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♦ Mathieu Simonet
Permettez-moi de vous donner d’abord quelques chiffres. En dix ans, le chiffre d’affaires de l’édition a été stable, il n’y a pas eu d’évolutions. Les droits d’auteur reversés aux auteurs ont été stables, mais le nombre de livres a quasiment doublé. Cela veut dire que, de manière un peu mécanique, chaque auteur a peut-être 50 % de moins que ce qu’il avait il y a dix ans. La deuxième chose, selon un baromètre de 2013, 31 % des auteurs touchent environ 10 % de droits d’auteur sur le prix du livre. 10 % d’auteurs reçoivent plus de 10 % de droits d’auteur et 59 % moins de 10 % de droits d’auteur et on a même 15 % des auteurs qui touchent 5 % seulement de droits d’auteur. Autre élément intéressant, c’est l’à-valoir. Cette étude de 2013 montre que 2/3 des auteurs ont moins de 3 200 € d’à-valoir. C’était juste quelques grands chiffres, bien évidemment nous allons rentrer beaucoup plus dans le détail pendant ces deux jours.

Je vais vous présenter nos invités. Nous allons parler chiffres avec eux.
Je vous présente tout d’abord Céline Curiol qui a publié son premier roman en 2005 Voix sans issue, roman traduit dans une quinzaine de langues. Votre dernier roman Un quinze août à Paris a été publié chez Actes Sud en 2014. Notre deuxième invitée, Odile Bouhier, vous êtes scénariste et écrivain. Votre premier roman Le Sang des bistanclaques aux Presses de la Cité a reçu le prix du Polar Sud Ouest/Lire en Poche 2013. Votre dernier roman La Nuit in extremis est publié aux éditions 10/18. Nous avons également avec nous Gerlinde Schermer-Rauwolf.
Bonjour, vous êtes traductrice de l’anglais, vous habitez en Allemagne. Vous avez notamment été présidente de l’association allemande des traducteurs jusqu’en 2008 et vous êtes aujourd’hui administratrice de l’Union des écrivains allemands et administratrice du Conseil européen des écrivains. Vous venez de traduire un livre de Steven Clarck. Avec nous Bruno Arpaia, écrivain, traducteur, journaliste italien. Votre dernier livre Avant la bataille sortira en février 2015 aux éditions Liana Levy. Notre dernière invitée, Cécile Deniard, vous êtes traductrice, vous êtes notamment vice-présidente et chargée des affaires européennes de l’ATLF (Association des Traducteurs Littéraires de France) et votre dernier livre traduit s’intitule Angel Baby de Richard Lange.

Nous allons donc de manière très concrète parler de la rémunération de l’auteur sur ces dix dernières années. Nous allons partir d’un exemple très concret, celui de Céline Curiol qui a publié son premier livre il y a presque dix ans en 2005. Céline Curiol, pouvez-vous nous indiquer quel est le montant ou une fourchette du montant d’à-valoir que vous avez perçu pour votre premier roman en 2005 ?

♦ Céline Curiol
Pour ce premier roman, j’ai touché une somme autour de 3 000 € à l’époque.

♦ Mathieu Simonet
Pour les romans suivants, y a-t-il eu une évolution de votre à-valoir ?

♦ Céline Curiol
Il y a eu des évolutions. Au départ, comme le premier livre s’était bien vendu, l’à-valoir a été plus ou moins doublé pour le livre suivant. Pour le livre d’après, il y a eu un à-valoir équivalent au second livre. Pour le quatrième livre, il y a eu à nouveau un doublement. Ensuite pour le dernier livre, le montant de l’à-valoir est redescendu. Je ne connais pas exactement les raisons de l’éditeur, mais la raison qui m’a été donnée était liée au fait que le livre n’était pas un roman, mais un essai qui est censé être moins vendeur.

♦ Mathieu Simonet
Ce n’était pas lié aux ventes de votre dernier livre, mais à la catégorie du nouveau livre ?

♦ Céline Curiol
C’était lié aussi. Je pense que c’était une manière polie de le signaler.

♦ Mathieu Simonet
Vous pouvez nous donner une idée du dernier à-valoir ?

♦ Céline Curiol
C’était environ 7 000 €.

♦ Mathieu Simonet
Le point important pour la question de la rémunération est celui de l’àvaloir. Puisque c’est le montant que l’on perçoit a minima, quel que soit le niveau de vente des livres. Le deuxième élément important pour les auteurs est le pourcentage qu’ils perçoivent sur la vente de leurs livres. Si nous revenons en 2005, quel était-il ?

♦ Céline Curiol
Pour moi ça n’a jamais changé. Il y a des fourchettes en fonction du nombre d’exemplaires vendus, mais j’ai toujours été à 10 % en dessous de 10 000 exemplaires. Ça n’a pas changé. Je n’ai pas vraiment essayé de renégocier, car lorsque j’ai tenté de le faire, ce fut un sujet assez sensible avec mon éditeur, donc c’est resté comme ça jusqu’à maintenant.

♦ Mathieu Simonet
Et votre pourcentage maximum ? Puisque plus on vend de livres, plus on peut avoir un pourcentage élevé.

♦ Céline Curiol
Oui, mon pourcentage maximum est 14 %.

♦ Mathieu Simonet
Cela correspond donc à 10 %, 12 % et 14 % ?

♦ Céline Curiol
Exactement.

♦ Mathieu Simonet
Je vais me tourner vers les autres invités. Sur cette question des à-valoir et des pourcentages, quels sont-ils depuis que vous publiez ?

♦ Cécile Deniard
Le cas du traducteur littéraire est particulier dans cette table ronde puisque nos oeuvres sont des oeuvres de commandes pour lesquelles l’à-valoir constitue la majeure partie de notre rémunération. Nous négocions donc essentiellement notre à-valoir, qui s’appuie sur un tarif au feuillet.

♦ Mathieu Simonet
Pouvez-vous nous donner un ordre d’idée de ce que perçoit un traducteur ou de ce que vous percevez, vous, au titre de l’à-valoir ?

♦ Cécile Deniard
Oui. Moi, je perçois comme tous les traducteurs essentiellement des à-valoir. Si je regarde mon revenu annuel, j’ai perçu en moyenne depuis six ans 24 500 € sur l’année ; ce qui correspond aux revenus moyens des traducteurs inscrits à l’AGESSA il y a quelques années.

♦ Mathieu Simonet
Pour combien de livres afin que nous puissions comparer avec Céline Curiol ?

♦ Cécile Deniard
Trois, quatre livres.

♦ Mathieu Simonet
Gerlinde Schermer-Rauwolf, pouvez-vous nous indiquer le montant des à-valoir que vous percevez à titre personnel en tant qu’auteur ?

