NOUS SUIVRE

♦ Geoffroy Pelletier
Bonjour à tous. David El Sayegh, bonjour et merci d’avoir accepté notre invitation. Quand nous avons préparé ce forum, nous nous sommes dit qu’il serait peut-être intéressant de pouvoir bénéficier d’un éclairage du secteur de la musique qui a connu, bien avant celui du livre, les bouleversements liés au numérique et aux nouvelles technologies. Un éclairage qui nous permettrait, très égoïstement, d’en tirer des leçons, peut-être des idées, et, je l’espère, de bonnes pratiques.
David El Sayegh, vous êtes avocat de formation, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle ; vous avez rejoint le Syndicat national de l’édition phonographique, le SNEP, en 2007, en qualité de directeur des affaires juridiques et nouvelles technologies. Vous en êtes devenu le directeur général en juin 2009, puis vous avez quitté le SNEP en avril 2013, et vous êtes depuis cette date le secrétaire général de la Sacem. Par ce parcours et par les responsabilités que vous avez actuellement, vous êtes, je crois, la personne idéale pour nous parler de ces évolutions. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, je pense qu’il serait intéressant que vous puissiez nous expliquer en quelques minutes comment s’organise la création dans le secteur de la musique. Quels sont les rôles de l’artiste, de l’éditeur, du producteur… ? Quels sont les liens contractuels ou les liens économiques qui existent entre ces trois acteurs principaux ? Autrement dit, qui fait quoi ?

♦ David El Sayegh
C’est une vaste question : qui fait quoi ? Mais une bonne question.
Je dirais que l’industrie musicale ressemblait beaucoup à celle du livre. Nous avions des difficultés communes en matière de distribution, en matière d’exposition, en matière de nouveautés. Nous pouvons faire de nombreux parallèles. Quand je travaillais au SNEP, je voyais que les préoccupations des producteurs et des distributeurs de disques étaient assez analogues à celles des éditeurs de livres. Cependant, il y a des différences majeures. La différence majeure, vous l’appréhendez bien, c’est qu’il s’agit d’une industrie biface. Il y a d’un côté les auteurs-compositeurs ainsi que les éditeurs de musiques qui créent les oeuvres et qui les font vivre et dont la plupart des droits passent par la gestion collective ; puis il y a un autre versant ayant trait aux droits voisins, c’est-à-dire aux droits à la fois des artistes-interprètes d’une part et des producteurs de phonogrammes d’autre part, en précisant que chacune de ces catégories dispose de droits distincts. Le rapport économique et le rapport contractuel s’organisent un peu de la même manière que dans l’édition littéraire où on trouve des contrats d’exclusivité et des liens de subordination. Il existe une spécificité pour les droits voisins, c’est que le droit du travail intervient très largement puisque le contrat d’artiste est un contrat de travail dans une gestion individuelle. Mais j’aurais tendance à nuancer ce propos. Voici quinze ans, les droits issus de la gestion collective en matière de droits voisins étaient résiduels, d’ailleurs les Anglais les appelaient the residuals. Quand vous discutez avec un Américain ou avec un Anglo-Saxon de la gestion collective en matière de droits voisins, on vous parle de residuals. Ce n’est plus vrai. Quand je regarde le rapport économique du SNEP de 2013, 18 % des revenus de cette industrie sont générés par la gestion collective ; c’est énorme, c’est presque autant que le numérique. Le numérique est à environ 30 % et le reste est relatif à la distribution physique. Il y a aujourd’hui des gens qui ont compris que la valeur n’était pas dans la galette mais dans les droits, c’est ça qui est important. En matière de droits d’auteur nous l’avons toujours compris, puisqu’une société de gestion collective, par définition, ne gère que de l’immatériel : elle donne des autorisations, elle doit bien répartir, elle doit faire preuve de transparence, elle doit être efficace ; mais concrètement, vis-à-vis de ces interlocuteurs, elle ne gère que de l’immatériel.

Nous avons aussi une spécificité qui nous différencie du livre, car pour les droits d’auteur les éditeurs de musique sont dans la gestion collective. La Sacem est une société de gestion collective hybride, ce qui est assez rare. Dans l’ensemble, les sociétés, généralement, représentent des catégories d’ayants droit. Dans la musique la SCPP (Société civile des producteurs phonographiques) et la SCPPF (Société civile des producteurs phonographiques en France) représentent les producteurs ; l’ADAMI (Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes) et la SPEDIDAM (Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes) représentent les artistes interprètes avec différentes catégories – les artistes dits principaux et les musiciens – ; la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) ne représente que les auteurs, réalisateurs, scénaristes ; la Sacem, elle, a la spécificité à la fois de représenter des auteurs, des compositeurs, des doubleurs sous-titreurs, des humoristes, des réalisateurs de vidéo-musiques, mais aussi des éditeurs français et internationaux, une double spécificité compte tenu de la nature des membres et de sa dimension très fortement internationale. Nous avons essayé de faire un schéma explicatif des différentes ramifications et des nombreux circuits, mais c’était vraiment très complexe et de surcroît évolutif. Néanmoins, nous pouvons en tirer des enseignements, nous avons aujourd’hui à la Sacem appréhendé l’économie du numérique qui existe depuis longtemps.

