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Appel à candidatures : résidence d’écriture à Edenkoben (Allemagne) / Août 2024

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Lancement du site Lecture-Justice

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Jean-Marc Savoye, éditeur, Lepublieur.com
Jean Claude Bologne, écrivain, secrétaire général de la SGDL
Nicolas Cauchy, écrivain, fondateur du site Auteurstv
Guillaume Husson, Délégué général du Syndicat de la librairie française
Modératrice : Annick Rivoire, journaliste, fondatrice du site Poptronics

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© Muriel Berthelot






 



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© Muriel Berthelot






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© Muriel Berthelot




 

 

 

 

 

 
 

 

Annick Rivoire
La troisième table ronde de cette journée est intitulée : «Vers une nouvelle donne culturelle».

Il y a plus de 15 millions de blogs en France. Peut-on dire qu'il y a autant d'auteurs ?
Face à la prolifération des signes écrits, face aux nouveaux comportements de lecture (lecture à l'écran, lecture fractionnée en chapitres, en épisodes, en téléchargements, lecture audio...), comment l'écrivain peut-il s'adapter ? Comment les éditeurs et les libraires s'accommodent-ils de cette nouvelle donne, venue avec le numérique, qui a bouleversé les systèmes traditionnels de repérage, de validation et de hiérarchisation des contenus littéraires. La dépossession du professionnel par l'amateur ou, pour reprendre le titre d'Andrew Keen, Le Culte de l'amateur - avec un sous-titre éloquent : Comment Internet tue notre culture -, est-elle irréversible ? Les libraires indépendants peuvent-ils infléchir cette évolution ?

De nouveaux intermédiaires entre l'auteur et son lecteur - coopératives d'auteurs, édition déléguée, etc. - peuvent-ils apparaître ? Sans prétendre apporter des réponses définitives à ces questions, nous allons tenter avec nos intervenants de débroussailler le terrain et de trouver des points d'ancrage face à cette nouvelle donne culturelle.

Jean Claude Bologne, écrivain, essayiste, médiéviste, a publié une trentaine d'ouvrages, dont, en 1986, Histoire de la pudeur. Il est spécialiste d'iconologie médiévale. Depuis 2002, il assure le secrétariat général de la SGDL.

Nicolas Cauchy, auteur de deux romans, journaliste, a développé le site Auteurstv pour combler ce qu'il considérait comme un vide médiatique. Ce site, sur lequel plus de 80 000 vidéos ont déjà été vues, propose des portraits filmés et des interviews d'écrivains.

Guillaume Husson a dirigé le département de l'économie du livre du ministère de la Culture. Depuis février 2008, il est délégué général du syndicat de la librairie française. Il nous apportera notamment des informations sur le portail des libraires, dont le lancement sur l'Internet est annoncé pour l'année prochaine.

Jean-Marc Savoye a fondé en 2001 lepublieur.com, premier portail de publication ouvert à tous, particuliers, institutions, éditeurs, qui développe l'idée d'une édition déléguée. Il dirige également, depuis 2005, une maison d'édition traditionnelle, les éditions des Quatre chemins.

Messieurs, quel est votre sentiment sur la nouvelle donne culturelle ? Êtes-vous optimistes ou pessimistes face à ce bouleversement ? Êtes-vous d'accord avec le constat que j'ai tenté de dresser ?

Jean Claude Bologne
Concernant le sujet de ce forum, le rôle de l'écrivain dans la cité, je suis résolument optimiste. Alors que la question de l'utilité de l'écrivain revient de façon récurrente, je n'ai jamais entendu demander quelle est l'utilité d'un banquier ou d'un présentateur de journal télévisé ! Pourtant, je ne connais pas une culture passée ou présente qui n'ait pas eu besoin d'écrivains, qu'il s'agisse de littérature orale ou de littérature écrite. Je connais par contre des sociétés sans banquiers, ou sans éditeurs... Cela dit, l'écriture restera-t-elle un métier comme cela a pu être le cas depuis quelques siècles ? Sur cette question, je suis modérément pessimiste - modérément, car il est difficile que ce soit pire qu'aujourd'hui. Je pense faire partie de la dernière génération d'écrivains qui ont pu vivre de leurs droits d'auteur.

Nicolas Cauchy
Ma réponse est partagée. Pour ce qui est des revenus, je suis plutôt pessimiste. Pour ce qui est des possibilités offertes par les nouveaux vecteurs comme Internet, je suis plutôt optimiste.

Jean-Marc Savoye
Je suis résolument optimiste, ne serait-ce que parce que cela vaut mieux. Internet crée un formidable appel d'air et simplifie ce qui auparavant était très compliqué. Écrire un livre est devenu «simple». Même s'il ne résout en rien le problème de la qualité et de la validation, même s'il pose des problèmes juridiques et économiques d'une grande complexité, l'Internet est extraordinairement libérant : si vous voulez écrire un livre, tenir ce livre entre vos mains et faire savoir que ce livre existe, c'est simple et cela ne coûte pas cher.

Toute l'histoire de l'imprimerie tend à la baisse des coûts de production et à l'élargissement de la diffusion. On ne pouvait pas faire mieux avec le papier. La dernière grande évolution est celle du livre de poche : la reprise de contenus existants pour les offrir au plus grand nombre moyennant une réduction des coûts de revient. Quel tollé à l'époque : c'était inadmissible, n'importe quoi allait circuler, c'était la mort de la littérature... Aujourd'hui, l'abandon du papier représente une rupture technologique encore plus importante.

J'ai du mal à considérer comme une évolution négative le fait d'offrir la possibilité d'écrire à un plus grand nombre et d'élargir la diffusion. Mais j'ai bien conscience que, disant cela, je n'apporte aucune réponse sur la qualité de la production et sur les nouveaux modes de création. Internet sera-t-il le support du huitième art ? Je n'en sais rien ! La déflagration est considérable et nous n'en percevons pas encore toute l'étendue. C'est un véritable tsunami en matière de production de contenus et de diffusion. Il y aura des dégâts mais il y aura d'autres choses.

