy
Tout d’abord, pour réagir à votre intervention, on ne fait pas que mettre en place des cotisations que nous recouvrons. Au régime général, cotisation égale prestation, et c’est la même chose que l’on soit salarié ou artisteauteur. J’ai parlé des taux de cotisations, c’est vrai que les artistes-auteurs sont bien lotis puisqu’à prestations égales, les cotisations sont bien plus faibles. Pour ce qui est de la part salariale, c’est à peu près la même chose. Au régime général, que l’on soit assujetti ou affilié, ces concepts n’ont pas lieu d’être, c’est l’assiette cotisée qui compte, c’est-à-dire que, si l’assiette cotisée vous permet d’acquérir des droits, il y a des seuils ; pour acheter quatre trimestres de retraite, il faut aujourd’hui cotiser sur l’équivalent de 600 fois la valeur horaire du Smic. Si vous avez cotisé sur ce montant-là, vous avez des prestations. Pour ce qui est de la maladie, le seuil doit être autour de 9 300 € d’assiette cotisée, c’est ce que nous appelons des droits contributifs ; s’il y a cotisations, il y a prestations. Tout le monde cotise dès le premier euro, c’est un des principes fondateurs de la Sécurité sociale du régime général qui est le principe de l’universalité. Toutes les personnes qui cotisent et qui ont liquidé leur retraite continuent à cotiser. C’est aussi un des principes de la Sécurité sociale, tout le monde continue de cotiser après la retraite. Il est vrai que la cotisation vieillesse n’a pas été appelée pour les assujettis, c’est un dysfonctionnement, ce n’est pas un droit. Nous n’avons pas inventé la pluriactivité avec les artistes-auteurs, c’est-à-dire qu’ils ont un métier à côté dont ils perçoivent des revenus en tant qu’auteurs, ils cotisent sur ces revenus. N’importe quelle personne pluriactive cotise sur l’intégralité de ses revenus jusqu’au plafond. Il s’agit après de questions de régularisation, mais c’est vrai que la question du plafond doit être prise en compte dans le cadre de la réforme.
♦ Thierry Dumas
Si la Sofia nous donne les numéros de Sécurité sociale, ça ira plus vite.
♦ Philippe Lemonnier, auteur
C’est difficile de ne pas réagir à ce qui a été dit. Je suis photographe depuis 17 ans et écrivain depuis 12 ans. L’AGESSA m’a refusé, alors que je la paye parfois sur des montants équivalents à 200 000 €. Moi je n’ai que des droits d’auteur, je n’ai pas de métier à côté et je n’ai pas de Sécurité sociale ; j’ai été obligé de prendre d’autres systèmes parce qu’on ne m’intègre pas à la Sécurité sociale. Vous dites qu’il y a d’autres métiers à côté. Non ! J’ai des droits d’auteur, je suis conférencier et photographe indépendant artistique et je suis écrivain et je n’ai que des droits d’auteur qui vont cette année représenter 3 400 €. Tout le monde n’a pas un second métier à côté qui justifie que les gouvernements essaient de trouver la faille pour prendre des cotisations. Il y a une question à laquelle vous n’avez pas répondu. Vous avez donné le nombre d’affiliés, mais pas le nombre d’assujettis, et vous avez un certain nombre d’assujettis dont je fais partie qui ne touchent rien.
♦ Nicolas Binctin
Merci beaucoup. Nous allons répondre et nous passerons à la retraite complémentaire.
♦ Samuel Souffoy
Je vais avoir quelques difficultés pour réagir sur des cas individuels. Je peux rappeler les principes universels. J’ai pris le cas d’une personne qui avait une pluriactivité puisqu’on vient d’en parler tout de suite avec Monsieur. Je voulais juste rappeler que c’est du droit commun. Peu importe que nous ayons deux, trois, douze activités ou même une seule, nous cotisons sur nos revenus dans la limite du plafond. Dans le cadre de la réforme il faudrait aborder cette idée du plafond, car la retraite vieillesse plafonnée est limitée et, au régime général, une personne qui va travailler en ayant le statut de salarié et avoir des revenus au régime général et qui va cotiser après sur des activités d’auteur sera amenée sans doute à cotiser au-dessus du plafond, ce qui entraînera un souci de régularisation pour ce qui a été cotisé au-dessus du plafond.
