NOUS SUIVRE

♦ Geoffroy Pelletier
Le secteur de l’édition est un secteur très particulier. Voici deux paradoxes pour illustrer ces particularités.
Premièrement, depuis une dizaine d’années, le chiffre d’affaires de l’édition n’augmente plus du tout, quand il n’est pas en baisse, alors que le nombre de références vendues a, lui, été multiplié par deux sur la même période. Difficile, dans ce cas-là, pour un titre de trouver sa rentabilité. Deuxième paradoxe, alors que le nombre de nouveautés a augmenté de 200 % sur les quarante dernières années, de nombreux auteurs ne parviennent pas ou plus à se faire éditer, du moins, ils n’y parviennent plus pour l’ensemble de leurs écrits. En effet, il est difficile pour un auteur de trouver son public quand il sort 180 nouveaux titres chaque jour, dimanche compris.

La question se pose alors pour les auteurs de trouver de nouvelles alternatives pour la diffusion de leurs oeuvres et pour la rémunération de leur création. D’emprunter en quelque sorte des chemins de traverse, titre de la table ronde. Des chemins de traverse qui peuvent s’avérer être soit des raccourcis entre un auteur et son lecteur, soit des routes sur lesquelles on se perd indéfiniment, une sorte de miroir aux alouettes, sans parler du chemin de traverse de la saga d’Harry Potter qui est, je le rappelle, une rue commerçante pour sorciers ou apprentis sorciers et dont l’un des accès se trouve derrière le chaudron baveur pour ceux qui connaissent.

Plus sérieusement, les chemins de traverse ce peut être évidemment l’autoédition et/ou l’autopromotion. Les chiffres de développement pour ces nouveaux modèles sont très importants, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni. De nouveaux modèles de diffusion sont également mis en place par des éditeurs numériques, des éditeurs pure player comme nous les appelons selon l’expression française consacrée, mais également par des éditeurs dits traditionnels autour de bouquets, d’abonnements, d’offres couplées, d’impressions à la demande, de livres en cartes postales et d’offres qui sont proposées tant aux particuliers qu’aux bibliothèques. Quel que soit le chemin de traverse, la question centrale de la rémunération de l’auteur demeure.
J’ai envie de commencer par vous Pénélope Bagieu, par votre expérience qui est assez particulière. Vous m’avez dit que votre premier livre était presque arrivé par accident. C’est un bel accident. Sur ce blog qui devient un livre imprimé, sur votre travail avec les éditeurs traditionnels, votre expérience dans le numérique, que pouvez-vous nous dire aujourd’hui ?

♦ Pénélope Bagieu
Sur l’aspect accidentel, à l’origine je ne pensais pas faire un livre parce que j’ai fait des études de cinéma d’animation. Finalement, je n’ai pas du tout fait d’animation parce que, durant mes études, je me suis aperçue que je ne voulais pas en faire mon métier. J’ai donc travaillé dans l’édition en tant qu’illustratrice et un magazine suisse m’a proposé de faire une BD hebdomadaire et j’ai créé le personnage de Joséphine pour ça, puis nous en avons fait une BD, puis deux, puis trois, puis un film. Sur un malentendu à l’origine. Quant à l’aspect numérique – parce que j’ai l’impression que c’est l’enjeu aujourd’hui –, j’avais en parallèle de cette activité un blog qui a toujours fait office de vide-poches de ce qui ne rentrait ni dans la case livre ni dans aucune case, et qui me permettait de dessiner sans trop de contraintes et qui n’était motivé par aucune commande – parce que comme je suis illustratrice c’est toujours suite à une commande, ce qui est assez fatigant à la fin. Et ce blog est aussi devenu un livre qui a bien marché en librairie et qui a donné l’impression à mon éditeur et à d’autres que succès sur Internet égal succès en librairie, ce qui n’est pas forcément vrai. Puis, j’ai fait d’autres livres.

♦ Geoffroy Pelletier
D’autres livres qui ont été publiés en numérique également ?

♦ Pénélope Bagieu
Il y a le volet numérique de chacun des livres que prend en charge l’éditeur, mais qui n’est rien de plus que la version numérique des albums, qui n’apporte rien de particulier. Ce n’est pas du contenu créé vraiment pour ça. Alors qu’en bande dessinée, nous avons l’opportunité d’utiliser le numérique comme un plus parce qu’il y a plein de choses qu’on peut faire à l’écran, notamment en termes d’interactivité, par exemple. Les comics américains dans leurs versions numériques sont vraiment pensés avec un découpage numérique. Il est assez désagréable de lire une bande dessinée sur un écran parce que ce n’est pas fait pour et que l’image n’a pas été pensée pour ça ; en revanche, les gros studios de comics américains qui sont vraiment des studios, plus que des maisons d’édition, disent aux auteurs dès la conception de l’histoire : « Tiens compte du fait que ça va être lu sur une tablette et qu’on va pouvoir faire défiler. » En bande dessinée – et dès qu’on écrit, j’imagine –, l’intérêt c’est de manipuler le lecteur et notamment de manipuler son rythme de lecture. En bande dessinée, nous créons du silence pour que le lecteur s’arrête ainsi que des accélérations dans le but de contrôler leur vitesse de lecture.

Il y a eu des tentatives assez maladroites de bandes dessinées en numérique où on appuyait sur play et la bande dessinée défilait case après case avec un rythme régulier ou un rythme imposé par quelqu’un qui n’est pas l’auteur avec parfois des zooms imposés dans une case ; des effets de mise en scène épouvantables qui donnaient la nausée. Tandis que chez les auteurs américains de comics, dès le début on leur dit : « Pense ton livre comme ça. Dis-toi que c’est une dimension supplémentaire plutôt qu’une contrainte. Comment vas-tu promener ton lecteur en faisant des effets de mises en scène, des splits screen ? Pense presque comme un réalisateur de film. » Le numérique devient alors un outil supplémentaire et pas comme nous le percevons en France comme une contrainte liée à une demande de téléchargement avec un rendu à la fois moche et cher. Parce que je ne sais pas comment cela se passe en littérature, mais, dans la BD, elles ne sont pas très belles et elles sont chères, presque aussi chères que la version papier et on ne comprend pas trop pourquoi.

♦ Geoffroy Pelletier
Sur le modèle numérique, qui est présenté aujourd’hui par les éditeurs français pour ce qui est de la bande dessinée, à votre avis, il y a encore à faire ?

♦ Pénélope Bagieu
Mais il y a tout à faire ! Actuellement les éditeurs de BD ont peur du numérique avec l’épouvantail de l’industrie du disque. Et plutôt que de statuer sur ce point, ils se disent : « Nous verrons quand il y aura de l’argent en jeu, pour l’instant gagnons du temps. » Il y a des sortes d’ellipses dans les contrats d’édition alors qu’il faudrait prendre le problème à bras-le-corps parce que le livre numérique ne détruira jamais le livre papier, ça ne marche pas comme ça. Le livre numérique n’est pas le plan B du livre papier, le papier n’est pas la fin en soi ni les lettres de noblesse de quelque chose qui a commencé sur Internet. Tout à l’heure, je parlais des blogs que nous avons adaptés en papier et qui ne marchent pas en librairie. Ce n’est pas parce que 100 000 personnes tous les jours vont sur un blog que ces 100 000 personnes vont se ruer en librairie le jour de la sortie du livre pour retrouver le blog. C’est un autre public, c’est autre chose, ça ne marche pas comme ça. Il y a une vraie méconnaissance du numérique dans la BD et une peur de la part des éditeurs qui est préjudiciable pour tout le monde. Je pense que cela fait quatre ans qu’il y a des tables rondes sur le numérique dans les salons de BD avec toujours les mêmes gens qui disent les mêmes choses. Un jour nous finirons par accoucher d’un truc, mais pour le moment les éditeurs et les auteurs se grattent beaucoup la tête.

♦ Geoffroy Pelletier
Seriez-vous tentée, vous ou d’autres dans la bande dessinée, par une forme d’autoédition ? C’est-à-dire que si ce qui vous est proposé ne vous satisfait pas, vous savez faire un blog, la version numérique peut-être aussi, est-ce que vous iriez plus loin en vous lançant dans l’autoédition, voire de l’autopromotion pour vos livres déjà existants ?

♦ Pénélope Bagieu
Encore une fois, trois questions en une, merci !
L’autoédition en bande dessinée, si on fait la comparaison avec la littérature est très différente. En bande dessinée l’objet est très important, des formats et des qualités de papier différents peuvent vraiment changer le rendu du livre. L’autoédition n’est pas considérée comme faute de mieux en BD, elle permet de penser l’objet dans sa globalité où la forme est aussi importante que le fond. Si on a envie de faire un livre sur un rouleau de papier toilette par exemple, on sait qu’aucun éditeur ne soutiendra ce projet, on peut envisager de le faire soi-même parce qu’on aura un vrai plaisir à fabriquer son livre. Quand on fait de la BD et qu’on dessine, c’est qu’on aime bien les pratiques plastiques et donc on est content de le faire. Il est assez rare d’autoéditer son livre parce qu’on n’a pas trouvé d’éditeur. Vous parliez de la surproduction, elle existe aussi dans la BD. Mais si vraiment on veut être édité en BD, on peut, c’est toujours possible. Il y a tellement d’éditeurs, il y en a presque autant que des auteurs. Il suffit d’aller dans un salon de la BD et si demain je veux éditer mes blagues de Toto – c’est un très mauvais exemple parce que les blagues de Toto existent en BD –, mais admettons, je vais trouver un éditeur. Au pire, il pilonnera tout et tant pis, mais ça aura existé. L’autoédition est une occasion de réaliser le livre tel qu’on le veut. En revanche éditer soi-même, c’est-à-dire diffuser soimême une BD numérique – l’exemple du blog est très bien –, finalement, que m’a apporté la transposition de mon blog en livre papier ? Pourquoi ne pas dire aux gens : « Vous pouvez télécharger un PDF en payant un euro ou plus. » Tous les mois je fais des nouveautés. Je pense que j’aurais gagné plus d’argent comme ça, mais moi, j’étais contente d’avoir mon nom sur un livre, ça m’a fait plaisir. J’ai pu toucher un autre public et ça a fait très plaisir à ma maman. [Rires]

C’est vrai ! Il n’y a pas de prestige dans le numérique. Moi, quand mon premier livre est sorti, j’étais dans une librairie, j’ai vu des piles de livres à moi et j’ai vu des gens les prendre et les feuilleter et j’étais contente ! Cela n’existe pas dans le numérique, on n’a pas ce rapport aux lecteurs, on ne peut pas faire de séances de dédicaces ; alors que, dans la vie d’un auteur et surtout dans la BD où le travail est long et solitaire, les séances de dédicaces, c’est le moment où on voit le bout de la chaîne et on découvre les gens qui nous ont lus. Alors, bien sûr que nous avons des retours par mails, mais ça n’a rien à voir. Il y a donc deux choses : l’autoédition et puis l’autodiffusion. Quant à l’autopromotion, par exemple quand on a une communauté sur Internet – j’ai horreur de ce mot –, quand on est assez actif sur les réseaux sociaux, ce qui est mon cas, parce que je passe ma vie sur Twitter. Je connais beaucoup d’auteurs qui ne sont pas tellement sur Internet et qui se disent que ce n’est pas à eux de faire leur promotion. Quand ils font une dédicace, si le libraire n’a pas fait son travail, que ce jour-là il pleut ou que l’information n’a pas été relayée, toute l’après-midi personne ne passe et ils sont tout seuls. Moi, si je fais une dédicace, je le dis sur Twitter et je sais que les gens vont venir, parce que je ne m’adresse pas à des inconnus qui ne me connaissent pas ; je m’adresse à des gens qui me suivent et qui veulent savoir ce que je fais, donc ma promotion est autoassurée. Je sors un livre, je préviens, je montre des images avant sur mon blog, c’est une forme d’autopromotion. En revanche, nous ne pouvons pas faire de la prescription tout seul. Nous ne pouvons pas aller voir les gens un par un et leur dire que notre livre est vraiment bien, ça ne marche pas. C’est là qu’un vrai réseau de professionnels qui travaillent bien, un bon éditeur, des bons attachés de presse sont irremplaçables. Mais pour le reste, effectivement…

♦ Geoffroy Pelletier
C’est un rôle irremplaçable que celui d’un bon éditeur. Et c’est peut-être ce qui va faire le tri entre les bons et les moins bons éditeurs. L’autoédition pourrait donc être complémentaire pour des projets qui ne pourraient pas voir le jour dans l’édition traditionnelle ?