J’ai eu une première vie à la Sacem et le premier contrat numérique que nous avons signé date de 1999 avec une société de téléchargement qui s’appelait France MP3. Tout le monde a oublié France MP3 qui n’a pas résisté à la bulle Internet, mais c’était déjà un premier contrat. Fondamentalement, les bases de ce contrat ont certes évolué avec le temps, mais il s’agit toujours d’un même principe de rémunération proportionnel auquel nous sommes attachés. La nécessité – et je sais que c’est un enjeu pour vous aussi – étant d’avoir une vision très claire sur les recettes. Le combat qui a été celui de la Sacem pendant des années, durant la première partie des années 2000, était non pas de négocier comme ce fut le cas avec les producteurs phonographiques, mais directement de négocier avec le dernier maillon de la chaîne, c’est-à-dire les détaillants numériques pour mieux appréhender les recettes. C’est une condition nécessaire, mais malheureusement insuffisante. C’est-à-dire que c’est bien de négocier avec le dernier maillon de la chaîne, mais ce n’est pas pour autant que vous obtenez une formidable clarté sur la remontée de recettes. Je vous donne un exemple très concret que vous connaissez tous, il s’agit de YouTube. Nous avons eu plusieurs accords avec YouTube, c’est très compliqué de travailler avec eux. C’est très compliqué parce que les redditions et les déclarations de programmes sont envoyées sur des fichiers qui sont souvent difficiles à analyser. Mais nous tenons le bon maillon de la chaîne et ça, ça a été un combat important. Puis, par la suite, nous avons évolué. Je pourrai peut-être revenir brièvement sur ces évolutions si vous le souhaitez.

♦ Geoffroy Pelletier
Nous allons en effet y revenir, mais je voulais noter deux points. Nous avons dans le livre une très petite expérience de gestion collective mais nous avons également une société de gestion « hybride », qui mélange auteurs et éditeurs – je ne sais pas si c’est le mot « hybride » qui convient le mieux, je m’adresse aux représentants de la Sofia qui sont ici. Et je note avec un peu d’humour que, dans le livre, nous parlons du partage du gâteau et, dans le disque, vous parlez du partage de la galette, ce qui doit provenir, je pense, de l’image même du disque. C’est vrai que le numérique est apparu beaucoup plus tard dans le livre. On retient souvent l’année 2010, avec notamment l’arrivée du Kindle, qui a vraiment commencé à modifier les choses. Si je comprends bien, c’est pratiquement dix ans plus tôt pour la musique.
Comment les professionnels de la musique et du disque ont-ils réagi à l’arrivée du numérique ? Quelles ont été leurs bonnes idées et peut-être leurs moins bonnes idées à ce moment-là ?

♦ David El Sayegh
J’ai essayé de retracer la frise historique du numérique. C’est allé vraiment très vite, il y a eu beaucoup de choses qui se sont passées et, en dix ans, la situation a considérablement évolué. Je dirais qu’il y a eu une préhistoire du numérique qui a commencé à la fin des années 90 pour se terminer au milieu des années 2000. Nous avions un marché qui concrètement était monopolisé par ce que nous appelions les sonneries téléphoniques et où les gens étaient disposés à payer 4 € pour accéder à une sonnerie téléphonique, alors qu’ils refusaient de payer de la musique…

Les distributeurs de sonneries téléphoniques étaient des acteurs locaux qui n’étaient pas forcément issus du monde culturel. C’était pour eux une source de profits et pour nous, les sociétés de gestion collective, des difficultés de recouvrement ; nous avions concrètement affaire à de mauvais payeurs, mais sans difficulté juridique majeure.

Deuxième temps – à cette époque le numérique ne représentait à peine que deux millions d’euros sur les 750 millions que nous percevions par ailleurs –, l’arrivée d’iTunes. Alors là, les choses ont changé et je dirais à double titre. Il y a eu un vrai marché du numérique qui s’est créé. Les représentants d’iTunes sont arrivés en 2004, ils ont été légalistes, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas sorti leur service tant qu’il n’y a pas eu d’autorisation avec l’ensemble des ayants droit et j’étais là pendant les négociations, j’ai vécu ce moment, la négociation s’est faite en une semaine. Donc quand des sociétés veulent négocier avec les auteurs et qu’il y a une vraie volonté politique de la part des détaillants numériques, on y arrive ! Ce n’est pas simple, mais nous avons trouvé un deal qui tient encore la route. Donc, ça c’est le deuxième âge avec l’apparition des acteurs mondiaux comme iTunes, Amazon, Google et où vous n’avez plus d’acteurs locaux – les quelques plates-formes de téléchargement françaises ont maintenant disparu, et malheureusement les grands détaillants de la distribution physique ont raté leur transition numérique, je pense notamment à Virgin qui a déposé le bilan.