♦ Agnès Pierron
Si des gens sont ici présents dans la salle, c’est pour avoir des témoignages et non pour écouter des généralités.
♦ Angela Alves
Je vais répondre à Madame Pierron, ce qui me permet d’enchaîner sur la retraite complémentaire.
Je pense qu’il y a un petit malentendu. Effectivement, aujourd’hui, quand on a plusieurs activités, nous cotisons dans les différents régimes sur la part des revenus qui correspondent à ces différents régimes, puisque de nos jours, en France, la Sécurité sociale n’est pas bâtie sur les personnes, mais selon la nature des revenus. Moi, si j’ai un revenu de salarié, je vais cotiser au régime général des salariés et si à côté le conseil d’administration de l’IRCEC me laisse le temps, je décide d’être professeur de danse en libéral, je vais avoir des revenus en tant que libéral ; et je cotiserai à l’ensemble de la protection sociale des libéraux, mais uniquement sur ce revenu de libéral, je ne vais pas payer deux fois sur le même revenu. Et là, vous évoquez la possibilité que pourrait apporter la réforme d’un précompte au premier euro, pourra-t-on assurer le plafonnement ? Aujourd’hui la réforme n’est pas aboutie et vous avez le temps de la concertation pour évoquer tous ces points techniques.
Actuellement, la réforme de la retraite complémentaire concerne le régime des artistes auteurs professionnels. Je disais tout à l’heure que le système avait été bâti sur des classes optionnelles qui laissait le choix de sa classe de cotisation. Ce système a été viable jusqu’à 2013, mais il ne l’était plus depuis quelques années pour des raisons de conformités à la règlementation européenne. Il n’y avait pas que le RAAP qui était en dehors des clous, il y avait deux autres régimes de professions libérales qui étaient bâtis sur un système proportionnel aux revenus et une partie optionnelle. Les pouvoirs publics nous ont donc demandé, au moment de la réforme des retraites dont vous avez entendu parler en 2013, de mettre les régimes optionnels en conformité et de mettre fin à tous les régimes optionnels en France. Le RAAP étant le seul régime de retraite complémentaire en France à avoir des systèmes optionnels, on lui a demandé de travailler pour se mettre en conformité par rapport à la règlementation européenne. Quelle est cette réglementation ? Vous avez tous entendu parler de la libre concurrence. Les organismes de Sécurité sociale sont en dehors du champ de la concurrence, mais, pour rester en dehors de ce champ de la concurrence, ils sont tenus à un certain nombre d’obligations et notamment celle d’assurer un certain niveau de solidarité pour être considérés comme un régime de Sécurité sociale avec le monopole de cotisations de solidarités qui en découlent. Il faut donc être un régime obligatoire avec des prélèvements sociaux offrant des prestations qui sont proportionnelles aux revenus d’activité. Or, mettre en place un régime de retraite complémentaire où chacun choisit sa classe de cotisation ne répond pas à ce critère. Vous me direz que ce n’est pas grave, que nous n’avons qu’à aller dans le champ de la concurrence en gardant notre petit système optionnel. L’inconvénient d’être dans le champ de la concurrence c’est que vous entrez dans le terrain des compagnies d’assurance et là, vous perdez la main sur un certain nombre d’avantages que vous avez aujourd’hui en étant dans un régime de Sécurité sociale. Notamment, les compagnies d’assurance sont amenées à faire des bénéfices, ce que vous n’avez pas dans les régimes obligatoires. Aujourd’hui, au RAAP, vous avez une entrée qui correspond aux cotisations que vous versez effectivement. Et ça, c’est un problème sur lequel il va falloir travailler à l’avenir pour envisager de nouvelles sources de financement afin d’alléger votre charge, mais c’est un long débat et nous n’allons pas l’ouvrir ici. Au regard des cotisations versées, il y a les dépenses du RAAP qui correspondent aux prestations versées, c’est-à-dire les retraites. Seuls les frais de gestion de l’organisme sont prélevés, mais il n’y a pas de bénéfices réalisés. Ce qui fait que votre régime aujourd’hui est plutôt avantageux pour vous, les auteurs.