♦ Pénélope Bagieu
Oui, sans que ce soit forcément lié à la forme, parfois on a envie d’éviter les compromis ; on peut se dire qu’on a envie d’aller au bout de son idée sans prendre en compte l’avis de l’éditeur. Mais on en revient à ce qu’est un bon éditeur, un compromis que l’on peut faire face à un bon éditeur, souvent s’avère être une bonne idée finalement.

♦ Geoffroy Pelletier
Un bon compromis face à un bon éditeur.
Llucia Ramis, vous avez eu une expérience numérique un peu particulière puisque le livre que vous aviez publié en catalan et qui avait eu un certain succès en Catalogne a été repris en numérique aux États-Unis. Comment cela s’est-il passé par la suite ?

♦ Llucia Ramis
J’ai publié mon premier roman en 2007 dont le titre est Coses que et passen a Barcelona quan tens 30 anys. (Les Choses qui peuvent arriver à Barcelone quand tu as 30 ans, ndlr). Au cours de l’année 2011 ou 2012, un éditeur espagnol m’a proposé de participer à une collection de livres sur Barcelone qui seraient publiés uniquement aux États-Unis et en format numérique. L’éditeur fait traduire mon livre en anglais, ce qui m’a vraiment rendue heureuse, mais je ne touche pas d’avance. L’éditeur me propose en contrepartie de toucher 25 ou 50 % des ventes sur Internet. Les négociations se font entre Roca Editorial et Open Road Media qui est une plate-forme de marketing et d’édition numérique. La collection a été lancée et les Américains sont venus à Barcelone pour savoir comment vivait une jeune femme de 30 ans à Barcelone. Nous leur avons fait croire que j’avais encore 30 ans pour vendre le livre. Ils ont passé deux jours à Barcelone avec moi et mes amis, nous sommes sortis la nuit, parce que quand on a 30 ans, on sort beaucoup à Barcelone. Nous avons fait la fête, c’était très rigolo et à la fin, ils m’ont demandé si je pouvais changer le début du livre – parce que les premières pages sont gratuites sur Internet – pour le rendre plus attractif. Je leur ai répondu que je trouvais bizarre de changer mon histoire et, en dépit de leur insistance, j’ai refusé. Nous avons lancé la promotion et je devais être en permanence sur Twitter et Facebook pour faire de l’autopromotion, ce qui me mettait très mal à l’aise parce que je suis un peu timide. Et, au bout du compte, je pense que je n’ai jamais vendu un seul exemplaire parce que je n’ai jamais touché d’argent pour ce livre.

♦ Geoffroy Pelletier
Ce n’est pas parce que vous n’avez pas eu l’information que vous n’avez pas vendu d’exemplaires. Mais cela s’est donc soldé par toute absence de vente déclarée.

♦ Llucia Ramis
Le livre est là, on peut le trouver sur Amazon ou sur les autres plates-formes de vente de livres numériques. On voit mon livre, il est là, mais je n’ai jamais perçu 1 € pour ce livre.

♦ Geoffroy Pelletier
En Espagne, comment cela se passe-t-il pour le livre numérique ? Constatet- on un basculement ? Tout en sachant que la situation des auteurs en Espagne n’est pas très favorable à l’heure actuelle.

♦ Llucia Ramis
Le grand problème en Espagne, c’est le piratage. Les livres en papier ont une TVA à 4 %, alors que le livre numérique a une TVA à 21 % et ils reviennent donc chers. Il faut compter environ 10 € pour une nouveauté. Personne ne veut payer une telle somme et, comme il n’y a pas de conscience sociale sur le piratage, alors on n’a pas l’impression d’être en train de voler une oeuvre. Si on peut l’obtenir gratuitement, pourquoi la payer ? Le gouvernement espagnol ne communique pas sur ce sujet ; il communique avec et pour les fabricants d’écrans et avec les compagnies téléphoniques, mais pas avec les auteurs. Nous, les auteurs espagnols, nous sommes pauvres, nous ne faisons pas gagner d’argent au gouvernement espagnol, donc, nous ne sommes pas intéressants. Dans le journalisme, c’est la même chose ; on a l’idée que tout ce qui se trouve sur Internet est gratuit. Si vous avez un édito dans le journal, vous pouvez avoir également un blog et, comme c’est gratuit, c’est une économie pour le journal.

♦ Geoffroy Pelletier
Vous êtes écrivain et journaliste. Les revenus des écrivains diminuent, ceux des journalistes diminuent…

♦ Llucia Ramis
Je suis journaliste parce que je voulais écrire et je savais que je ne pouvais pas vivre de mon écriture. En Espagne, nous avons a eu une bulle éditoriale, mais, depuis les années 1990, c’est fini. Je savais que je ne pouvais pas vivre de mes livres et j’avais très envie de faire du journalisme, mais aujourd’hui c’est aussi devenu un hobby, parce qu’on ne peut pas vivre non plus du journalisme. Les salaires ont été diminués de 30 à 50 %, donc je suis maintenant aussi traductrice, mais on ne reçoit que 8 € ou 10 € par page. Geoffroy Pelletier Vous êtes payé 8 € ou 10 € par page ?

♦ Llucia Ramis
Oui.

♦ Geoffroy Pelletier
C’est moitié moins qu’en France.

♦ Llucia Ramis
On doit faire une multitude de boulots pour boucler les fins de mois. Je continue parce que je suis passionnée, mais personne ne peut avoir une famille par exemple. C’est une passion, c’est tout. On ne peut pas en vivre. La seule manière de survivre quand on écrit c’est de vendre les droits et les droits audiovisuels à l’étranger. En Espagne, le cinéma aussi est logé à la même enseigne que la littérature.

♦ Geoffroy Pelletier
La tentation de s’autoéditer, de faire soi-même pour essayer de toucher directement le public, est-ce quelque chose qui pourrait vous tenter ?

♦ Llucia Ramis
Pour moi, non. Je pense que les éditeurs sont très importants. Le problème c’est que nous sommes en train d’aller vers une édition sans éditeur et c’est très grave. Les grands groupes de publication sont plus intéressés désormais par la possession de chaînes de télévision et de compagnies téléphoniques que par la promotion des auteurs. Les petites maisons d’édition représentent les auteurs, mais elles n’ont pas d’argent pour faire la promotion, alors il faut faire de l’autopromotion. Mais, même si on a beaucoup d’amis sur Facebook ou de nombreux followers sur Twitter, il n’est pas évident qu’on vende beaucoup de livres. Moi, j’ai beaucoup d’amis sur Facebook – dans la vie aussi – et il y a beaucoup de gens qui me demandent de faire des critiques ou de faire des présentations parce qu’ils pensent que je suis très connue, mais ce n’est pas le cas même s’il est vrai que certains de mes livres ont eu du succès.

♦ Geoffroy Pelletier
Il y a un chemin de traverse dont vous m’avez parlé, qui est assez étonnant et qui consiste à recevoir un prix littéraire, ce qui semble plutôt intéressant au début, mais qui se révèle être finalement un piège.

♦ Llucia Ramis
Absolument. Dans les années 90, en Espagne, les grands groupes éditoriaux trouvaient un intérêt à promouvoir la littérature, les écrivains étaient encore des pourvoyeurs de prestige à cette époque. Je pense que l’Espagne est le seul pays au monde qui décerne des prix littéraires à des livres écrits, mais qui n’ont pas été publiés. Il y a de nombreux prix en Espagne – la grande majorité des maisons d’édition ont leur prix littéraire – dont un très important qui s’appelle le Premio Planeta. Il a été décerné la semaine dernière et il est doté de 600 000 €. Mais cette somme est considérée comme une avance et l’auteur, après avoir obtenu le prix, se retrouve prisonnier de la maison d’édition parce qu’il doit compenser les 600 000 € avec les ventes – ce qui est impossible avec un seul livre – donc tous les livres qui seront publiés durant le reste de sa vie serviront à effectuer ce remboursement. Ces prix qui théoriquement permettent de faire connaître des auteurs deviennent des systèmes qui servent à transférer des auteurs d’un groupe éditorial à un autre. Si un éditeur veut un auteur, il lui attribue un prix et c’est ainsi qu’un auteur passe d’un groupe à un autre. Ce qui fait qu’il existe des auteurs qui sont très bien payés, mais ils sont très peu nombreux et ce sont les mêmes qui travaillent dans des journaux comme auteurs de référence.

♦ Geoffroy Pelletier
Un prix littéraire qui se transforme en à-valoir, il fallait y penser, mais pourquoi pas ? Laurent Bettoni, vous êtes un polymorphe de l’édition ? Vous avez de multiples activités, une foule d’expériences. Vous êtes à la fois un écrivain avec une pratique de publication traditionnelle, avec des éditeurs traditionnels, puis vous avez connu l’édition numérique, l’autoédition, et ensuite vous êtes rentré dans une maison d’édition numérique. Pouvez-vous nous expliquer toutes ces facettes et toutes ces casquettes que vous avez et que vous menez de front ? Je ne sais toujours pas comment vous y arrivez, mais vous y arrivez.

♦ Laurent Bettoni
Moi non plus, c’est un petit peu miraculeux. J’ai été amené à avoir plusieurs casquettes, souvent par nécessité plus que par choix au départ. J’ai démarré de façon extrêmement traditionnelle en publiant mes livres chez des éditeurs dits traditionnels. Je ne sais pas trop ce qu’on appelle l’éditeur traditionnel et celui qui ne l’est pas, mais l’éditeur traditionnel c’est celui au sens où on l’entend en France. J’ai démarré en 2005, le but ultime étant pour moi d’avoir beaucoup de succès et de vivre de ma plume tout de suite. Au bout de quelques semaines, j’ai vite déchanté. Puis en 2012 j’ai appris par un ami auteur et également éditeur qu’il existait en France un système de plate-forme qui permettait aux auteurs de télécharger tout seul leur manuscrit, sans passer par un éditeur. J’ai trouvé ça un petit peu louche au départ, je m’en suis méfié ; pour moi l’édition ne pouvait passer que par un éditeur, mais je n’en trouvais plus qui me convenait. En effet, j’ai eu la chance d’avoir été publié pour mon premier livre par un monsieur formidable qui a disparu quelques mois après la parution de mon livre. Il était mon éditeur historique, et je n’ai jamais retrouvé ce que j’avais trouvé avec ce monsieur-là. Tous les éditeurs que j’ai vus par la suite, soit n’étaient pas intéressés par ce que je faisais, soit me faisaient des propositions qui ne m’intéressaient pas.