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
Je suis désolée, je suis traductrice, je ne peux pas vous parler de ce que les auteurs touchent. En général je suis payée au feuillet. Le tarif est d’environ 18 à 20 € le feuillet, c’est l’à-valoir, l’argent que l’on perçoit. On ne le touche pas à l’avance, on en touche un tiers à la commande, un autre tiers ou le solde à la remise, il y a différents systèmes. On appelle ça un à-valoir, mais c’est une somme que nous ne devrons jamais rembourser. C’est une avance sur les droits d’auteur. Vous voulez savoir combien je gagne ?

♦ Mathieu Simonet
Pour avoir un élément de comparaison avec Céline Deniard, sur un livre, combien percevez-vous d’à-valoir ?

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
Pour un livre de 200 pages, cela correspond à 320 feuillets traduction multipliés par 18 à 20 €, ça fait 6 400 € environ. Les traducteurs allemands gagnent dans les 12 000 € par an. Je me débrouille, car j’essaie de faire des traductions beaucoup plus faciles entre lesquelles je case une oeuvre de haute littérature, ce qui me permet de gagner environ 17 000 € par an.

♦ Cécile Deniard
Pour répondre autrement à la question : pour un gros livre de 600 feuillets qui fera 400 pages, je vais recevoir un à-valoir de 12 000 €.

♦ Mathieu Simonet
Merci beaucoup. Bruno Arpaia, votre témoignage a un double intérêt. Non seulement vous êtes italien et donc nous pourrons comparer avec l’Italie, mais vous avez aussi une triple casquette, car vous êtes écrivain, traducteur, journaliste. En tant qu’écrivain tout d’abord, est-ce que vous percevez des à-valoir ? Et si oui, de combien ?

♦ Bruno Arpaia
Bien sûr. On peut dire que ces à-valoir ont augmenté au fil du temps. J’ai commencé à écrire il y a très longtemps et au fur et à mesure on est arrivé à un certain montant qui peut se comparer aux nombres d’exemplaires vendus. Ces derniers temps, en revanche, avec la crise dans le monde de l’édition, les droits d’auteur ainsi que les à-valoir ont baissé de 35 %.

♦ Mathieu Simonet
Juste avant de parler de cette baisse. Pouvez-vous mentionner le niveau d’à-valoir que vous perceviez lorsque vous avez commencé à publier ?

♦ Bruno Arpaia
Malheureusement, on parlait encore en lire, car cela remonte à très longtemps. On peut dire qu’on est autour de 2 000, 3 000 €. Je suis arrivé jusqu’à 20 000 € et je suis redescendu à 12 000 € avec mon dernier livre. Il s’agit évidemment d’une question de vente. La seule facilité qu’ont les auteurs en Italie est la suivante ; les impôts s’appliquent seulement sur 75 % de ces montants et c’est le seul avantage des auteurs et des traducteurs en Italie. En tant que traducteur on peut dire qu’il y a plein de cas différents. En ce qui me concerne, je traduis à partir de l’espagnol et je suis dans la fourchette haute. Ces trois dernières années j’ai perdu environ 30 %. C’est-à-dire qu’il y a trois-quatre ans, j’étais mieux rémunéré.

♦ Mathieu Simonet
Pouvez-vous nous dire quel était le montant de votre rémunération ?

♦ Bruno Arpaia
Maintenant je suis autour de 18,20 €. Mais je connais de bons traducteurs qui travaillent pour 6 ou 7 € le feuillet. La situation est différente par rapport à la France ou l’Allemagne ou d’autres pays parce que nous n’avons pas de droits d’auteur pour la traduction, nous ne touchons rien. Il y a un forfait et c’est tout ; après le premier paiement il n’y a plus rien.

♦ Mathieu Simonet
En tant que journaliste êtes-vous mieux payé ?

♦ Bruno Arpaia
Non parce que depuis trois-quatre ans il y a eu la crise qui a entraîné une chute de 50 % des rémunérations. Il n’y a plus de contrat en Italie donc plus aucune garantie, on est payé par article en fonction des articles qu’on écrit, il n’y a aucune continuité. Il suffit que le rédacteur change et c’est fini. Il y a aussi ceux qui touchent 250 € pour un long article, mais je connais des auteurs qui écrivent pour 50 € bruts.

♦ Mathieu Simonet
Cécile Deniard, nous parlions tout à l’heure des pourcentages. En tant que traducteur, pouvez-vous nous indiquer quel est le niveau de pourcentage que vous pouvez percevoir ?

♦ Cécile Deniard
Il y a une vingtaine d’années, je vous aurais répondu qu’on avait 2 %. Aujourd’hui, malheureusement, nous observons majoritairement dans les contrats 1 %. Néanmoins certains éditeurs pratiquent un système qui était prévu par le Code des usages signé par l’ATLF et le SNE (Syndicat national de l’édition) en 1993, à savoir un pourcentage de 3 % jusqu’à amortissement de l’à-valoir, puis de 1 %. C’est contre-intuitif pour les auteurs, qui en général négocient en sens inverse (un pourcentage plus élevé lorsque les ventes augmentent), mais l’idée qui est derrière ce pourcentage dégressif, c’est d’accélérer l’amortissement de l’à-valoir. Le fait est que, quand je touche 10 000 € d’à-valoir pour un gros livre, si je suis à 1 % de pourcentage, cela veut dire qu’il faut en vendre 60 000 pour commencer à toucher quelque chose, autant dire que cela n’arrive jamais ! Avec ce système d’amortissement accéléré, je n’ai plus à en vendre que 20 000 pour commencer à toucher quelque chose. C’est la chance que j’ai avec Albin Michel qui pratique ce système et il n’y a que pour des livres publiés chez Albin Michel que je touche un petit peu de pourcentage.

♦ Mathieu Simonet
Merci beaucoup. Je vais poser la même question à Odile Bouhier. Pouvezvous nous indiquer ce que vous avez perçu en à-valoir et en pourcentage ?

♦ Odile Bouhier
Pour mon premier livre j’ai touché entre 10 000 et 12 000 € d’à-valoir avec 10 % de pourcentage. Le deuxième j’ai touché entre 12 000 et 15 000 €  avec une augmentation du pourcentage à 12 %. Le premier livre avait bien marché et pour le troisième à-valoir, j’étais entre 15 000 et 20 000 € en étant toujours à 12 %.

♦ Mathieu Simonet
Vous êtes également scénariste. Pouvez-vous nous dire quels sont les montants que vous percevez en tant que scénariste afin que nous puissions comparer ?

♦ Odile Bouhier
Oui, c’est beaucoup moins nébuleux l’écriture de scénario parce que les droits d’auteur sont gérés par la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) et il y a donc une certaine transparence. Les prix des 52 minutes se situent invariablement entre 20 000 et 25 000 €.

♦ Mathieu Simonet
Qu’est-ce qui vous demande le plus de travail : écrire le scénario d’un 52 minutes ou écrire un livre ?

♦ Odile Bouhier
Même si l’écriture d’une série est prenante, le roman me demande le plus de temps : conquérir la langue est complexe…

♦ Mathieu Simonet
Il vous faut combien de temps à peu près pour écrire un livre ou une série ?