Guillaume Husson
Il y aura en effet des dégâts. Le sentiment général des libraires n'est pas toujours très optimiste sur ce sujet. Le rapport de Bruno Patino sur le livre numérique, par ailleurs excellent, consacre à peine une page à la librairie, et ce pour constater les difficultés à intégrer les librairies dans cette nouvelle économie, d'une part, et pour en appeler aux pouvoirs publics, d'autre part. On doit s'interroger sur les conséquences de l'évolution numérique sur la notion d'oeuvre : aura-t-on demain un bouquet d'accès, un abonnement ? Ce n'est de toute façon par le type de produit que les libraires ont l'habitude de vendre.

Le portail des libraires est toutefois un élément d'optimisme puisqu'il représente un essai de réponse collective. Reste à savoir ce que l'on commercialise, et comment. Les bouquets et les abonnements sont bien mieux maîtrisés par les opérateurs de télécommunications et par les moteurs de recherche. Il faut donc en revenir, comme le préconise le rapport Patino : aux fondamentaux de la propriété intellectuelle. Derrière le produit, il y a une oeuvre et des droits qui doivent rester le centre de l'économie du livre. À défaut, ce sont les modèles de gratuité qui vont prendre le pas et les libraires ne pourront pas s'en sortir.
Malgré les inquiétudes diffuses - les libraires craignent en effet un «tsunami», mais sans savoir quand et comment -, je remarque que l'économie du livre numérique représente à peine 1 % du marché aux États- Unis. Le mérite du rapport Patino a été de dessiner le paysage actuel et de décrire les évolutions.

Annick Rivoire
Une des conséquences du numérique est la mise à mal des intermédiaires. Cela a commencé avec la musique, cela se poursuit avec le cinéma, et le livre est maintenant sur la sellette. Qu'arrive-t-il lorsque l'on se passe d'intermédiaires.

Jean-Marc Savoye
Lorsque j'ai lancé lepublieur.com en 2000, je pensais naïvement qu'il suffisait qu'une oeuvre soit sur Internet pour que tout le monde vienne la voir. Or ce n'est pas ainsi que cela se passe. Même si on offre le contenu, cela n'intéresse personne ! La question de la validation est donc centrale. Aujourd'hui, les éditeurs ayant pignon sur rue proposent chez les libraires 40 000 à 50 000 nouveautés par an qui, pour la plupart, se vendent très mal. Sur Internet, quand bien même l'internaute consulterait le contenu - et, pour l'y amener, toutes sortes de techniques sont nécessaires -, il faudrait encore provoquer la décision d'acheter. De plus, Internet fonctionne sur des séquences très courtes : on est dans l'univers du clic. Créer une séquence autour d'un livre est compliqué, d'autant que le prix de l'achat n'est pas négligeable. Voilà pourquoi une démarche comme celle de Nicolas Cauchy est nécessaire.

Nicolas Cauchy
Le projet Auteurstv ne répond pas à la volonté de lancer un magazine en ligne. Il s'agit plutôt d'un acte de résistance. Je suis moi-même auteur et je sais comment cela se passe à la télévision : vous avez la parole pendant quatre minutes, vous racontez votre livre et, après montage, il n'en reste rien. C'est très frustrant ! Alors que tant de contenus vidéo soient disponibles, il est étonnant que les ressources concernant la littérature soient aussi pauvres, hormis quelques archives de l'INA.

J'ai donc approché des auteurs par le biais de Myspace. Dans la plupart des cas, ceux-ci ont été ravis. Je les ai rencontrés avec ma caméra, non pas en journaliste mais comme une personne qui écrit discutant avec une autre personne qui écrit. L'entreprise a rencontré un certain succès. Je me suis pris au jeu, j'ai acheté du matériel et j'ai mené des interviews d'environ cinquante minutes, pour garder vingt minutes au montage.

La mise en ligne s'est accompagnée d'un travail de marketing et de référencement. Au bout d'un an, quelles sont les conclusions ? Je croyais naïvement que l'on pouvait sortir du temps du livre et que l'interview d'un auteur qui n'avait pas publié récemment, qui n'avait rien à vendre, intéresserait autant que la personne qui venait de sortir un livre. Malheureusement, cela ne marche pas comme ça. La vidéo la plus vue - presque dix mille fois - est celle d'Alice Fernay, parce qu'il existe une actualité et que l'auteur est connue. En revanche, la vidéo d'un auteur qui a une grande oeuvre derrière lui, Dominique Noguez, n'a été vue que cent trente fois. Sans doute vaut-il mieux être une jeune femme sous les feux de l'actualité !

Annick Rivoire
Vous considérez-vous comme un nouvel intermédiaire dans la chaîne du livre ?

Nicolas Cauchy
Des maisons d'édition m'ont demandé de me positionner : suis-je un journaliste, un média ? Le site est-il destiné à faire vendre des livres ?
Franchement, je ne me suis pas posé la question : je me suis mis du côté des auteurs en essayant de leur ouvrir une sorte de fenêtre. Je ne me considère pas vraiment comme un médiateur.

Annick Rivoire
Les médiateurs professionnels - éditeurs, libraires - se sentent dépossédés au profit des amateurs qui proposent des chroniques ou des blogs littéraires. Le bouche à oreille marche bien sur l'Internet, de même qu'une certaine «démocratie participative» avec des votations qui sont tout sauf scientifiques...

Jean Claude Bologne
Les auteurs utilisent-ils ou vont-ils utiliser les nouveaux moyens mis à leur disposition comme les blogs ? Les laisseront-ils aux amateurs ? Comme outil, Internet ouvre des possibilités formidables tant pour le lecteur que pour le chercheur et l'écrivain.