Pour répondre à Madame Pierron, effectivement sur la question que vous avez posée concernant le nombre d’années nécessaires pour récupérer vos cotisations, nous vous avons répondu six ans. Cette réponse n’est pas tout à fait exacte, puisque dans votre cas, en tant qu’écrivain, vous n’avez payé que la moitié des cotisations que vous avez versées depuis 2004, puisque l’autre moitié de la cotisation au RAAP est versée par la Sofia – par le droit de prêt en bibliothèque –, ce qui est aussi une particularité parmi les auteurs de l’IRCEC. Il n’y a que les écrivains, les traducteurs littéraires et les illustrateurs, donc les auteurs de bandes dessinées, qui ont 50 % de leurs cotisations prises en charge par la Sofia, les autres auteurs payent la totalité de leur cotisation. Compte tenu aujourd’hui des chiffres très positifs du régime qui offre un taux de rendement de 11 % (c’est-à-dire que lorsque vous payez une cotisation de 100 % vous capitalisez 11 € pour votre retraite par an) en huit années de prestations. en huit années de retraite, vous récupérez l’ensemble de vos cotisations. Pour les écrivains c’est quatre ans, puisque vous payez la moitié sur la somme que vous avez versée et non pas en six ans.
Maintenant, je suis obligée de le dire, comme nous sommes un organisme de Sécurité sociale, nous avons une délégation de service public, ce n’est pas le propre d’une caisse de Sécurité sociale de vous verser l’ensemble des cotisations que vous avez mises dans le régime puisque ce sont des régimes bâtis sur un principe de solidarité. Aujourd’hui, votre régime est favorable parce qu’il a été bien géré par vos représentants depuis les années 60, qu’ils ont constitué des réserves, etc. Ce qui fait que votre régime est intéressant et qu’il peut vous offrir ce rendement-là. Moi, j’ai toujours une grande frustration, je préfèrerais que mon employeur me verse le brut et j’irai cotiser à l’IRCEC, puisque le rendement est nettement plus intéressant. Pour vous donner un ordre de grandeur, à l’AGIRC-ARRCO qui est le régime de retraite complémentaire des salariés, le rendement est de l’ordre de 5-6 %. C’est-à-dire que moi, au moment de ma retraite, il me faudra plus de 20 ans pour récupérer l’ensemble des cotisations que j’aurai versées. Même si je suis une femme et que je vivrai plus longtemps, ça reste encore plus aléatoire que vos quatre années. Mais il y a effectivement un préjudice pour les écrivains et les traducteurs littéraires, il ne faut pas penser que ces 50 % de la Sofia, via le prêt public, sont un cadeau ; même si, sur le moment, cela allège la charge de l’auteur, c’est pour compenser un préjudice de protection sociale puisque les écrivains et les traducteurs littéraires avant 2004 n’avaient pas de retraites complémentaires, et là il y a un vrai préjudice puisque vous ne cotisez à la retraite complémentaire que depuis 2004.
Pour ce qui concerne la réforme, il s’agit de passer d’une cotisation optionnelle à une cotisation proportionnelle aux revenus. C’est sur la base d’une mise en conformité du régime par rapport à la règlementation européenne, mais c’est aussi partant du constat fait par vos représentants au Conseil d’administration, qui a mis en avant les situations précaires des auteurs au moment de la retraite, notamment à travers les demandes d’aides sociales auprès du RAAP. Aujourd’hui, dans ce système, on avait l’impression que l’on pouvait choisir sa classe de cotisation, 80 % des auteurs étaient en classe minimale et cotisaient 400 € par an de retraite complémentaire. Pour 400 €, forcément, si vous avez retenu ce que je vous ai dit, ils ont 40 € de retraite annuels, cela ne fait pas beaucoup si vous restez au minimum... Aujourd’hui, pour 80 % des auteurs en classe minimale, l’IRCEC et le RAAP versaient une retraite annuelle moyenne de 1 500 € annuels, ce qui fait à peu près 100 € par mois. Nous avions également le cas des retraités en difficulté. Et partant de l’obligation de mettre le régime en conformité, le conseil d’administration a dit : « Qu’est-ce qu’on attend comme protection sociale pour les auteurs ? » Monsieur Absire, vous avez dit que vous aviez la particularité d’avoir parfois une activité secondaire par rapport aux autres auteurs et que vous avez déjà une protection sociale à côté. Cette réalité a été prise en compte, mais encore une fois il ne faut pas oublier qu’au RAAP, vous avez tous les métiers de la création et que le monde