♦ Odile Bouhier
Pour un livre je mets entre six et huit mois sans compter les semaines, voire les mois de recherches, d’archives documentaires... Je suis passionnée d’histoire depuis des années, je me documente, j’ai des archives : ce tempslà je ne le compte même pas.

♦ Mathieu Simonet
Nous venons de faire un premier tour de table très rapide sur vos rémunérations. La deuxième question qui est liée est celle de la négociation avec vos éditeurs. J’aimerais partir de votre exemple Odile Bouhier. Pouvez-vous nous dire si vous avez négocié vos premiers contrats ?

♦ Odile Bouhier
Oui, mais je pense que le fait de venir du scénario a rassuré l’éditeur. Je suis arrivée avec une idée, avec les dix premières pages du livre, avec le projet de série et il m’a dit : « OK, on y va ! » Il m’a proposé entre 8 et 12 et je lui ai dit : « Ce sera plutôt entre 10 et 12. » Je venais du scénario, ça me paraissait dérisoire. Maintenant je me rends compte que non. Donc, oui, j’ai négocié.

♦ Mathieu Simonet
Votre négociation a été utile ?

♦ Odile Bouhier
Oui, mais j’avais bénéficié du soutien et des conseils de mon agent en tant que scénariste. Même si mon éditeur n’a pas voulu entendre parler de mon agent en tant que romancière. Par la suite, j’ai négocié également pour le deuxième, j’ai négocié les pourcentages, pour le troisième aussi.

♦ Mathieu Simonet
Vous avez négocié essentiellement les à-valoir ou il y a d’autres points importants que vous avez négociés ?

♦ Odile Bouhier
J’avais également réévalué les pourcentages. Pour le deuxième et le troisième, je voulais 12 % et non pas 10 %. En revanche, par méconnaissance je n’ai pas réussi à négocier les droits audiovisuels.

♦ Mathieu Simonet
Vous avez cédé les droits d’adaptations audiovisuelles à l’éditeur par un contrat séparé.

♦ Odile Bouhier
Par la suite, après avoir parlé avec d’autres auteurs, j’ai demandé à récupérer les droits audiovisuels. Oralement mon éditeur m’a dit oui et quand j’ai fait ma demande par courrier, il a refusé.

♦ Mathieu Simonet
Pour votre dernier contrat, la négociation a été plus complexe et le contrat n’a pas été signé. Vous pouvez nous raconter ?

♦ Odile Bouhier
Mes livres sortent d’abord en grand format, c’est donc avec l’éditeur grand format que je négocie. Et comme ils marchent bien, ils sont ensuite publiés chez 10/18, dans la collection Grands détectives. Alors pour le quatrième, il m’a imposé une baisse de 50 % de l’à-valoir que j’avais obtenue pour le troisième, entre 15 000 et 20 000 €. Il m’a pressé de le signer très rapidement alors que le troisième venait de sortir en me disant : « il démarre très mal », et en ne me donnant aucune autre explication. Comme il y avait eu l’épisode où j’avais tenté de récupérer mes droits audiovisuels sans y arriver, que j’avais d’autres projets par ailleurs et que je n’avais aucun engagement de préférence, j’ai refusé cette pression. Je sais que c’est le lot de certaines négociations contractuelles et je déplore ce « management » qui prend la couleur du chantage, mais au fond ce n’est pas si grave, j’ai simplement refusé de signer.

♦ Mathieu Simonet
Est-ce que vous regrettez ?

♦ Odile Bouhier
Non.

♦ Mathieu Simonet
Je vais demander aux autres invités s’ils négocient et comment ils négocient leurs contrats.Céline Curiol, négociez-vous vos contrats ?

♦ Céline Curiol
Au départ cela m’a paru être une grande chance d’être publiée. J’étais très timide, je n’ai rien négocié, on m’a dit de signer et j’ai signé. Mais après avoir écrit deux livres, j’ai fini par me considérer comme écrivain véritablement. Il fallait donc que j’aie une autre relation avec mon éditeur, qui ne soit pas exclusivement liée au travail sur le texte et l’écriture. J’avais aussi un rôle à jouer dans une relation légale et administrative. J’essaie de négocier de la meilleure façon possible, mais ce n’est jamais quelque chose de facile.

♦ Mathieu Simonet
Quels sont les points que vous négociez ?

♦ Céline Curiol
Pas les pourcentages. J’ai négocié les à-valoir. J’ai négocié le pourcentage de droits sur les sessions des livres à l’étranger.

♦ Mathieu Simonet
Qu’avez-vous obtenu par exemple ?

♦ Céline Curiol
Aujourd’hui je suis à 70 % et j’étais au départ à 50 %. Ensuite, j’ai négocié les droits audiovisuels que j’ai cédés pour certains livres et que j’ai gardés pour d’autres en fonction de mes préférences. Maintenant il y a la question des droits numériques, mais je pense que c’est le sujet d’une autre discussion et d’une autre table ronde. C’est à mon avis une question extrêmement importante et très sensible actuellement où il y a vraiment des discussions à mener avec les éditeurs.

♦ Mathieu Simonet
Justement, combien percevez-vous sur les droits numériques ?

♦ Céline Curiol
Je n’ai signé qu’un seul contrat. Pour les derniers livres, je n’ai pas signé de contrat de cession de droits numériques, car je n’arrive pas à avoir ce que je voudrais, ce que j’estime légitime d’avoir. Dans le premier contrat que j’ai signé, le pourcentage de droits sur le numérique était, je pense, entre 10 et 15 %.

♦ Mathieu Simonet
Cécile Deniard, pouvez-vous nous indiquer si vous négociez vos contrats et sur quels points éventuellement ?

♦ Cécile Deniard
Pour mon premier contrat, cas typique, un professeur avait donné mon nom à une maison d’édition. Je reçois une proposition de contrat et naïvement je pense qu’on a dû me proposer le minimum. Je suis débutante, je ne sais évidemment pas qu’il n’existe aucun minimum, aucun filet de sécurité et que si l’on veut travailler pour rien, on peut, que si on veut payer pour traduire, on peut ! Je fais ma première traduction et, quelques mois plus tard, je découvre l’ATLF, l’Association des traducteurs littéraires de France, et son enquête annuelle sur les rémunérations. Au terme d’un rapide calcul, je m’aperçois que j’ai été payée le tiers de ce qu’obtenaient par feuillet les traducteurs bien installés. J’avais été payée environ 7 € le feuillet, là où aujourd’hui je suis payée entre 20 et 23 € le feuillet. Pour mon deuxième contrat, j’ai négocié 15 € et pour le troisième 18… C’est une question que je me pose à chaque contrat que je reçois d’un nouvel éditeur et en général, ça vient dans les trois premières minutes de la conversation. Et si c’est un éditeur avec lequel je travaille régulièrement, j’essaie de demander un demi-euro de plus toutes les x années.