Il est devenu indispensable au chercheur comme moyen d'identification des sources, même si des problèmes de vérification de l'information se posent ensuite. Du point de vue du lecteur, on passe d'un marché de l'offre (on entre dans une librairie pour acheter un livre paru dans les trois mois qui précèdent) à un marché de la demande. Pour les auteurs, les possibilités de création sont à mon sens insuffisamment exploitées et sans doute faut-il se demander pourquoi. L'hypertexte, le travail multifenêtres pourraient susciter des livres par arborescence comme l'avait fait Queneau, en quelques pages, dans «Les petits pois». Or ce n'est pratiquement pas le cas.

Le numérique est également un formidable moyen de créer des livres multimédias. Alors que les photographes ont de plus en plus de mal à publier de beaux livres, pourquoi n'y en a-t-il pas plus sur Internet ? Les possibilités d'interactivité (du type Wikipédia) sont relativement peu exploitées par les auteurs professionnels alors que les auteurs amateurs y recourent massivement.

Il y a donc un fort attachement au livre fermé, qui commence à la page 1 et finit à la page x, qui ne porte qu'un nom et qui, s'il est numérisé, est conçu comme un texte sur support papier. La contradiction entre les innombrables possibilités de la numérisation et de l'Internet et la faible utilisation qu'en font les écrivains est frappante. Le danger est de se trouver débordés par tous les internautes qui proposent d'autres types de contenu, dont certains de grande qualité.
Quant à la question de la validation des contenus et de la déontologie, c'est un grand terrain vague... Internet est un avion à réaction pour lequel il n'y a pas de permis de conduire.

Guillaume Husson
Et pas forcément de pilote !

Jean Claude Bologne
Dans ma métaphore, il y a un pilote et il peut y avoir des milliers de passagers qui ne savent pas dans quel avion ils voyagent... Le danger est considérable. Voyez ce qui est arrivé à Milan Kundera tout récemment : la réputation de toute une vie peut être balayée par une information que personne ne s'est donné la peine de vérifier et qui s'est diffusée à l'infini par «copié-collé». Quant à la démocratie directe, c'est un beau rêve mais il faut voir à quel point elle est dévoyée sur Internet ! Un site propose par exemple de voter pour déterminer, entre deux versions d'un texte, quelle est la bonne - l'ironie voulant, d'ailleurs, que 100 % des internautes aient voté pour la mauvaise. Il arrive aussi que l'on propose le choix entre différents auteurs pour un même texte !

Annick Rivoire
La relative dépossession des éditeurs professionnels par des textes directement diffusés sur l'Internet peut-elle être compensée par un rôle accru des libraires dans la validation des contenus ?

Guillaume Husson
Je ne sais si l'on peut véritablement parler de dépossession de l'éditeur. Il y a toujours eu des écrivains amateurs, des textes circulant sans être validés, des éditions à compte d'auteur. Internet représente une puissance démultipliée. Pour autant, on ne peut dire s'il y aura plus d'écrivains à compte d'auteur et plus de poètes du dimanche.

Le rôle d'un libraire n'est pas de publier les textes : il est de les passer. La différence peut être ténue mais elle est bien réelle. Le libraire exerce déjà une fonction de validation. Aucune librairie ne détient les quelque 600 000 titres disponibles, surtout pas Amazon, qui stocke 40 000 à 50 000 références dans un entrepôt du centre de la France. Dans cette offre pléthorique, le libraire construit un assortiment. Ce n'est pas un fait nouveau. Le changement radical pourrait être provoqué par le passage d'un modèle fondé sur l'oeuvre à un modèle fondé sur la modalité d'accès aux contenus. Ce serait alors le fournisseur d'accès qui deviendrait le passeur.

Il est erroné de dire que l'on ne se rend dans les libraires que pour acheter des livres périmés au bout de trois mois : 83 % des livres vendus dans les libraires françaises ont plus d'un an. Il n'y a rien de plus faux que l'affirmation selon laquelle Amazon vend les livres de fonds alors que l'on ne trouve pas les livres de plus de trois mois en librairie ! Internet étant le lieu d'une bataille de communication, il est parfois bienvenu de revenir à la réalité des chiffres.
Certains secteurs éditoriaux sont en train de basculer largement dans le numérique : éditions scientifiques et techniques, éditions de référence, dictionnaires, encyclopédies, etc. On ne saurait remettre en cause cette évolution mais les éléments de permanence sont très forts. Le papier en est un, l'attachement des lecteurs à une offre de proximité un autre.

Annick Rivoire
Lors de la préparation de cette table ronde, vous avez parlé du «vertige» du libraire face au nombre de livres publiés et à la démultiplication des formats de diffusion. Comment une petite librairie peut-elle faire face ?

Guillaume Husson
Permettez-moi de citer un libraire parisien qui se réjouissait de cette prolifération dans la mesure où elle lui donne la possibilité de jouer sa carte : à partir du moment où je sais faire mon métier, c'est-à-dire bâtir une offre pour le public qui est le mien, ma petite librairie de quartier me distingue clairement des autres canaux de diffusion. Le vertige est évident, mais il y a des éléments positifs.

Annick Rivoire
Les éditeurs adoptent-ils la même attitude ? En créant lepublieur.com, Jean-Marc Savoye, vous avez tenté de préfigurer cette nouvelle donne ? Avec le recul, quelle est maintenant votre analyse ?