de l’écrit ne représente que 10 %. Il a donc fallu prendre en compte l’ensemble des problématiques et l’ensemble des catégories. Les auteurs dramatiques nous disaient exactement la même chose : « Nous cotisons déjà à 8 % au RACD sur nos revenus, nous avons déjà une retraite complémentaire qui est proportionnelle à nos revenus. » Mais il y a tous les autres – les plasticiens, les photographes… – qui, eux, ont déclaré : « Nous sommes auteurs professionnels et nous n’avons pas l’ensemble de la couverture sociale, donc nous voulons une vraie retraite complémentaire. » Alors, le conseil d’administration a répondu : « Qu’est-ce qu’une retraite décente pour un auteur ? » Sans oublier que, par rapport à un salarié, un auteur aura uniquement à sa charge le financement de cette retraite. C’est sur l’ensemble de ces principes que la réforme s’est faite. Nous avons entendu les interrogations, les inquiétudes et tous les paramètres ne sont pas fixés ; nous y travaillons encore dans la concertation avec les organisations professionnelles où les questions du pourcentage, du plafonnement de la cotisation et du maintien du seuil d’affiliation sont débattues. Aujourd’hui, il n’y a pas de remise en question du seuil d’affiliation à l’IRCEC qui est complètement indépendant de celui de l’AGESSA. Il y a eu un défaut de communication et le fait d’entamer ces deux réformes en même temps pouvait donner l’impression que, parce qu’on allait appeler ou parce qu’il avait le projet d’appeler la cotisation du régime de base au premier euro, on allait faire pareil pour l’IRCEC. Aujourd’hui, dans la réforme, il n’y a pas de remise en question du seuil d’affiliation ni de la prise en charge par la Sofia, même si des travaux avec la Sofia vont devoir se faire pour connaître l’impact pour eux. Jusqu’à ce jour, l’IRCEC n’avait pas les revenus des auteurs. Maintenant que nous les avons obtenus par la transmission des données statistiques, nous pouvons travailler sur une base rationnelle de revenus des écrivains, des graphistes, des plasticiens, etc., afin de mesurer l’impact de cette réforme sur les revenus d’activités. Mais nous n’avons pas effectivement encore évalué l’impact pour la Sofia, ce qui doit se faire.
♦ Nicolas Binctin
Geoffroy Pelletier, un dernier mot avant de conclure.
♦ Geoffroy Pelletier
Nous avions en 2004 un système qui a été rendu obligatoire, mais en contrepartie de cette obligation, nous avions un choix de classe de cotisations avec une prise en charge à 50 % par la Sofia. Aujourd’hui, l’Europe nous impose de renoncer à ce choix de classe de cotisations et il faut faire le deuil de cette possibilité qui était vraiment un atout pour les auteurs de l’écrit bénéficiant de revenus très fluctuants d’une année sur l’autre. Maintenant, il reste encore des décisions à prendre. C’est vrai que 8 % de cotisation représentent une baisse des revenus importante pour les auteurs, c’est quasiment un mois de salaire qui disparaît. C’est un choix difficile, soit la précarité au moment de la retraite si le taux n’est pas assez élevé, soit la précarité maintenant si le taux est trop fort. Mais il va falloir trouver ce bon équilibre et ensemble, en ayant toujours à l’esprit que nous avons besoin que la Sofia puisse continuer à prendre en charge à hauteur de 50 % la cotisation des auteurs. Et là le risque est double. D’abord, concernant la Sofia, il ne s’agit pas uniquement d’une décision de son conseil d’administration, d’une simple promesse ni même d’un engagement qu’on peut lui demander de tenir. il y a un problème de légalité : elle ne peut pas utiliser plus de 50 % des ressources du droit de prêt pour financer cette prise en charge. Cela sera-t-il suffisant ? Ensuite, la Sofia a une décision importante à prendre au sein du conseil d’administration, qui serait le transfert de l’argent revenant normalement à l’ensemble des assujettis, pour permettre la prise en charge d’une partie de la retraite complémentaire des affiliés. Il faut vraiment que nous avancions ensemble, sur la fixation de ce taux et il faut que nous nous assurions que la Sofia pourra bien toujours aider les auteurs à prendre en charge cette retraite complémentaire qui reste très intéressante.
♦ Nicolas Binctin
Merci beaucoup. La protection sociale est au coeur de la vie de l’auteur largement autant que le droit d’auteur que nous avons l’habitude d’évoquer. Vincent Monadé va conclure ce forum, je vous remercie.