Aujourd’hui, 90 % du marché du téléchargement est détenu par les deux acteurs iTunes et Amazon et le reste, par une foultitude de petites platesformes qui sont marginalisées et j’aurais tendance à dire que les acteurs seront mondiaux ou ne seront pas. Il y a eu un changement de paradigme. Nous avions déjà négocié avec des acteurs internationaux, mais là, nous n’avons que des acteurs internationaux et la négociation, quand elle se fait avec Google et iTunes, n’a lieu ni en France ni à Londres, mais directement à Los Angeles. Parallèlement, juridiquement, nous avons eu beaucoup de difficultés que je vais essayer de vous résumer simplement malgré leur complexité. La commission européenne n’a pas supporté que, dans les modes de délivrance des autorisations, il existe des frontières. Elle a considéré qu’il fallait faire imploser le système par le biais d’une recommandation qui date de 2005, puis d’une directive de février 2014, où s’agissant du domaine du online, elle a mis en concurrence les sociétés de gestion collective d’auteurs en disant : « Il n’est pas possible pour un acteur qui a une activité dans 15 ou 20 pays d’aller demander 15 ou 20 autorisations. Nous allons donc créer une concurrence entre vous en donnant la possibilité aux ayants droit de choisir parmi les sociétés de gestion collective pour la licitation des droits online. » L’idée était peut-être bonne, mais elle n’a pas profité aux auteurs parce qu’un auteur est généralement attaché à sa société d’appartenance ; c’est avec elle qu’il entretient des liens étroits et la réalité de tout ça, c’est que ce sont les éditeurs multinationaux et les grands indépendants qui ont fragmenté leurs apports et choisi certaines sociétés. Ce qui fait qu’aujourd’hui nous avons, sur le online, des difficultés à représenter l’intégralité du répertoire. À titre d’illustration, le répertoire anglo-américain de Sony TV est géré par la société allemande. La Sacem, pour ce qui la concerne, gère le répertoire anglo-américain d’Universal Publishing. L’objectif très clairement annoncé par la commission européenne par le biais de la directive de 2014 – qui intéresse toutes les sociétés de gestion collective, mais qui a un titre III qui, lui, ne concerne que les sociétés d’auteurs dans le secteur musical –, c’est qu’à terme il n’y ait que deux ou trois sociétés pour gérer les droits online, ce qui est une source de complexité pour nous puisque les oeuvres sont créées à plusieurs dans la musique. Il arrive que sur un titre on trouve un éditeur membre de la société anglaise, un compositeur membre de la société italienne, un autre compositeur membre de la société française…

La troisième étape est assez récente, nous avons un peu de recul mais pas beaucoup. C’est l’accélération des technologies avec une offre légale de plus en plus performante plébiscitée par les consommateurs, ce qui est un point positif. D’après les récentes études de l’HADOPI (Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet), il y a un taux de satisfecits à plus de 85 %, mais il y a aussi l’arrivée de nouveaux modèles économiques avec deux qui se ressemblent mais avec des différences sur leurs conditions : les modèles de l’abonnement payant et ceux de l’abonnement du streaming financé par la publicité. Aujourd’hui, quand on regarde le marché numérique de l’industrie musicale, je dirais que la France est entre les deux. On trouve des pays à forte dominante de téléchargement comme les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, l’Allemagne qui sont les gros marchés du numérique. Vous avez des pays qui se sont totalement orientés vers le streaming ; ce sont surtout les pays scandinaves où 80 % du marché - et pas uniquement le marché numérique - est généré par le streaming, et il y a la France qui a un marché du numérique à hauteur de 30 %, mais dont la moitié du marché relève du streaming. Les offres de streaming de type Deezer, Spotify, YouTube pèsent et deviennent donc un enjeu pour les créateurs. Il y a un plébiscite du consommateur, et très nombreuses sont les oeuvres utilisées, mais malheureusement – je parle surtout pour les offres financées par la publicité –, c’est très peu d’argent généré pour les créateurs. Donc, le partage de la galette, il est certes problématique, mais avant tout la problématique principale c’est la taille de la galette !

♦ Geoffroy Pelletier
Merci beaucoup pour ces explications.

♦ David El Sayegh
Pour moi, il y a des choses qu’il ne faudrait pas faire. Je vois qu’il y a des similitudes. Il ne faut pas s’enfermer dans des systèmes propriétaires ; vous parliez du Kindle et des différentes liseuses, c’est ce qui tuera l’industrie du livre et qui fera en sorte que le pouvoir soit transféré au fournisseur de technologie.

Je vous donne un exemple très concret, c’est le jeu vidéo. Dans le jeu vidéo, qui décide ? Ce sont les fabricants de consoles, ce ne sont pas les studios ni les éditeurs. De la même manière, à une époque, la musique était prisonnière des fabricants, puisque vous aviez les systèmes d’Apple, ceux de Microsoft et ces systèmes étaient non-interopérables. Nous sommes sortis de cette logique mortifère. Pourquoi ? D’abord par l’abandon de mesures techniques non-interopérables, ce qui a été un premier pas, et puis aujourd’hui par la nécessité d’avoir des offres qui perdurent malgré le produit. Concrètement avant, quand vous téléchargiez sur votre iPhone, si vous aviez le malheur de le casser, vous perdiez toutes vos chansons. Aujourd’hui, les offres se sont considérablement améliorées. Vous avez un dispositif de Cloud qui fait que vous pouvez, avec un historique d’achat, récupérer vos contenus sur une pluralité d’appareils. C’est un signe de liberté très fort parce que vous n’êtes plus dépendant de la machine. Je pense que tout système qui conduit à une dépendance technique est problématique. Cela va à l’encontre de l’intérêt des créateurs et des éditeurs ; les seuls à y trouver un intérêt sont les fabricants de matériel.