En 2012, je me suis dit : « J’en ai marre, après tout, il y a cette opportunité qui m’est offerte de l’autopublication, je vais voir ce que ça donne. Au pire, si ça ne me plaît pas, je m’en retirerai très vite et je me remettrai dans le circuit traditionnel ; et si ça me convient, tant mieux, j’aurai tout gagné. » Alors, j’ai publié un premier roman en février 2012 sur la plate-forme KDP qu’Amazon met à disposition des auteurs. Peu de temps après, j’ai mis ce même manuscrit en téléchargement sur iTunes, puis sur Fnac Kobo. Ce sont les trois plates-formes qui me paraissaient être les meilleures pour présenter mes livres au plus large lectorat possible. La chance que j’ai eue, c’est que je suis arrivé parmi les premiers. Nous étions trois ou quatre à l’époque à tenter l’aventure qui était assez décriée. C’est-à-dire que mes camarades auteurs pensaient que j’étais complètement fou de faire ça, que je me dévalorisais. Je n’étais plus considéré comme un auteur puisqu’aux yeux des lecteurs, des éditeurs, des journalistes, des chroniqueurs, un auteur c’est celui qui a publié chez Gallimard, chez Flammarion ou chez Grasset. Celui qui est publié ailleurs ou qui fait ça tout seul, c’est la honte. Nous venons d’écouter le secrétaire général de la Sacem. Pour moi, le courant indépendant en musique produit actuellement, à mon sens, les meilleurs groupes et le cinéma indépendant produit les meilleurs réalisateurs. Il n’y a qu’à voir comment se porte le Festival de Sundance. Je ne pense pas que l’on puisse dire que les réalisateurs qui y participent se dévalorisent !

Moi je m’étais dit : « Pourquoi ne pas créer un courant indépendant dans la littérature ? » La littérature française est peut-être une vieille dame qui n’aime pas être bousculée, ce n’est pas grave, on va la bousculer gentiment au départ et on va peut-être essayer de faire bouger les lignes et lui montrer qu’on peut danser une valse agréable ensemble. Nous étions trois ou quatre au départ, si bien que j’ai eu un succès bien supérieur à celui que j’avais rencontré dans l’édition traditionnelle et qui m’a permis, contre toute attente, d’avoir la visibilité que je n’avais pas réussi à acquérir auparavant, bien que j’ai bénéficié du support d’un grand éditeur au départ.

Ce petit succès d’autoédition m’a remis un peu en lumière et on s’est intéressé à moi. Il faut dire qu’Amazon, pour ne pas le citer, a joué le jeu avec moi au départ. C’est-à-dire que des journalistes téléphonaient et voulaient un nom d’auteur qui avait un petit succès sur cette plate-forme ; Amazon faisait circuler, entre autres, mon nom. Des journalistes m’ont appelé et ont écrit des articles sur moi. Il y a eu un petit frémissement autour de mon nom et j’ai été à nouveau visible dans la sphère éditoriale. Par la suite, j’ai été contacté par d’autres éditeurs ; ils trouvaient intéressant de profiter de ce regain de notoriété pour me faire de nouvelles propositions.

Aujourd’hui, ma production se partage équitablement entre l’autoédition et l’édition traditionnelle, c’est vraiment 50/50. Je dois avoir cinq romans publiés via l’édition traditionnelle et à peu près autant en autopublication. Alors, la question sous-jacente c’était : n’oublions pas les chemins de traverse de la rémunération de l’auteur à l’ère 2.0. Que m’a apporté l’avènement du numérique et l’autopublication comparativement à l’édition traditionnelle ? Il semble évident, même quand on n’est pas très bon en maths, que, sur des plates-formes de téléchargement, lorsque l’auteur perçoit 70 % de ses ventes, à vue de nez, cela va représenter plus que lorsqu’il en touche 8 ou 10 % chez un éditeur traditionnel, c’est vrai. Je ne peux pas dire le contraire, c’est le cas, même en proposant un manuscrit à 3,99 € sur une plate-forme de téléchargement, quand on touche 70 % de 4 €, ce n’est pas compliqué, cela fait 2,80 € perçus par livre vendu. Bien évidemment, je n’aurais jamais ça chez un éditeur traditionnel. Mais il faut se poser la question : est-ce que ce n’est pas l’arbre qui cache la forêt ? Qu’y a-t-il derrière ces 2,80 € ? Qu’ai-je été obligé de faire, moi en tant qu’auteur, pour percevoir mes 70 % de droits d’auteur ? Tout compte fait, n’était-ce pas mieux quand j’étais chez un éditeur traditionnel chez qui je touchais 8 % d’un livre à 20 € ? Là, je dirais que c’est à la libre appréciation de l’auteur. Si celui-ci est capable de faire lui-même sa correction, sa relecture, son travail éditorial, son travail de réécriture, sa couverture, la rédaction de sa quatrième de couverture, sa publicité, sa promotion… Oui ! Alors, restons seuls. Il y a quelques exemples aux États-Unis qui montrent que c’est peut-être pas mal. En France également, il y a un ou deux succès auxquels j’ai participé – vous m’avez posé la question sur ma casquette d’accompagnateur littéraire. Je dirais que oui, c’est bien quand on peut tout faire soi-même, mais il faut tout de même pondérer en disant qu’un livre c’est tout un travail derrière, qui demande un investissement à la fois personnel et de moyens, et qui pose aussi la question de savoir ce qu’on veut faire comme métier. Est-ce qu’on souhaite, de manière un peu pompeuse, créer une oeuvre ? Oui, c’est ce que l’on veut quand on est un artiste, on veut créer une oeuvre. Ou alors est-ce qu’on veut mettre à la vente ses souvenirs de vacances pour faire plaisir à sa famille et vendre trois exemplaires avec une couverture qui n’en est pas une, une faute d’orthographe par ligne, trois fautes de syntaxe par page ? Ce n’est pas une critique.

Moi, il se trouve que j’ai eu la chance d’être dans le milieu littéraire depuis des années. Donc, je sais faire absolument tout dans le livre. J’ai fait mes couvertures, mes textes de quatrième de couverture, mes argumentaires, j’ai relu, j’avais des relecteurs professionnels, je suis correcteur professionnel diplômé ; donc c’est vrai que j’ai eu beaucoup d’éléments qui m’ont incité à partir dans cette voie. Mais si je n’avais pas fait tout cela et si les livres que je proposais aux lecteurs n’avaient pas été de vrais livres, je suis convaincu que je n’aurais pas eu le petit succès que j’ai obtenu. Quand on parle d’autoédition, bien souvent, on fait l’amalgame entre un auteur solide, sérieux, professionnel – et il y en a de plus en plus qui proposent un livre à leur lectorat –, et des gens qui bricolent un peu et qui proposent un peu tout et n’importe quoi, il faut aussi faire la part des choses. Mais je pense que l’opération est viable quand on se professionnalise dans l’autoédition.

♦ Geoffroy Pelletier
Il y a un glissement progressif des termes qui me gêne un peu en passant de l’autoédition à l’indépendance. Depuis longtemps – et cela me dérangeait déjà un peu – on parlait des éditeurs indépendants par rapport aux grands groupes. Chaque éditeur a, d’une manière ou d’une autre, son indépendance. Quand nous comparons avec la musique ou avec le cinéma, dans le rock indépendant ou dans le cinéma indépendant, il y a quand même des producteurs qui ne sont peut-être pas des grands groupes, mais il y a des producteurs ; dans la musique il y a aussi un label et, même s’il est indépendant, il y a un label. Pour moi, l’autoédition, telle que nous l’entendons ici, c’est quand l’auteur fait tout tout seul. Et c’est là où des questions se posent. Vous disiez vous-même que ce n’est pas alternatif, c’est-à-dire qu’on peut continuer à travailler avec des éditeurs « traditionnels » et faire de l’autoédition. Il faut préciser que ce que vous touchez quand vous avez 70 % ce ne sont pas des droits d’auteur. Même si tout le monde n’est pas correcteur professionnel diplômé, que tout le monde ne sait pas rédiger une quatrième de couverture, cela se paye. C’est pour réaliser tout ce travail-là, qui n’est plus fait par l’éditeur mais, en quelque sorte, délégué à l’auteur, que servent ces 70 % .

♦ Laurent Bettoni
Ils servent à ça, ces 70 %, encore une fois, pour les auteurs qui le décident. C’est-à-dire qu’on ne peut pas obliger un auteur indépendant… alors, moi j’insiste sur la notion d’indépendance – je sais bien que c’est un glissement sémantique –, je pense que, derrière le terme d’auto publication il y a vraiment une connotation négative aujourd’hui qui me déplaît. Évidemment tous les livres autopubliés ne sont pas bons, mais tous les livres publiés chez des éditeurs traditionnels ne le sont pas non plus. Moi, ce qui m’intéresse quand je parle d’édition indépendante, quand je fais le parallèle avec la musique et le cinéma, c’est qu’il se peut tout à fait qu’un auteur indépendant qui a publié son livre tout seul se fasse repérer par un éditeur, ce qui commence à être le cas en France. Certains éditeurs font ce travail de veille sur les plates-formes de téléchargement. Ce qui peut donner le choix à l’auteur de continuer dans l’indépendance ou pas, mais, en tout cas, il se peut que le travail de production dont vous parliez en musique et dans le cinéma soit repris ensuite par un éditeur traditionnel qui aurait découvert un auteur indépendant avec lequel il pense avoir un bout de chemin à faire. Ces 70 % ne sont pas des droits d’auteur, alors qu’est-ce que j’en fais ? Moi, je les déclare comme des salaires, tout simplement. De la même manière que je déclare comme salaire mes droits d’auteur que je perçois de mes éditeurs traditionnels. C’est-à-dire qu’eux déclarent dans les organismes auprès desquels ils doivent déclarer et moi, lorsque je remplis ma feuille d’imposition, j’inscris mes droits d’auteur dans la case de mes salaires. Cela ne change rien avec les 70 % que je perçois en tant qu’auteur indépendant.

♦ Geoffroy Pelletier
Tout à l’heure, David El Sayegh parlait des trois fonctions d’un producteur de musique : faire découvrir et grandir son artiste, mettre en place une logistique de distribution et réaliser un travail de prescription. Un auteur autoédité peut-il faire tout cela ? Alors se découvrir, oui !