Jean-Marc Savoye
Le fait que tout le monde puisse écrire sur l'Internet n'a rien de dramatique. Ce n'est pas parce qu'il y a des mails qu'il n'y a plus de courrier. Écrire des poèmes et les mettre en ligne, cela ne fait de mal à personne. Il y aura toujours des producteurs de contenus intellectuels, il y aura toujours des producteurs économiques qui voudront faire connaître ces contenus et il y aura toujours des lecteurs. Ce qui est en cause, c'est la validation et l'intermédiation.
Je considère la surproduction comme les prémices du tsunami et non comme un signe de vitalité intellectuelle (même si cela peut l'être). La difficulté à vendre et à trouver un équilibre économique est telle, chez les diffuseurs, que l'on publie un maximum d'ouvrages pour mutualiser le risque : le livre qui marchera permettra de combler le déficit engendré par tous les autres. Nous traversons à l'évidence un moment économique douloureux. Les écrivains ne sont pas ceux qui vivent le mieux, les éditeurs ne vivent pas très bien, les libraires non plus. Le taux de rentabilité d'une librairie est proche de zéro.

Guillaume Husson
En moyenne : 1,4 %.

Jean-Marc Savoye
En France, tout le monde parle de l'auteur, de la création, etc., mais jamais du caractère fondamentalement économique du problème. La librairie, c'est un loyer, un pas-de-porte, des salaires à payer. Si une partie du chiffre d'affaires de la chaîne se déporte ailleurs, c'est la vie de ces commerces qui se trouvera remise en cause.

La démarche qui a mené à la création de lepublieur.com était, je le répète, idéaliste. Je pensais que l'on pouvait donner aux gens la possibilité de publier leurs livres dans de très bonnes conditions et sans les arnaquer - nous avons tous en mémoire le cas de La Pensée universelle. Du reste, je laissais le copyright aux auteurs.

L'édition déléguée est un moyen donné à des institutions ou des associations de réaliser des livres destinés à un public trop restreint pour intéresser un éditeur traditionnel. Il m'est ainsi arrivé de travailler avec des ordres religieux qui voulaient rééditer un corpus pour quelques centaines de personnes. C'est avant tout la numérisation des données qui permet cette sorte d'impression à la demande. Cela change complètement l'économie du secteur et constitue un réel progrès. Des fonds entiers de maison d'édition pourront être ressuscités, même si cela représente des investissements et que les marchés restent marginaux. Aujourd'hui, on peut réaliser un très bon travail éditorial avec des tirages de cinquante ou cent exemplaires. Quant à la validation, elle est assurée par les personnes concernées. Lorsque l'association Autisme France décide de publier un livre, elle valide de fait le contenu.

Annick Rivoire
Lors de la préparation de notre table ronde, vous avez fait valoir que pas un succès de librairie n'était venu de l'Internet. Cela signifie-t-il que l'on ne voit pas émerger de nouveaux auteurs de la génération Internet ?

Jean-Marc Savoye
Ce n'est pas parce que l'on est sur l'Internet que l'on est visible. Plusieurs conditions se trouvent en général conjuguées pour faire un succès : un bon livre, un bon auteur, un bon moment et un peu de chance. Cela vaut aussi pour Internet. Il y aura des succès sur l'Internet mais ils seront le fait de communautés. L'acte raisonné de consommation, qui suppose en l'espèce un effort intellectuel et économique, ne naît pas spontanément.

Annick Rivoire
Les auteurs que vous avez interviewés, Nicolas Cauchy, étaient déjà présents sur l'Internet. Pensez-vous qu'il existe une forme d'écriture qui est propre au réseau et qui atteint son public sans passer par les libraires ?

Nicolas Cauchy
Mon expérience est limitée. Les soixante-dix auteurs que j'ai rencontrés ne sont pas concernés par ces sujets. Ce qui les intéresse, c'est d'écrire leurs textes. Il n'y a pas de connexion avec la dimension de l'Internet. François Bon constitue de ce point de vue une exception.

Annick Rivoire
Il explique que son blog est un objet littéraire au même titre que ses livres et qu'il ne peut désormais plus se passer de cet aspect de son travail. Pensez-vous que l'Internet peut constituer un creuset littéraire pour l'écrivain ?

Jean Claude Bologne
Je distinguerai trois questions qui s'articulent autour de l'Internet : la diffusion et la vente d'ouvrages par ailleurs présents dans les circuits traditionnels ; la publication de certains livres qui seraient impubliables autrement ; l'accès à d'autres formes de création.

Si la diffusion et la vente par d'autres canaux n'entrent pas dans ma démarche, c'est que j'ai plus de vingt-cinq ans d'écriture et de publication derrière moi. Je suis dans un système dont je ne veux pas sortir. Ce qu'il en sera dans cinquante ans, c'est à nous tous de le définir.

Je suis en revanche très sensible à la possibilité offerte de publier des ouvrages qui ne pourraient être publiés autrement. Je pense non pas aux livres exigeants que peuvent vendre les libraires, mais aux ouvrages qu'il n'est pas possible de publier sous forme de codex traditionnel. Dans le domaine de l'érudition, notamment, les notes en bas de page ou en fin de livre font de plus en plus peur aux éditeurs. Certains demandent que l'on limite la bibliographie, ou encore que les citations latines ou grecques soient traduites en français et que le texte original n'apparaisse même pas en note. L'hypertexte éviterait de telles limitations. J'attends encore de pouvoir disposer d'un livre à la fois dans sa version papier et dans sa version intégrale numérisée. De même, j'attends encore le livre numérique illustré, sachant que les illustrations coûtent très cher dans l'édition traditionnelle. Mais ces évolutions supposent sans doute de nouvelles règles de marché.

Annick Rivoire
Ce qui nous amène à la question du modèle économique. Si les nouveaux formats que permet Internet peinent à se développer, c'est sans doute en raison de l'absence d'un tel modèle.

Jean Claude Bologne
Tout le monde dit en effet qu'il n'existe par de modèle économique pour Internet et tout le monde dit y perdre de l'argent. Moi, je constate pour l'instant que tout le monde souhaite nous confisquer nos droits d'auteur. Même s'ils ne sont pas encore rentables, tous les modèles économiques qui se mettent en place ont un point commun : ne pas laisser un centime aux auteurs !