La seconde problématique qui est à mon avis inévitable – peut-être moins pour vous parce qu’il y a la barrière de la langue, mais il y aura quand même des traductions – c’est la présence d’acteurs mondiaux. Peut-être certains acteurs locaux subsisteront de par la prescription et la qualité de services qu’ils seront à même de rendre.

On le voit aussi en matière d’audiovisuel avec Netflix, ce n’est pas propre à la musique, c’est un phénomène convergent pour beaucoup de biens culturels, la présence d’acteurs mondiaux et donc la marginalisation des détaillants locaux. Ça change forcément la donne pour nous et pour les gouvernements. Quel est le pouvoir de pression d’un ministère de la Culture vis-à-vis d’un Google ou d’un Apple ? Il existe mais il est plus faible. Cela ne signifie pas que tout est perdu, mais il faut y travailler.

♦ Geoffroy Pelletier
Merci. Je reviens sur quelques chiffres que vous avez donnés tout à l’heure pour essayer de bien comprendre et ainsi aller jusqu’au bout de la galette ! Aujourd’hui, concernant la rémunération de la création, comment s’équilibre ce que nous appelons ventes à l’unité, c’est-à-dire ce qui reste de la vente physique, et les téléchargements, notamment par rapport au développement des offres groupées, des abonnements et de tout ce qui, encore aujourd’hui, échappe et fait partie du piratage et dont il faudrait aussi dire un mot ?

Et puis, nous n’en avons pas encore parlé, ce sont ces deux courbes qui se croisent : celle des revenus des artistes liés à la vente de leurs disques sous toutes ses formes et celle des revenus liés aux concerts et aux spectacles vivants. Les ventes de disques étaient bien supérieures aux revenus des concerts et, un jour, ces deux courbes se sont croisées. Sommes-nous toujours dans cette évolution ? Ce serait difficile à appliquer dans le secteur du livre puisque nous ne sommes pas encore capables, même avec nos meilleurs auteurs, de faire des lectures publiques au Stade de France, mais il serait intéressant de savoir comment tout cela s’articule dans le secteur de la musique.

♦ David El Sayegh
Vous n’êtes peut-être pas capables de faire des lectures, mais les écrivains – je vais utiliser un terme qui va choquer – deviennent « des marques » dont l’attractivité est très forte et ça, ça se monnaye autrement : par des conférences… Aujourd’hui, nous identifions très bien les auteurs. Les mouvements sont évidents, aujourd’hui il y a une forte consommation numérique, mais elle ne détruira pas la consommation physique de disques pour une raison assez simple et c’est un trait commun avec le livre, c’est que plus d’un disque sur deux qui est acheté est offert, c’est un cadeau. Aujourd’hui dans l’industrie de la musique il y a une saisonnalité. De la même manière que le livre organise ça depuis très longtemps avec les prix comme ceux de novembre en amont de Noël, où les gens vont acheter les livres. Il s’agit de prescription, c’est très important. D’ailleurs 50 % du chiffre d’affaires de la musique enregistrée est réalisé au cours du dernier trimestre pour les mêmes raisons que pour le livre. Il restera donc toujours un secteur physique. En revanche, le paysage des détaillants a considérablement évolué. Il n’y a presque plus de disquaires ou alors dans des niches ; on assiste également à un fort recul de ce que nous appelons les grandes surfaces qui ne mettent plus en exposition les disques. Nous sommes plutôt sur une distribution en GSS (Grandes surfaces spécialisées) type Fnac, Cultura, etc. Les revenus du live, eux, croissent. Vous l’aurez remarqué, il suffit de regarder les prix de places de concert. Mais il ne faut pas croire que ce que vous avez perdu dans le disque vous avez le récupérer dans le live. Le live bénéficie à très peu de gens. Quand vous regardez ceux qui gagnent le plus d’argent dans le domaine du live, ce sont tous des quinquagénaires, des artistes dont la carrière est derrière eux. La véritable problématique du live sera le renouvellement : qui seront les futurs Rolling Stones, le futur Bruce Springsteen, le futur Johnny Halliday dans 10, 15, 20 ans ?

♦ Geoffroy Pelletier
Ce sont plus que des quinquagénaires.