♦ Laurent Bettoni
Se découvrir, oui, mais pas forcément par les voies traditionnelles. Vous êtes tellement déjugé à l’heure actuelle quand vous vous présentez comme auteur indépendant ou autopublié que... même quand vous êtes un auteur publié chez un éditeur traditionnel, vous aurez remarqué que je ne fais ni la couverture de Match ni celle de Lire, je ne passe pas chez Busnel. La communication et la publicité, c’est extrêmement difficile quand on est un auteur, à plus forte raison quand on essaie de le gérer soi-même, mais c’est pire que tout quand vous êtes indépendant ou autopublié. Dans la tête des gens et surtout des chroniqueurs, des journalistes et même dans la tête des blogueurs et des gens qui ont des sites d’influence, vous êtes un raté. C’est-à-dire que si vous vous êtes autopublié, c’est qu’aucun éditeur n’a voulu de vous. En ce sens, je vous rejoins, ce n’est pas vrai du tout. Beaucoup, maintenant, font le choix de l’autopublication par volonté, non pas parce que ce sont des frustrés de l’édition. Ces gens-là n’ont même pas tenté de se faire publier par la voie classique, parce qu’on sait combien c’est de plus en plus dur, et ils font donc le choix de le faire tout seul. Évidemment, par la suite, se faire connaître, c’est extrêmement difficile. La première des choses c’est qu’il faut travailler ses réseaux sociaux : Facebook, Twitter, LinkedIn, Pinterest, avoir un blog très actif, communiquer énormément, mais surtout proposer de la qualité. Je l’évoquais tout à l’heure et j’insiste encore beaucoup maintenant, il faut vraiment se professionnaliser et proposer, quand vous êtes indépendant, un travail qui puisse soutenir la comparaison avec ce que le lecteur peut trouver dans l’édition traditionnelle. Il faut avant tout travailler son texte et le rendre le plus irréprochable possible.

♦ Geoffroy Pelletier
Vous disiez tout à l’heure que 70 % c’est forcément mieux que 8 % même sur une assiette qui diminue, mais cela suppose derrière de faire tout ce travail et de le financer. Vous avez même employé le mot d’investissement dans ce travail. Marie-Pierre Sangouard, parmi les différentes offres qui existent sur l’autoédition, sur l’autopublication, nous venons de parler de Kobo, d’iTunes. Comment se positionne Amazon ? Que proposez-vous aux auteurs qui souhaitent s’autoéditer ? Comment cela fonctionne-t-il ? Auriez-vous la gentillesse de nous donner quelques chiffres également ?

♦ Marie-Pierre Sangouard
En effet, Amazon a lancé l’autoédition assez rapidement après avoir vendu les premiers ebooks aux États-Unis en 2007. L’autoédition a dû commencer vers 2008-2009. Le constat était relativement simple, Amazon, qui connaît bien ses lecteurs, qui connaît bien ses clients, etc., avait observé qu’il existait beaucoup de personnes frustrées dans leur élan d’auteur. Amazon a proposé une plate-forme d’autoédition avec deux objectifs :
- Compléter l’offre éditoriale numérique des éditeurs traditionnels et accroître le nombre d’ouvrages disponibles à la lecture pour nos lecteurs ;
- Donner accès aux auteurs en puissance à un outil simple leur permettant de proposer leurs ouvrages directement au grand public.
Le deuxième point, pourquoi l’autoédition ? En effet, Amazon n’est pas éditeur, le travail de l’éditeur est un travail à part entière et l’autoédition, cela dit bien ce que cela veut dire, ce que nous rémunérons c’est un travail total, depuis le travail d’écriture, jusqu’au travail de diffusion et de distribution. Nous proposons une plate-forme et c’est tout ce que nous faisons. Nous considérons que dans la chaîne du livre, les deux parties les plus importantes sont l’auteur et le lecteur final.

À nous, intermédiaires de la chaîne – agents, éditeurs ou nous en tant que distributeurs vendeurs de livres – de défendre notre valeur ajoutée. Ceci étant dit, ce qui est important pour nous, dans ce cadre-là, c’est de donner à tous la même chance. Ces auteurs autoédités sont traités exactement de la même manière qu’un éditeur traditionnel sur la plateforme. C’est-à-dire qu’ils bénéficient de la même page « auteur », à condition bien entendu qu’ils la remplissent. Ils ont la même page de détail où vous mettez votre résumé, les autres livres que vous avez écrits, etc., la même chose que ce que font les éditeurs traditionnels en remplissant ces informations-là. Et bien entendu, ils disposent de tous les outils marketing de recommandations qui existent et qui sont les mêmes pour les éditeurs traditionnels.

Je dis ça pourquoi ? Parce qu’au bout de la chaîne, quand vous êtes un client, un lecteur, un acheteur de livre, vous n’êtes pas forcément très informé. Vous connaissez les grandes maisons d’édition, mais vous n’allez pas forcément chercher le dernier Gallimard ou le dernier Grasset, au mieux vous allez penser au dernier livre de Modiano, parce que vous en avez entendu parler ou que vous l’aimez, ou à un livre de cuisine, ou à une thématique, etc., et nous voulons donner sa chance à tout le monde. Ce qui veut dire que, quand le client se retrouve devant un livre, il n’est pas marqué dessus que c’est un livre autoédité. Il y a le nom de l’auteur qui est souvent un nom alternatif servant à cacher son identité, donc nous ne savons pas réellement à qui nous avons affaire. Il y a un résumé, un prix, éventuellement des commentaires clients, ce qui est très important puisque c’est le travail de l’éditeur traditionnel et de l’éditeur autoédité de faire découvrir l’oeuvre et de la faire acheter, de la faire décrire et commenter par les clients finaux. Nous évoluons dans un univers qui est transparent pour le client final, c’està- dire qu’il peut lire la proposition éditoriale.

Alors, que proposons-nous en plus en dehors de ces aspects purement marketing et ce qui fait le succès quand on mène les enquêtes auprès des auteurs et des éditeurs autoédités ? C’est effectivement la liberté et le contrôle. C’est important, parce qu’un auteur autoédité, autopublié garde le contrôle de ses droits, définit son prix, précise les plates-formes et les pays dans lesquels il veut être vendu. Nous lui proposons une rapidité de mise en oeuvre. Une fois, bien entendu, que le livre a été écrit, revu, qu’il a sa couverture, etc. Entre le moment où vous le téléchargez sur le site et celui où il est visible sur toutes les plates-formes, il se passe quelques heures et c’est quelque chose de très particulier. Une autre liberté importante : l’auteur conserve ses droits, il est propriétaire de ses droits, il peut aller les vendre à qui il le veut, quand il le veut et à tout moment.

♦ Geoffroy Pelletier
Quand vous dites qu’il peut les revendre à qui il veut à tout moment, c’està- dire qu’il peut arrêter l’autoédition à n’importe quel moment et aller les céder en exclusivité à un autre éditeur ?

♦ Marie-Pierre Sangouard
Exactement, il est seul maître à bord. C’est ce qui fait la différence fondamentale. Et effectivement, quand il a compris aussi que la qualité du travail était extrêmement importante, parce que les commentaires clients peuvent être très violents, quand on vous dit : « Votre livre avait l’air pas mal, mais j’ai arrêté au bout de trois pages à cause des fautes d’orthographe et de conjugaison. » C’est arrivé à quelques grands auteurs autoédités de chez nous, c’est très violent. Dans ces cas-là, effectivement l’auteur prend la décision d’aller chercher des services éditoriaux, ce qui peut parfois être difficile à gérer car il sait ce qu’il veut et peut être intransigeant. Et enfin le dernier point, c’est sa relation directe avec le lecteur final. Il est directement confronté aux commentaires de ses lecteurs avec ce que ça a de bon et ce qui peut être difficile à digérer. Un éditeur en général protège un peu plus l’auteur. Là, vous êtes confronté directement, vous êtes maître à bord avec les points positifs et les points négatifs.

♦ Geoffroy Pelletier
C’est-à-dire qu’Amazon s’adresse aux auteurs autoédités comme s’ils étaient des éditeurs à part entière. Il n’y a aucun regard sur le texte ni aucune forme de censure ?

♦ Marie-Pierre Sangouard
Non, nous ne jugeons pas, nous ne dirons pas si le texte est bon ou pas. Nous n’avons pas de ligne éditoriale. Tout est accepté et le choix final est fait par les clients. Sur les dizaines de milliers d’auteurs en français et les centaines de milliers d’auteurs dans les autres langues, tous ne font pas des succès éditoriaux. Passer par l’autoédition ne garantit pas un succès. En revanche, cela peut vous permettre le succès et peut aussi servir, parce que certains auteurs – comme Laurent Bettoni le décrivait – l’utilisent comme un préalable avant d’aller démarcher des éditeurs. C’est mieux que de passer par un service manuscrit sans avoir rien de particulier à dire. Là, vous arrivez chez l’éditeur en lui donnant vos chiffres de vente ; c’est un indice de potentiel succès qui peut intéresser des éditeurs. Effectivement, il y a de plus en plus d’éditeurs français qui s’intéressent au phénomène et qui signent des auteurs autoédités comme Agnès Martin- Lugand, comme Alice Quinn, qui sont tout à fait « éditables » de manière traditionnelle.

Il est important de constater que cette forme d’édition est reconnue. On constate par exemple chez nous, par rapport au début de l’année, que près de 40 % de nos tops 100 sont vraiment des titres qui viennent de l’autoédition. Tous les jours, dans le top 100 des meilleures ventes, il y a entre 35 et 40 titres qui sont des titres autoédités. L’année dernière, la meilleure vente en numérique d’Amazon était un titre autoédité, Un palace en enfer d’Alice Quinn, devant Fifty shades of grey, Musso et Levy, c’est intéressant, cela veut dire qu’il y a des livres qui trouvent leur public. Il y en a beaucoup d’autres qui ne le trouvent pas non plus, mais comme le disait Laurent, effectivement il y a une offre qui est importante, tous ne font pas le travail nécessaire et malheureusement tout le monde ne trouve pas son public. Les auteurs qui réussissent sont ceux qui font ce travail de blog, ce travail de référencement, certains s’achètent même des campagnes Facebook ou des mots clefs dans Google… Puis il y a des petits miracles. Notre auteur de l’année qui a un nom de code absolument imprononçable – Utroi Wendall – a écrit un polar qui s’appelle Un genou à terre. Lui, il n’a rien fait de particulier, il a posté son livre, il a très bien fait son travail d’éditeur de copy editing, pas de fautes d’orthographe, une couverture correcte, et puis il a réussi à le faire lire à des gens qui l’ont bien commenté et le bouche à oreille s’est fait. Il fait partie des livres miraculeux qui, de temps en temps, rencontrent un succès qu’on n’attendait pas.

♦ Geoffroy Pelletier
Nous avons parfois deux visions possibles de l’autoédition, notamment quant à son succès ou pas. Nous pouvons avoir l’impression qu’il s’agit d’une grande loterie dans laquelle on a quelques millionnaires, les « Kindle millionnaires » comme nous les appelons, et puis il y a tous les autres joueurs qui n’ont pas gagné. Nous pouvons aussi avoir cette idée que finalement tout le monde y trouve plus ou moins son compte. On ne cite que le nom de ceux qui vendent le plus, mais nous avions des chiffres dans l’étude sur les auteurs anglais hier qui indiquaient que 25 % des auteurs recourent à l’autoédition et que, pour 40 % d’entre eux, le retour sur investissement est satisfaisant, ce qui est quand même pas mal. De plus, 86 % d’entre eux referont de l’autoédition. Nous avons de manière un peu agaçante toujours trois noms qui reviennent en boucle, comme si c’étaient les trois seuls qui avaient réussi dans cette espèce de grande loterie. Qu’est-ce qui fait que certains auteurs rencontrent le succès plus que d’autres ? Est-ce uniquement lié au prix très faible et est-ce que, dans le top 100 d’Amazon, on ne retrouve que les livres qui ont des prix très faibles ? Est-ce le fait d’avoir fait une belle couverture et de ne pas avoir fait de fautes d’orthographe ? Tout cela ne fait pas nécessairement un bon livre. S’il s’agit d’une belle mise en forme, sans contenu et que ça marche, c’est un peu inquiétant. Si c’est le bouche à oreille et les réseaux sociaux qui font le succès d’un livre, c’est plus intéressant. Est-on entre les deux ?

