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Les auteurs du jury ont décidé de récompenser Etoiles vagabondes, de Sholem Aleykhem, traduit du yiddish,aux éditions Le Tripode

Jean Spector

Jean, tu viens d’avoir quatre-vingt-deux ans, ta carrure se déploie encore et ta douceur rayonne. Ta générosité est infaillible et ton érudition fougueuse. Tu as le don farouche de l’esquive dès lors qu’il s’agit de parler de ta vie. Mais il y a quelques jours, tu nous confiais entreprendre la traduction d’un nouveau livre. Jeune éternellement, tu as la vie devant toi et nous, on te doit bien un hommage, et aux autres le don de ta propre histoire.

Tes parents quittent la Pologne en 1931 et s’installent en Haute-Savoie. Tu y naîtras six ans plus tard. Lorsque la guerre éclate, vous êtes séparés, la proximité de la frontière suisse vous sauve, ton père et ta mère sont envoyés dans un camp de réfugiés, ta sœur et toi dans une famille d’accueil. Avec la guerre, la Shoah, l’élimination du Yiddishland, monde ô combien bigarré qui est au cœur des récits de famille, survit une langue. Seuls les parents peuvent l’employer, les enfants eux, doivent utiliser celle de l’école républicaine. Enfant, tu remportes un prix de composition française, ce qui ne manque pas d’étonner un sous-préfet qui, lui, peut à peine prononcer ton nom avant qu’il ne soit « francisé ». À cet âge, tu rêves des romans de Jules Verne et d’aviateurs héroïques de l’Armée rouge – tu rougis toujours en parlant de l‘enfant que tu fus, comme s’il s’agissait d’un autre être, d’un ami dont tu serais fier, pour qui tu aurais une certaine affection. Puis tu es adolescent, puis Staline meurt, puis le service militaire et un passage en Sorbonne. La vie est devant toi.

Pendant vingt ans, tu vis et vivotes ici et là en accomplissant divers métiers dans le commerce. En 1983, tu « montes » définitivement à Paris, et ta vie s’aventure. Jeune éternellement. Tu découvres que des intellectuels se dévouent corps et âmes au yiddish. Toi aussi tu veux faire tes classes et tu commenceras par suivre des cours, dont ceux de Rachel Ertel. En même temps, tu gères La Payote, un club de jazz qui fait le bonheur du Quartier latin. Puisque tu as la vie devant toi.

Mais comment expliquer cette folie qui t’a fait traduire un livre aussi vaste que Étoiles vagabondes pour ton seul plaisir ? Tu traduis, du français au yiddish, du yiddish au français et, pendant dix ans, tu t’es immergé dans les méandres d’une voix et d’un auteur que l’on pourrait croire intraduisibles. Tu l’as fait dans l’amicale pression de ton entourage, dirais-tu pudiquement, et pour la seule raison qu’il s’agissait là d’un trésor que tu pouvais partager. Tu l’as fait pour tes parents, dont Sholem Aleykhem était sans aucun doute l’écrivain chéri, l’écrivain-lumière.

Plus que le yiddish, c’est l’amour retrouvé d’une langue que tu enseignes. Et l’idée rôde en nous que si ta traduction est si belle, c’est bien parce que ta vie est faite de toutes ces aventures, parce que tu es resté jeune éternellement. Et une étoile vagabonde.

Texte des Editions du Tripode 

 

 

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Etoiles vagabondes, de Sholem Aleykhem, traduit du yiddish, aux éditions Le Tripode

Étoiles vagabondes, ce roman au titre enchanteur, nous transporte dans une invraisemblable pérégrination. Leyb, le jeune fils de l’homme le plus riche du village, tombe éperdument amoureux de Reyzl, la fille d’un pauvre chantre à la voix d’or. L’intrigue s’organise autour de l’arrivée en ville d’une étrange troupe de saltimbanques. Étroitement entremêlées, l’histoire du théâtre et celle de cet amour impossible nous entraînent dans une myriade d’aventures, plus rocambolesques les unes que les autres et vont finir par nous conduire du quartier juif askénase aux États-Unis.

Sur cette toile de fond, où la culture juive est omniprésente, se dessinent des personnage caricaturaux et comiques, qui tiennent des dialogues souvent loufoques. Tout au long des six cents pages, le récit nous emporte irrémédiablement, grâce à une écriture enlevée, truculente, tout à la fois musicale et drôle dont on devient vite prisonnier du charme. Nous suivons le rythme de ces étoiles « qui ne tombent pas, elles vagabondes. »


Si Jean Spector, le traducteur, a été baigné dès son enfance dans un monde bilingue, puisque ses parents s’exprimaient en yiddish alors que les enfants répondaient en français, ce n’est que bien plus tard qu’il s’est intéressé à la traduction, et plus tard encore qu’il s’est lancé dans l’extraordinaire aventure qui consistait à traduire ce gigantesque roman oublié de Sholem Aleykhem, avec un talent prodigieux, une verve inimaginable et une persévérance inouie puisque ce travail lui aura pris près de dix ans..
Evelyne Châtelain-Diharce

 

Evelyne Châtelain-Diharce, traductrice et Présidente du Jury du Prix Révélation Traduction 

 

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