♦ David El Sayegh
Oui, mais c’est terrible ! Il y a quelques années nous parlions des quinquas, maintenant voilà, nous allons encore plus loin, mais bon, ils ont la forme ! J’ai vu les Rolling Stones récemment, je trouve que c’est pas mal, ils donnent envie de vieillir.
Ce phénomène existe et le partage de la valeur est inéquitable.
Par ailleurs, j’observe également depuis plus de dix ans qu’il y a une réelle paupérisation des classes moyennes chez les artistes de la musique. Avant, vous pouviez vivre de votre musique sans être très connu, en faisant plusieurs choses parce que vous aviez une pluralité de sources de revenus : vous étiez auteur-compositeur, vous pouviez écrire des tubes pour des gens qui marchaient, avoir votre propre carrière d’artiste et la maison de disques était disposée à parier sur vous. On vous disait : « Voilà, l’objectif est d’atteindre “le point mort” au bout du troisième album. » C’est fini ça ! Maintenant, nous sommes dans une période où on n’a plus le temps et on n’a plus les moyens. Il y en a quelques-uns qui vivent très bien et puis une classe moyenne qui s’est paupérisée, qui s’est réduite comme peau de chagrin et beaucoup qui espèrent.

♦ Geoffroy Pelletier
Je crois que nous constatons de la même façon cette paupérisation de la classe moyenne dans le secteur du livre, tout comme les auteurs anglais, comme nous l’avons vu au travers de l’étude qui nous a été présentée hier. Il s’agit vraiment d’un phénomène qui est commun à tous les secteurs culturels et à tous les pays européens.

♦ David El Sayegh
Oui. Nous le constatons en matière de droits Sacem. En termes de collectes, nous avons progressé. Il y a dix ans, nous percevions 700 millions d’euros, nous sommes aujourd’hui à 834 millions d’euros, donc c’est plutôt pas mal. Mais le revenu moyen de l’auteur, lui, n’a pas progressé. Parce qu’il y a de plus en plus d’auteurs qui sont concernés, on gère de plus en plus de micro paiements, de micro rémunérations, et je ne pense pas que la vie des auteurs se soit améliorée pour autant. Il y a une vraie fragilité sur les classes moyennes où, aujourd’hui, de plus en plus d’artistes ont du mal à continuer à exercer leur métier.

♦ Geoffroy Pelletier
Pour ce qui concerne la rémunération des artistes-auteurs, nous entendons souvent parler – sur les accords que vous avez pu passer avec des plates-formes de distributions – et nous en sommes friands dans le livre puisque cela n’existe pas, de minimum garanti. Qu’est-ce que ça donne vraiment pour les auteurs au final ?

♦ David El Sayegh
Aujourd’hui, le numérique c’est environ 5 % de nos collectes et 95 % de nos embêtements, pour résumer.

♦ Geoffroy Pelletier
C’est pareil pour nous !

♦ David El Sayegh
Oui, il y a des minimums garantis, il y a des avances, nous essayons de les négocier. Il faut distinguer, il ne faut pas faire d’amalgames. Quand vous êtes une société de gestion collective, la manière dont vous élaborez vos tarifs est très encadrée, et ce depuis le milieu des années 80 avec des affaires qui sont allées devant la Cour de justice de l’Union Européenne où il a été dit qu’il fallait que les tarifs soient homogènes, raisonnables… Nous sommes très surveillés, c’est la contrepartie de notre monopole de fait, nous ne faisons pas ce que nous voulons. Moi, si je vais voir un grand service en ligne et que je lui demande 300 % de ce qu’il gagne, il va me dire : « Vous êtes gentils, mais je vais vous traîner devant l’autorité de la concurrence et nous verrons bien. » Parce que le rapport de force est comme ça, c’est comme ça qu’on nous parle, je ne plaisante pas. Nous avons des garde-fous, nous arrivons à négocier. Malheureusement, les recettes publicitaires générées par exemple par YouTube sont « epsilonesques », eu égard à des médias traditionnels. C’est une vraie difficulté ; c’est une difficulté de partage de la valeur, mais c’est aussi une difficulté de valeur en tant que principe. C’est une question que les professionnels doivent se poser : est-on en droit de laisser ces services prospérer ? Parce que la valorisation de ces entreprises, elle, est très forte, mais avec des modèles économiques qui mettent en péril l’activité des créateurs. C’est une vraie question et elle engage la responsabilité de tout le monde. Dans le secteur du livre, les éditeurs, et, dans la musique, les producteurs. Il s’agit d’une vraie problématique qui aujourd’hui est complexe, nous n’avons pas encore trouvé l’équation ni le juste équilibre.

Nous avons également une problématique très forte chez nous et qui peut se poser aussi pour le livre : il s’agit de la cannibalisation des modes d’exploitation. Si vous ouvrez un service gratuit, quel en est l’impact sur un service payant ? Nous avons eu des débats homériques avec les services de streaming, nous considérions qu’ils devaient « dégrader » – d’une certaine manière – l’offre financée par la publicité. Non pas pour les punir, mais simplement pour permettre un basculement sur une offre payante de meilleure qualité. Si aujourd’hui la télévision payante existe en France, c’est que celle-ci a été de meilleure qualité aux yeux du consommateur, par rapport aux télévisions gratuites.