♦ Mathieu Simonet
Pour les auteurs qui n’osent peut-être pas négocier avec leurs éditeurs, avez-vous le sentiment que négocier avec son éditeur ça abîme la relation ou au contraire ça la renforce ?

♦ Cécile Deniard
Pas du tout ! Souvent nous posons la question à la personne qui n’est pas décisionnaire, ce qui est à la fois confortable et peut ne mener nulle part. En général votre interlocuteur éditorial va se sentir très à l’aise pour vous répondre : « Ben non ! Ça a bloqué aux services financiers. » Ce découplage fait que cela ne m’a jamais posé aucun problème. C’est ce qu’on dit aux jeunes traducteurs : « Prenez une posture professionnelle. Tous les contrats contiennent des clauses contradictoires, voire léonines, qui se négocient. Faites-vous envoyer un projet de contrat. » Parfois je négocie également le pourcentage, jamais assez. Et pour conclure sur le numérique, nous, traducteurs, avons un gros souci, car nos pourcentages pour le numérique sont alignés sur nos faibles pourcentages pour le papier.

♦ Mathieu Simonet
Alors qu’effectivement sur le papier, le prix de vente d’un livre numérique est inférieur au prix de vente d’un livre papier, donc l’assiette est plus petite et il y a, a priori, moins de coûts sur le numérique que sur le papier. Bruno Arpaia, négociez-vous vos contrats en tant qu’auteur ?

♦ Bruno Arpaia
Il n’y a pas grand-chose à négocier. Personnellement, je n’ai jamais demandé des à-valoir très importants parce que je n’y crois pas énormément. Après, il y a toujours un rapport entre les livres que nous vendons et ce que nous pouvons en obtenir, donc j’évite de mettre en difficulté la maison d’édition. Bien sûr, j’ai négocié il y a longtemps par exemple au sujet du pourcentage des droits de traduction et les droits annexes et je suis arrivé à 70-30. Je n’ai pas d’agent, donc disons que ma maison d’édition tient le rôle d’agent pour l’étranger.

♦ Mathieu Simonet
Vous avez négocié à 70/30, on vous avait proposé 50 % ?

♦ Bruno Arpaia
C’était 50/50. Que se passe-t-il maintenant en Italie ? Petit à petit on voit que les à-valoir et les avances disparaissent, même dans les grandes maisons d’édition et c’est très grave. Surtout pour les débutants à qui elles ne donnent rien au début. Et à cause des difficultés économiques, elles ont tendance à donner quelque chose quand le livre est déjà en librairie et parfois même six mois après sa sortie. Ce n’est pas un à-valoir étant donné que cela arrive à posteriori. Il faut donc faire attention, car il y a une tendance à payer de plus en plus tard, par exemple six mois, neuf mois après, 12 mois même.

♦ Mathieu Simonet
Dans le contrat il est prévu que vous serez payé six mois après ?

♦ Bruno Arpaia
Non, c’est comme ça ! Non, sur le contrat il est écrit à la livraison ou à la publication. Mais bon, cela ne concerne que certaines maisons d’édition, pas toutes, ce sont surtout celles qui se trouvent en difficulté.

♦ Mathieu Simonet
Merci beaucoup.Gerlinde Schermer-Rauwolf, pouvez-vous nous dire si vous négociez vos contrats avec vos éditeurs ?

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
Je crois que je dois vous dire un petit mot sur la situation des auteurs parce que je représente ici l’association des écrivains. Généralement, les auteurs allemands ont un agent et ce n’est pas eux qui négocient personnellement, c’est leur agent. C’est une très bonne chose, surtout pour un premier livre, parce que bien sûr un auteur signe partout où on lui demande de signer.

♦ Mathieu Simonet
En France, en général, les auteurs n’ont pas d’agents, c’est assez rare. C’est une différence notable avec l’Allemagne. Gerlinde Schermer-Rauwolf En tant que traductrice littéraire je négocie personnellement et je dois vous dire que je fais partie d’une équipe de traducteurs. Je n’aime pas traduire toute seule. Quand je reçois une proposition d’un éditeur, on parle de certains points, le taux par page, etc. Je dis toujours : « Il faut que je consulte l’autre traducteur. » Généralement, dès que je prononce cette phrase, le prix du feuillet augmente d’un euro. Donc j’ai appris très tôt à utiliser ce type de négociation et à ne pas dire oui tout de suite mais dire qu’il me faut d’abord consulter un collègue. Donc ça fait augmenter le prix tout de suite. Nous avons une association de traducteurs en Allemagne et cette association peut fournir des contrats types et peut donner des conseils pour les négociations, les chiffres, les pourcentages, etc. Nous pouvons négocier même quand il n’y a pas de contrats signés entre l’association des traducteurs et l’éditeur. Les éditeurs aussi ont des contrats types. Au début, j’avais 20 € par feuillet plus un pourcentage sur les ventes. Je me suis basée sur un contrat existant. Je pouvais dire à l’éditeur : « Voilà le contrat type. »

♦ Mathieu Simonet
À ce propos, pouvez-vous nous parler du rôle de cette puissante organisation qu’est l’Union des écrivains allemands dont vous êtes administratrice ?

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
Oui, il y a eu une première association il y a une centaine d’années et cette union a disparu. La première union des écrivains allemands a été fondée par Heinrich Böll et Günter Grass, il me semble que c’était en 1971. Par la suite, ils ont décidé que cette association ferait partie d’une union qui travaillerait avec des éditeurs. Il y a eu beaucoup de débats à propos de cette question : est-ce qu’on peut vraiment parler de ce qui doit être... Combien doit-on payer le travail d’un génie ? Depuis ce moment-là, il y a eu beaucoup de négociations. On a parlé de la sécurité sociale.

♦ Mathieu Simonet
Sur la rémunération justement, y a-t-il des montants minimums négociés avec cette association ?

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
Nous avons des contrats types depuis 1972. Le premier contrat clairement chiffré a été rédigé en 2005. Auparavant, il y avait une loi sur les droits d’auteur, puis il y a eu une loi sur les contrats qui précisaient qu’il fallait négocier des points concrets, à-valoir, pourcentages, des chiffres. Donc, depuis 2005, on négocie les contrats de cette manière-là et maintenant le minimum est de 10 % pour des livres brochés, moitié malheureusement pour les livres de poche. Mais il y a des taux minimum. Et maintenant nous avons un nouveau contrat type…

♦ Mathieu Simonet
Juste avant de parler de ce nouveau contrat type, cette règle des 10 % s’applique-t-elle réellement ? Car en France, selon un sondage de 2013, seuls 31 % des auteurs touchent ce minimum de 10 %. Donc est-ce vraiment appliqué ou est-ce une recommandation qui est faite par l’Union des écrivains ?

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
Cet accord a été signé par les onze éditeurs les plus importants et ils le respectent. Si nous travaillons avec un autre éditeur, il faut le négocier, mais généralement ils respectent cette clause. C’est très important, car il s’agit d’un à-valoir qui peut se situer entre 1 500 € et 500 000 € quand il s’agit d’écrivains très connus.