♦ Marie-Pierre Sangouard
Je dirais que cela ressemble à l’édition traditionnelle dans les résultats. Premièrement, l’autoédition est une option, c’est un choix de plus pour des gens, qu’ils soient auteurs ou pas. Il y en a qui rentrent dans l’autoédition parce qu’ils veulent transmettre leurs souvenirs à leurs petits-enfants. Ils savent qu’ils auront un public restreint, ils sont publiés et ils sont satisfaits, ils n’ont pas d’ambition de ventes. Vous avez ceux qui s’y sont lancés un peu pour passer le temps, puis qui se sont pris au jeu. Typiquement le duo Jacques Vandroux, un ingénieur et sa femme, chercheuse. Elle corrige, elle a un peu le rôle de l’éditeur et lui écrit. Ils se sont lancés parce que monsieur écrivait pour passer son temps dans les aéroports et ils se sont pris au jeu. Et vous avez ceux qui sont un peu plus « intéressés », qui s’en servent comme tremplin pour approcher un milieu plus traditionnel.

Et puis, vous avez ceux qui sont comme à la loterie, qui gagnent, mais qui n’en ont rien fait. Généralement, ceux qui gagnent sont ceux qui travaillent. Et tous le diront, il y a rarement de fumée sans feu. Certes, la mise en place, appuyer sur le bouton download, c’est très rapide ; mais le travail en amont et celui en post production sont extrêmement importants. Les textes qui marchent et qui fonctionnent, quand vous réalisez 10 000 ou 20 000 ventes, il est impossible que ces textes soient mauvais. Bien entendu, chacun voit midi à sa porte. Certains aiment bien Lévy, d’autres le détestent et il n’y a pas de jugement à porter sur ce point. Mais 15 000 personnes qui lisent et qui apprécient ou même simplement 3 000 personnes qui apprécient un ouvrage, on peut dire de cet ouvrage qu’il a apporté quelque chose.

♦ Geoffroy Pelletier
Cela va développer des offres de formation pour les auteurs autoédités, des sociétés de service vont se développer...

♦ Marie-Pierre Sangouard
Exactement, nous avons vu le lancement – dont Laurent a été une fois de plus un des pionniers, puisqu’il a apporté ses services de coaching littéraire –, d’une société comme Librinova qui est dirigée par deux personnes qui viennent d’un grand groupe d’édition et qui proposent des services d’édition, non pas en temps qu’éditeurs, mais en tant que prestataires de services, de copy editing, de design de couverture et de rôle d’agents. C’est intéressant, parce qu’il y a une offre de service qui se développe et ce sont aussi de nouvelles opportunités.

♦ Geoffroy Pelletier
Alors, je repose ma question avec peut-être plus de chance la deuxième fois. Nous avons vu qu’au Royaume-Uni 18 millions de titres autoédités ont été achetés pour un chiffre d’affaires de 59 millions de £. Les chiffres en France, le nombre d’auteurs autoédités, le nombre de titres...

♦ Marie-Pierre Sangouard
Au total, en nombre de titres autoédités que ce soit en langue française et langue anglaise, etc., nous sommes à plusieurs centaines de milliers de titres. En France, nous sommes à plusieurs dizaines de milliers et c’est un mouvement qui se développe bien puisque l’offre de titres d’éditeurs traditionnels est relativement courte par rapport aux livres que nous vendons en version papier, et c’est un point sur lequel j’insiste, il faut que les éditeurs continuent à numériser.

♦ Geoffroy Pelletier
J’ai plusieurs questions à poser maintenant à Franck-Olivier Laferrère, un éditeur qui s’est lancé sur des offres alternatives, des innovations, des paris, sur une nouvelle façon de commercialiser le livre. Pouvez-vous nous en dire un peu plus, notamment sur ces fameuses cartes postales dites numériques ?

♦ Franck-Olivier Laferrère
Je vais essayer. Paradoxalement, nous avons fait le choix du numérique en publication, en première intention. On ne publie pas que numérique, on publie d’abord les livres en numérique et ensuite en papier, pas à la demande, mais en série limitée. Parce que nous envisageons le livre numérique comme le livre de poche de demain. C’est-à-dire que ce que le livre de poche a réussi à faire dans les années 60 dans la démocratisation de la littérature, le livre numérique pourrait aussi le faire et nous le concevons ainsi, nous pouvons aujourd’hui pratiquer des prix en dessous du livre de poche. Mais paradoxalement nous ne croyons pas tellement à la vente en ligne. Nous parlions tout à l’heure de la tyrannie des choix, elle est évidente, donc nous mettons nos titres sur les plates-formes parce que les auteurs y tiennent, parce que les éditeurs – car nous proposons à d’autres éditeurs de faire comme nous – le souhaitent aussi, mais nous le faisons sans y croire. Comment fait-on pour que ce livre numérique se retrouve dans les espaces de vente de livres, c’est-à-dire dans les librairies ? L’Internet, comme nous l’avons conçu ensemble, à mon sens à tort, nous l’avons construit comme un espace de gratuité et il est très difficile de revenir là-dessus parce qu’on le pratique comme ça depuis 10 ou 15 ans. Pour moi, l’autoédition, c’est le glissement du blog. Les auteurs au départ ont ouvert des blogs pour essayer de se faire connaître par des éditeurs ou pour faire de l’autopromotion. Dans l’autoédition il y a quelque chose de plus abouti que le blog, mais il s’agit de la même démarche. Le lecteur, sur Internet, peut avoir ça gratuitement. Moi, je dis souvent à nos auteurs : « Faites comme vous voulez. Vous pouvez effectivement donner gratuitement à lire ce que vous écrivez, mais ne vous étonnez pas que lorsqu’il va falloir passer à l’acte d’achat, ce sera sans commune mesure. » Il y a des auteurs qui mettent des textes nouveaux presque tous les jours et qui ont 200 « j’aime » et quand ils publient, ce n’est même pas à cette hauteur-là d’achats réalisés.

L’idée de ce livre numérique de poche ou poche numérique est de le mettre dans les librairies, pour que les libraires fassent le travail qu’ils font depuis toujours, c’est-à-dire défendre des textes, des contenus. Ni les grands ni les petits éditeurs n’ont la recette d’un succès, sinon nous le saurions. En revanche, il peut y avoir des coups de coeur pour un texte, qui sont relayés par les libraires. Un libraire est aussi capable de tomber amoureux d’un texte, de le défendre et d’en vendre des quantités astronomiques parfois. Dernièrement, une libraire sur Twitter avec qui je suis ami a vendu presque 400 exemplaires d’un titre dans l’année à elle toute seule, parce qu’elle l’a aimé et parce qu’elle l’a défendu. Moi, je crois beaucoup au rôle des libraires. Et je pense que tout le monde a constaté qu’il s’opérait un mouvement de réouverture de librairies physiques aux États-Unis, alors qu’il y avait eu un recul et qu’on pensait que le numérique allait tout ravager. Moi, je pense que les gens ont besoin de ce contact ; moi, j’en ai besoin. La librairie a besoin d’exister et le livre numérique en librairie avec un libraire qui défend non pas un objet, mais un texte, je crois que ça fonctionne.

♦ Geoffroy Pelletier
Mais comment ça marche ? Parce que le texte n’apparaît pas sur ces fameuses cartes.

♦ Franck-Olivier Laferrère
Beaucoup de choses ont été tentées et imaginées, toujours des choses qui coûtent beaucoup d’argent. Alors, il y a des gros groupes de libraires qui ont des moyens, mais il y a beaucoup de petits libraires indépendants qui n’en ont pas. Il y a eu un mouvement pour pousser les libraires à avoir des sites de vente en ligne, donc à se mettre en compétition en ligne avec Amazon par exemple, ce qui paraît totalement absurde. Soit les gens se rendent en librairie, soit s’ils sont en ligne, ils vont sur des gros sites qui offrent un choix maximum. Nous avons pensé un objet qui ne demande pas d’investissement pour le libraire et qui prend la forme d’une carte postale avec la couverture et la quatrième de couverture du livre, un lien de téléchargement et un code remis par le libraire au moment de la vente. Le libraire peut, s’il le souhaite, mettre à disposition une tablette dans sa librairie permettant à ces clients de consulter les titres qui sont disponibles. Le libraire est libre de choisir de travailler avec cette nouvelle forme de livre ou pas.

♦ Geoffroy Pelletier
Vos livres n’existent qu’en format numérique ?

♦ Franck-Olivier Laferrère
Non, comme je vous le disais, nous faisons les deux.

♦ Geoffroy Pelletier
Mais ce livre en carte postale, il est à la fois physiquement dans les librairies et sous la forme de cartes postales.

♦ Franck-Olivier Laferrère
Oui.

♦ Geoffroy Pelletier
Ils peuvent donc être consultés en version physique.

♦ Franck-Olivier Laferrère
Il y a une publication décalée. Il y a une grande rapidité dans la publication en numérique. Moi, je pense que le numérique permet de donner du temps à la littérature. C’est-à-dire qu’un livre qui n’a qu’une sortie papier aujourd’hui a une durée de vie d’un mois et demi, deux mois en librairie. Bien sûr, s’il a un certain succès, il va durer, mais si la presse n’a pas réagi tout de suite à sa sortie, au moment de sa diffusion distribution, le libraire ne le garde pas, c’est la réalité d’un livre. Et pourtant un texte de littérature a besoin de temps, une voix a besoin de temps pour cheminer, pour qu’on la découvre, pour que des gens en parlent, pour qu’ils le lisent. Il m’arrive d’entendre parler d’un texte, de le chercher en librairie quatre mois plus tard et il n’y est plus, alors je dois le recommander.

♦ Geoffroy Pelletier
En termes de fixation de prix et de rémunération, où vous situez-vous ? Laurent Bettoni disait que 70 % de 4 €, c’est mieux qu’un taux très faible sur un prix de vente plus important, encore faut-il en vendre beaucoup pour que ce soit intéressant, d’où l’importance de la promotion. Vos gammes de prix sont-elles identiques en numérique et en papier ?

♦ Franck-Olivier Laferrère
Non, il y a une vraie différence entre le prix numérique et le prix papier. Nous avons fait le choix d’éditer de beaux objets livres en série limitée ; ils sont imprimés à Montpellier, façonnés à la main ; ce sont des dos carrés, cousus-collés en papier bouffant. L’objet livre, s’il coûte 20 €, il les vaut vraiment. Et le livre numérique, lui, en revanche, est en dessous du livre de poche. Quand je vois un PDF proposé au moins aussi cher ou plus cher que le livre de poche, moi, je ne comprends pas.

♦ Geoffroy Pelletier
Et le taux de rémunération suit quelle courbe quand le prix de vente chute ?

♦ Franck-Olivier Laferrère
Il est de 25 % pour l’auteur pour la version numérique.

♦ Geoffroy Pelletier
Sur les recettes ou sur le prix de vente ?

♦ Franck-Olivier Laferrère
Sur le prix de vente.
Si nous parlons de l’autoédition, 70 %, c’est quand l’auteur est capable de tout faire tout seul, mais, dans le cas contraire lorsqu’il va devoir faire appel à toutes ces entreprises qui vont se créer, combien va-t-il lui rester ?