Moi, quand Canal + est né, je n’étais pas très grand, mais je me souviens qu’il me paraissait absurde de payer pour regarder la télévision, parce qu’on n’avait pas encore expérimenté le business. Aujourd’hui, vous regardez tout en payant ! J’ai entendu au café une personne qui parlait de football et qui disait : « Moi, pour voir tous les matchs de la Coupe du monde, j’ai dû m’abonner à une chaîne payante. » Il y a des changements de paradigme et il faut absolument orienter le marché, c’est une nécessité. C’est toujours la bataille d’un équilibre entre les plates-formes, les consommateurs et les auteurs. Mais bon ! Moi, j’ai envie de dire au consommateur que, s’il n’y a personne pour créer, ils ne pourront plus rien consommer. In fine, elle est là la problématique. On veut avoir des consommateurs qui ont accès à des offres pas chères, mais s’il n’y a rien dans les offres… Deezer sans contenu, il ne serait pas très intéressant de streamer toujours le même titre !

Il est important d’avoir des équilibres entre les modes d’exploitations. Il ne faut pas avoir peur du numérique, mais il faut dire que le numérique n’est pas une fin en soi, il n’est qu’un moyen, et, dans ce moyen, il faut garantir la rémunération des créateurs.

♦ Geoffroy Pelletier
Garantir la rémunération des créateurs et réfléchir au partage de la valeur tant qu’il y a une valeur ? Et donc se battre aussi – si j’entends bien ce vous dites – afin que cette valeur subsiste par rapport à une offre gratuite, par rapport à une offre illégale ? Dans la musique, plus récemment, quels modèles ont été développés ? Sommes-nous sur une offre de plus grande qualité pour laquelle nous acceptons de payer et qui correspond au taux de satisfecits dont vous nous parliez tout à l’heure ? Ou nous orientons-nous vers des prix très bas – ce que nous pouvons craindre –, sans savoir ce que nous aurons encore à nous partager les uns les autres ? Et il reste cette question sur les mesures de protection et de DRM.

♦ David El Sayegh
Je dirais que le combat des créateurs est de s’assurer d’avoir de bons contrats, c’est la base. Il s’agit aussi, bien évidemment, que le marché puisse s’orienter. Il faut également réguler le marché. On le régule par la voie contractuelle, mais il faut aussi lutter contre le piratage ; parce que quand il y a une offre, une concurrence déloyale, le piratage c’est la négation des droits d’auteur mais c’est aussi une négation de la liberté d’entreprendre dans la mesure où ceux qui veulent entreprendre et créer des offres légales sont concurrencés déloyalement par des gens qui se moquent de tout en réalité. Alors oui, ils vont plus vite ! On me dit souvent : « Vous n’avez pas su anticiper le numérique. » Comment anticipe-t-on un changement de paradigme ? Je veux bien qu’on me l’explique. Mais c’est surtout qu’eux, ils n’ont rien respecté et s’il n’y a pas « le droit », nous n’avons aucun moyen de fermer le robinet ! Notre seule garantie ce sont nos droits d’auteur. Le seul moyen de nous protéger, de corriger l’asymétrie qui se crée par rapport à des acteurs du numérique. Le droit à la propriété intellectuelle existe avant tout pour corriger une asymétrie entre des gens qui sont faibles économiquement, les créateurs, et des groupes qui sont puissants. Cela a toujours été comme ça et cela ne changera pas ! Il faut se battre pour que cela ne change pas ! Et ce n’est pas garanti, car nous parlions tout à l’heure de l’Europe, il y existe aujourd’hui une menace.

J’ai vu dernièrement un reportage sur l’industrie du tabac. Que fait-elle quand elle a envie de faire valoir ses intérêts ? Elle fait descendre les buralistes dans la rue. C’est pareil avec les géants de l’Internet. Que font-ils pour défendre leurs intérêts ? Ils nous parlent de creative commons, ils nous parlent de mash-up, ils nous parlent de créations, mais en réalité les exceptions ne sont pas pour ceux qui créent, elles sont pour ceux qui diffusent. Il faut vraiment prendre conscience de ce rapport de force qui est en notre défaveur parce que ces gens-là sont très puissants et je pense que des mesures de régulation pour lutter contre le piratage s’imposent encore. Ça ne veut pas dire qu’il faut poursuivre Mme Michu devant le tribunal correctionnel ! Ça veut surtout dire que nous devons introduire de la régulation pour les acteurs – les intermédiaires techniques de l’Internet, je pense notamment aux moteurs de recherche – alors qu’aujourd’hui ils bénéficient d’un régime juridique d’hypo-responsabilité.

C’est d’ailleurs une première dans la technologie. Généralement, quand celle-ci se développe, vous augmentez la responsabilité. La responsabilité sans faute a été créée à l’époque de l’industrie automobile pour responsabiliser les futurs conducteurs. Sur Internet nous avons fait exactement le contraire. Nous avons eu des acteurs d’Internet et nous avons créé un régime au début des années 2000 qui les déresponsabilisait. Aujourd’hui, vous allez voir un Google, un fournisseur d’accès, ou un hébergeur et chacun vous dit qu’il n’est pas responsable. À mon avis, c’est vraiment le point névralgique et, tant que nous n’aurons pas réussi à changer ce principe, nous aurons toujours beaucoup de mal à lutter contre le piratage. Il ne faut pas perdre de vue que si, demain, il n’y a que du piratage, forcément les offres légales seront des offres au rabais.