♦ Mathieu Simonet
Il existe un minimum concernant l’à-valoir ?

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
Non.

♦ Mathieu Simonet
Vous évoquiez précédemment un contrat type négocié entre l’Union des éditeurs et des écrivains. Y a-t-il eu un contrat type élaboré en Allemagne ?

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
Oui, c’est un contrat type qui a été signé par cette Union, mais ce n’est pas un modèle contraignant qui vous empêche de négocier directement avec les éditeurs.

♦ Mathieu Simonet
En revanche, il s’agit d’un contrat qui, même s’il n’est pas contraignant, a été préparé par les deux parties, l’Union des écrivains et l’Association des éditeurs.

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
Il est contraignant parce qu’il a été signé par les deux organisations. J’ai travaillé à la rédaction de ce modèle pendant trois ans et demi, et il est contraignant pour tous les éditeurs qui font partie de cette association.

♦ Mathieu Simonet
Il y a eu de nombreux points discutés dans ce contrat type. Pouvez-vous nous parler de la question de la durée des droits par exemple ? Généralement, en France, un auteur cède ses droits pour toute sa vie et 70 ans après sa mort.

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
Oui, ça a été l’objet d’un gros débat. Vous pouvez l’imaginer. En particulier pour tout ce qui concerne la question du numérique nous avons été très vigilants. Nous ne sommes pas arrivés à avoir beaucoup de changement. Mais ce qui est nouveau c’est qu’avant on ne pouvait récupérer ses droits qu’au bout de deux ans sans aucune vente de livre. Seulement maintenant avec le numérique, il va toujours y avoir une version qui circule. Cela veut dire que nous n’aurons jamais la possibilité de récupérer ces droits. Il faut trouver une solution pour ce problème de restitution des droits. Nous avons commencé par tenter de limiter la durée de possession des droits par l’éditeur à dix ou quinze ans, mais ils ont refusé. Il a fallu chercher autre chose. Après on a dit : imaginons qu’il y ait une période de deux ans durant laquelle les ventes baisseraient. Eh bien, si pendant deux ans les ventes descendent en dessous de 25 % de ce qu’elles étaient avant, à ce moment-là l’auteur a le droit de demander la restitution de ses droits. Cela a été un gros progrès. Oui, vraiment le plus gros acquis. Eh bon, en général il y a ce système de 10 % pour les éditions brochées. Nous n’avons pas encore de prix unique du livre. Donc les prix varient dans les librairies. Du coup on ne sait pas très bien ce que nous allons recevoir.

♦ Mathieu Simonet
Nous venons de faire un focus sur l’Allemagne. En Italie, pouvez-vous nous dire quelle est la situation de la rémunération des auteurs. Y a-t-il une évolution ?

♦ Bruno Arpaia
Je dirais qu’il y a une révolution. Le problème numéro un à mon avis réside dans la chute du nombre de lecteurs et ceci concerne tout le monde. Entre 2010 et 2013, le marché italien a perdu 532 millions d’euros et 17,7 %. Ce sont de vraies données, mais ce sont des données moyennes. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Il y a des best-sellers, des super best-sellers qui se vendent plus qu’auparavant et donc la fourchette des écrivains de classe moyenne qui vendent entre 7 000 et 30 000 exemplaires, cette tranche d’écrivains a perdu un vrai pourcentage de ventes, jusqu’à 50 %. Ce qui implique que ceux qui étaient semi-professionnels, maintenant sont à nouveau les écrivains du dimanche parce que de cette façon ils ne peuvent pas vivre grâce à l’écriture ou grâce aux métiers qui tournent autour de l’écriture comme le journalisme, etc., et ceci est un problème très important. Quand on analyse la rémunération des auteurs dans son ensemble, on voit qu’il y a des problèmes comme ceux liés à la prévoyance sociale par exemple. En Italie malheureusement, nous avons des charges fiscales très importantes, peut-être les plus importantes au monde, je crois. Moi je travaille en tant que journaliste et au-delà des impôts je dois aussi verser un certain pourcentage, entre 12 et 33 % pour la prévoyance sociale. Donc tous les 100 € moi j’en ai 35 dans ma poche, mais je n’aurai jamais une retraite ! C’est-à-dire que l’État prend 7 000, 8 000 € par an, mais ne me donnera jamais une retraite. C’est aussi ça la situation en Italie.

♦ Mathieu Simonet
Avez-vous, comme en Allemagne, une union des écrivains pour créer un lobbying qui permettrait de faire évoluer les choses ?

♦ Bruno Arpaia
Il y a eu dans le passé une union des écrivains, mais elle n’a jamais fonctionné parce qu’il n’y avait pas vraiment les interlocuteurs adaptés et disponibles. Et il y avait beaucoup d’idéologie. Aujourd’hui il y a Strade, une association, la Société des traducteurs dans le monde de l’édition, qui essaie de négocier avec les éditeurs à partir du point de vue des traducteurs. Moi j’ai plutôt essayé d’insister sur le fait que je traduis un écrivain qui vend beaucoup, qui me voulait comme traducteur. Et j’ai essayé de négocier à plusieurs reprises pour avoir ce fameux 1 % de droit d’auteur sur la traduction et à plusieurs reprises on m’a dit non. Bien que la maison d’édition ait eu de nombreux intérêts à me faire faire la traduction. C’est très dur, mais à mon avis il est inutile de lutter les uns contre les autres. La crise du marché, de la lecture et de l’édition implique tout le monde. Quelle peut-être l’issue ? Il faudrait tout simplement essayer de reconquérir les lecteurs.

♦ Mathieu Simonet
En Italie, pour combien d’années cédez-vous vos droits ? J’ai entendu que c’était 20 ans au maximum, est-ce vrai ?

♦ Bruno Arpaia
Oui, c’est 20 ans en Italie. Mais si un éditeur fait sortir l’écrivain du catalogue, il récupère automatiquement ses droits sur le livre et sur la traduction qui peut être revendue ailleurs.

♦ Mathieu Simonet
Je vais demander à Odile Bouhier. Que pensez-vous de ce qui vient d’être dit sur l’Allemagne et l’Italie. Êtes-vous surprise ?

♦ Odile Bouhier
Je me dis que nous avons beaucoup de chance en France. Même s’il est vrai qu’il n’est pas facile d’être auteur en France aussi. C’est un métier que je revendique.

♦ Mathieu Simonet
La totalité de vos revenus provient de votre écriture ?

♦ Odile Bouhier
Oui, c’est pour cela que je négocie mes à-valoir. C’est très factuel, j’ai mes charges de vie et quand mon éditeur me dit sans aucune explication qu’il a décidé de baisser mes à-valoir de 50 %, je ne peux pas !

♦ Mathieu Simonet
Sur la question de la cession des droits. En général, en France, on cède ses droits pour toute sa vie et 70 ans après sa mort. Est-ce un point qui vous choque ? En découvrant qu’en Italie la cession est de 20 ans au maximum. Est-ce un point qu’il serait intéressant de négocier dans les contrats ?