♦ Geoffroy Pelletier
Oui, mais 25 % de rémunération sur le prix public devient un taux de rémunération qui est relativement intéressant. Nous ne sommes malheureusement pas dans ces moyennes-là sur l’ensemble de la rémunération des auteurs pour les livres numériques.

♦ Franck-Olivier Laferrère
Mais il y a aussi une question d’éthique. Nous avons créé E-Fractions sur une base éthique avec une volonté de défendre une littérature contemporaine d’auteurs vivants qui, s’ils vendent, sont rémunérés. Nous avons un taux de 25 % parce que c’est ce que nous pouvons faire.

♦ Geoffroy Pelletier
Laurent Bettoni, aux éditions La Bourdonnaye, vous êtes sur quels modèles de rémunérations ?

♦ Laurent Bettoni
Exactement similaire, puisque chez La Bourdonnaye, nous rémunérons nos auteurs à hauteur de 25 % du prix hors taxes du livre quand il s’agit d’un livre numérique vendu en dessous du prix d’un poche. Nos livres numériques sont commercialisés 4,99 € et l’auteur est rémunéré à hauteur de 15 % sur le prix hors taxes du livre quand il s’agit du papier, et ce dès le premier exemplaire vendu. C’est-à-dire que nous sommes deux fois au-dessus de ce qu’on peut percevoir dans l’édition dite traditionnelle. Nous avons voulu que ce soit un véritable partenariat avec nos auteurs, c’est aussi parce que je suis auteur. Quand Benoît de La Bourdonnaye m’a recruté dans son équipe, il savait qu’il faisait rentrer le loup dans la bergerie, mais il était dans cet état d’esprit-là. C’est ce qui a fait que je suis aussi partie prenante dans cette aventure. Nous essayons de rémunérer du mieux possible nos auteurs et nous les rémunérons tous les trois mois avec une reddition des comptes tous les trois mois. C’est une grosse usine à gaz, mais nous nous y tenons et nous espérons passer à une fois par mois.

♦ Geoffroy Pelletier
Avec combien d’auteurs ?

♦ Laurent Bettoni
Pour l’instant, nous sommes à une quinzaine de titres par an. Moi, je suis arrivé dans l’entreprise il y a moins d’un an, donc nous démarrons et nous savons que nous devons investir et développer énormément dans le logiciel qui nous permettra de payer nos auteurs une fois par mois. D’autres y arrivent, nous ne serons pas les premiers à le faire. Les éditions Kero le font par exemple. Philippe Robinet était là hier, je l’ai rencontré il y a plus d’un an et nous avions discuté à ce propos ensemble ; nous étions d’accord sur à peu près tout. Voilà, nous partageons cette idée de l’édition dans laquelle l’auteur doit être payé, bien plus que ce qu’il l’est actuellement dans la mesure du possible, évidemment. Nous sommes une entreprise comme n’importe quelle société d’édition, il faut que nous fassions des bénéfices et que nous en vivions, c’est à ce prix-là que nous pourrons aussi trouver d’autres auteurs et miser sur eux. Mais nous estimons que 8 % avec un contrat qui va jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur, ce n’est ni très sexy ni très gentleman. Ce que j’ai oublié de dire c’est que nos contrats courent sur dix ans, renouvelables tous les dix ans par tacite reconduction.

♦ Geoffroy Pelletier
Nous sommes plutôt favorables à ces pratiques, encore faut-il que vous puissiez démontrer qu’avec un nombre d’auteurs plus important, c’est faisable, mais nous sommes persuadés que ça l’est.

♦ Laurent Bettoni
Nous sommes persuadés que ça l’est.

♦ Marie-Pierre Sangouard
Dans l’autoédition, nous sommes capables de les rémunérer tous les mois. Nous leur donnons des statistiques de vente quotidienne et ils sont payés tous les mois, donc ce doit être possible.

♦ Geoffroy Pelletier
Quel que soit l’éditeur – traditionnel ou auteur autoédité – les statistiques et les chiffres de ventes sont communiqués quotidiennement par Amazon.

♦ Marie-Pierre Sangouard
Tout à fait, mais un autoéditeur qui est aussi auteur a ses chiffres de ventes et ses paiements tous les mois.

♦ Geoffroy Pelletier
Ce qui veut dire qu’un éditeur traditionnel a ces informations également et qu’il pourrait les partager un peu plus régulièrement.

♦ Franck-Olivier Laferrère
Le problème c’est de recevoir les informations. Amazon n’est qu’un endroit de vente. Nous, par exemple, quand il s’agit de tous les libraires indépendants qui sont en train de devenir partenaires, nous ne sommes pas prêts de recevoir des informations et il ne s’agit pas de mauvaise volonté, c’est parce qu’ils sont débordés.

♦ Geoffroy Pelletier
Dans les chemins de traverse que nous avons commencés à parcourir se reproduit assez souvent une vente qui est pour l’instant à l’unité, qu’elle soit autoéditée ou éditée traditionnellement, une dématérialisation dans certains cas, une rematérialisation de fichiers numériques dans d’autres cas pour avoir une vraie présence en librairie. Chez les éditeurs dits traditionnels – je suis désolé pour cette expression –, comment réagissez-vous à ce phénomène évident de l’autoédition ? Est-ce pour vous un vivier que vous surveillez ? Est-ce un modèle qui s’oppose ou un modèle complémentaire dans lequel certains auteurs peuvent passer de l’autoédition à une édition plus classique ? Et quelles sont les formes alternatives que vous proposez de diffusion du livre numérique sous des aspects dont nous n’avons pas encore parlé d’abonnements, de forfaits, etc. ?

♦ Patrick Gambache
J’ajouterai aussi une question que vous ne m’avez pas posée sur la reddition de comptes. Je pense que nous sommes en train d’avancer et nous allons bientôt proposer, dans certains groupes, des redditions de comptes en lien avec les flux d’informations qui peuvent remonter automatiquement, à condition que nous ayons l’ensemble de ces informations et qu’elles soient le plus justes possible, bien entendu.

L’autoédition est une question compliquée pour un éditeur puisque généralement c’est ce qu’il n’a pas voulu publier, même s’il y a aujourd’hui chez certains auteurs le souhait de ne pas chercher à être publiés par un éditeur traditionnel. Aujourd’hui une maison comme le Seuil, c’est 1 700 manuscrits proposés par an et en effet, ils ne sont pas tous retenus, loin de là. Nous, aujourd’hui, nous essayons de faire une veille sur Internet pour voir ce qui s’y passe ; c’est un révélateur de tendance, c’est un révélateur de ce qui se fait en dehors des maisons d’édition et nous en sommes curieux. Aujourd’hui, une veille existe chez beaucoup d’éditeurs sur la question de l’autoédition. Effectivement, quand on repère un auteur, on se demande si on ne l’avait pas loupé. On connaît tous des histoires magnifiques de manuscrits qu’on n’avait pas vus. Est-ce un auteur qu’il faut suivre ? Aujourd’hui cette question est très sensible du fait du développement de l’autoédition, c’est évident. Pour un éditeur, cette problématique de l’autoédition est difficile à gérer, du moment qu’ils n’ont pas vu ou pas pris ces manuscrits ; il faudrait créer des entreprises parallèles qui feraient de l’autoédition pour ne pas les laisser passer ; je pense que ce serait une très mauvaise solution. Mais il y a eu des gens qui ont réfléchi à cette question en envisageant un label à côté. Moi, je trouve très compliqué de dire à un auteur qu’on ne va pas le publier au Seuil, mais qu’en revanche nous gérons une petite maison qui n’a pas de nom et qui va l’autoéditer. Aujourd’hui, on s’applique vraiment à suivre ce qui se passe sur l’ensemble de la blogosphère et du Net en général.

♦ Geoffroy Pelletier
Sur les autres offres alternatives que proposeraient les éditeurs traditionnels concernant les abonnements et les forfaits, à la fois aux particuliers et aux bibliothèques ?

♦ Patrick Gambache
Aujourd’hui, l’ensemble de la profession réfléchit à l’offre bibliothèque qui se fait en priorité en partenariat avec les auteurs et avec les libraires. L’idée était de trouver des offres qui continuent à passer par la chaîne du livre actuel. Je pense à des projets comme PNB (prêt numérique en bibliothèque) ou autre qui essaient de « recomposer » les liens qui existent entre un bibliothécaire et son libraire qui est capable de proposer une offre sur l’ensemble des titres disponibles en numérique. La question qui suit est sur le modèle économique. Qu’achète le bibliothécaire ? Achète-t-il un fichier ? Jusqu’à présent il achète un livre qui appartient à un fond qui, au bout d’un temps, se détériore. En rachète-t-il un autre ou va-t-il plutôt acquérir une licence d’utilisation d’un fichier ? Ce sont des questions qui se posent. Nous allons très certainement vers une offre de téléchargement dont l’idée est plutôt qu’un bibliothécaire puisse prêter un fichier. Bien entendu, il faut que ce fichier puisse être protégé sous une forme « chronodégradable » qui reproduirait le prêt papier. C’est-à-dire que le prêt est fait pour une période et, arrivé à échéance, le fichier est détruit ; il s’arrête, il ne peut plus être ouvert ou alors une demande de prolongation auprès du bibliothécaire doit être faite. Bien entendu, les bibliothécaires réfléchissent aussi à une offre en streaming qui pourrait être visionnée à l’extérieur. N’importe quel lecteur de bibliothèque qui a un mot de passe, qui est adhérent ou abonné à la bibliothèque peut, avec un login, accéder à un site qui lui permettra de lire en streaming les titres qui ont été acquis par la bibliothèque.

♦ Geoffroy Pelletier
Sur les rémunérations des auteurs dans ce cadre-là, comment cela se passet- il ? Est-ce l’équivalent du prix de vente d’un livre numérique ou d’un livre physique, indépendamment du nombre de prêts ou de consultation ? Dans des formules d’abonnements, comment calculez-vous la rémunération ?

♦ Patrick Gambache
Dès lors que nous pouvons tracer le fichier et le nombre de prêts, la rémunération reste « la même » que pour un livre classique, c’est-à-dire qu’un auteur touche à chaque fois qu’il y a eu une vente de réalisée via un libraire ou autre. Au travers de PNB, un libraire va vendre à une bibliothèque un livre papier ou un fichier numérique, ce qui entraîne une vente déclarée. L’éditeur, grâce au travail de mise en place du PNB, est capable de suivre les ventes et le nombre de prêts, puisqu’avec les ventes est attaché un nombre de prêts.

♦ Geoffroy Pelletier
Concernant les formules d’abonnements, quelle est la position des éditeurs ? Marie-Pierre Sangouard, pouvez-vous nous parler de ces formules qui existent aux États-Unis ?

♦ Marie-Pierre Sangouard
En Grande-Bretagne et en Allemagne aussi.

♦ Geoffroy Pelletier
Qui ne vont donc pas tarder à exister ou à être proposées probablement en France. Quelle est la position des éditeurs et comment cela va-t-il se mettre en place, y compris pour la rémunération de la chaîne ?

♦ Marie-Pierre Sangouard
Il y aura une mise en place, mais je ne peux pas vous parler de projet pour la France. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Allemagne, nous avons plusieurs modèles selon les différentes lois en vigueur et les différents contrats, mais vous comprendrez que je ne suis pas habilitée à m’exprimer sur la nature particulière des contrats que nous signons à la fois avec les éditeurs et également avec les auteurs, puisque les auteurs autopubliés en font partie.