Le modèle Google books consiste à diffuser des contenus numériques payés par la publicité. Le revenu de la publicité est éventuellement partagé avec l'éditeur, jamais avec l'auteur.

Dans le modèle Wikipédia, tous les contenus sont donnés mais, contrairement aux licences Creative commons, on ne choisit pas ce que l'on donne : on cède notamment le droit de commercialiser, si bien que Wikipédia est en train de se constituer une formidable collection de contenus numériques disponibles pour un usage commercial. Or cet organisme, qui emploie un certain nombre de salariés de par le monde, vit des dons que lui font divers organismes et entreprises. Ces derniers ont ainsi à disposition un fonds qu'ils pourront un jour utiliser gratuitement.

On pourrait multiplier les exemples. Un grand éditeur français s'apprête à lancer une encyclopédie en ligne sans verser un centime à ses collaborateurs. Il faut acheter son produit phare pour obtenir le code d'accès à cette encyclopédie. En d'autres termes, c'est en vendant des produits dérivés que l'on rentabilise le projet. Je ne puis affirmer qu'il existe un modèle économique viable et rentable. En revanche, je sais que tous les modèles que l'on tente de mettre en place ont pour caractéristique commune d'exclure l'auteur. Il nous faut donc être attentifs.

Jean-Marc Savoye
Que tout le monde réclame les auteurs n'a rien d'étonnant : ils sont le pétrole ! Notre époque de culture et de communication en a besoin pour alimenter ses énormes tuyaux. Ce qui serait dramatique, c'est que personne ne s'intéresse à eux. Maintenant, savoir combien ils valent est une autre affaire, et un vrai problème. Le phénomène n'est pas nouveau dans l'histoire de l'édition : relisez la correspondance entre Proust et Gaston Gallimard, par exemple.

Jean Claude Bologne
Horace en parle déjà.

Jean-Marc Savoye
Les éditeurs ne sont pas que des escrocs ! (Rires.) L'éditeur est lié à son auteur par un contrat. A priori, il n'y a pas de raison pour que la dialectique un peu compliquée qui a toujours fonctionné entre les deux parties ne fonctionne pas dans ce nouvel espace.

Jean Claude Bologne
Vous convenez donc qu'un éditeur qui concevrait un modèle économique sans rémunérer ses auteurs serait un escroc.

Jean-Marc Savoye
Bien sûr. La rémunération de l'auteur dépend de celle de l'éditeur, et le succès de l'éditeur dépend du talent de l'auteur.

Jean Claude Bologne
Non, c'est la rémunération de l'éditeur qui dépend de l'auteur.

Jean-Marc Savoye
Dans certains systèmes d'abonnement, le compte de l'internaute est débité d'une certaine somme à chaque consultation. L'éditeur sait très précisément quel ouvrage a été consulté et combien de fois. Les sommes qui lui sont reversées ne représentent pas encore grand-chose mais c'est un début et cela pourra prendre de l'ampleur, comme on l'a vu pour les droits sur les photocopies. Même si le risque existe, il ne faut pas imaginer que le basculement dans l'univers de la dématérialisation entraînera mécaniquement l'exclusion de l'auteur.

Guillaume Husson
Il faut distinguer deux choses.
D'une part, la transposition au numérique des modèles économiques classiques fondés sur l'usage de l'oeuvre et la rémunération proportionnelle de cet usage : c'est le cas de l'abonnement, qui permet la traçabilité de la consultation de tel ou tel contenu et où l'on devrait retrouver quelque chose qui ressemble à la rémunération du détaillant en aval. Il n'en reste pas moins qu'un grand groupe éditorial a récemment proposé, sur ces nouveaux contenus, une remis commerciale - c'est-à-dire la rémunération du libraire - de 15 % contre 33 à 34 % aujourd'hui. Pourquoi un libraire qui s'impliquerait dans la diffusion de contenus numériques serait-il moins rémunéré, alors que ses charges ne se «virtualisent» pas et qu'il doit, au contraire, consentir des investissements ? Il faudra assurément négocier, mais nous restons dans un modèle classique.

Dans les autres modèles, la rémunération n'est plus assise sur l'usage de l'oeuvre. Dès lors, la discussion ne se déroule plus «en famille».
Pour nos interlocuteurs, la notion d'oeuvre ou d'auteur est étrangère : ce n'est pas leur histoire, ce n'est pas leur philosophie.

Annick Rivoire
Vous voulez parler de Google ?

Guillaume Husson
Pas seulement. Les opérateurs de télécommunications comme Orange ne raisonnent pas «livre» ou «écrit», mais «accès», «fichier», etc. C'est une tout autre économie.

Annick Rivoire
Les fichiers peuvent faire l'objet d'une traçabilité.

Jean-Marc Savoye
Les opérateurs savent mieux que personne ce que vous avez vu et combien de temps vous l'avez vu. Techniquement, rien n'empêche de mettre en place une rémunération. Que les opérateurs n'en aient pas envie, c'est une autre histoire ! Ils vous expliqueront qu'il n'y a pas de transport, de stockage, etc., et que 15 %, c'est bien payé. Or cela se fera sur une assiette bien plus basse que celle du prix du livre papier.

Annick Rivoire
Une fois que tout sera numérisé, s'expose-t-on à un peer to peer littéraire, un téléchargement massif des fichiers qui bouleverserait la donne comme cela a été la cas dans le marché de la musique ?

Jean-Marc Savoye
Il y aura toujours du piratage. Je considère toutefois que les modes de consommation de la musique et ceux de l'écrit ne sont pas les mêmes.

Annick Rivoire
Harry Potter a été piraté et téléchargé avant même sa sortie en librairie.

Jean-Marc Savoye
C'est une réelle préoccupation mais je ne crois pas que cela empêchera le développement de l'économie du numérique.