♦ Odile Bouhier
J’ai tellement d’autres choses à négocier d’abord que pour moi c’est un peu loin tout ça. Même si j’ai une fille et qu’il faudrait que j’y réfléchisse.

♦ Mathieu Simonet
Céline Curiol ?

♦ Céline Curiol
Sur la question de la négociation, le vrai problème est de savoir avec qui nous négocions et pour quoi. Comme il a été dit en introduction de cette réunion, les auteurs, les écrivains sont plutôt secrets par rapport à leur rémunération. Quand on arrive dans ce monde littéraire et même ensuite, ce n’est pas quelque chose sur lequel il est possible d’échanger très ouvertement. C’est d’autant plus appréciable de pouvoir le faire ici. La question que nous devons tous nous poser ici est : est-ce qu’on veut mettre en commun ces informations pour qu’elles puissent servir à d’autres ou est-ce qu’on continue – et je n’ai pas de réponse à cette question – à rester dans cette loi du silence qui fait que certains en sont avantagés et que les éditeurs peuvent profiter dans certains cas de cette situation ? Je pense que la question de la rémunération des auteurs est aussi liée à la circulation des informations. Qu’est-ce qu’on est prêts à faire en tant qu’auteurs par rapport à ça ?

♦ Mathieu Simonet
Vous avez entièrement raison, la SGDL milite pour la transparence de toutes ces questions et nous avons besoin de tous les auteurs. Travailler avec la SGDL est un geste militant. On va faire un petit coup de projecteur sur la traduction, pour entrer un peu plus dans le détail de cette histoire des feuillets qui est essentielle dans la rémunération des traducteurs. Cécile Deniard, pouvez-vous nous expliquer de façon détaillée ce qu’est une rémunération au feuillet ?

♦ Cécile Deniard
En passant par la question de la négociation, je vais vous répondre. Face à notre éditeur, on est tout seul. Mais si je me suis engagée tout de suite dans l’Association des traducteurs littéraires, c’est que je pensais justement que l’on pouvait ne pas le rester. J’ai ainsi trouvé rapidement les informations concernant les niveaux de rémunération qu’on pouvait obtenir. En ce qui concerne les contrats, l’association a aussi négocié collectivement avec le SNE. Il y avait eu un premier Code des usages en 1986, un deuxième en 1993 et ensuite ont suivi quasiment 20 ans de non-dialogue. Puis le dialogue s’est renoué il y a quelques années notamment grâce à une initiative du CNL (Centre National du Livre) qui a commandé un rapport à Pierre Assouline. Et évidemment, en une quinzaine ou une vingtaine d’années, la situation avait évolué et il fallait mettre à jour le Code des usages. Celui-ci régit les relations entre traducteurs et éditeurs ; il n’a pas force de loi, mais il est tout de même reconnu comme une référence par les tribunaux en cas de conflits. Un des points justement qui devait être clarifié, c’était le mode de comptage. C’est vraiment le serpent de mer.

♦ Mathieu Simonet
C’est-à-dire ? Qu’entend-on par feuillet ?

♦ Cécile Deniard
Marie Sellier disait tout à l’heure que nous ne parlons pas d’argent en France. Et pour les traducteurs littéraires, ce qui est terrible, c’est qu’avec ces histoires de comptage cela devient en plus très technique. il faut sortir sa calculatrice, faire des règles de trois, expliquer des concepts mathématiques à son interlocuteur éditeur pour ne pas, au bout du compte, perdre 15 à 20 % de sa rémunération. Dans les années 80, début des années 90 et aujourd’hui encore pour une grosse proportion de contrats, nous sommes payés au feuillet de 25 lignes de 60 signes, blancs et espaces compris. C’est un feuillet hérité de la machine à écrire.

♦ Mathieu Simonet
Où chaque caractère correspond à un espace.

♦ Cécile Deniard
Voilà. Et les tarifs observés tous les ans par l’ATLF étaient appuyés sur ce format-là. Et ce feuillet de 25 lignes de 60 signes était appelé feuillet de 1 500 signes. Est arrivée l’informatique, avec la possibilité de voir le nombre total de signes dans un document, et là certains éditeurs, sciemment ou non, se sont dit : « Très bien, il suffit de diviser le nombre de signes par 1 500 et nous aurons le nombre de feuillets. »

♦ Mathieu Simonet
Parce que, sur un feuillet de temps en temps, il n’y a pas vraiment 1 500 signes.

♦ Cécile Deniard
Sur un feuillet, en général, il n’y a pas 1 500 signes. Par exemple, le feuillet que j’ai lu tout à l’heure, il est bien calibré, il fait 25 lignes de 60 signes, mais dessus il y a 1 454 signes…

♦ Mathieu Simonet
Parce qu’il y a 60 signes maximum par ligne.

♦ Cécile Deniard
Parce qu’il y a quelques retours à la ligne. Deux pages plus loin, j’ai celuilà. Il n’a pas l’air outrancièrement aéré, mais il ne fait que 1 233 signes, c’est-à-dire qu’il y a déjà une différence de 18 % avec un feuillet qui serait plein. Autrement dit, si vous prenez le nombre de signes du livre et que vous divisez par 1 500, vous obtenez un nombre de tranches de 1 500 signes qui va être inférieur de 15, 20 et jusqu’à 30 % dans certains cas particuliers.

♦ Mathieu Simonet
Quel est le terme utilisé lorsqu’on compte par blocs de 1 500 signes ?

♦ Cécile Deniard
Cela fait partie des discussions que nous avons eues avec les éditeurs pour clarifier la situation dans le Code des usages. Il a été décidé d’avoir deux formulations, soit le feuillet de 25 lignes de 60 signes blancs et espaces compris, soit la tranche informatique de 1 500 signes. Étant précisé dans le Code des usages que s’il est choisi une rémunération à la tranche informatique de 1 500 signes, alors il faut prévoir de rehausser de 15 à 30 % le nombre de tranches qu’on a obtenu, simplement pour rester au même niveau de rémunération qu’auparavant. Donc, c’est technique, ce n’est pas amusant, mais pour 20 %, ça vaut quand même le coup de comprendre.

♦ Mathieu Simonet
Quand vous nous l’expliquez, c’est très simple. Il suffit d’avoir ces deux notions en tête, le feuillet et la tranche informatique.

♦ Cécile Deniard
Cela demande de la pédagogie auprès de nos membres, des traducteurs en général et des éditeurs pour pouvoir le leur expliquer. Le plus souvent, ils n’ont pas été de mauvaise foi dans cette histoire, mais il fallait leur expliquer.

♦ Mathieu Simonet
Gerlinde Schermer-Rauwolf et Bruno Arpaia, comment compte-t-on un feuillet en Allemagne et en Italie. Le débat est-il le même ? Que signifie un feuillet en Allemagne ?