♦ Geoffroy Pelletier
Mais quel est le fonctionnement des modèles de ventes de ces offres d’abonnement ?

♦ Marie-Pierre Sangouard
Le principe est relativement simple. Pour un abonnement mensuel qui va de 9,99 aux États-Unis à 9,99 € en Allemagne et 7,99 £ en Grande-Bretagne, vous avez accès en mode illimité – je reviendrai sur ce que nous entendons par illimité – à l’offre de titres autorisés par les auteurs ou les éditeurs, et donc disponibles dans ces programmes-là. Accès illimité, cela veut dire que l’on peut emprunter, sous condition d’un paiement régulier, tous les mois autant de livres que l’on veut, sous réserve qu’à un instant T, on ne peut avoir que dix livres empruntés au même moment sur son appareil. Ce qui signifie qu’on doit rendre les livres au fur et à mesure pour pouvoir en emprunter d’autres. Le jour où on ne paye plus son abonnement, les livres sont retirés via le Cloud, puisque le stockage se fait sur le Cloud et non pas sur la machine.

♦ Geoffroy Pelletier
La question de la rémunération de l’auteur – dans un dispositif où il y a pour un prix qui est presque inférieur de deux fois celui d’un livre physique, avec aujourd’hui une possibilité illimitée ou quasiment illimitée de consultations – est vraiment cruciale. Si je comprends bien, les auteurs autoédités font partie, s’ils l’ont accepté, de ce programme, comme les livres des éditeurs qui vous sont proposés.

♦ Marie-Pierre Sangouard
Pour les auteurs autoédités, il s’agit d’un système un peu particulier. Ceux qui participent sont des auteurs qui ont adopté la formule « select », c’està- dire qu’ils sont exclusifs Amazon. Dans ce cadre-là, ils sont rémunérés proportionnellement au nombre d’emprunts et au taux de lecture. Nous sommes capables de mesurer quand le taux de lecture est de plus de 10 % de l’ouvrage et, à partir de ce moment-là, nous déclenchons le paiement et ils reçoivent un montant fixe par emprunt calculé à partir d’un fond qu’Amazon abonde. Pour vous donner le prix le mois dernier : sur le mois de septembre, ce prix par emprunt s’élevait à 1,56 par emprunt d’un titre d’un auteur autoédité, et ce quel que soit le prix de vente du titre.

♦ Geoffroy Pelletier
Quelle est la position des éditeurs concernant cette offre ? Quelle est également celle des bibliothèques sur ces offres d’abonnements ? Si celles-ci ne concernent que des auteurs autoédités ? Comment cela se passe-t-il ? Quelle est votre réflexion aujourd’hui sur ces formules ?

♦ Franck-Olivier Laferrère
Nous ne nous sommes pas encore interrogés concernant les formules proposées par Amazon. Nous n’avons pas particulièrement envie d’y participer, nous sommes plus sur une réflexion avec les bibliothèques, dont PNB (qui est une grosse machine complexe) est un exemple. Là encore, nous avons essayé d’inventer un système plus souple pour que les gens aillent emprunter de la littérature contemporaine. Moi, je crois au rôle des bibliothécaires dans la transmission de cette littérature, dans leur capacité à la faire découvrir et je pense qu’il y aura une répercussion sur les ventes en librairie. Aujourd’hui, les bibliothécaires ont envie de défendre une littérature contemporaine qu’ils ont de moins en moins parce que les livres papiers sont chers, qu’ils ont peu d’espace et qu’il y a une littérature que l’on appelle littérature de niche, pour ne pas dire marginale – je pense à 13e Note Édition qui vient de fermer ses portes, ou Verdier pour qui on parle d’une littérature de niche – qui est moins représentée en bibliothèque. Aujourd’hui, via le numérique on pourrait à nouveau les faire rentrer en bibliothèque et donc donner la possibilité au bibliothécaire de le défendre. Nous, nous sommes sur une formule qui n’est pas tout à fait celle de PNB, mais qui s’en rapproche et qui est : un achat prix public égal 25 prêts autorisés.

♦Geoffroy Pelletier
Simultanés ?

♦ Franck-Olivier Laferrère
Oui. Pourquoi pas simultanés ?

♦ Geoffroy Pelletier
Pourquoi pas ?

♦ Franck-Olivier Laferrère
Ce qui veut dire qu’il y aurait 25 personnes qui emprunteraient le même titre en même temps ?

♦ Geoffroy Pelletier
Oui.

♦ Franck-Olivier Laferrère
Ce serait formidable !

♦ Geoffroy Pelletier
Ça dépend pour qui ! Pour les 25 personnes, oui.

♦ Franck-Olivier Laferrère
La possibilité qu’il y ait 25 personnes qui aient envie d’emprunter un titre d’une littérature qui, aujourd’hui, se lit peu ou pas et se vend peu ou pas, ce serait un progrès. Bien sûr pour les titres très populaires qui se vendent à 500 000 exemplaires, les grands éditeurs et l’auteur s’inquiéteront de passer de 500 000 à 300 000, même si la bibliothèque prête largement. Mais pour une littérature du milieu de chaîne qui s’est effondrée…

♦ Geoffroy Pelletier
Justement, il ne s’agit ni des 500 000 ni de ceux qui vendent à dix exemplaires par an.

♦ Franck-Olivier Laferrère
Oui, c’est sur le milieu de chaîne que nous reconstruisons une offre. Moi, j’aimerais bien arriver à la mise en place d’une formule qui permette la rémunération sur chaque prêt et pourquoi pas dans la formule en illimité, parce que c’est ce qui fonctionnerait bien avec les bibliothèques et qui serait le plus simple. Mais comment fait-on techniquement ? C’est en fonction du nombre de prêts. Et que trouve-t-on comme base de rémunération ? Pour chaque prêt combien tout cela rapporte-t-il à un auteur ? Si nous arrivons à répondre à ces questions, nous aurons résolu la question du prêt numérique en bibliothèque.

♦ Geoffroy Pelletier
Les auteurs sont prêts à en discuter avec vous avant que vous ne leur proposiez les solutions auxquelles vous serez tous arrivés. Sur les formules d’abonnements illimitées, quelle est la position de l’éditeur ?

♦ Patrick Gambache
Jusqu’à ce jour, nous avons refusé ce genre de modèle pour plusieurs raisons. En premier lieu, la notion d’illimité ainsi que celle d’un accès à la totalité d’un catalogue nous semblent ne pas être une bonne solution, et ce serait de surcroît compliqué à mettre en oeuvre. Nous avions envie d’avoir un catalogue d’auteurs choisi avec un travail spécifique. La notion d’illimité nous semblait faire perdre de la valeur à l’unité. Deuxièmement, pour ce qui est de l’abonnement sous forme de prêts, ce qui me gêne c’est qu’aujourd’hui nous venons concurrencer le travail que font les bibliothèques. J’ai plus envie actuellement que la prescription continue via les bibliothèques et via un système d’abonnement pour les bibliothèques plutôt qu’un système d’abonnement direct envers le particulier. De nos jours, on est nombreux à penser comme cela et il serait assez intéressant de mettre des offres en place sur de l’abonnement en bibliothèques de façon à pouvoir démontrer qu’il y a un intérêt à cela.

♦ Geoffroy Pelletier
La crainte des auteurs sur l’ensemble de ces sujets, c’est que tout se fasse sans que l’on puisse en discuter avec l’ensemble des associations d’auteurs, il faudrait que nous puissions échanger avant que ces modèles ne se mettent en place. Nous entendons trop souvent les éditeurs dire : « On en reparlera quand ces modèles existeront. » Non, nous voulons en parler avant que ces modèles existent puisqu’après les auteurs en prennent jusqu’à 70 ans après leur mort. Ces auteurs, qui ne sont pas encore morts, puisqu’ils sont dans la salle, j’imagine qu’ils ont de nombreuses questions.

♦ Dans l’assistance
Bonjour, j’ai été libraire et je suis auteur en devenir. Nous connaissons le prix fixe du livre papier, mais qu’en est-il du livre numérique ?

♦ Marie-Pierre Sangouard
Le livre numérique est également soumis à une loi sur le prix unique du livre numérique qui s’applique à tous. Un auteur autoédité définit un prix ; s’il met son livre en vente sur les différentes plates-formes, ce prix doit être le même sur toutes les plates-formes, comme un éditeur traditionnel qui définit un prix devant être le même partout. Un point important pour éviter les confusions, c’est que l’éditeur ou l’auteur indépendant a tout à fait la latitude de diminuer ses prix quand il le veut, pour la période pour laquelle il décide de le faire, à condition que ce nouveau prix s’impose de la même manière, dans la même période de temps sur toutes les plates-formes.

♦ Geoffroy Pelletier
Pour prolonger la question, en Espagne, il me semble qu’il y a une loi sur le prix unique du livre papier, une TVA réduite sur le livre papier, mais vous disiez que vous avez une TVA à 21 % sur le livre numérique et pas de loi sur le prix unique du livre.

♦ Llucia Ramis
Je ne crois pas.

♦ Marie-Pierre Sangouard
Je pense que le distributeur peut baisser le prix de 5 % maximum sur le prix numérique, comme sur le livre papier.

♦ Llucia Ramis
Je ne crois pas qu’il y ait de loi, mais je ne suis pas sûre.

♦ Dans l’assistance
Bonjour, je suis auteur. Je voudrais poser une question à la représentante d’Amazon, sur une question d’éthique qui moi me trouble personnellement. Cette plate-forme a une offre extraordinaire. Bien sûr vous êtes extrêmement puissants et vous avez quasiment le monopole, mais conjointement il y a eu une enquête faite par un écrivain publié chez Fayard intitulée En Amazonie, infiltré dans le « meilleur des mondes ». Je ne sais pas si certains d’entre vous l’ont lu, mais ce que vous proposez a un coût extrêmement élevé en termes de conditions de travail des gens qui travaillent chez Amazon. Je voudrais attirer l’attention sur le fait que nous sommes auteurs, les propositions faites par Amazon paraissent très alléchantes, mais dans le même temps nous sommes complices de conditions de travail désastreuses et insupportables à l’intérieur de cette entreprise.

♦ Geoffroy Pelletier
Je ne pense pas que ce soit une question, il s’agit plutôt d’un avis auquel il n’est pas forcément nécessaire de répondre, parce que cela n’a pas trait à la rémunération des auteurs, mais j’entends votre avis.

♦ The SF reader (pseudonyme)
Je suis blogueur. La question sur le prix unique du livre numérique et le prix unique du livre papier qui vient d’être posée, ainsi que celle sur les abonnements me donnent matière à réflexion sur la notion des offres couplées. Comment une offre couplée peut-elle marcher si on achète à la fois une version papier et que l’on veut la version numérique ? Y a-t-il une loi à ce propos ?

♦ Marie-Pierre Sangouard
Aujourd’hui, ça ne marche pas, parce que c’est interdit par la loi.

♦ The SF reader (pseudonyme)
Ne devrait-on pas demander de faire évoluer la législation ?

♦ Patrick Gambache
Il y a eu des tentatives, certains éditeurs ont cherché à faire des offres couplées. Aujourd’hui, ces pratiques se sont arrêtées, car nous avons reçu une recommandation forte de ne pas le faire, mais cela fait partie de ces travaux sur lesquels il faut que nous continuions à réfléchir, y compris avec le ministère pour savoir si nous souhaitons – en concertation avec tous les acteurs de la chaîne du livre – qu’il y ait des propositions couplées, car nous ne sommes pas tous d’accord sur cette question.