Dominique Le Brun
Il est un peu angélique de considérer que les éditeurs ont toujours le réflexe de redistribuer les rémunérations. J'en ai fait moi-même l'expérience avec deux grands éditeurs qui ont mis sur le marché sans aucune viabilité des guides touristiques rédigés chacun par au moins une quinzaine d'auteurs différents. Ceux-ci étaient payés au forfait, ce qui est partiellement illégal. Il est apparu ensuite que l'idée des éditeurs était de se constituer une banque de données sur laquelle personne ne pourrait venir leur demander des droits. Ces faits remontent à une dizaine d'années. Ils prouvent que le concept était déjà en place pour l'édition papier. Il ne faut pas se faire d'illusions : le rêve de tout éditeur est de disposer d'une matière en plein droit dont il peut faire ce qu'il veut.

Jean Claude Bologne
Nous pourrions malheureusement multiplier de tels exemples.

Jean-Marc Savoye
J'ai travaillé dans suffisamment de maisons - que j'estime énormément, au demeurant - pour être affranchi de tout angélisme superfétatoire. (Sourires) Mais tous les éditeurs ne sont pas des bandits !

Dominique Le Brun
Il ne s'agit pas de cela mais d'une logique commerciale selon laquelle l'éditeur estime qu'il n'a pas de raisons de repayer quelqu'un qu'il a déjà payé une fois. Les photographes, les traducteurs et les maquettistes le savent bien.

Jean Claude Bologne
C'est ainsi que les verbicrucistes se sont laissé évincer il y a une dizaine d'années. Ils étaient en effet payés à la case et non à la définition. Certains éditeurs se sont mis à engranger des définitions et, le jour où les ordinateurs ont fait les grilles, les auteurs de mots croisés n'ont plus touché un centime.
Je le répète, il n'existe pas encore de modèle économique viable sur l'Internet. Mais, dans dix ans, il y en aura peut-être un et nous ne devons pas nous laisser confisquer nos droits dès maintenant.

Jean Sarzana
Quel est le modèle économique d'Auteurstv ? S'agissant de la possibilité de consultation à l'infini de textes numérisés, la gestion peut-elle rester individualisée éditeur par éditeur ou ne s'oriente-t-on pas, à terme, vers une gestion collective ?

Nicolas Cauchy
Auteurstv a été réalisé sans aucune volonté de gagner de l'argent. Le temps passant, j'ai souhaité générer un peu de revenus ne serait-ce que pour pouvoir continuer. J'ai donc approché les maisons d'édition en faisant valoir la qualité, les faibles coûts et l'excellent référencement du site sur Internet. Au bout du compte, une maison m'a proposé de travailler en son sein. Le projet initial s'en trouvera gelé pour quelque temps.

Jean Claude Bologne
Le modèle économique est bien connu : c'est le modèle salarial !

Annick Rivoire
J'imagine que vous ne pouvez plus continuer à parler des auteurs des autres maisons d'édition.

Nicolas Cauchy
C'est exact. Alice Fernay m'a relaté que, lors d'une intervention dans un établissement scolaire, les élèves lui avaient parlé de son interview sur Auteurstv, tant il est vrai que leur première démarche pour préparer quelque chose est d'aller sur Internet.

Jean-Marc Savoye
Pour répondre à la deuxième question, un suivi au fichier est techniquement possible. Par ailleurs, une syndication peut présenter un intérêt. On observe que des lignes sont en train de se mettre en place dans le paysage éditorial français. Les rapports de force, eux, ne sont pas virtuels.

Annick Rivoire
Le modèle que l'on observe aujourd'hui sur l'Internet est celui du self generated content : le contenu est élaboré par les internautes et mis gratuitement à disposition. Appliqué à l'économie du livre, ce serait autrement problématique !

Jean-Marc Savoye
L'enjeu n'est pas celui de l'espace dans lequel tout le monde se meut depuis son clavier et son écran. C'est celui de savoir comment une production intellectuelle peut être légitimement validée et trouver son public. Assurément, l'intermédiation va changer, mais je ne vois pas pourquoi une société perdrait d'un seul coup comme préoccupation majeure d'avoir une production intellectuelle de qualité, de la valider et de la donner à lire.

L'évolution est globale. Elle engendrera le pire mais elle engendrera aussi le meilleur. L'essentiel, à mes yeux, est que l'on mette à la disposition du plus grand nombre des contenus dont la diffusion était auparavant restreinte. Il y aura bien sûr des salauds, des rumeurs, de la contrefaçon, des textes tronqués. Il n'en reste pas moins que la transformation a lieu, même si elle reste encore marginale du point de vue économique.

Nicolas Cauchy
Tout auteur a déjà tapé son nom sur Google et a pu lire les avis, positifs ou négatifs, qui sont formulés sur ses oeuvres. Expérience négative pour certains, d'autant qu'ils ne peuvent rien faire pour modifier ces avis : le jugement peut rester ad vitam aeternam.

Jean Claude Bologne
La déontologie de l'Internet est pour l'instant inexistante. Si l'écrivain doit avoir en tête, lorsqu'il écrit, ce que le premier internaute pourra dire de lui, la littérature va se trouver prise dans un entonnoir. Il n'y aura plus ni audace ni recherche dans l'écriture. Les intermédiaires que sont les critiques, les universitaires, les libraires, sont indispensables. Si, au nom de la démocratie participative, tout le monde a le pouvoir de faire une critique sur l'Internet comme cela est le cas, on versera nécessairement dans la médiocrité. Les écritures audacieuses seront qualifiées de mauvaises et l'on n'écrira plus que comme on l'a appris à l'école primaire : sujet, verbe, complément.