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
C’est presque pareil, 30 lignes de 60 caractères. Et jusqu’à présent les éditeurs n’ont pas essayé de faire de comptage informatique. En revanche, nos feuillets sont plus chargés avec 1 800 signes. Mais un feuillet standard de 1 800 signes n’en compte jamais 1 600, il en compte autour de 1 400.

♦ Mathieu Simonet
Quel est le prix de ce feuillet standard qui est un peu plus important en termes de taille pour le comparer au feuillet français ?

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
Le tarif minimum est de 13,50 € le feuillet pour les éditions de poche. Et le meilleur tarif que vous pouvez avoir c’est 23 € le feuillet. En moyenne 18 à 20 € le feuillet de 1 800 signes.

♦ Mathieu Simonet
Le feuillet est donc plus petit en France qu’en Allemagne. Peut-on avoir une idée de prix pour comparer les rémunérations entre les deux pays ?

♦ Cécile Deniard
Ce n’est pas tout à fait ce que Gerlinde Schermer-Rauwolf a dit. Le CEATL (Conseil européen des associations de traducteurs littéraires) a fait une enquête sur le statut social et la rémunération des traducteurs ; il y a une deuxième mouture qui est en cours et j’ai fait un petit tableau. Ça, c’est la rémunération au feuillet des traducteurs en Europe, si on ramène ça à une base commune (sachant qu’il y a pratiquement un mode de comptage par pays, ce qui ne simplifie pas les tableaux globaux, car il y a des pays où le feuillet est de 1 500 signes, 1 800 signes, 2 000 signes ou alors c’est au mot, au millier de mots…). J’ai ramené le comptage à un feuillet de 1 500 signes espaces non compris qui correspond plutôt aux 1 800 signes espaces comprises des Allemands. Ce qui explique que la France apparaît très haut à 24 € le feuillet alors que nous sommes plutôt à 21 € le feuillet selon notre propre mode de comptage. Tout en haut dans le tableau il y a la Norvège, le paradis des traducteurs, car d’une part ils ont un tarif au feuillet très élevé et d’autre part ils ont accès à des systèmes de bourses et de subventions très efficaces. Derrière il y a l’Autriche et l’Angleterre, mais ça ne compte pratiquement pas parce qu’ils ne traduisent pas, surtout l’Angleterre. Le traducteur professionnel est une fiction en Angleterre, ils sont deux. Derrière, c’est nous, suivis de l’Allemagne. Nous parlions de l’Italie, elle se situe dans les rémunérations très basses aux environs de 10 € avec ce mode de comptage, tout comme l’Espagne.

♦ Mathieu Simonet
Nous allons demander à Bruno Arpaia comment sont comptés les feuillets en Italie. Nous venons de voir qu’il y a un débat en France, qui n’existe pas en Allemagne où le comptage se fait par feuillet et non par tranche informatique. En France, il y a eu ce débat sur le comptage par feuillet ou par tranche informatique de 1 500 signes espaces compris. Quid en Italie ?

♦ Bruno Arpaia
C’est dommage d’avoir toujours un regard négatif, mais chez nous on compte 2 000 signes du point de vue informatique. J’étais stupéfait de pouvoir comparer mes 18 € avec les 18 € allemands. En réalité il y a 20 % en plus pour les Allemands, plus les droits. D’ailleurs ça se voit dans ce tableau, la statistique en Italie est vraiment très en arrière de ce point de vue.

♦ Mathieu Simonet
Il s’agit de 2 000 signes espace compris ? Y a-t-il des questions dans la salle ?

♦ René Moulinier, auteur de livres techniques sur la vente et le management
En Allemagne, qui rémunère l’agent et à combien est-il rémunéré ?

♦Gerlinde Schermer-Rauwolf
Ça dépend, mais je crois que c’est entre 15 et 20 %. C’est dans cet ordre-là et c’est l’auteur qui choisit son agent donc c’est lui qui paye. Les agents essaient d’obtenir plus que le minimum, mais cela se négocie entre l’auteur et l’agent. Il y a encore 30 ans, nous n’avions pas d’agents, mais depuis quinze ans cela se pratique de plus en plus.

♦ Dominique Le Brun, auteur, administrateur de la SGDL
Une précision concernant le volume du texte et la négociation entre le traducteur et l’éditeur : le volume de texte compris est-il celui du texte d’origine ou celui du texte rendu en français ? Car il est bien connu que de la langue anglaise à la langue française on arrive automatiquement à des décalages qui sont souvent sidérants.

♦ Cécile Deniard
Merci beaucoup parce que je voulais ajouter un point et cette question va me permettre de le dire. Pour la langue anglaise, le texte terminé va faire quelque chose comme 15 % de plus que le texte de départ, c’est ce que nous appelons le coefficient de foisonnement, ce qui fait que normalement tout traducteur sait déjà faire la règle de trois pour avoir cette information. Ce que je voulais ajouter, c’est que justement parce qu’il y a eu ce problème d’entente sur le mode de comptage, il est extrêmement important que les traducteurs fassent un calibrage de l’ouvrage à traduire et sachent euxmêmes avant même de commencer le travail quel est le volume du travail qu’ils vont rendre, à quelques pour cent près. Ainsi, quand on voit le contrat et qu’on voit le montant du premier tiers de l’à-valoir, on sait immédiatement quel est le calibrage de l’éditeur, à quoi il s’attend. Se mettre d’accord d’avance sur le volume approximatif du texte qui sera rendu, ça permet d’éviter bien des conflits.

♦ Mathieu Simonet
Vous partez du nombre de signes initial ou du nombre de signes qui seront traduits ?

♦ Cécile Deniard
Concrètement, si j’ai mon nombre de signes informatiques, je vais rajouter 15 % de foisonnement, ce qui est confortable, en général j’arrive à moins.

♦ Mathieu Simonet
C’est ce que vous négociez dans le contrat en indiquant le nombre de signes et le montant qui en découle ?

♦ Cécile Deniard
Ce n’est pas une négociation, nous en discutons et nous faisons une évaluation. Ce qui m’est arrivé de temps en temps, c’est de recevoir le contrat et de m’apercevoir que l’éditeur a calibré à 500 feuillets, alors que je pense qu’il va y en avoir 550. Dans ce cas, je le préviens et il y a une trace écrite.

♦ Mathieu Simonet
Et donc ensuite, cela vous permet de calculer l’à-valoir en multipliant le nombre de feuillets par le chiffre qui a été négocié ?

♦ Cécile Deniard
C’est un travail que l’éditeur fait. Les éditeurs savent calculer le volume.

♦ Mathieu Simonet
Mais vous conseillez aux traducteurs de le vérifier par eux-mêmes.

♦ Cécile Deniard
Il faut savoir le faire soi-même.

♦ Mathieu Simonet
En termes de calendrier, cette rémunération est-elle versée par tiers ?