♦ Valérie Saint-Pierre
Je représente la maison d’édition Bayard. Nous avons parlé de pratiques favorables aux auteurs en termes de rémunération, 25 % du PPHT (prix public hors taxes) ; je pense que cela est assez exceptionnel. Pourriez-vous nous indiquer quelle est la pratique actuelle des éditeurs, par exemple de ceux distribués sur la plate-forme Eden ou plus traditionnels en termes de rémunération, qu’il s’agisse de vente à l’acte ou de vente dans des formules d’abonnement ?

♦ Patrick Gambache
Aujourd’hui, sur Eden, il n’y a que des ventes à l’acte. Je ne connais pas les rémunérations qui existent, en tant que distributeur, ni les contrats qui lient les 170 éditeurs à leurs auteurs pour ce qui est de leur rémunération. Ce que je peux vous dire sur les pratiques qui se font sur le prix du livre, c’est qu’un grand nombre d’éditeurs baissent en moyenne leur prix de 30 % sur Eden, avec une deuxième décote au moment du passage en poche pour beaucoup d’entre eux. Mais je ne peux pas vous dire s’ils sont en recettes nettes ou s’ils sont en prix public hors taxe.

♦ Geoffroy Pelletier
Moi je peux vous dire qu’ils ne sont pas à 25 % de rémunération sur le prix public pour le livre numérique ; dans le meilleur des cas un 10 % devient 12-13 %, voire un 15 %, mais cela reste très exceptionnel. Je ne sais pas pour les trois auteurs qui sont là... Au moment où le livre est passé en numérique, quels ont été les taux de rémunération qui vous ont été proposés ?

♦ Pénélope Bagieu
C’est le même.

♦ Geoffroy Pelletier
C’est la même chose. C’est-à-dire que si vous étiez à 10 % ou à moins, je ne sais pas en bande dessinée, vous restez à 10 % sur un prix du livre qui, lui, décote énormément, donc la rémunération à l’exemplaire vendu est beaucoup moins importante pour l’auteur.

♦ Laurent Bettoni
C’est strictement les mêmes aussi, pour moi.

♦ Llucia Ramis
Pas pour moi, je reçois 50 % du livre en numérique.

♦ Geoffroy Pelletier
Vous recevez 50 % des recettes ou du prix du livre ?

♦ Llucia Ramis
Des revenus de l’éditeur espagnol, et 10 % pour le papier, mais 50 % quand il est numérique.

♦ Geoffroy Pelletier
Parce qu’avec l’éditeur américain, nous avons vu que c’était 50 % de zéro.

♦ Llucia Ramis
Oui, mais les autres livres sont en espagnol ou en catalan, et je reçois 50 %.

♦ Geoffroy Pelletier
Ce qui fait à peu près 25 % si on le compare avec un prix public hors taxes en France, mais 25 % versus 10 % et parfois 15 %, c’est donc une rémunération plus importante.

♦ Llucia Ramis
Oui.

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
Vous avez dit qu’il était interdit par la loi d’avoir une offre couplée papier et numérique. En Allemagne, l’offre couplée va bientôt se répandre et je voudrais savoir, pour quelle raison en France la loi l’interdit ?

♦ Geoffroy Pelletier
En France, ce n’est pas une question de TVA qui interdirait le fait de pouvoir avoir une offre couplée : livre numérique et livre papier, puisque nous avons la chance, pour l’instant, de bénéficier d’un taux de TVA réduit aussi pour le livre numérique ; c’est la loi de 2011 sur le prix unique du livre numérique qui interdit ces ventes couplées. Il y a eu un prix unique sur le livre papier et il y a prix unique sur le livre numérique. Si vous offrez l’un ou si vous faites une décote importante sur l’un parce qu’on a acheté l’autre, ça revient à une opposition au principe de l’une des deux lois, quel que soit le sens dans lequel vous vendez le livre.

♦ Muriel Vandeventer
Je suis éditrice. Ma question concerne les modèles alternatifs d’édition. Est-ce que vous vous intéressez uniquement à la création ou vous intéressez- vous également à la remise en circuit de livres qui ne sont plus diffusés ou distribués ?

♦ Laurent Bettoni
Pour l’instant chez La Bourdonnaye, nous travaillons sur des oeuvres originales d’auteurs contemporains. Notre modèle économique nous le permet, nous pouvons investir en temps et nous avons opté pour un modèle économique qui nous permettait de ne pas faire beaucoup de dépenses au départ. Nous préférons mettre de l’argent dans la communication autour d’un auteur, autour d’un livre, autour d’une collection et dans le fait de pouvoir suivre un auteur sur des années, même s’il ne rencontre pas instantanément son lectorat, ce qui est de moins en moins le cas malheureusement chez les éditeurs dits traditionnels où il faut être bankable assez rapidement. Nous, avec le modèle économique que nous proposons, nous pouvons miser à long terme, nous l’espérons, le plus longtemps possible. Pour l’instant, nous fonctionnons à raison de 15 titres par an. Si un jour nous arrivons à fonctionner à 60 ou 70 titres par an, nous espérons maintenir ce modèle représentatif de notre philosophie. C’est avant tout des voix nouvelles, des écritures nouvelles, du sang neuf.

♦ Franck-Olivier Laferrère
Je peux répondre la même chose sur la partie édition, mais sur la partie diffusion ce n’est pas tout à fait vrai puisque nous permettons à des catalogues d’éditeurs qui ne sont plus disponibles d’exister à nouveau en numérique. Par exemple, les éditions du Serpent à plumes, dont nous numérisons actuellement 70 titres qui ne sont plus disponibles nulle part et qui vont l’être de nouveau en numérique, c’est pour moi fondamental. Mais en tant qu’éditeur, pour le moment nous ne faisons que de la création. Avec une exception, nous avons republié un titre épuisé qui avait paru en 2000 et qui n’était plus disponible et dont l’auteur avait récupéré les droits. Nous l’avons publié en numérique, car nous pensions qu’il était important que ce texte existe.

♦ Marie-Pierre Sangouard
Je voudrais ajouter un point à ce qui vient d’être dit. Dans le cadre de l’autoédition, nous avons aussi des agents ou de plus petits éditeurs qui passent par le circuit autoédition. Nous avons notamment un agent qui est un ancien éditeur d’un groupe bien connu ici qui, lui, se sert de l’édition numérique pour faire revivre des fonds. Il rachète des droits de titres d’auteurs vivants en général, mais qui ne sont plus exploités par leurs éditeurs, et il leur redonne une seconde vie en les publiant en numérique. C’est assez intéressant, parce que ça permet effectivement à des auteurs ou à des fonds de catalogues d’auteurs de revenir à la lumière et d’exister à nouveau en jouant sur le marketing.

♦ Hervé Hugueny, journaliste à Livres Hebdo
Ma question s’adresse aux représentants de La Bourdonnaye et E-fractions. Vos taux de droits assez généreux sont-ils toujours assortis d’à-valoir ?

♦ Laurent Bettoni
Chez La Bourdonnaye, pour l’instant, nous ne pouvons pas encore donner d’à-valoir à nos auteurs qui sont prévenus dès le départ, en espérant que cette situation soit temporaire. Cela dit, comme vous l’avez précisé, les droits qu’on leur reverse sont plus de deux fois supérieurs à ce qu’ils peuvent éventuellement trouver s’ils sont publiés dans l’édition traditionnelle, donc ils acceptent, ils sont plutôt ravis de signer chez nous et nous, nous sommes ravis de les accueillir. Pour bon nombre d’entre eux, ce sont des auteurs que nous avons repérés sur des plates-formes de téléchargement et qui sont indépendants, jusqu’à ce qu’on s’intéresse à eux.

♦ Franck-Olivier Laferrère
Je vais répondre la même chose. Pour le moment, nous ne pouvons pas proposer d’à-valoir, mais la situation devrait changer assez vite, c’est-àdire que courant 2015, nous devrions être en mesure de pouvoir le faire. Mais ça ne changera rien au taux de rémunération. Nous voudrions en avoir les moyens, parce qu’il nous semble que c’est important de le faire, mais il faut que cela soit viable pour nous, parce que, si nous n’existons plus, les textes des auteurs n’existent plus non plus. Il faut arriver à trouver un équilibre et c’est notre objectif.

♦ Geoffroy Pelletier
Merci. J’ai juste oublié une dernière question que je voulais poser tout à l’heure sur la reddition de comptes puisque nous avons juste effleuré le sujet. Nous avons vu que, dans de nombreux cas, il existe une possibilité, pour de petites productions ou de petites maisons, d’avoir une reddition de comptes plus régulière, quasi quotidienne dans le cas de l’autoédition. Philippe Robinet, présent hier, a mis en place des systèmes de transparence plus réguliers. Est-ce que, dans les maisons d’édition en général, cette réflexion évoquée lors de nos négociations entre auteurs et éditeurs, se met en place aussi ? Est-ce une réflexion générale ou cela ne concerne-t-il que certaines maisons d’édition en particulier ?

♦ Patrick Gambache
Pour un certain nombre de maisons d’édition, nous sommes un peu critiques sur la question des droits. Puisque, compte tenu des nouveaux modèles économiques, nos logiciels de gestion de droits ne nous permettent pas de gérer certains éléments. Il y a un certain nombre de maisons d’édition qui sont en train de voir comment changer leur logiciel. Je n’engagerai que le groupe La Martinière, nous sommes en train de changer complètement de logiciel. Nous avons intégré dans le cahier des charges le fait d’avoir un espace sécurisé pour nos auteurs afin qu’à l’avenir ils puissent consulter leurs ventes au fur et à mesure des informations que nous serons capables de donner. Il y aura des redditions de comptes, une ou deux fois par an. Dans tous les cas, les auteurs pourront suivre leurs ventes directement. Ils se connecteront à une plate-forme en ligne qui leur permettra de voir les ventes qui ont été réalisées.

♦ Marie Sellier
La Martinière n’est pas le seul groupe à avoir des problèmes de logiciels. Et je me demandais s’il ne serait pas posssible d’envisager une mutualisation ? Au lieu de chercher chacun dans votre coin le logiciel miracle qui permettra de résoudre le problème. Ne serait-il pas plus économiquement réaliste de vous grouper pour développer un logiciel qui soit parfaitement adapté à vos besoins et à nos besoins ?

♦ Patrick Gambache
Oui, sauf que pour l’instant nous ne nous étions pas posé la question comme ça. Chacun utilise son logiciel. Je pense aussi qu’il y a des besoins « différents » selon la taille des maisons et le nombre d’auteurs que nous avons à gérer. Quand nous avons fait l’étude pour notre changement de logiciel, nous avons vu des logiciels qui existaient pour des grands groupes qui ont déjà fait ce travail de concaténation et nous avons conclu que ce type de logiciel était beaucoup trop lourd pour l’ensemble de nos services. De plus, il faut que nous l’intégrions à notre flux financier, c’est-à-dire qu’il y a une mise en relation comptable, donc il faut que nous puissions y inclure les différents modules que nous avons déjà. Il faudrait que des techniciens puissent nous dire s’il est possible de ne travailler qu’avec un seul logiciel commun, mais il est vrai que cela pourrait être une réflexion commune, tout du moins pour un certain nombre d’éditeurs de même taille.