Jean-Marc Savoye
Se pose donc une nouvelle fois la question de la validation. Les critiques littéraires reçoivent déjà des centaines de livres par mois. S'ils reçoivent demain des milliers de fichiers, comment pourront-ils en rendre compte ? Il est également difficile de concevoir comment les éditeurs pourront garder leur spécificité dans un univers de fichiers. Comment individualiser les oeuvres et les hiérarchiser ?

Alain Pierrot
Il n'y a là rien d'intrinsèque aux technologies numériques et à Internet. Ce qu'il faut éviter, c'est le «syndrome de l'hypermarché», où l'on est noyé par le choix entre des produits non hiérarchisés et présentés sans intermédiation visible. Google, présenté comme un moteur de recherche neutre, est susceptible de s'effondrer sous sa masse : le jour où il aura numérisé la plupart des ouvrages des bibliothèques et passé des accords avec tous les éditeurs, le temps d'attention pour choisir le résultat pertinent dans la liste des réponses à une requête quelconque deviendra démesuré. Les libraires, les bibliothécaires et les éditeurs doivent donc s'employer à recréer sur l'Internet des espaces où ils jouent leur rôle d'intermédiation.

Lors de leurs premières négociations avec Amazon, les éditeurs ont malheureusement perdu une occasion d'imposer leurs valeurs de médiateurs. La marque, la ligne éditoriale, les collections représentent une énorme valeur pour le lecteur dans la mesure où elles lui économisent du temps et où elles garantissent la qualité. Or Amazon ne propose de recherche par maison d'édition ou par collection que si l'éditeur paie. Il y a là un début de captation du marché de l'intermédiation. Google ne s'y est pas encore engagé mais sera obligé de le faire : comment classer, par exemple, les centaines de réponses à la requête «Balzac» ? Que mettre en tête de gondole ? La question se posera dans les mêmes termes si on laisse entrer les opérateurs de télécommunications comme intermédiateurs.

Les usagers ont tout intérêt à défendre l'idée que le Web doit être un réseau maillé par des lieux où existent des intermédiateurs identifiés. Au demeurant, les éditeurs qui vont sur l'Internet commencent par se créer une marque. La montée en puissance d'un livre électronique comme le Kindle d'Amazon, qui s'abstrait peu à peu de l'Internet maillé et ouvert que nous connaissons aujourd'hui, est un phénomène dangereux. Il faut y regarder à deux fois avant de signer un accord d'exclusivité, fût-il temporaire, avec un canal de diffusion.

Annick Rivoire
Le portail des libraires pourrait-il être le nouvel intermédiaire ?

Guillaume Husson
Je remarque que, dans le domaine de l'Internet, le premier geste commercial fort d'un grand opérateur de l'édition a été de passer un accord d'exclusivité avec le lecteur Sony et la FNAC. C'est précisément ce qu'il faudrait éviter. Nous nous interrogeons sur les investissements à consentir pour le portail des libraires. Comment les rentabiliser si la diffusion est captée par les opérateurs de télécommunications ? Il n'est pas envisageable pour les libraires de se lancer individuellement dans la vente de contenus numériques. Le travail collectif est indispensable et il doit associer les éditeurs et les auteurs : veut-on garder une diversité dans les circuits de diffusion et construire un nouveau système qui resterait fondé sur la notion d'oeuvre et de rémunération de l'oeuvre ? Certains éditeurs nous encouragent vivement à mettre en place le portail et, deux jours après, ils accordent des exclusivités !

Il est très bien que le livre papier soit diffusé à la fois par les librairies, les FNAC et Virgin, les hypermarchés, les librairies en ligne : parce que la production de livres est variée, parce que le lectorat est varié, les circuits le sont aussi. Il faut retrouver cette diversité sur Internet. C'est tout l'enjeu du portail des libraires, qui proposera dans un premier temps la vente en ligne de livres papier mais qui est tout autant conçu pour la diffusion de contenus numériques.

L'architecture existe : les éditeurs détiennent les versions numérisées de dizaines de milliers d'ouvrages, il y a des agrégateurs numériques. En revanche, on ignore tout des usages qui vont s'établir et qui conditionneront la rentabilité du modèle. Tout le monde diffuse des contenus sur Internet mais personne ne sait ce qu'il en est de la lecture de ces contenus. On a l'impression que, plus on produit sur Internet, moins on lit ! Le paradoxe vaut d'ailleurs pour le livre papier : jamais on n'a autant acheté de livres en France mais jamais on n'a lu aussi peu de livres.

Annie Mignard, écrivain
A mon sens, si les éditeurs ont décidé de fixer le prix du contenu numérique 15 % au-dessous de celui du livre papier, c'est pour que les libraires ne hurlent pas. Il est évident que le coût de production est encore bien inférieur. C'est donc une façon d'acheter la paix sociale.

Par ailleurs, certains éditeurs essaient d'utiliser l'Internet comme un réservoir de lecteurs et comme un vecteur de bouche à oreille - le buzz. Ils financent des sites pour leurs auteurs, leur ouvrent des blogs, essaient de recueillir les impressions favorables des internautes de passage. Sait-on quel retour ils ont de tous ces efforts ?

Nicolas Cauchy
Je n'ai qu'un élément de réponse : sur le site du Livre de poche, c'est la recherche par auteur qui est privilégiée par les visiteurs.

Annick Rivoire
Le blog de François Bon - vingt-cinq mille visiteurs par mois - est un des blogs littéraires les plus lus, de même que celui de Pierre Assouline dans un autre registre.

Guillaume Husson
Je veux revenir sur le chiffre de 15 %. Si les éditeurs choisissent ce niveau de prix, ce n'est pas pour faire plaisir aux libraires (il ferait beau voir !) mais parce que l'on ne connaît pas la chaîne de valeur de cette économie numérique. En d'autres termes, ils ne connaissent pas le prix du livre numérique : cela peut être zéro mais cela peut aussi être plus élevé que la version papier si l'on calcule les coûts dans la phase d'investissement actuelle. L'avenir étant entouré d'un épais brouillard, je pense que les éditeurs préfèrent partir d'un peu haut, sachant que les fournisseurs d'accès vont tirer les prix vers le bas, peut-être jusqu'à la gratuité.
Pour le reste, aucun libraire ne se plaint que le prix soit divisé par deux ou trois lorsqu'un livre passe en format de poche.