♦ Cécile Deniard
Couramment, il est versé un tiers à la signature du contrat, un tiers à la remise, un tiers à l’acceptation, dans une limite de deux mois. Souvent, je touche les deux derniers tiers en même temps. Mais cela peut éventuellement être moitié-moitié. En revanche, je rajoute un point important : ne jamais accepter le solde de l’à-valoir à publication, parce qu’il peut ne jamais arriver.

♦ Mathieu Simonet
Une autre question ?

♦ Ingrid Thobois, auteur
Pour revenir sur la question de la rémunération de l’agent. Vous avez parlé de 15 à 20 %, mais c’est 15 à 20 % de quoi ? De l’à-valoir, de la vente totale annuelle ? Cela correspond à quoi ?

♦ Mathieu Simonet
Normalement cela devrait être calculé sur la totalité : l’à-valoir et les sommes perçues.

♦ Gerlinde Schermer-Rauwolf
Oui, en effet, sur l’avance et sur les droits d’auteur. En général c’est l’agent qui fait tous les calculs, c’est lui qui perçoit l’argent et qui vous donne votre part. Après il y a différents modèles possibles, mais en général c’est comme ça. Il y a quelques grands agents bien connus en Allemagne et c’est eux qui gèrent. C’est un peu difficile pour moi de m’exprimer à ce sujet parce que je travaille sans agent. En général on peut faire confiance aux agents.

♦Sylvestre Clancier, poète, administrateur de la SGDL
Concernant les agents on peut noter – et cela m’a été confirmé dans mes échanges avec les Canadiens français et anglais – que le fait de pouvoir travailler avec un agent est très appréciable. C’est-à-dire que ces dernières années, les auteurs d’expression française avec qui j’ai des correspondances, qui ont pu prendre un agent, ont vu après deux ans leur gain en moyenne doubler. Évidemment, les contrats avec les agents prévoient que l’agent est payé sur la totalité des revenus de l’auteur sur une année ; une évaluation est faite et par la suite il peut y avoir renégociation du contrat entre l’auteur et l’agent. C’est un fait qu’il faut connaître. Quand on connaît par ailleurs la réticence des éditeurs français à négocier avec des agents pour des auteurs français, on aura du travail. Mais en revanche pour ce qui est des traductions, le fait que les traducteurs aient des pourcentages très faibles au-delà du paiement au feuillet sur les ventes est très préjudiciable. Car par exemple lorsque des éditeurs français importants négocient à la foire de Francfort des droits d’achat pour des best-sellers dont ils savent – à moins vraiment de malchance – qu’ils pourront faire une très bonne vente, c’est-à-dire peut-être 50 000, 100 000, 200 000 et plus, il n’est pas normal du point de vue de l’auteur ou du traducteur qu’il n’y ait pas dans ce cas-là des pourcentages spécifiques accordés au traducteur, parce que celui-ci est très lésé, car lorsqu’il a été payé au feuillet après il n’a plus grand-chose. Et puis le dernier point c’est la notion de fluctuation des à-valoir d’un livre à l’autre quand on sait qu’il y a un droit de préférence. L’auteur est d’une certaine manière enfermé par l’éditeur ; il peut également reprendre sa liberté, mais il n’est pas dans les meilleures conditions pour négocier des à-valoir constants ou améliorables. J’aimerais avoir le point de vue des différents participants sur les points que je viens d’apporter au débat. Merci.

♦ Mathieu Simonet
Odile Bouhier, agent ou pas agent ? Puisque vous avez un agent en tant que scénariste, mais pas en tant qu’écrivain.

♦ Odile Bouhier
C’est vrai que certains éditeurs ne veulent pas entendre parler d’agent et l’expriment clairement, mais d’autres comprennent bien l’importance de leur rôle dans cette longue chaîne qu’est l’édition. Concernant l’exclusivité, moi j’ai toujours refusé le droit de préférence. C’est, en effet, « ce qui m’a sauvé » dans le fait de pouvoir refuser la proposition pour mon quatrième livre et ensuite de me tourner vers d’autres projets avec d’autres éditeurs.

♦Mathieu Simonet
Céline Curiol, agent ou pas agent ?

♦ Céline Curiol
Je n’ai pas résolu la question personnellement. Je n’ai pas un avis très éclairé, mais je pense que cela dépend de la relation que l’on a avec son éditeur. Avons-nous besoin de cet intermédiaire ou pas ? Et concernant le droit de préférence, pour ma part je n’en ai plus. Mais quand on commence, cela peut être aussi un facteur rassurant de savoir que l’éditeur est tenu de lire le prochain texte.

♦ Mathieu Simonet
Cécile Deniard, y a-t-il des agents chez les traducteurs ?

♦ Cécile Deniard
Notre position est un peu différente. Ce que nous observons dans le monde de la traduction, ce sont des officines qui, à nos yeux, tentent de se poser en intermédiaires entre les traducteurs et les maisons d’édition sans apporter la moindre plus-value éditoriale ou en termes de négociation. Nous alertons plutôt les éditeurs sur le fait qu’il n’est pas forcément pertinent de passer par un agent. Ce que nous avons pu observer ressemblait plutôt à un parasitisme contre lequel nous luttons. Je voulais rebondir sur l’intervention de Sylvestre Clancier concernant la hauteur des pourcentages des traducteurs. Il prêche une convertie en ma personne. Je voudrais lancer une alerte sur ce point, car nos pourcentages très peu élevés ont baissé et nous avons même pu observer qu’ils ont purement et simplement disparu dans nombre de maisons d’édition qui ont profité des ouvertures laissées par le Code de la propriété intellectuelle qui stipule, par exemple, qu’à sa demande le traducteur peut ne pas avoir de pourcentage - je n’invente rien. Puis il y a toute la liste des domaines particuliers (beaux-arts, publications populaires…) pour lesquels une rémunération forfaitaire est licite ; toute une partie du monde éditorial s’engouffre dans cette brèche, ce qui est très préjudiciable d’un point de vue économique, mais aussi symbolique. Parce qu’il est important que le traducteur soit reconnu comme auteur et que sa rémunération soit assise sur le prix du livre et tout ce qui s’ensuit.

♦ Mathieu Simonet
Pour clore cette première table ronde, j’aimerais indiquer qu’il y a une grande étude qui va être lancée sur la rémunération des auteurs. La SGDL milite depuis longtemps pour la mise en oeuvre de cette étude avec le MOTif (Observatoire du livre et de l’écrit en Île-de-France), le Centre national du livre, le ministère de la Culture et de la Communication. Cette grande étude qualitative et quantitative nous permettra de connaître non seulement les à-valoir, les pourcentages, mais également les revenus annexes – car certains auteurs ont besoin de travailler à côté –, connaître les bourses, les aides… C’est une étude qui pourra être très éclairante et permettra de dialoguer avec les pouvoirs publics et les éditeurs, mais nous aurons besoin des auteurs. Nous avons conscience que la question de la rémunération est un sujet un peu tabou et je remercie beaucoup nos invités d’avoir accepté de le briser. Sachez que cette étude sera anonyme et nous aurons besoin de vous.

Merci à tous.