♦ Geoffroy Pelletier
Je partage votre avis sur ce combat que nous avons à mener ensemble au niveau européen. Je sais que nous devons le mener déjà entre auteurs et éditeurs, mais je pense que la seule présence des représentants du livre ne suffit pas ; nous n’aurons de force que si nous y allons tous secteurs confondus, sur des bases communes. J’ai conscience que nous ne sommes pas forcément d’accord sur tous les points, mais nous n’avons pas besoin de nous entendre sur tous les points pour aller nous battre au niveau européen sur l’essentiel. Ce n’est peut-être pas le sujet du jour, mais c’est un point – vous avez raison – tout à fait important. Dans ma question il était aussi question des prix. Le numérique entraîne-til une pression des prix vers le bas qui contraindrait les producteurs et les distributeurs ?

♦ David El Sayegh
Nous sommes obligés de suivre, mais bien évidemment nous essayons de résister. Pour Apple, j’ai lu hier dans Le Monde qu’ils font 40 milliards de profits, mais ce n’est pas en vendant des livres et de la musique. Ils font 40 milliards de profits en vendant des appareils fabriqués en Chine dont le prix de revient est très faible et qu’ils vendent 500 dollars. Donc il faut aussi réfléchir sur des modes compensatoires qui rémunèrent la création en vis-à-vis de cette externalité économique. Nous en avons un qui est pas mal et qui a le mérite d’exister, même s’il est beaucoup contesté, c’est la rémunération pour copie privée. Pour l’ensemble des ayants droit, l’année passée, la Sacem comprise, cela représente plus de 200 millions d’euros de perceptions et je pense que nous allons atteindre les mêmes objectifs cette année. C’est un mode né d’une exception qui corrige d’une certaine manière le transfert de valeurs. Je pense que le véritable enjeu sera de s’intéresser à la correction d’autres transferts de valeurs. Aujourd’hui, nous ne percevons rien sur l’activité des moteurs de recherche et pourtant ils génèrent du profit grâce à la présence des oeuvres qu’ils indexent. Ce débat a eu lieu en France avec la presse, mais je ne vois pas pourquoi il serait limité à celle-ci. Il y a d’autres contenus indexés par les moteurs de recherche ; en matière musicale, il y a énormément de contenus. Je prêche pour ma paroisse. Le modèle économique induit des externalités. Ce sont des modèles de la distribution des contenus qui ne constituent en réalité qu’un produit d’appel pour vendre autre chose, et le vendre très cher. Je ne comprends pas pourquoi les créateurs ne seraient pas associés à cette source de profit puisqu’ils participent au modèle. Parce qu’un iPhone ou un iPod sans bien culturel, eh bien, ce n’est pas très intéressant pour le consommateur !

♦ Geoffroy Pelletier
Pour faire une transition avec la table ronde qui va suivre, dans le secteur de la musique, il me semble que nous assistons aussi à ces diffusions alternatives, c’est-à-dire de nouveaux modèles dans lesquels les artistes se produisent eux-mêmes, réalisent des vidéos et se diffusent eux-mêmes. Cette autoproduction qui ressemble à l’autoédition dans le livre, arrivez-vous à la quantifier ? Se développe-t-elle beaucoup ? Constitue-t-elle un vivier pour un passage à une industrie plus traditionnelle ? Est-ce que ce que nous entendons sur le crowdfunding fonctionne aussi bien dans la musique ? Ce sont de nouveaux modèles qui posent la question du rôle des intermédiaires.

♦ David El Sayegh
C’est assez compliqué, mais je retiens trois points sur le rôle des intermédiaires. Pour moi, un bon intermédiaire doit faire trois choses. Il doit faire découvrir l’artiste ou l’auteur et le faire grandir. Il doit pouvoir mettre en place une logistique de distribution pour que les gens puissent avoir accès aux oeuvres. C’est ce qu’on attend d’un producteur de disques ou de n’importe quel partenaire ou d’un producteur audiovisuel.

Et puis, il doit organiser – et c’est la chose la plus importante et la plus complexe dans le numérique (à mon avis et c’est le défi qui n’a pas été relevé) –, la prescription. Parce que tout est sur Internet et nous savons que le prochain David Bowie sera quelqu’un qui sera découvert sur Internet, mais tous ceux qui sont sur Internet ne sont pas les prochains David Bowie. Il faut donc organiser la prescription face à ce qu’on appelle aujourd’hui la tyrannie du choix. C’est-à-dire que, quand vous allez sur un site de musique, vous ne savez pas quoi choisir. Aujourd’hui, on ne vous envoie plus de disques, quand vous êtes un directeur artistique d’une maison de disques, vous allez repérer sur Facebook, sur YouTube, les quantités de vues générées et c’est un premier indicateur, mais, si vous vous contentez de relayer le buzz, vous arriverez après lui, forcément vous aurez toujours un temps de retard. J’ai pu constater ces phénomènes-là. Il y a eu beaucoup d’artistes qui ont été signalés trop tard, ils avaient fait un buzz, et le producteur n’a pas fait son travail de développement de l’artiste. La distribution, c’est vrai que c’est un peu réglé, aujourd’hui vous avez des moyens de vous autodistribuer. L’autoédition, vous pouvez être sur Amazon, sur iTunes.