Annie Mignard
Le rapport Patino reprend l'argumentaire d'Olivier Bomsel dans Gratuit ! Dans ce système, le lecteur ou l'internaute a l'impression que le produit est gratuit alors que c'est lui-même qui est vendu à d'autres.

Le rapport laisse aussi entendre qu'avec l'Internet, il commence à y avoir des acteurs de trop dans la chaîne du livre. Entre libraires, distributeurs et éditeurs, c'est un peu «Ôte-toi de là que je m'y mette !» La question de la valeur ajoutée de chacun des acteurs est posée. N'assiste-ton pas à une bataille d'où résultera une nouvelle concentration ? Après tout, au XIXe siècle, les libraires étaient aussi les éditeurs. Notre modèle actuel ne remonte qu'à environ un siècle et peut être réévalué.

Je voudrais évoquer pour terminer ce qu'Internet a d'extraordinairement réconfortant pour les auteurs, qui ont parfois l'impression de pouvoir effleurer du bout des doigts leurs lecteurs. Les visites sur un site d'auteur ne font pas forcément plus de ventes mais elles font plaisir. J'ai découvert qu'un auteur australien avait écrit un article sur une de mes nouvelles, laquelle était par ailleurs inscrite - sans que j'en perçoive, bien entendu, le moindre droit - au programme de français langue étrangère d'une université californienne. Ces éléments redonnent de la fierté aux auteurs, qui s'aperçoivent que ce qu'ils font est digne d'être lu.
C'est une grande aération !

Annick Rivoire
Lors de la préparation de notre table ronde, Jean Claude Bologne a affirmé qu'il tenait à maintenir son site pour lutter contre cette sorte de classement qui fait que le dernier commentaire apparaît en premier. Au-delà du contact avec les lecteurs, il s'agit de garder une certaine maîtrise en matière de communication.

Jean Claude Bologne
Le fait est que, lorsque l'on tapait mon nom sur Google, un dossier réalisé sur moi en 1993 apparaissait en tête de liste. En quelque sorte, je n'existais plus depuis cette date. Cela dit, je partage l'analyse d'Annie Mignard sur la formidable aération que constitue Internet. J'espère que ce phénomène se prolongera pour les livres purement numériques mais cela fait d'ores et déjà un bien fou de savoir que l'on est lu et commenté ailleurs qu'en France. On apprend même parfois que l'on est traduit sans même en avoir été avisé par son éditeur !

Vincent Message
À écouter les intervenants, on pourrait croire que les médiateurs traditionnels n'ont aucune défaillance. Or ils en ont, et ce n'est pas leur faute. Libraires et critiques manquent de temps et d'espace. Les journaux consacrent souvent une place ridiculement restreinte aux critiques littéraires. Sur Internet, des hiérarchies se reconstituent. Comme avec un média traditionnel, on développe ou non un rapport de confiance avec un blog littéraire. Certes, on trouve des insultes sur certains blogs, mais l'internaute évalue : il valide la validation. Il peut devenir le lecteur fidèle d'un blog qui lui paraît mieux rendre justice aux oeuvres que ce qu'il trouve dans la presse.

Cette hiérarchie trouve des relais. Il existe des classements des cent blogs littéraires les plus lus en France. La plupart sont de grande qualité. Les auteurs n'ont en général pas de contraintes. Ils ne sont rémunérés ni par la publicité ni par les maisons d'édition et publient au rythme qu'ils veulent. De ce point de vue, Internet peut aussi offrir un tri de qualité.

Alain Pierrot
Les blogs sont un phénomène éditorial. Auparavant, les forums de discussion permettaient à n'importe qui de dire n'importe quoi. Si la formule du blog a pris, c'est qu'elle privilégie une personne, celle qui rédige les billets et filtre les commentaires. Le blogueur joue ainsi un rôle éditorial en choisissant et lançant les «conversations», et un rôle de modérateur, ou de maître de maison, à la mode des salons des XVIIIe et XIXe siècles, avec une autorité identifiable. L'exploitation des blogs littéraires comme outil de promotion et de rémunération des oeuvres et des auteurs présente toutefois le risque d'entraver la régulation et la mutualisation des efforts offertes par les systèmes éditoriaux. Si l'on s'en tient à une sorte de loi statistique des blogs les plus lus, qui rémunérerait la création en fonction de la fréquentation et des citations, on ferait ressortir ce que l'on pourrait appeler une sagesse des foules mais l'on ignorerait le courage de certains éditeurs qui décident de perdre de l'argent en publiant des textes difficiles. En établissant une échelle de valeurs précise sur le Web et en adoptant, comme plusieurs opérateurs le souhaitent, un paiement à la consommation effective, on interdit aux éditeurs de prendre le risque de rémunérer un peu moins un auteur à succès et de consacrer une part des bénéfices pour publier des textes qui ne trouveront peut-être pas immédiatement leur audience.
Voilà pourquoi je pense qu'il faut élaborer des modèles comportant des sociétés de répartition de droits, avec la part d'injustice que cela comporte la mutualisation implique que certains «payent» plus qu'ils ne reçoivent. Contrairement à ce que l'on raconte, le coût des tuyaux n'est pas égal à zéro. Il faut des investissements, et donc des péages. Si la loi ne garantit pas le libre accès aux oeuvres, y compris celles qui n'ont pas encore de succès, il deviendra difficile de diffuser la création.

Annick Rivoire
Merci beaucoup à tous les intervenants de cette table ronde.

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