En revanche, la prescription, « le faire savoir », ça reste essentiel. Soit votre partenaire contractuel remplit cette mission de faire savoir et il le fait bien et je pense que vous avez intérêt à rester avec lui ; c’est essentiel et je crois que c’est l’élément clef dans un environnement où les gens sont saturés d’informations, saturés de sollicitations, et ne savent plus comment faire. Soit il ne le fait pas et il faut trouver des alternatives. Pour ce qui est du crowdfunding, certaines entreprises ont arrêté de produire beaucoup d’albums qui étaient pourtant « crowdfundés » dans la mesure où ils n’avaient justement plus la capacité d’assurer « le faire savoir ». Ils ne pouvaient pas sortir, compte tenu de leur taille et de leur logistique, 250 projets par an. Ils devaient se concentrer, s’ils voulaient bien faire leur travail, sur une dizaine de projets. Des albums ont donc reçu la prescription des internautes, mais n’ont pas pour autant trouvé leur public. Je pense que cette dernière dimension, elle, est capitale et le numérique n’a pas encore relevé le défi d’une prescription intelligente, même si les professionnels y travaillent.

♦ Geoffroy Pelletier
Merci beaucoup. Je ne peux pas laisser repartir le secrétaire général de la Sacem sans lui poser une question sur la gestion collective. Comme nous l’avons dit au début de notre entretien, nous n’avons qu’une très petite expérience, mais réussie, de la gestion collective dans le secteur du livre. En termes de transparence des ressources et des revenus et de ce qui doit aller dans la poche de l’auteur et qui n’y va pas toujours, est-ce que la gestion collective, notamment pour le numérique, a encore un rôle encore plus important qu’auparavant à jouer ? Puisque nous assistons à la dissémination de ces modèles de diffusion, cette multiplication des petites sommes dont vous parliez et qui, sans la gestion collective, il me semble, ne pourront pas aller jusqu’à l’auteur ou l’artiste.

 ♦ David El Sayegh
Pour moi, elle est essentielle à double titre.
Elle est essentielle pour les créateurs dans la mesure où nous leur donnons un pouvoir de négociation. Ensemble nous sommes plus forts que lorsque nous sommes isolés. Isolément, nous subissons forcément les pressions des partenaires contractuels. Je vous donne un exemple très concret qui est le jeu vidéo où la gestion collective en matière musicale s’est peu développée. Elle se développe pour des titres qui préexistent au jeu vidéo, mais, pour les oeuvres de commande où il y a très peu de gestion collective, eh bien, pour ces gens-là, leurs droits d’auteur ont été niés ! Ce sont des contributeurs comme des développeurs logiciels ou comme des infographistes, et pourtant leur qualité d’auteur est niée. Je trouve ça assez triste indépendamment de la perte de gains au titre économique. Elle est aussi essentielle pour les utilisateurs, c’est une garantie de sécurité juridique. Quand vous êtes une plate-forme et que vous exploitez dix millions d’albums, vous n’avez pas envie de recevoir tous les jours des centaines de réclamations. Donc, nous assurons d’une certaine manière, même si ce n’est pas l’objet initial de la gestion collective, une prestation de services pour le compte des utilisateurs. Les rapports de force sont complexes, nous essayons de faire au mieux, tout est perfectible, mais aujourd’hui j’observe que nos taux de négociation sont meilleurs dans le numérique que dans le physique. Malheureusement, la problématique reste à créer des modèles économiques pérennes qui sous-tendent les activités des acteurs du numérique et nous ne sommes pas encore arrivés au bout pour toutes les raisons que j’ai déjà évoquées.

♦ Geoffroy Pelletier
Je vous remercie beaucoup pour la pertinence de vos réflexions, car même si tout n’est pas comparable, les aspects prospectifs évoqués vont nous aider dans notre réflexion. J’ai l’impression que tout le monde a pris beaucoup de notes, c’était vraiment extrêmement intéressant.

♦ David El Sayegh
On nous a souvent pris pour des ringards quand le numérique est arrivé, moi je pense que nous avons été des rats de laboratoires. Nous avons été des pionniers, nous avons vu les problèmes et nous nous sommes adaptés. Bien sûr, nous avons fait des erreurs, mais qui n’en fait pas ? Je n’aime pas juger les choses de manière rétrospective, il est trop facile de dire qu’il aurait fallu faire autrement avec dix ans de recul.

Aujourd’hui, beaucoup de nos revenus sont numériques et nous avons construit des offres, dans un contexte très compliqué et dérégulé, mais où les fondamentaux du droit d’auteur restent pertinents. Le droit d’auteur dispose d’une plasticité qui lui permet de s’adapter aux évolutions technologiques comme cela a toujours été le cas et il faut que cela puisse continuer.